Bochra Ben Hassen et Thierry Charnay, Contes Merveilleux de Tunisie. Paris, Maisonneuve & Larose, 1997.

 – Il était ce qu'il en était.
- Que la paix et l'abondance soient sur toi.
- Notre chambre est en soie, votre chambre est en lin et la chambre de l'ennemi est un nid de souris.
Messieurs et nobles seigneurs, que nous soyons guidés, que vous soyez guidés sur la voie du bien et de la foi.
[ suit le conte ].
Et notre conte traversa la forêt et cette année nous aurons deux et une récolte..

Elles parlent, elles parlent nos aïeules, nos mères, à travers la plume de Bochra Ben Hassen qui, aidée de Thierry Charnay, s'est assignée la très lourde tâche de répandre les échos de ces voix féminines par delà la méditerranée.

Quel merveilleux recueil que ces Contes Merveilleux de Tunisie, d'une fertilité extraordinaire à tout point de vue : Richesse des histoires (qui se répondent et s'entremêlent) qui n'est autre que la richesse de l'imaginaire populaire tunisien ; richesse des images et de la langue orale admirablement conservées dans la traduction accompagnée de plusieurs notes de Bochra Ben Hassen.

Dans cet ouvrage, la diégèse est par excellence diégèse. Qu'y a-t-il de plus fictif que les pays des ogres et des djinns explorés aussi bien par les personnages des contes que par le lecteur ou l'auditoire ? Qu'y a-t-il de plus irréel que ces histoires de pères mangeant leurs enfants, de personnes se métamorphosant en animaux, de plantes et d'animaux qui parlent ?….

Si le père Chkonker (3 contes lui sont consacrés) peut nous sembler à la fois odieux et sympathique, M'hammed Oueld Essoltane est certainement la figure la plus éminente et la plus positive du recueil. Il est, en effet, l'actant principal du premier conte (le plus long de l'œuvre, intitulé «M'hammed le fils du Sultan») et du neuvième («Quarante garçons nés d'un même père et d'une même mère») où il brave la puissance de son père et finit même par le tuer.

Il apparaît également dans beaucoup d'autres contes : «Grain de Grenade», «Hafsa, chaque mot suivi d'un pet», «La vache noire», «O ma chaise, vole, emporte moi» («ou «La Chatte de la cendre» qui n'est autre que la Cendrillon tunisienne), «Le cygne», «La fille du paon», «La sœur des sept» et «La Doucette qui fit perdre les sept». Dans tous ces contes, ce héros, incontestablement tunisien, est le prince envoyé par la providence à une fille malheureuse et abandonnée par le sort. Ces rencontres sont souvent suivies d'un effet de surprise :

 – Humain ou djinn ?
- Humain de la meilleure race, croyant en Dieu l'unique et en son prophète Mohammed..

Cette formule, reprise dans plusieurs contes semble un motif, une litanie qui sanctifie les rapports entre les deux personnages. Peut-être correspondrait-elle, dans l'imaginaire français, au baiser appliqué par le prince charmant sur la joue de la belle au bois dormant.

En somme, M'hammed le fils du Sultan apparaît dans 11 contes sur 20. Il symbolise le bien et l'amour. La vieille des vieilles est, par contre, l'emblème du mal ; elle a même vaincu le diable à la fin du recueil. Elle, aussi, figure dans plusieurs contes et même dans la «Formule d'ouverture de la veillée».

De par leur variété et leur ressemblance avec d'autres contes maghrébins et méditerranéens (parenté soulignée à la fin du livre par des «Correspondances avec la nomenclature internationale»), cet ouvrage représente un véritable trésor qui peut maintenir vivace la mémoire du peuple tunisien et sauver de l'oubli des chef-d'œuvres de la création collective car si le roman suppose un auteur, le conte, lui, est le fruit d'une imagination populaire qui se déploie dans son propre territoire pour finir par rejoindre d'autres imaginaires dans le monde. A la fin, seul le conte est le produit spirituel de toute l'humanité.

Najiba Regaïeg, Sousse