– Il
était ce qu'il en était.
- Que la paix et l'abondance soient sur toi.
- Notre chambre est en soie, votre chambre est en lin et la chambre de l'ennemi
est un nid de souris.
Messieurs et nobles seigneurs, que nous soyons guidés, que vous soyez guidés
sur la voie du bien et de la foi.
[ suit le conte ].
Et notre conte traversa la forêt et cette année nous aurons deux et une
récolte..
Elles
parlent, elles parlent nos aïeules, nos mères, à travers la plume de Bochra Ben
Hassen qui, aidée de Thierry Charnay, s'est assignée la très lourde tâche de
répandre les échos de ces voix féminines par delà la méditerranée.
Quel
merveilleux recueil que ces Contes
Merveilleux de Tunisie, d'une fertilité extraordinaire à tout point de
vue : Richesse des histoires (qui se répondent et s'entremêlent) qui n'est
autre que la richesse de l'imaginaire populaire tunisien ; richesse des
images et de la langue orale admirablement conservées dans la traduction
accompagnée de plusieurs notes de Bochra Ben Hassen.
Dans
cet ouvrage, la diégèse est par excellence diégèse. Qu'y a-t-il de plus fictif
que les pays des ogres et des djinns explorés aussi bien par les personnages
des contes que par le lecteur ou l'auditoire ? Qu'y a-t-il de plus irréel
que ces histoires de pères mangeant leurs enfants, de personnes se
métamorphosant en animaux, de plantes et d'animaux qui parlent ?….
Si
le père Chkonker (3 contes lui sont consacrés) peut nous sembler à la fois
odieux et sympathique, M'hammed Oueld Essoltane est certainement la figure la
plus éminente et la plus positive du recueil. Il est, en effet, l'actant
principal du premier conte (le plus long de l'œuvre, intitulé «M'hammed le fils
du Sultan») et du neuvième («Quarante garçons nés d'un même père et d'une même
mère») où il brave la puissance de son père et finit même par le tuer.
Il
apparaît également dans beaucoup d'autres contes : «Grain de Grenade»,
«Hafsa, chaque mot suivi d'un pet», «La vache noire», «O ma chaise, vole,
emporte moi» («ou «La Chatte de la cendre» qui n'est autre que la Cendrillon
tunisienne), «Le cygne», «La fille du paon», «La sœur des sept» et «La Doucette
qui fit perdre les sept». Dans tous ces contes, ce héros, incontestablement
tunisien, est le prince envoyé par la providence à une fille malheureuse et
abandonnée par le sort. Ces rencontres sont souvent suivies d'un effet de
surprise :
– Humain
ou djinn ?
- Humain de la meilleure race, croyant en Dieu l'unique et en son prophète
Mohammed..
Cette
formule, reprise dans plusieurs contes semble un motif, une litanie qui
sanctifie les rapports entre les deux personnages. Peut-être
correspondrait-elle, dans l'imaginaire français, au baiser appliqué par le
prince charmant sur la joue de la belle au bois dormant.
En
somme, M'hammed le fils du Sultan apparaît dans 11 contes sur 20. Il symbolise
le bien et l'amour. La vieille des vieilles est, par contre, l'emblème du
mal ; elle a même vaincu le diable à la fin du recueil. Elle, aussi,
figure dans plusieurs contes et même dans la «Formule d'ouverture de la
veillée».
De
par leur variété et leur ressemblance avec d'autres contes maghrébins et
méditerranéens (parenté soulignée à la fin du livre par des «Correspondances
avec la nomenclature internationale»), cet ouvrage représente un véritable
trésor qui peut maintenir vivace la mémoire du peuple tunisien et sauver de
l'oubli des chef-d'œuvres de la création collective car si le roman suppose un
auteur, le conte, lui, est le fruit d'une imagination populaire qui se déploie
dans son propre territoire pour finir par rejoindre d'autres imaginaires dans
le monde. A la fin, seul le conte est le produit spirituel de toute l'humanité.
Najiba
Regaïeg, Sousse