mardi 7 Septembre 2004
Archives
    Actualités Newsletters Multimédia Images Télécharger Références Archives Etats‑Unis 2004
    Archives du quotidien Droits de reproduction  
Rechercher

depuis

A LA UNE
international
europe
france
société
régions
carnet
horizons
analyses & forums
entreprises
médias
aujourd'hui
météo
sports
sciences
culture
cinéma

version texte

CHAINES
aden
examens 2004
finances
forums
mots croisés / jeux
automobile
shopping

ANNONCES
emploi
immobilier
autos - motos


Le Monde en PDF
Le quotidien pret à imprimer

POINT DE VUE
Votons tous le 2 novembre !, par Tahar Ben Jelloun
LE MONDE | 04.09.04
Il y aurait une légitimité à ce que tous les peuples du monde participent à l'élection du président des Etats-Unis.

Et si, le 2 novembre prochain, en même temps que des millions d'Américains, tous les peuples du monde se rendaient aux urnes pour voter ? Il y aurait une légitimité à ce qu'ils participent à l'élection du président de la plus grande puissance du monde. Simplement parce que leur vie, leur avenir en dépendent d'une façon ou d'une autre. Ce serait un geste symbolique, une parole universelle pour constater un fait et dire de manière directe et sans ambiguïté que le sort du monde dépend en grande partie de la présidence américaine. Les Vietnamiens, les Chiliens jadis, les Irakiens aujourd'hui, en savent quelque chose.

Selon que le président actuel sera battu ou réélu, le destin de centaines de milliers de familles en Irak, en Palestine, en Israël, dans tout le Moyen-Orient, au Maghreb et en Afrique, en Amérique latine et dans bien d'autres contrées, s'en trouvera changé. C'est l'unique élection présidentielle qui concerne autant de peuples en dehors du pays où elle a lieu. Cela ne regarde pas que la population américaine, loin de là, cela intervient dans tous les domaines, celui de l'économie étant le plus évident et le plus spectaculaire.

Ne parlons pas de ce qui se passe quotidiennement en Irak. Les Irakiens sont entrés dans un processus de guerre civile que tous les observateurs avaient prévu avant l'intervention de l'Amérique et de la Grande-Bretagne dans ce pays. Les Irakiens ainsi que les Palestiniens auraient toute légitimité à participer à ce vote.

Cela ne veut pas dire que John Kerry, s'il est élu, bouleversera toute la situation en Irak, mais on pense que, de toute façon, le mal a été fait et qu'il va falloir que les nations civilisées s'unissent pour réparer les immenses dégâts causés par une puissance qui s'est appuyée sur le mensonge et l'illégalité pour donner un semblant de justification à sa politique.

Ceux qui se réjouiraient de la réélection de George W. Bush sont les gens d'Al-Qaida - ils l'ont déclaré - parce qu'il est celui dont la politique correspond le mieux à leur stratégie. Avec l'intervention en Irak, n'a-t-il pas offert aux terroristes de cette mouvance une occasion pour se développer et passer aux yeux du monde arabe pour des résistants à une occupation coloniale ?

Si Bush est un malheur pour au moins la moitié des Américains, il est un désastre pour tous ceux qui, en dehors des Etats-Unis, subissent les effets de son action dictée par une pensée fondamentaliste et schématique.

Quant aux Palestiniens, s'ils savent que la justice ne leur sera pas rendue par l'effet d'une baguette magique même tenue par M. Kerry, ils vivent les horreurs de l'occupation israélienne, laquelle est bénie et encouragée par l'équipe Bush. Jamais leur sort n'avait été aussi catastrophique que depuis l'arrivée de Sharon et de Bush au pouvoir.

On est loin de la volonté pacifique de Jimmy Carter et même des tentatives tardives mais louables de Bill Clinton. Mais le monde sait à présent que, sans solution négociée entre Palestiniens et Israéliens (le plan de Genève est toujours valable), tout le Moyen-Orient, qu'il soit grand ou petit, restera une terre de conflits meurtriers, de violence aveugle et de laboratoire pour tous les terrorismes du désespoir ou de la revanche, terrorisme individuel ou d'Etat.

Une étude du Pew Research Center nous apprend que "la politique étrangère est, pour la première fois depuis la guerre du Vietnam, placée au même rang que l'économie dans les sujets de préoccupation des Américains" (Le Monde du 20 août). C'est une raison de plus pour que les peuples dont le sort dépend de cette politique choisissent eux aussi le prochain président des Etats-Unis. Ce serait dans la logique des choses, même si cela paraît étrange et surtout irréalisable. Mais ce pourrait être un vote indicateur, une sorte de signal envoyé au président élu.

Si c'est Bush qui l'emporte, cela n'aurait servi à rien, car des millions d'Européens avaient manifesté dans les rues leur opposition à l'entrée des troupes américano-britanniques en Irak, des millions de voix se sont élevées pour prévenir l'équipe de Bush des dangers d'une telle guerre, une guerre sans légitimité, malgré l'horreur du système de Saddam Hussein et de ceux qui lui ressemblent dans la région, mais Bush et son équipe ont méprisé ce "vote" populaire et massif-et sont passés outre. Donc cela ne servirait à rien de parler à un homme buté, un homme sous la pire des influences, celle de la religion et de l'ignorance.

Si c'est son concurrent qui est élu, un espoir est permis, tout en sachant qu'une tradition bien établie veut que la priorité soit donnée aux intérêts américains. Et ce serait juste, cette fois-ci, de privilégier ces intérêts en se retirant d'Irak, en indemnisant ce peuple meurtri, en favorisant le plus tôt possible un règlement négocié au Proche-Orient, en reconnaissant les erreurs et errements d'une puissance qui a abusé de la force au lieu de respecter la loi et le droit.

Certains Américains n'accepteraient jamais une telle ingérence dans leur vie politique. Pourquoi un Indien de Bhopal, un Africain de l'ancien Zaïre (Congo-Kinshasa), un Arabe ou un Européen auraient-ils leur mot à dire dans une telle élection ? Simplement parce que, lorsque les Etats-Unis d'Amérique décident d'apporter "la démocratie" dans une dictature (comme si la démocratie était une pilule soluble dans l'eau du pays), ils ne consultent pas les principaux intéressés, n'écoutent pas les messages de millions de manifestants et ignorent l'avis des Nations unies. Parce qu'ils doivent s'imaginer que ce qui est bon pour les Etats-Unis ne peut qu'être profitable à tous ceux dont ils manipulent le destin. Quand ils décident de s'ingérer avec armes et bagages dans un pays, ils ne s'embarrassent pas de savoir quelle est l'opinion de la population.

Leur arrogance et le mépris qu'ils affichent vis-à-vis des autres recevraient une bonne leçon si les dirigeants de par le monde acceptaient d'organiser ce vote symbolique le 2 novembre prochain. Ce serait comme une volonté d'indépendance et de résistance face à un hégémonisme qui avance enrobé de quelques valeurs religieuses, de certains préjugés et de quelques prétextes.

Tahar Ben Jelloun est écrivain.

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 05.09.04

  

Article au format texte pour impressionEnvoyer par email cet article à un amiClasser cet article dans votre classeur personnel



Droits de reproduction et de diffusion réservés © Le Monde 2004
Usage strictement personnel. L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la licence de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.
La fréquentation de ce site est contrôlée et certifiée par Diffusion Contrôle


Besoin d'aide ? | L'abonnement au Monde.fr | Conditions générales de vente | Qui sommes-nous ?