ue pensez-vous des récentes évacuations de squats
auxquelles la police a procédé sur injonction du ministre de
l'intérieur ?
A chaque fois que l'on prend des mesures de fermeté, coercitives,
il faut qu'elles soient complétées par des mesures de générosité. Le
renforcement de la lutte contre l'immigration clandestine doit aller
de pair avec des efforts accrus en matière d'accueil et
d'intégration. De même, l'évacuation de squats ne peut se concevoir
sans solution de relogement pour les personnes expulsées. C'est
l'enfant des bidonvilles qui parle, l'enfant qui a vu des baraques
brûler.
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Une mesure
sous conditions |
Dans un rapport adopté le 5 juillet, la
Commission nationale Informatique et libertés
(CNIL) a tenu à clarifier les conditions de mesure
de la diversité dans les entreprises. En l'état de
la loi, les statistiques "ethno-raciales" sont
proscrites. Seule est autorisée la collecte de la
nationalité du salarié, de sa nationalité
d'origine, et celle de ses parents. Il n'est en
revanche pas possible de demander aux individus de
choisir une appartenance ethnique type ("Arabes",
"Maghrébins"...).
Pour recueillir des données sur la race, il
reste possible de procéder à une enquête anonyme,
pourvu que les données recueillies soient ensuite
détruites. Mais la CNIL censure tout questionnaire
nominatif, jugeant que le consentement des
salariés est, dans ce cas, biaisé.
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Comment comptez-vous agir ?
C'est à moi d'incarner cette humanité. C'est pour cela que je
suis là : pour aller à La Courneuve avec des livres, des actions
apaisantes ; pour donner à la police un visage humain...
J'ai rendu visite, sans caméras, à l'une des familles rescapées
de l'incendie du boulevard Vincent-Auriol. Avec mes collaborateurs
aux origines très diverses , nous allons passer un ou
deux jours par mois dans les quartiers à l'écoute des gens. En
agissant ainsi, j'ai le pouvoir de la parole et de l'authenticité,
j'ai le sentiment d'être crédible. Je cherche à appliquer ce que le
chercheur -au CNRS- que je suis a conceptualisé depuis vingt
ans. J'ai une marge de manoeuvre totale. Personne ne me dit ce qu'il
faut faire et ne pas faire.
Les conditions éprouvantes dans lesquelles vivent nombre de
familles d'origine africaine ne sont-elles pas aussi la conséquence
de discriminations ?
Je vais rencontrer tous les préfets pour les persuader que la
première amorce de l'égalité des chances, c'est le logement. Et leur
demander qu'ils veillent à ce que dans les commissions d'attribution
des logements sociaux, la diversité soit respectée.
Il faudrait aussi que chaque personne qui se présente à un
rendez-vous pour visiter un appartement et se voit dire que celui-ci
a déjà été loué, puisse se signaler à la société. La discrimination
est un délit. Et là où il y a délit, j'aimerais que la police
nationale s'en mêle. Je souhaiterais que des équipes de policiers
soient formées sur ce terrain de la discrimination.
Votre ministère est, par nature, transversal. Comment
comptez-vous peser au sein du gouvernement ?
Je vais lancer avec le ministre de l'éducation nationale, Gilles
de Robien, une action baptisée "collèges ciblés" pour relever le
défi de l'égalité des chances dans ces établissements fuis par les
élèves des classes moyennes et aisées et qui deviennent réservés aux
"minorités visibles". Ainsi dans une vingtaine de "collèges de
relégation", nous allons donner aux professeurs la possibilité
d'expérimenter des formes innovantes de pédagogie, d'encadrement. Je
souhaite que les élèves puissent sortir de leur collège en disant
non plus "j'ai réussi" - ce qui suppose d'être entré dans le
moule - , mais "je me suis réussi".
Je voudrais aussi faire en sorte qu'il y ait un peu plus de
concordance entre l'équipe nationale de foot "black-blanc-beur" et
la composition de l'hémicycle à l'Assemblée nationale, le personnel
des entreprises, les présentateurs télé. En mars 2001, Marc Tessier,
alors président de France Télévisions, s'était engagé à favoriser la
diversité sur les écrans, mais où est aujourd'hui la diversité ?
J'aimerais voir des Noirs à la télévision. Il faut faire avancer la
diversité dans les entreprises.
De quelles façons entendez-vous y parvenir ?
On doit donner les moyens à l'entreprise de rendre compte de la
diversité en son sein. Nous allons lancer en partenariat avec
l'Institut national d'études démographiques (INED) et quatre
entreprises (SNCF, L'Oréal, Axa et Eau de Paris) une enquête
expérimentale pour évaluer le degré d'ouverture de l'entreprise à la
diversité ethnique et culturelle.
Dans ce pays, on n'ose pas prononcer le mot "Arabe" ou "Noir".
Mais à force de cécité politique, on s'interdit de penser un progrès
possible. La composante multicolore sera banalisée dans les
entreprises, les collectivités, lorsque l'on n'aura plus peur de
désigner les Français de couleur. Dans la rue, la désignation noire
existe, elle est socialement vivante, mais on n'a pas le droit de
montrer statistiquement ce qu'elle représente dans la société. Il
n'est pas honteux d'être arabe, kabyle, africain.
Vous parlez aujourd'hui, non plus de discrimination positive,
mais de diversité. N'est-ce pas là qu'un jeu sémantique ? Votre
raisonnement ne conduit-il pas à mettre en place des quotas comme le
prône Nicolas Sarkozy ?
Je ne vais surtout pas remplacer une rigidité par une autre. Il
faut inoculer dans le corps social le virus de l'origine pour se
débarrasser de la question de l'origine dans le corps social.
J'utilise en quelque sorte la méthode Pasteur.
J'ai dit, les yeux dans les yeux, à Nicolas Sarkozy que je
n'étais pas pour la discrimination positive. La discrimination
territoriale comme cela se fait pour les zones d'éducation
prioritaires (ZEP), d'accord. Mais je suis contre la nomination de
préfets au regard de leur religion. Il faut cesser de mettre au sein
de l'espace public la question de l'islam. Cela brouille
complètement les cartes de l'intégration des personnes dans l'espace
laïque.
Auriez-vous pu être un ministre de Lionel Jospin ?
Non. Les socialistes ont totalement institutionnalisé le combat
contre les discriminations à travers SOS-Racisme, ils l'ont
jacobinisé, parisianisé, et se sont détachés de la base.
Avez-vous accepté ce ministère sans hésiter ?
Cette nomination était une surprise totale. J'ai évidemment
demandé son avis au Père Delorme [l'initiateur de la Marche pour
l'égalité, en 1983], auquel je suis lié depuis des années. Il
m'a dit que je n'avais pas le choix. De fait, lorsque Dominique de
Villepin m'a annoncé ma nomination, il n'a pas attendu ma réponse.
Il m'a dit : "A demain." Je pense que l'on ne reviendra
jamais en arrière. Il sera désormais difficile de composer des
gouvernements sans ministres issus de l'immigration.