Rachida Laakrouchi, La Genèse de Victor.     
Toulouse, Hors-Limites, 1998, 110 p.

Le premier roman de Rachida Laakrouchi, jeune auteure vivant à Toulouse, emmène le personnage principal, Victor, dans un voyage de découvertes qui part de Toulouse vers le désert marocain pour revenir enfin au point de départ géographique du personnage. Conçu comme une recherche spirituelle, ce « roman d’éducation » est construit sur le modèle de la Genèse biblique. Chaque nouvelle étape que le personnage traverse annonce un jour de plus et termine un chapitre.

Victor est un jeune Toulousain, issu d’un milieu bourgeois, travailleur social et décrit comme “terre à terre”. Alors qu’il est en train de relire Le Petit Prince, il « se prit à rêver “et si je partais moi aussi”» (24) malgré « [son] métier et [son] appartement presque fini de payer » (25).

D’abord anodin, un souvenir va, littéralement suivre le personnage principal tout au long de son voyage :

Il se rappela un jour une scène où il était avec sa petite amie de l’époque, ils avaient 15 ans, ils étaient assis au bord de l’eau quand un homme les yeux pleins de larmes s’arrêta à leur hauteur en déclamant “Vanité des vanité, tout est vanité…” Ils avaient ri mais le soir, il a vu au fond de son lit les larmes creuser un ru dans le visage parfaitement rasé de l’homme et, cette nuit-là, sous l’effet d’une espèce d’émotion qu’il ne comprenait pas il pleura longtemps. (21).

En fait, une sorte de double de lui-même, cet homme « l’Autre » deviendra peu à peu un Pygmalion pour Victor et remettra en question toutes ses croyances rationnelles. De manière significative, sa première rencontre avec l’homme se déroule à l’aéroport, le jour de son départ. La suivante a lieu dans le désert marocain alors que Victor a perdu son âne.

La voix, à chaque rencontre, est ce qui caractérise l’Autre : « l’Autre chantait, et son chant emplissait l’espace. C’était un chant arabe [...] » (43). Au même moment « Victor était rivé à sa place, muet » (43). Ainsi le mutisme de Victor qui « ne trouv[e] rien d’intelligent à dire » lorsque « l’Autre » l’interpelle se transforme et sa voix et celle de « l’Autre » finissent par se confondre : « Il se surprit à chanter au rythme de sa marche. Il ne s’était jamais entendu chanter. Sa voix l’étonna » (46).

La narration est également tissée avec les textes qui semblent dialoguer dans ce roman. En effet, la Bible, le Coran, le petit Prince et le Portrait de Dorian Gray y figurent et semblent dialoguer entre eux et avec les personnages. Les textes deviennent des allégories du voyage de découvertes de Victor. Ils nous renvoient à la représentation de l’âme humaine, à l’apprentissage et à la création de l’individu. En effet, c’est après avoir commencé sa ‘traversée du désert’ et à la première nuit du mois de Ramadan que le thème de la Genèse est introduit dans le roman :

Au réveil, la voûte céleste était toujours là, translucide et uniforme. Victor chercha l’âne. Au plus loin que son regard portât, il n’en vit pas même l’ombre. L’âne n’était plus là. Aucune trace de pas qui eût pu suggérer un vol, aucune trace de l’âne pour lui indiquer une direction. “ ainsi il y eut un soir, et il y eut un matin, ce fut le premier jour ” murmura-t-il. (41).

Le personnage devient ainsi conscient de sa propre genèse et pour ainsi dire maître de son destin. Les six jours de la Genèse lui enseigne la sagesse, l’amour et Victor apprendra même à être pacifié face aux affres de la souffrance : « Alors, pacifié, il dit à haute voix pour bien s’entendre : “ il y eut un soir et il y eut un matin : ce fut le sixième jour” (100). Mais l’expérience de la découverte ne peut pas s’arrêter là pour Victor car même si elle est de nature divine, le repos semble lui être refusé. Ainsi, l’impossibité de Victor de pouvoir accéder à un septième jour rend le texte in-fini.

Parallèlement à ce voyage de découvertes complexe, une histoire de rencontres se déroule dans La genèse de Victor. Et l’auteure elle-même, dans un entretien qu’elle a bien voulu nous accorder, définit son roman en termes d’espaces et de mondes qui se rencontrent : J’avais envie d’écrire sur l’Islam, j’avais envie d’écrire sur la Chrétienté, j’avais envie d’écrire sur la société qui m’avait reçue, la société qui me recevait pendant les périodes migratoires au Maroc tous les étés etc. Donc tous ces aller-retours entre ces différents espaces, j’avais envie de les définir, de les poser en termes de roman […].

En effet, les personnages sont tous issus d’espaces géographiques, culturels, et religieux différents parfois perçus comme antagonistes : la France et le Maghreb, le christianisme et l’islam, la raison et la spiritualité, le désert et la ville. L’histoire d’amour entre Lalla Fatiha dont on ne sait rien d’autre qu’« elle peignait » et dont la voix est « douce et mélodieuse » (35) et Victor exemplifie ces rencontres qui ponctuent le roman. Ainsi, des relations potentiellement conflictuelles deviennent des échanges entre des mondes différents.

Mina Aït M’Bark.