Vladimir
SILINE : Le dialogisme dans le roman algérien de langue française.
Touria
AJAKAN : Le roman féminin algérien de langue française 1947-1998.
La
thèse de Fatima-Zohra Imalayene porte sur son propre itinéraire scriptural d'auteur
écrivant sous le nom de plume Assia Djebar. Une thèse dont le sujet et l'objet
se font face, se mesurent, s'entrecroisent et souvent se superposent nous
entraînant dans leur confrontation. Une sorte de mélange des genres que l'on
pourrait dire "thèse autobiographique", qui se revendique comme telle
et qu' il s' agit de questionner dans son originalité de parole à la fois
réflexive (autoréflexive) et narrative.
Il
nous faut donc aller au-delà des conventions du genre normé de la thèse pour
appréhender ce travail qui, en sa démarche, n' obéit ni à une structure ni à un
discours canoniques. Certes, le mémoire progresse assez méthodiquement pour
tenter d'élucider un rapport à l'écriture, à la langue, aux genres et formes
mis en oeuvre par l'auteur ; certes, il se subdivise bien en parties (au
nombre de six) et en sous parties traitant chacune d'un aspect ou d'une période
particulière de l'oeuvre ; certes, son projet est nettement défini,
d'entrée de jeu, comme visant à éclairer pas à pas l'aventure de l'écriture
djébarienne à la lumière des expériences et des conflits idéologiques ou
existentiels que la femme, la citoyenne, l'écrivaine a eu à résoudre au cours
des quarante années de son parcours. Mais la logique de la démarche qu' adopte
la thésarde, plutôt que de souscrire aux règles du discours argumentatif
habituel, procède par enchaînements, tantôt chronologiques, tantôt thématiques,
impulsés par une sorte de courant alternatif se propageant entre passé et
présent, entre réflexion et remémoration, entre confession et critique.
Démarche qui tient à la fois du genre "mémoires" et du genre
"essais", sécrétant un texte qui oscille entre introspection et
méditation lyrique, entre analyse et pétitions polémiques. De sorte que, le
discours de la thèse produit bien un développement réflexif mais il ne dédaigne
pas les échappées métaphoriques et procède aussi bien par raisonnement déductif
que par analogie illustrative.
Il
en résulte un texte qui avance selon un mouvement en spirale tout en produisant
une structure étoilée. Structure étoilée dont les six branches (les six parties
de la thèse) avec leurs ramifications (les différents chapitres et
sous-chapitres) poursuivent l'exploration du travail de l'écrivaine, pistant
tout particulièrement une définition de la francophonie djebarienne. Structure
étoilée dont les éléments sont connectés entre eux grâce au mouvement en
spirale qui résulte du retour incessant de la réflexion sur le problème nodal
des langues pratiquées et/ou mises en spectacle par le sujet de l'écriture. Par
différents angles d'attaque se trouve remise sur le gril la question de la
parole : question de ses pouvoirs et de ses impuissances ; question
de sa confiscation par la domination coloniale et par l'arbitraire du pouvoir
masculin ; question de sa sauvegarde et des chemins clandestins de sa
propagation ; question des hiérarchies imposées et de leur subversion par
la pratique populaire et/ou par le travail des créateurs..
Le
mouvement général s' enroule autour des périodes de silence de l'auteur, autour
des tentations plus ou moins illusoires, plus ou moins bien surmontées qui ont
jalonné son itinéraire, autour de la réflexion sur la vertu (voire, la
nécessité) de l'écriture autobiographique, autour du détour par le reportage
journalistique puis le cinéma pour expérimenter l'efficacité d'autres modes du
dire, pour en tester les techniques et les confronter à celles de l'écriture,
pour, les y transporter, le cas échéant. Mouvement qui revient sans cesse sur
les questions obsédantes du pourquoi écrire ? Pourquoi écrire en langue
française ? Comment écrire en langue française quand on est natif d'une
constellation linguistique où se relaient et se concurrencent déjà les langues
du terroir : arabe savant du texte sacré et de la grande littérature,
arabe parlé avec les traits de la communication propre au code du gynécée,
berbère ancestral oublié et pourtant toujours vivace dans la mémoire
obérée ? Autant de questions qui butent immanquablement sur la question
majeure de toute pratique littéraire : quelle langue ? Question qui
taraude tout écrivain en quête de sa langue propre. Question qui se double,
ici, de la question subsidiaire : quelle langue française ? Questions
qui débouchent sur d'autres questions : écrire pour qui ? Pour quoi
dire ? La violence répétée de l'Histoire ? Le vécu féminin (arabe)
infiniment refoulé ?
La
spirale du discours de la thèse tout en revenant obsessionnellement sur les
mêmes questions, déplace chaque fois sensiblement leur orientation. En fait, la
diffraction et le tournoiement qui caractérisent l'évolution de ce travail sont
le résultat d'un montage. Car cette thèse réside dans l'agencement de textes
d'articles ou communications – élaborés à l'occasion d'interventions publiques
d'Assia. Djebar où l'auteur explicite sa recherche, dessine le tracé de son
parcours d'écriture, s'exprime sur des oeuvres de confrères, esquisse une
anthropologie de la culture féminine algérienne, tout en précisant, chaque
fois, son rapport à la langue française. Pour les besoins du travail de la
thèse, ces fragments réflexifs sont ordonnés et classés, mais surtout reliés et
mis en perspective par un texte italique qui les coud entre eux en un patchwork
offert à la lecture, à la fois, dans sa fragmentation et dans sa cohésion. Ce
texte italique, tissu conjonctif qui appartient au présent de la candidate,
constitue alors une sorte d'étoupe logique et chronologique qui donne toute sa
cohérence au discours de la thèse comme au discours littéraire de l'auteur
Djebar. Car les hasards des interventions premières, une fois ordonnés et
éclairés par le regard rétrospectif, prennent place sur la courbe d'une
évolution qui revêt l'allure d'une nécessité fermement soulignée par la
candidate, en dépit de piétinements et de ressassements qui ralentissent
parfois l'avancée de la thèse.
Un
tel montage fait ressortir, a posteriori, la logique d'une évolution tout en
sauvegardant la multiplicité des points de vue qu'implique la diversité des
temps et des lieux d'énonciation qui spécifient les différentes interventions
de l'auteur rassemblées et revisitées. Le procès argumentatif et la
construction narrative surimposent la linéarité de leurs développements au
feuilletage des communications ponctuelles, matériau de base de cette thèse. En
définitive, le double mouvement (étoilé, spiralé) dont il a été question
ci-dessus, servi par le travail conjonctif du texte italique permet d'embrasser
les lieux cardinaux de la pensée de l'auteur aussi bien que les circuits de
leurs connexions. Le tout concourant à la mise en exergue de la double
détermination (historique et personnelle) qui a présidé à la prise de parole
djébarienne et qui donne à lire cette oeuvre dans sa dimension universelle
autant que dans sa quête individuelle, tout à fait singulière, alors même
qu'elle apparaît comme éminemment marquée au sceau de l'histoire de
colonisation et de décolonisation.
A
l'issue de ce travail, nous sommes en possession d'une exploration de l'oeuvre
de A. Djebar éclairée à la fois du dehors et du dedans. Cette posture
« d'extranéité interne », pour reprendre la belle formule de Valéry,
permet de percevoir à quel point l'identité est, à chaque étape du
développement historique et individuel pensée en fonction des crises qui la
bouleversent.
On
peut regretter que les remarques sur le bilinguisme (je préfère, pour ma part
le concept de colinguisme de Renée Balibar), sur la diglossie, sur
l'inter-langue qui spécifient le champ linguistique algérien (et, plus
largement, maghrébin) soient un peu sommaires et n'apportent rien de neuf après
les analyses décisives d'auteurs comme Khatibi, Farès ou Meddeb. Mais on note
toutefois l'attention particulière apportée par A. Djebar au langage féminin et
à ses formes particulières de manifestation dans un monde où seule la parole
masculine est patentée. On déplore, surtout, que dans une thèse qui s'attache à
élucider une trajectoire et réussit, en général, avec bonheur à le faire, que
les deux premiers romans soient passés quasiment sous silence alors que dans
ces oeuvres d'apprentissage l'attention de l'auteur apparaît déjà comme
sollicitée par le langage du corps, les problèmes du couple, l'atmosphère
feutrée et violente du gynécée : autant de thèmes qui distingueront
l'univers djebarien de ceux de ses confrères masculins. Cependant, malgré ces
réserves qui prêtent à débat, cette thèse est digne du plus grand intérêt.
En
prenant le parti de s'éloigner d'un propos trop nettement inscrit dans le code
universitaire courant, F.-Z. Imalhayène produit un travail qui brille par son
originalité et par l'implication passionnée de son auteur. Il fournira
assurément aux chercheurs une entrée privilégiée dans l'oeuvre djebarienne.
Naget Khadda.
Cette
thèse se caractérise d’abord par l’intérêt de son sujet, qui à ma connaissance
n'avait jamais été traité, ne serait-ce que du fait de la difficulté qu'il
suppose pour la constitution d'un corpus cohérent et représentatif. Non
seulement Mlle Idrissi vient à bout de ce pari, mais elle le fait avec une très
grande rigueur et sans rechigner à la tâche, car son corpus est très étendu,
tout comme la tranche historique qu'elle balaie. De ce point de vue on la
félicite aussi d'avoir apporté à son approche cette mise en perspective
historique qui manque à la plupart des études d'image développées dans le
domaine comparatiste. Rares sont en effet celles qui reposent sur un lien aussi
précis avec l'histoire.
De
la même manière Mlle Idrissi a réussi le pari difficile de convoquer des textes
de nature différente. En ceci le littéraire francophone appréciera
particulièrement que les textes littéraires marocains dont les traductions
allemandes sont décrites, soient mis en parallèle avec des corpus
non-littéraires, permettant ainsi une approche de la réception très solide. Le
comparatiste apprécie aussi le va-et-vient de Mlle Idrissi entre des corpus de
langues différentes ou entre des textes critiques de langues différentes, tout
comme le fait qu'elle ait jugé bon d'accompagner son imposante thèse en langue
allemande d'un volume en français dans lequel le lecteur non germaniste pourra
en retrouver l'essentiel. Le volume de documents joint est également très riche
et très utile, et certains des documents qu'il contient permettent au lecteur
de sourire, ce qui n'est jamais superflu ! Par ailleurs la présentation
matérielle du travail va de pair avec la qualité de son contenu.
En
approfondissant la lecture de la thèse on s’aperçoit cependant qu’elle n’est
pas sans défauts : ces derniers sont cependant inhérents, pour la plupart,
au parti-pris global de couvrir un corpus trop vaste, ce qui fait que sur tous
les textes ou sur tous les points abordés, le lecteur reste sur sa faim :
tout n’est qu’abordé, pour ne pas dire que tout n’est qu’effleuré, dans un
ensemble qui reste essentiellement descriptif et ne livre jamais la
théorisation qu’un tel sujet appellerait. La thèse est-elle d’histoire ou de
littérature ? Il est souvent bien difficile de trancher, et l’historien
comme le littéraire, s’ils y trouveront sans nul doute une information
précieuse, n’y trouveront que peu de mise en perspective de cette information.
Les conclusions hâtives que tire Mlle Idrissi des différents textes qu’elle
évoque sont ainsi très répétitives et bien trop générales. On cherche alors
l’originalité de son approche derrière l’incontestable quantité d’infomations
fournies, et l’on s’aperçoit un peu trop souvent qu’il s’agit plus d’une
respctable compilation que d’une analyse originale et personnelle des textes,
lesquels ne se distinguent que peu les uns des autres.
La
thèse contient pourtant des ébauches de tous les thèmes qu’il aurait été
intéressant de développer, quitte à alléger un peu l’appareil
documentaire : Ainsi, ce sujet entraine nécessairement une réflexion
théorique sur l’exotisme et sur l’orientalisme. Ou encore sur le rapport entre
les différentes postures de réception signalées et l’histoire. Ou bien, comme
l’a aussi souligné M. Lüsebrink, sur le paratexte des traductions. Surtout, la
thèse signale très souvent avec raison la place essentielle de la médiation
(essentiellement francophone, mais aussi autre : on pense au rôle de Paul
Bowles par exemple) dans ces postures de réception ou de lecture, mais ne
synthétise jamais ces observations pour en tirer un angle d’approche
systématique et diversifié dans ses modalités : faute d’une reflexion de
fond sur ce point les mêmes observations souvent très superficielles sont
répétées sans que le lecteur puisse les modaliser en fonction des contextes
différents face auxquels elles apparaissent.
L’aspect
de seconde main de l’approche se conjugue parfois avec la reproduction sans
recul de clichés très éculés d’un certain discours critique marocain. L’exemple
le plus scandaleux en est le jugement plus que hâtif sur Ben Jelloun repris de
Boughali seulement, alors qu’il y a tant d’excellentes thèses sur cet auteur
(près de deux cents !), que Mlle Idrissi semble ignorer tout autant
qu’elle ignore parfois les œuvres mêmes dont elle parle : elle commet
ainsi une très grosse erreur sur Désert
de JMG Le Clezio, qu’elle ne semble donc pas avoir lu elle-même.
Enfin,
Mlle Idrissi a arrêté son corpus à 1996, ce qui est dommage, car depuis trois
ans la traduction allemande de textes maghrébins connaît un développement sans
précédent, particulièrement chez une éditrice essentielle comme Donata
Kinzelbach, à qui la thèse ne reconnaît pas suffisamment son importance.
Mais
ces reproches soulignent en fait le revers de la qualité essentielle du
travail : l’importance de son corpus et la vaste perspective historique
choisie. Ils étaient donc en quelque sorte inévitables, et l’apport de cette
thèse à l’avancement de la recherche n’en reste pas moins certain.
Charles Bonn.
Cette
thèse est une synthèse descriptive des différentes questions que pose le
rapport entre anglophonie et francophonie au Maroc. Cette synthèse est bien
présentée, bien classée et assez complète, établie à partir de sources bien
connues mais dispersées. En ce sens ce travail sera très utile aux chercheurs
dont la question traitée n’est pas l’essentiel de leur préoccupation, mais qui
auront besoin d’un point rapide et efficace. Il s’agit donc d’un excellent
manuel. S’agit-il pour autant d’une thèse ? On se demande en effet trop
souvent quelles sont les positions personnelles de la candidate, et surtout
quel est le renouvellement de la question qu’elle propose. Une synthèse, si
bien faite soit-elle, de questions bien connues, n’est pas nécessairement une
thèse, qui doit démontrer quelque chose et comporter à ce titre un apport
personnel, un renouvellement de la question.
Ce
travail cependant ne manque pas de qualités, et d’abord celle, évidente, de sa
présentation presque parfaite, de son écriture très agréable, du parfait
équilibre de son plan comme de l’importance accordée aux différentes questions
les unes par rapport aux autres. On apprécie que la thèse ne se limite pas aux
questions institutionnelles, mais en examine aussi la dimension économique. La
mise en perspective historique de chaque question est également très utile,
d’autant plus qu’elle ne déséquilibre jamais l’exposé, mais permet au lecteur
néophyte de bien situer les questions. Des tableaux complètent utilement cet
exposé, et les enquêtes réalisées par la candidate lui donnent une assise
indéniable.
On
aurait aimé cependant que les rappels historiques, comme par exemple celui des
différentes étapes contradictoires de l’arabisation, pp. 69-70, dépassent la
simple énumération des faits pour déboucher sur une analyse politique des
contradictions que le lecteur découvre : une analyse de discours aurait
été ici très utile. De même la thèse ne débouche sur aucune synthèse théorique,
et ne définit pas sa problématique, ce qu’elle aurait pu faire en se démarquant
des travaux antérieurs, qu’elle signale certes, mais sans les analyser.
Par
ailleurs, même si la thèse se réclame des études anglaises et américaines, on
peut se demander si le noyau central n’en est pas plutôt la francophonie et sa
défense. Plus encore : si le compte-rendu fort intéressant que fait Mlle
Essakalli de son stage au Haut Conseil de la Francophonie (pp. 150-160) est
très intéressant et instructif, il semble oublier purement et simplement que
l’objet de la thèse et le Maroc, et non la politique française de la
Francophonie en général : à aucun moment il n’est fait allusion au Maroc
dans ce compte-rendu, qui apparaît dès lors davantage comme une compilation des
rapports internes du HCF qu’un travail personnel. Cette observation rejoint
d’ailleurs celle de M. Guerlain sur certains exemples d’annonces en anglais qui
laissent apparaître qu’elles sont purement et simplement traduites du français.
Certaines formulations trahissent d’ailleurs les présupposés implicites non mis
à distance par la candidate. Ainsi p. 65 elle oppose les investissements
« français » au Maroc aux investissements
« étrangers » : les français ne seraient-ils pas des étrangers
eux aussi, au Maroc ? Dès lors il conviendrait peut-être de prendre acte
dans le titre de la thèse de cette dimension plus francophone qu’anglophone.
La
thèse enfin véhicule nombre de clichés souvent inexacts. Ainsi le spécialiste
de littérature maghrébine ne peut-il que sursauter en lisant qu’ « il
existe même une littérature marocaine de langue française » (p. 44), mais
que celle-ci est très peu lue au Maroc. Elle est certes très peu lue par la
candidate, qui n’en parle que de seconde main, à travers des études aussi
dépassées actuellement que celles de Jean Déjeux, et en ignorant totalement la
prodigieuse vitalité dont l’édition littéraire marocaine fait preuve depuis
quelques années, et dont l’année du Maroc dans laquelle nous nous trouvons
encore a produit avec la Caravane du Livre une illustration parlante, mais
ignorée par la thèse.
Ces
reproches nécessaires étant faits, on ne peut cependant que se réjouir de
trouver là une sorte de manuel de synthèse sur la dimmension essentiellement
institutionnelle de la Francophonie et de l’anglophonie au Maroc, qui rendra de
grands services aux chercheurs.
Charles Bonn.
Je me félicite
d'abord de voir cette thèse enfin terminée, malgré les nombreuses difficultés
qu'a connues le candidat. Car il faut souligner d'emblée l'originalité et
l'apport théorique évidents du travail, qui utilise pour une approche de
l'autoreprésentation du travail d'écriture, dimension essentielle des textes
maghrébins, les réflexions d'Anne Roche sur l'atelier d'écriture, et celles
d'Abdelkebir Khatibi. Cette approche qui s'avère pertinente et minutieuse, se
montre particulièrement féconde dans la deuxième partie de cette thèse
volumineuse, deuxième partie qui aurait fort bien pu constituer une thèse à
elle toute seule, même si les deux autres parties, la première surtout, sont
d'un grand intérêt.
Tout ce que le
candidat développe dans la première partie sur le débat autour des textes au
Maghreb et particulièrement sur l'hospitalité ou l'inhospitalité des discours
en présence est très stimulant et renouvelle ce qui avait déjà été dit sur la
réception par exemple, ou encore le rapport de cette littérature avec
l'idéologie. Par ailleurs je suis heureux de voir ses propres approches de la
spatialité du texte littéraire, non seulement citées, mais approfondies et
développées avec bonheur.
L'originalité
majeure de cette thèse réside cependant dans cette excellente deuxième partie,
dont l'approche est fondamentalement neuve et riche. Contrairement à d'autres
travaux sur la représentation du travail d'écriture dans le texte, cette partie
ne se réduit jamais à un simple catalogue (ce qu'est malheureusement un peu la
troisième partie, la moins originale de la thèse). Elle examine au contraire avec
précision et conviction l'articulation de chaque élément relevé avec la
mécanique globale de chacun des textes étudiés. Ceci est d'autant plus
remarquable que M. Tchého a évité la facilité des monographies successives pour
se situer toujours dans une approche synthétique à la progresion rigoureuse et
justifiée.
D'ailleurs même
la troisième partie, la plus faible (relativement : elle n'aurait pas
déparé, en effet, une thèse plus banale que celle-ci !) mais heureusement
la plus courte, si elle retombe quelque peu dans un thématisme contre lequel M.
Tchého avait été mis en garde par son directeur, et qu'il a bien évité dans les
deux autres parties, articule fort bien cette approche avec un travail
approfondi sur l'écriture, la métaphore et les procédés stylistiques, aspects
formels autour desquels cette partie est fort judicieusement construite.
Je suggèrerais
quelques prolongements, particulièrement à la première partie, dans laquelle
j'aurais aimé voir une mise en perspective du débat décrit avec celui du "tout
idéologique" qui dominait le débat intellectuel de cette époque, même
ailleurs qu'au Maghreb. Une confrontation rapide de cette époque avec le
"postmodernisme" de l'époque actuelle aurait pu être stimulante. Bien
entendu dans cette première partie toujours, concerné dans ma propre pratique,
j'apprécie beaucoup que ce soit un africain qui fasse cette judicieuse analyse
des "passerelles de l'exclusion".
Je regrette,
cependant, l'aspect un peu déséquilibré du corpus, et particulièrement
l'absence d'un texte de Mohammed Dib, à qui M. Tchého a pourtant consacré des
travaux intéressants en-dehors de cette thèse. Je regrette surtout le
déséquilibre du plan d'ensemble. La troisième partie de cette thèse volumineuse
aurait aisément pu être supprimée, et remplacée par une conclusion plus
synthétique de l'apport théorique fondamental de la deuxième partie. Ce
déséquilibre se retrouve d'ailleurs au niveau du titre d'ensemble de la thèse,
qui ne rend pas compte suffisamment de son originalité. Originalité dont il semble
que M. Tchého n'a totalement pris conscience qu'en rédigeant son excellent
exposé de présentation de soutenance : il serait judicieux peut-être d'en
utiliser le texte pour étoffer la conclusion un peu squelettique de la thèse.
Enfin, cette originalité serait apparue davantage encore si M. Tchého avait
procédé dans sa thèse à un examen des thèses déjà soutenues dont l'approche
pouvait préfigurer la sienne.
Cette thèse
sera de toute évidence une référence incontournable, particulièrement sur le
plan théorique, pour les chercheurs futurs.
Charles Bonn.
Par quelques aspects
de sa personnalité, Leïla Malem est l’incarnation positive de la magicienne
Circé. Quand on repense à toutes les métamorphoses qu’elle a fait subir à cette
thèse, on est impressionné par l’équilibre qu’elle a finalement trouvé entre la
tentation du traité de psychologie et celle de la reproduction à peine décalée
du discours des narrateurs, un discours totalisant, autoritaire, qui expose la
pathologie, l’interprète, et prétend parfois la « traiter ».
Fascinée par la
complexité des œuvres et submergée par la masse des informations sur la
pathologie, Mme Mallem a dû affronter de nombreuses difficultés, dont la
principale a été, comme pour tous ceux qui se sont intéressés aux rapports
écriture-folie, de différencier entre les textes sur la folie, les textes de la
folie et les textes fous. Ce qui explique une certaine lenteur dans la mise en
place de la problématique et dans la mise en valeur de l’originalité de son
propos. La seconde difficulté a été d’instaurer une certaine cohérence en
distinguant, d’une part, les notions rhétoriques maîtrisables, qui vont dans le
sens de la sublimation et de la thérapie comme « parler de la folie »
ou « la folie qui parle », d’autre part, les notions rhétoriques non
maîtrisables, inarticulables, qui brouillent les savoirs.
Dans le
chapitre consacré à ces dernières notions, la candidate montre que cette folie
ne peut trouver sa place dans l’étiologie des névroses, mais qu’en revanche,
par le fait même qu’elle affiche un résistance farouche à l’interprétation
clinique, permet à la littérature de lui fabriquer un statut purement
métaphorique. L’un des mérites de la thèse a été de s’engager, contrairement a
ce qui a été entrepris globalement par exemple sur Aurélia ou sur Les Mémoires
d’un fou, ou encore sur l’œuvre d’Artaud, dans l’interrogation sérieuse,
mais prudente, de ces différentes rhétoriques.
On aurait sans
doute voulu voir figurer dans le corpus un texte « encore plus fou »
que ceux qui ont été choisis, un texte qui amènerait dans ce contexte la
question du statut de l’illisibilité comme folie dans la littérature.
En s’engageant
dans cette thèse d’une manière qui lui est personnelle, en essayant d’en
finaliser quelques-unes de ses hypothèses, Mme Mallem montre qu’elle s’inscrit
pleinement dans son temps et qu’au lieu de subir les effets de l’inflation du
discours actuel sur la folie, elle exprime surtout sa solidarité avec les
écrivains qui se donnent pour tache historique de briser le silence d’un
langage étouffé.
La folie a
toujours été considérée comme absence de langage, absence d’œuvre, parole
inaudible, métaphore de tout ce qui est réprimé et qui attend que la
littérature lui restitue une part de langage. Et justement, dans le
prolongement de cette restitution, éclairant le parti pris langagier de ce
travail, on s’attendait à une exploitation plus exhaustive de ce qui rend aisé
la fabrication de cette rhétorique folle chez les écrivains bilingues, et qui
aurait à voir avec leur aisance (relative) à passer entre les langues (Freud
définissait l’essence du refoulement comme un défaut de traduction entre le
familier et l’étrange.).
Par ailleurs,
on saisit nettement à travers la thèse et les références à la littérature
universelle qui la jalonnent comment, à certaines époques de l’histoire, la
folie en littérature est une folie de substitution, qu’elle devient folle à
notre place (cf. Bataille à propos de Nietzsche).) D’entrée de jeu, nous est
rappelé le lien que les philosophes établissent entre pensée et folie : à
la suite de Pascal et de Rousseau, Hegel, cité en exergue. Très parlante aussi
l’utilisation de la citation de Nietzsche : « Homme signifie penseur ; c’est là qu’est la démence » (Le Livre du philosophe). En ce sens le
projet de Mme Mallem a été surtout de contribuer à la démarche des écrivains,
en insistant sur les enjeux socioculturels et politiques que l’éclairage
réciproque entre folie, pensée, et littérature peut révéler à des degrés divers
de lecture. On comprend en définitive que les rhétoriques sont à lire comme des
forces et non seulement comme des formes (interaction des forces dans la
langue). Autour de l’action rhétorique du signe folie en tant que force et pas
seulement en tant que sens, on aurait souhaité une synthèse plus forte que
celle qui nous a été proposée.
Pour des
exigences de lisibilité, la thèse a organisé, en les traitant séparant, des
actes textuels que les œuvres ont étroitement mêlés : ceux qui relèvent
des lieux communs et qui donnent forme au topos,
ceux qui relèvent du pathos, et
enfin, ceux qui nourrissent le logos.
Et là encore on pourrait déplorer l’absence d’une synthèse plus insistante sur
les effets multiples de ces trois forces en interaction, effets de lecture et,
par conséquent, effets de transfert à penser en termes de rhétorique. On aurait
bien vu une partie consacrée explicitement à l’effet de ce transfert du lecteur
en tant que participant au drame transférentiel, en tant qu’acteur
« textuel inconscient ou interprétant dynamique ». Ce travail était à
sa portée, on en perçoit ça et là autant les contours que la direction.
On peut
conseiller à la candidate d’inscrire dans ses projets, et tout en continuant de
s’appuyer sur les travaux de Shoshana Felman, un travail qui donnerait encore
plus de hauteur au paradigme essentiel de son travail : Femme, folie, écriture ; en devenant
métaphore de l’exclusion, de l’innommable, la folie devient par contiguïté
culturelle celle de la femme. La femme, comme la folie, est l’indicible du
discours, l’invisible, et comme telle, elle n’a été pendant longtemps évoquée
que par rapport à une seule pathologie : l’hystérie (pathologie de ce qui
ne peut se dire).
La thèse montre
en tout cas en quoi la folie des femmes, qui parle ou se laisse parler, déplace
véritablement quelque chose dans le monde des idées. Donc, Mme Mallem a fait
bien plus que de jeter les bases d’une réflexion sur la folie des femmes dans
la littérature algérienne ; par les rapprochements opérés avec l’histoire
et la culture occidentales, elle a stimulé une réflexion sur une autre manière
d’aborder l’exclusion dans le monde arabo-musulman.
Pour rendre
hommage à son travail, et surtout à son parcours personnel, qui l’a conduite
jusqu’à nous par des chemins tortueux, je terminerai en évoquant pour elle un
fragment poétique d’Arthur Rimbaud, « illuminé » entre tous : Quand sera brisé l’infini servage de la
femme, quand elle vivra pour elle et par elle {…} elle sera poète, elle aussi.
Plus loin, le poète se pose l’inquiétante, la redoutable question : Ses mondes d’idées différeront-ils des
nôtres ?
Beïda Chikhi.
Cette thèse a
un petit air « rétro » fort sympathique, par ailleurs perçu dans 2 ou
3 thèses récemment soutenues ; et comme ces thèses, celle de Vladimir
Siline donne l’impression de militer en faveur d’une fonction plus didactique
de la critique. Cet air « rétro » est d’abord perceptible dans
l’énoncé simple et nu du sujet, dans le sujet lui-même, qui a été traité à des
degrés divers dans une recherche plus ancienne que celle qui a été utilisée et
abondamment citée ; enfin dans la démarche qui nous propose à chaque étape
une petite révision générale sous forme d’aperçu historique.
L’organisation
du discours en blocs autonomes renforce cette dominante rétrospective :
tous les éléments du corpus dialogique, que d’autres auraient mêlés dans une
analyse comparatiste, sont ici séparés et prudemment tenus à distance. En
installant le familier, cet air « rétro » contribue à la qualité
didactique de la thèse, et de ce point de vue on ne peut qu’en féliciter le
candidat, d’autant qu’il élabore avec vivacité un foyer pédagogique autour de
ce qui lui paraît être fondamental : le dialogisme selon Bakhtine. Ce
concept, dépoussiéré, astiqué, nous est restitué tout neuf, tout flambant, dans
une synthèse magistrale en page 20. Pour ce faire, le candidat a pris appui sur
des commentaires théoriques des auteurs parmi les « plus connus », Barthes,
Kristeva, Genette, Ricardou, mais aussi sur des études de spécialistes de
littérature algérienne, que M. Siline cite et recite, mais seulement après en
avoir arrondi les aspérités et écarté les effets parasites. De ce fait, les
notes elles-mêmes ne répondent guère plus qu’à un usage strictement
bibliographique.
L’un des
mérites de la thèse a été de remonter à la surface la structure basique
littéraire, celle-là même qui a suscité l’intérêt de Bakhtine pour le
dialogisme ; structure basique, que nous avons, nous autres critiques
cités à comparaître dans la thèse, complètement ensevelie dans nos approches de
la modernité, avec le sentiment avoué ou non qu’elle ne pouvait plus rendre
compte de nos préoccupations et surtout de notre conception de la modernité ;
mais une conception qui ne peut se résumer dans ce qui est désigné dans le
présent travail en termes de «création de modèles dialogiques plus
sophistiqués ». D’ailleurs, en didacticien expérimenté, le candidat a eu
tendance à globaliser, à procéder tantôt par catégoriasation (la critique
traditionaliste, le courant moderniste etc…). Le recours parfois à l’exclusion
va dans le sens de l’aplanissement des difficultés par schématisation.
L’objectif
didactique a été de retrouver, en pratiquant l’art du raccourci, l’originalité
théâtrale du concept bakhtinien (référence est faite à la première expérience
tentée par Molière) et d’aboutir à l’idée « d’efficacité théorique et
pratique » de ce concept dans la littérature mondiale de la fin du 19e et
de tout le 20e siècles (en partant du grand modèle Dostoïevskien,
jusqu’aux nouveaux romanciers). Une fois retrouvée, cette originalité est mise
à l’épreuve du roman algérien. Là, conformément à ses objectifs et sa démarche
théorique, la thèse progresse rapidement et livre des résultats dont le moins
qu’on puisse dire est qu’ils ne sont pas faux.
On trouve
particulièrement intéressants les rapprochements faits entre les littératures
française, algérienne, russe, et latino-américaine, même s’ils ne l’ont été que
de façon allusive, parfois évasive. Pourtant, en dépit de ces aspects très
positifs, la thèse pose un problème d’appréciation et ne laisse qu’une
alternative : soit de considérer ce travail comme un beau programme
pédagogique, qui attend d’être développé, soit de le prendre comme une
recherche avec ses apports et ses limites, d’entrer dans le détail de la
rédaction et d’axer la critique sur toutes les ellipses que la démarche nous a
imposées là précisément où l’on attendait des analyses plus fouillées, des
démonstrations, des commentaires musclés.
Par ailleurs,
on ne peut que déplorer l’oubli de certains travaux des années 70 sur la
littérature algérienne, dans lesquels le dialogisme, tel qu’il a été
réinitialisé par M. Siline, a été plus largement indexé. L’argumentation en vue
de la réinitialisation du concept est parfois balbutiante car émaillée de
contradictions. Ainsi, la notion de personnification, si elle paraît clairement
définie en page 20, subit une altération dès qu’elle est utilisée pour
critiquer ceux qui, selon le candidat, n’y ont pas eu recours. Là où l’on
attendait une consolidation du concept, on en trouve une déflation.
Les pages sur
Molière sont discutables. Toutes les études sur l’un des plus grands
dramaturges du 17e siècle français sont, d’un revers de main,
expédiées au rebut. On sait pourtant que la notion que recouvre le dialogisme
nous vient des études sur le théâtre et notamment de Naissance de la tragédie de Nietzsche.
En conclusion,
je dirai que cette thèse a le mérite de remettre en chantier des questions
fondamentales de la critique littéraire, qui bien souvent, dans son désir
d’aller plus vite, piétine ses propres fondements. Revenir à l’origine est sans
doute une initiative parfois salutaire : Bakhtine a progressé du simple
vers le complexe sans jamais perdre de vue ce qui a constitué le point de
départ de sa théorie. Ses remises en question se sont faites sur le mode de la
rétrospective, mais on ne peut pour autant et au nom d’une telle philosophie
minimiser les recherches de ceux qui ont cherché à évoluer et à passer à un au
delà du dialogisme.
Beïda Chikhi.
La
thèse de Mme Massrali se caractérise d’abord par l’originalité de son
sujet : jusqu’ici les littératures issues de l’émigration, globalement peu
étudiées encore, l’étaient de plus surtout en Europe, les chercheurs maghrébins
ou français semblant connaître davantage de difficultés à les aborder.
De
plus, à l’originalité du domaine étudié, Mme Massrali joint celle de la
perspective d’approche : les « défrichements » de corpus
nouveaux commencent en général par des relevés thématiques nécessaires, mais
peu innovants sur le plan de la méthode. Tel n’est pas le cas de Mme Massrali
qui choisit d’emblée une approche stylistique, considérant de ce fait son objet
comme déjà balisé, et il l’est certes déjà hors d’Algérie.
Par
ailleurs son travail porte essentiellement sur l’un des derniers et des plus
complexes parmi les romans d’Azouz Begag, Les
Chiens aussi (1995), même si elle annonce une comparaison avec le roman de
début le plus connu de cet auteur, Le
Gone du Chaâba (1986). C’est là une des marques de la dimension
profondément personnelle de ce travail. Et il est vrai que même si elle se sert
judicieusement d’un solide bagage théorique en stylistique, la chercheuse part
essentiellement d’une lecture toute personnelle des œuvres étudiées.
Plus : d’une sorte d’enthousiasme de lectrice qui lui fait tout
naturellement privilégier le meilleur, littérairement parlant, des deux romans
qu’elle a choisis. Le bagage théorique ne vient donc qu’apporter sa solidité à
des intuitions dues au plaisir de la lecture, au lieu de se substituer comme on
le voit souvent, à ce plaisir, et finalement aux œuvres elles-mêmes. Ainsi Mme
Massrali ne s’enferme pas dans une méthode, mais les utilise parfois de façon
surprenante par la fraîcheur et la vérité des intuitions.
On
n’est pas habitués par exemple dans le champ clos de la critique sur la
littérature maghrébine à des comparaisons avec un patrimoine littéraire
« classique », ou avec des genres peu connus dans ce contexte, comme
le mélodrame. Or cette thèse appuie son analyse stylistique sur ces
rapprochements inattendus, lui donnant de ce fait des ouvertures tout à fait
justifiées et fécondes. Ceci donne à la thèse une dimension très tonique,
renforcée par le fait que Mme Massrali écrit avec une grande aisance, malgré de
petites fautes de langue sur lesquelles on reviendra. Et l’on sort aussi avec
plaisir, grâce à ces rapprochements, d’une clôture culturelle fréquente dans le
domaine critique maghrébin. Dès lors la définition donnée du style comme
conditionné par les structures mentales et par les conditions de l’énonciation,
sur laquelle la thèse s’appuie d’emblée et avec bonheur, acquiert une
pertinence justifiée par toute une démarche de la chercheuse. Cette méthode plus
intuitive que pesante amène certes de temps en temps à des approximations,
comme par exemple à la p. 99 l’utilisation du terme de « littérature
mineure » avec référence à Deleuze et Guattari dans un sens qui n’est pas
vraiment celui développé par ces philosophes si importants pour l’approche
littéraire contemporaine. Mais encore une fois l’intérêt de l’approche est de
servir les textes et de communiquer le plaisir de lecture qu’ils ont suscité,
et en ce sens le contrat est rempli.
Le
chapitre 1, « Véracité et diversité » est assez bien structuré sur
une opposition judicieuse entre Langue et Ecriture, où l’on s’étonne cependant
de ne pas voir Roland Barthes cité davantage. Le chapitre 2, « Les Chiens
aussi : l’autre écriture », est un des plus innovants, particulièrement
par ce rapprochement avec une esthétique du mélodrame, avec références précises
à l’histoire de ce genre, dont j’ai déjà souligné combien je le trouve
innovant. Je suis moins séduit par le chapitre 3, « Figures », parce
qu’il est peut-être trop technique pour moi, et que j’ai toujours tendance à
trouver barbares des termes comme « anadiplose » ou
« homéothéleute ». Pourtant je conviens que ce chapitre était
nécessaire pour appuyer l’approche sur une solidité stylistique. Et d’ailleurs
Mme Massrali y évite judicieusement le catalogue « sec », par exemple
en montrant comme tel procédé au nom barbare sert judicieusement la production
de l’humour par Begag. De la même façon le chapitre 4, « Les mots de
Begag », dépasse lui aussi le simple catalogue, par exemple lorsqu’il
étudie fort bien p. 82 la stratégie du sous-entendu. On regrette que ce
chapitre soit un peu trop rapide. Est encore plus rapide le dernier chapitre
sur l’intertextualité, dimension essentielle sur laquelle la thèse aurait dû
s’appuyer davantage pour asseoir la solidité de sa démarche principale. Cette
rapidité d’un chapitre un peu bâclé alors que la chercheuse avait tous les
éléments en mains pour écrire des pages plus développées se remarque dès son
survol, puisqu’on a un premier sous-chapitre « Intertexte » numéroté
1, et qu’on cherche toujours le sous-chapitre numéroté 2, passé apparemment à
la trappe des bonnes intentions dont l’enfer, paraît-il, est pavé. Ce chapitre
manque aussi d’une conclusion qui en aurait souligné l’apport. C’est
dommage : ç’aurait été peu de chose !
L’enthousiasme
et la rapidité conjuguées peuvent parfois produire des formulations hâtives qui
sorties de leur contexte deviennent des erreurs. Ainsi il n’est pas vrai que Georgette ait « connu un franc
succès », comme il est dit p. 1, ou que Mehdi Charef « remporte un
formidable succès » (p. 4). Ou que Begag ait « conçu Le Gone du Chaâba » en 1986, comme
le laisse entendre à tort la parenthèse avec cette date. Ou encore, sauf si le
non-arabisant que je suis se trompe, que « le bassaine » pour le
bassin, « le moufisa » pour le mauvais sang,
« grache-blache » pour Grange Blanche (p. 15-16), soient des mots
arabes, même si ce sont des déformations arabes de mots français.
La
maîtrise toute relative de l’ordinateur conduit par ailleurs à des erreurs de
présentation, comme par exemple l’irrégularité des retraits de 1° ligne des
paragraphes. Les espaces ou absences d’espaces avant et après les ponctuations
ne sont souvent pas respectés : l’ordinateur permettait de corriger ceci
automatiquement en cours de frappe. Par ailleurs la présentation de la
bibliographie laisse encore beaucoup à désirer. Beaucoup de références sont
incomplètes (il manque souvent l’année de publication) ou inexactes : les
références à Balzac ou Zola par exemple, indiquent une réédition et non
l’édition originale. Pour ce qui est de la bibliographie on aurait aimé aussi
que d’autres thèses que celle de Jamila Boulal soient citées et commentées.
Il
y a enfin des fautes de langue, dues à une écriture encore très proche de
l’oral.
Charles Bonn.
Mlle
Bouguebina n’a pas choisi la facilité : analyser la réception en général
est déjà difficile. Analyser la réception universitaire l’est davantage, et
analyser celle des enseignants sous la férule desquels on a fait ses études
universitaires est la quadrature du cercle, car c’est un peu quelque part
mettre la charrue avant les boeufs, commencer par où il faudrait terminer, en
ayant fait ses preuves auparavant sur un autre sujet… Mais le sujet qu’elle m’a
proposé m’a d’emblée séduit, d’abord sur le plan méthodologique : les
études de réception sont encore rares, et la littérature maghrébine pose
probablement plus qu’une autre la question de sa réception, d’où dépend celle,
jamais résolue, de son statut. Ensuite sur le plan de ma propre implication
affective : plusieurs des enseignants de l’Université de Constantine dont
les travaux sont décrits ici sont mes anciens étudiants, et j’allais donc
retrouver à travers cette thèse un espace qu’on ne visite pas impunément… On ne
pouvait pas résister à un programme aussi nostalgique !
Je
crois cependant que tout à ma nostalgie je ne mesurais pas dans quelles
difficultés j’allais engager cette jeune chercheuse : maitriser un tel
sujet est quasiment impossible, surtout pour un chercheur débutant. La thèse se
ressent de ce projet mal évalué par moi au départ, malgré les corrections
successives somme toute assez nombreuses de chapitres envoyés ou soumis à ma
lecture au fur et à mesure. Le principal défaut reste, même s’il y a eu
beaucoup d’améliorations sur ce plan en cours de travail, l’harmonisation
difficile entre une théorisation souvent intéressante de la réception, et le
corpus étudié, tout simplement parce que ce corpus n’est pas composé d’œuvres
littéraires, mais de lectures : il faut cependant noter que d’une
correction à l’autre, la chercheuse a pratiquement éliminé la tendance qu’elle
avait parfois à se tromper d’objet, et à parler du texte littéraire traité par
les critiques qu’elle décrit, au lieu de parler de cette description critique
qu’elle annonce comme son objet, et qui finit par l’être pleinement, surtout
dans la 2° partie de la thèse.
Il
faut souligner que toutes les observations que j’ai faites à Mlle Bouguebina au
fur et à mesure qu’elle me montrait des chapitres de son travail ont été
scrupuleusement suivies, ce qui nous donne à l’arrivée une thèse dans laquelle
on sent que la chercheuse s’est investie, et qui a été également l’occasion
pour elle d’approfondir l’étude des différentes théories de la réception. Mais
la lecture successive de ces chapitres isolés ne me permettait pas d’évaluer
l’ensemble de la thèse. Et rien ne laissait prévoir que Mlle Bouguebina
alourdirait au dernier moment son introduction, ainsi que plusieurs autres
endroits de son travail, par des développements de généralités très vagues, qui
sont aussi les passages où sa langue est la plus fautive. Cette thèse une fois
terminée aurait dû être élaguée et relue : elle est beaucoup trop
volumineuse pour ce qui est de la première partie, laquelle est aussi très
souvent répétitive, et trop souvent incorrecte. De plus, si les développements
théoriques sont nombreux et souvent mal articulés avec l’étude du corpus
proprement dit, l’introduction générale ne situe que très légèrement la
perspective méthodologique du travail proprement dit, dans ses deux dernières
pages, alors que l’accumulation de généralités très imprécises du début de
cette introduction lui donne un volume indigeste. L’inflation de généralités se
retrouve dans le premier chapitre de la première partie. Ce chapitre devient
cependant plus précis que l’introduction, et même s’il ne traite pas
précisément du sujet, lui donne un arrière-fond qu’il était nécessaire de
mettre en place. Le débat sur la réception universitaire de la littérature
maghrébine est inséparable du débat plus général sur la réception de cette
littérature. Ce n’est cependant que dans le 3° chapitre de cette première
partie que le sujet est véritablement abordé, à partir d’une grille (choix du corpus/Choix
du sujet/Choix de la méthode) qui, si elle ne brille pas par l’originalité, a
du moins le mérite d’être sûre.
La
thèse devient véritablement intéressante en 2° partie, lorsqu’elle analyse son
corpus à proprement parler, ce qui m’amène à redire qu’il aurait fallu
énormément élaguer la premièe partie. Elle opère alors un travail de classement
intéressant par méthode critique entre les différents travaux décrits. Et ce
clasement a le mérite de ne pas être réducteur : plusieurs de ces travaux
apparaissent ainsi dans plusieurs de ces rubriques, éclairés chaque fois, de ce
fait, sous un angle différent, ce qui permet d’en respecter la complexité. Et
par ailleurs à la fin de chacun de ces chapitres successifs la chercheuse
s’autorise à un jugement, parfois timide, on la comprend, parfois un peu naïf
aussi, mais toujours intéressant. On comprend qu’elle n’ait pas pu développer
davantage ces conclusions critiques, mais on le regrette, car elles sont
souvent très pertinentes, même si elles ne font pas nécessairement plaisir à
tout le monde ! Pourtant l’expression en est mesurée et respectueuse, et
un tel sujet serait insipide si la chercheuse s’y interdisait le jugement. De
plus cette seconde partie comporte infiniment moins de fautes de langue que la
première : est-ce parce qu’elle a été plus souvent relue ? On
apprécie beaucoup aussi que cette 2° partie ne se contente pas d’un classement
des travaux à partir des grandes tendances de la critique universitaire, mais
développe ensuite trois chapitres sur l’attitude globale de la critique
universitaire constantinoise face à ces défis majeurs que sont l’écriture,
l’intertextualité et l’oralité. Il aurait été judicieux de procéder de même
avec l’autobiographie : le titre du 5e chapitre, « La critique autobiographique »,
ne veut rien dire : l’autobiographie n’est pas une méthode critique, mais
un objet d’étude. Pourquoi alors ne pas avoir intitulé ce chapitre d’une
manière comparable à celle des chapitres 7, 8 et 9 : « La critique
universitaire et l’autobiographie » ?
La
troisième partie, « Horizon d’attente et critique universitaire »,
est une sorte d’aboutissement normal de cette deuxième partie, qui permet des
synthèses souvent heureuses. On regrette seulement qu’elle soit si brève, comme
est brève la conclusion générale : globalement on pourra dire de cette
thèse que si les préalables (théories critiques, généralités) y sont beaucoup
trop foisonnants, dans une langue dont l’incorrection est alors à la mesure de
ce foisonnement parasitaire, les synthèses et conclusions auraient dû être
développés davantage, même si l’essentiel de ce qui devait y être dit est
suggéré, parfois un peu trop timidement.
Je
dirai donc que voici une thèse pour le moins originale, et le moindre mérite de
la candidate n’est pas de ne s’être pas laissée décourager par la difficulté de
son projet, et par les observations parfois peu encourageantes de son directeur
français. Cette thèse aurait certes gagné à être élaguée et relue, et ses
synthèses à être davantage appuyées.
Charles Bonn.
J'avais en 1996
refusé de diriger la thèse de Mlle Ajakan, parce que malgré plusieurs versions
de ce projet, sa faiblesse et ses incorrections étaient trop évidentes. Je
m’étonne donc que malgré ce handicap de départ, cette thèse ait pu néanmoins
être achevée en un temps si bref, puisque les trois années minimum du temps de
préparation prévu ne sont même pas encore écoulées.
Je suis
cependant moins étonné de la rapidité d’exécution de ce travail en m’apercevant
dès son titre (et encore plus dans le détail…), qu’il ne s’agit pas là
véritablement d’une thèse. Le titre déjà, en effet, signale la compilation sans
aucune problématique, sans aucun projet, bref sans aucun apport à la recherche.
La quasi-totalité de la thèse n’est qu’une maladroite reprise des essais de
Jean Déjeux et de Christiane Achour, dont les références ne sont données
cependant qu’avec parcimonie. Et les rares lectures personnelles de quelques
uns des romans du corpus se résument à des alignements de citations à peine
introduites par une phrase-lien souvent plus courte que la citation elle-même,
et pauvrement paraphrastique. D’ailleurs malgré ce travail de seconde main, le
corpus est indigent, et se limite significativement aux textes déjà les plus
étudiés par les critiques. Il n’y a bien entendu aucune démonstration de quoi
que ce soit dans la thèse, et de la même manière aucune mise en perspective du
travail par rapport aux nombreux travaux déjà effectués sur le sujet. Il est
vrai que Mlle Ajakan prétend avec applomb dès la première page qu’aucune étude
d’ensemble n’avait encore été consacrée à la littérature dont elle parle, ce
qui est évidemment une contre-vérité grossière ! Sur le plan
méthodologique, Mlle Ajakan ne se réclame que de Goldmann, mais c’est pour le
récuser dans sa présentation orale en disant que son approche ne s’applique pas
aux femmes... D’ailleurs la lecture de la thèse montre aussi que cette
référence est purement gratuite et que les apports de Goldmann à la critique
sont totalement ignorés par la candidate. Et de plus dans sa prestation orale
pour le moins surprenante Mlle Ajakan affirme aussi qu’elle ne croit pas à
l’écriture féminine ! Et qu’elle a volontairement évité toute appréciation
qualitative des textes qu’elle aborde, ce qui lui fait effectivement dans sa
thèse mettre rigoureusement sur le même plan « littéraire » Assia
Djebar et Aïcha Lemsine ! On croit rêver, tant la situation est
stupéfiante !
Il y aurait
bien dans cette thèse des allusions à quelques problématiques qu’on aurait aimé
y voir développées, comme celle du recours au pseudonyme par exemple :
mais outre que cette observation n’est guère développée, on s’aperçoit qu’elle
avait déjà été faite, et développée, dans les études préalables que Mlle Ajakan
ne fait que (mal) reproduire, et particulièrement celles de l’équipe qu’avait
animée Christiane Achour. Par contre Mlle Ajakan reproduit sans aucun recul critique
les clichés les plus éculés et les plus inexacts du discours idéologique
algérien officiel, entre autres celui qui affirme que la libération de la femme
en Algérie a commencé avec l’indépendance (p. 170), ou celui selon lequel la
problématique centrale de la production littéraire « beur » serait
celle de la perte d’identité. Il est vrai que ce dernier cliché a peut-être été
repris d’une autre thèse que j'avais également refusée quelques années plus tôt
parce que trop mauvaise, et néanmoins soutenue sans problèmes à l’université
Paris 4 l’année qui suivit !
La
bibliographie de la thèse est à l’image de son indigence et de sa
non-maîtrise : non seulement elle est squelettique, mais souvent on ne
perçoit guère en quoi certaines de ces rares références peuvent avoir un
rapport quelconque avec la thèse. Par ailleurs les erreurs sur les noms propres
y foisonnent, comme dans toute la thèse : Beaucoup d’interversions entre
le prénom et le patronyme, mais aussi des erreurs systématiques dans toute la
thèse sur l’orthographe de certains noms, y-compris celle des auteurs du corpus
« étudié », ou encore dans le libellé des titres. Or la répétition
systématique des mêmes erreurs signale qu’il ne s’agit pas là d’erreurs de
frappe, mais de méconnaissance de l’objet même de l’étude. Il y a aussi des
contre-sens sur l’histoire racontée par les romans, par exemple lorsque p. 202
il est dit que l’héroïne du roman de Farida Belghoul s’approprie un prénom
français alors que précisément elle refuse de toutes ses forces ce prénom dont
la vieille dame rencontrée au parc veut l’affubler. On en arrive donc parfois à
se demander si la candidate a effectivement lu elle-même certains des textes
dont elle parle.
Cette thèse qui
n’en est pas une n’est pas de celles qui honorent la Formation doctorale dont
j'ai quitté la direction pour aller enseigner à l'Université Lyon 2. Je
réaffirme en tout cas que si j'en avais été le directeur je ne l’aurais jamais
proposée à soutenance.
Charles Bonn.