Le premier roman de Rachida Laakrouchi,
jeune auteure vivant à Toulouse, emmène le personnage principal, Victor, dans
un voyage de découvertes qui part de Toulouse vers le désert marocain pour
revenir enfin au point de départ géographique du personnage. Conçu comme une
recherche spirituelle, ce « roman d’éducation » est construit sur le
modèle de la Genèse biblique. Chaque nouvelle étape que le personnage traverse
annonce un jour de plus et termine un chapitre.
Victor
est un jeune Toulousain, issu d’un milieu bourgeois, travailleur social et
décrit comme “terre à terre”. Alors qu’il est en train de relire Le Petit Prince, il « se prit à
rêver “et si je partais moi aussi”» (24) malgré « [son] métier et [son]
appartement presque fini de payer » (25).
D’abord
anodin, un souvenir va, littéralement suivre le personnage principal tout au
long de son voyage :
Il se rappela un jour une scène où il était
avec sa petite amie de l’époque, ils avaient 15 ans, ils étaient assis au bord
de l’eau quand un homme les yeux pleins de larmes s’arrêta à leur hauteur en
déclamant “Vanité des vanité, tout est vanité…” Ils avaient ri mais le soir, il
a vu au fond de son lit les larmes creuser un ru dans le visage parfaitement
rasé de l’homme et, cette nuit-là, sous l’effet d’une espèce d’émotion qu’il ne
comprenait pas il pleura longtemps. (21).
En
fait, une sorte de double de lui-même, cet homme « l’Autre »
deviendra peu à peu un Pygmalion pour Victor et remettra en question toutes ses
croyances rationnelles. De manière significative, sa première rencontre avec
l’homme se déroule à l’aéroport, le jour de son départ. La suivante a lieu dans
le désert marocain alors que Victor a perdu son âne.
La
voix, à chaque rencontre, est ce qui caractérise l’Autre : « l’Autre
chantait, et son chant emplissait l’espace. C’était un chant arabe [...] »
(43). Au même moment « Victor était rivé à sa place, muet » (43).
Ainsi le mutisme de Victor qui « ne trouv[e] rien d’intelligent à
dire » lorsque « l’Autre » l’interpelle se transforme et sa voix
et celle de « l’Autre » finissent par se confondre : « Il
se surprit à chanter au rythme de sa marche. Il ne s’était jamais entendu
chanter. Sa voix l’étonna » (46).
La
narration est également tissée avec les textes qui semblent dialoguer dans ce
roman. En effet, la Bible, le Coran, le petit Prince et le
Portrait de Dorian Gray y figurent et semblent dialoguer entre eux et avec
les personnages. Les textes deviennent des allégories du voyage de découvertes
de Victor. Ils nous renvoient à la représentation de l’âme humaine, à
l’apprentissage et à la création de l’individu. En effet, c’est après avoir
commencé sa ‘traversée du désert’ et à la première nuit du mois de Ramadan que
le thème de la Genèse est introduit dans le roman :
Au réveil, la voûte céleste était toujours
là, translucide et uniforme. Victor chercha l’âne. Au plus loin que son regard
portât, il n’en vit pas même l’ombre. L’âne n’était plus là. Aucune trace de
pas qui eût pu suggérer un vol, aucune trace de l’âne pour lui indiquer une
direction. “ ainsi il y eut un soir, et il y eut un matin, ce fut le premier
jour ” murmura-t-il. (41).
Le
personnage devient ainsi conscient de sa propre genèse et pour ainsi dire
maître de son destin. Les six jours de la Genèse lui enseigne la sagesse,
l’amour et Victor apprendra même à être pacifié face aux affres de la
souffrance : « Alors, pacifié, il dit à haute voix pour bien
s’entendre : “ il y eut un soir et il y eut un matin : ce fut le
sixième jour” (100). Mais l’expérience de la découverte ne peut pas s’arrêter
là pour Victor car même si elle est de nature divine, le repos semble lui être
refusé. Ainsi, l’impossibité de Victor de pouvoir accéder à un septième jour
rend le texte in-fini.
Parallèlement
à ce voyage de découvertes complexe, une histoire de rencontres se déroule dans
La genèse de Victor. Et l’auteure
elle-même, dans un entretien qu’elle a bien voulu nous accorder, définit son
roman en termes d’espaces et de mondes qui se rencontrent : J’avais envie
d’écrire sur l’Islam, j’avais envie d’écrire sur la Chrétienté, j’avais envie
d’écrire sur la société qui m’avait reçue, la société qui me recevait pendant
les périodes migratoires au Maroc tous les étés etc. Donc tous ces
aller-retours entre ces différents espaces, j’avais envie de les définir, de
les poser en termes de roman […].
En
effet, les personnages sont tous issus d’espaces géographiques, culturels, et
religieux différents parfois perçus comme antagonistes : la France et le
Maghreb, le christianisme et l’islam, la raison et la spiritualité, le désert
et la ville. L’histoire d’amour entre Lalla Fatiha dont on ne sait rien d’autre
qu’« elle peignait » et dont la voix est « douce et
mélodieuse » (35) et Victor exemplifie ces rencontres qui ponctuent le
roman. Ainsi, des relations potentiellement conflictuelles deviennent des
échanges entre des mondes différents.
Mina Aït M’Bark.