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Fadela Amara : l'enfance d'une insoumise

LE MONDE | 19.10.06 | 15h23  •  Mis à jour le 19.10.06 | 15h23
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Elle téléphone à Nicolas Sarkozy lorsqu'elle est révoltée par une expulsion, elle remet fermement à leur place les jeunes qui la chahutent pendant les réunions en banlieue, mais elle est incapable de répondre à son père lorsqu'il hausse le ton. "Mon père a quitté sa famille très tôt et il a vécu dans une grande misère en Kabylie, puis en France, raconte Fadela Amara. Quand j'étais jeune, j'ai parfois été tenté de rompre avec ma famille pour gagner un peu de liberté, mais, heureusement, je ne l'ai pas fait. Je sais aujourd'hui qu'avec le temps ces ruptures se transforment en prison : on prend conscience petit à petit de l'absence des siens."

Parcours

1964
Naissance à Clermont-Ferrand.

1978
Mort de son petit frère Malik, écrasé par un chauffard ivre.

1986
Engagement militant à SOS-Racisme.

2002
Etats généraux des femmes des quartiers.

2003
Création du mouvement Ni putes ni soumises.

2006
Parution de "La Racaille de la République" (Ed. du Seuil, 228 pages, 17 €).


Le père de Fadela Amara est arrivé à Clermont-Ferrand en 1955, à l'âge de 33 ans. Comme beaucoup d'immigrés algériens, il travaille été comme hiver sur des chantiers exposés aux intempéries. Au début, il n'a pas de logement : le soir venu, il entasse trois ou quatre sacs de ciment dans un coin pour s'allonger. Alerté par le chef de chantier, son patron finira par l'autoriser à dormir dans une cabane où les ouvriers accrochent leurs bleus de travail. "Mon père n'est jamais allé à l'école, n'a jamais tenu un stylo de sa vie", raconte Fadela Amara dans La Racaille de la République. "Plus tard, nous lui avons fait tenir un stylo, pour qu'il apprenne à signer. Il a appris à signer, et il sait signer son nom, rien d'autre."

Cinq ans après son arrivée en France, il retourne en Algérie, où il épouse la fille de son cousin germain, qui vient de fêter ses 15 ans. "A l'époque, un mariage, ce n'était pas la rencontre d'un homme et d'une femme, mais un arrangement entre deux familles, poursuit la présidente de Ni putes ni soumises. Mon père avait 22 ans de plus que ma mère, il l'a épousée pour la sortir de la misère et il l'a ramenée tout de suite à Clermont-Ferrand. Aujourd'hui, ils ont tellement traversé de galères qu'ils sont soudés pour toujours."

Car, en France, la vie est loin d'être facile. Les Amara, qui ont dix enfants, vivent à Herbet, une cité de transit près de Clermont-Ferrand. "Herbet, c'était le quartier le plus pauvre de Clermont, celui où il n'y avait que des immigrés, celui qu'on citait chaque fois qu'on parlait de la politique de la ville ou de l'intégration", raconte son ami Mohamed Abdi, coauteur de La Racaille de la République. L'appartement ne compte pas de salle de bains : le dimanche, le père emmène les garçons au marché pendant que la mère lave les quatre filles. Elle installe dans le salon deux grands bacs remplis d'eau - un pour les savonner, un pour les rincer - avant de les coiffer et de leur mettre leurs habits du dimanche. Les filles dorment tête-bêche dans un grand lit à deux places. "On a eu beaucoup de fous rires, mais pas beaucoup d'intimité", sourit-elle. Le père de Fadela Amara, qui, aujourd'hui encore, évite de prononcer le nom du mouvement dirigé par sa fille, est un homme de traditions qui veille à ce que ses enfants reçoivent une éducation stricte. S'il entend parler d'une dispute en rentrant chez lui, il convoque les coupables, écoute avec attention la version de chacun, exige que les frères et soeurs s'embrassent et se demandent pardon.

"C'était très solennel, il y mettait les formes, montait tout un scénario, nous faisait tout un cérémonial, comme s'il nous obligeait à faire un passage dans ce rituel qui allait nous aider à mémoriser cet instant", raconte Fadela Amara dans son livre.

Devant ses enfants, M. Amara, qui a grandi dans un milieu berbère imprégné de culture orale, s'exprime souvent par métaphores : pour renforcer leur solidarité, il leur répète en kabyle que les frères et soeurs sont comme les doigts de la main et qu'une main ne peut pas applaudir seule. "Le père de Fadela est un vrai patriarche, note l'une de ses amies d'enfance, Khadija Garnier. Il a une grande présence, il parle très peu et je ne l'ai quasiment jamais entendu hausser le ton. Quand il a dit quelque chose, il ne faut pas essayer d'y revenir. C'est comme ça."

Dans la famille, le frère aîné bénéficie d'un statut privilégié, les garçons jouissent d'une certaine liberté, mais les filles doivent âprement négocier la moindre sortie : avant 25 ans, il n'est pas question d'aller et venir seule dans le quartier. A chaque fois que Fadela, petite, demande à son père si les hommes et les femmes sont égaux, elle reçoit la même réponse : oui, mais la femme à la maison et l'homme dehors. "Il peut admettre le principe d'égalité pour ses filles, mais pas pour sa femme, poursuit la présidente de Ni putes ni soumises. Aujourd'hui encore, ma mère n'a toujours pas obtenu le droit de passer son permis de conduire."

Fadela Amara, qui poursuit une scolarité chaotique, s'aperçoit bien vite qu'ailleurs la vie est différente : à l'école, les femmes travaillent, les enfants organisent des fêtes d'anniversaire, les petites filles vont dormir chez leurs copines. "Fadela sentait très bien que son quartier avait mauvaise réputation, raconte Nicole Peyron-Bastellica, son institutrice dans une classe d'adaptation pour douze enfants ayant eu des difficultés en CP. Elle venait d'un milieu très pauvre, ses deux parents étaient analphabètes, mais elle était très volontaire et elle s'accrochait. A la fin de l'année, je lui ai offert un livre, c'était son premier."

Tout au long de son enfance, Fadela Amara questionne son père sans jamais se lasser. Elle lui fait raconter son enfance dans les montagnes kabyles, son adolescence sous la colonisation, son arrivée en France dans les années 1950. "Il a grandi dans une misère extrême, il n'avait aucun droit, mais il en parle toujours très calmement, sans la moindre haine. C'est pour ça que je ne supporte pas ceux qui se sont baptisés les "indigènes de la République". En Algérie, avant l'indépendance, mon père, lui, a été un vrai indigène, et sa situation n'avait rien à voir avec la mienne. Moi, je peux protester, je peux agir, je peux voter. Et je le fais toujours, coûte que coûte, parce que je sais que c'est précieux."

Au fil des ans, Fadela Amara est devenue le pivot de la famille. "C'est la boss !", résume Mohamed Abdi. C'est elle qui a soutenu ses parents lorsque son petit frère s'est fait écraser par un chauffard ivre, à l'âge de 5 ans, elle aussi qui a tenu la famille à bout de bras quand son frère aîné a été condamné à une peine de prison, en 1991. "En général, dans les cultures arabes, ce sont les garçons qu'on met en avant, souligne son ami Abbes Benazouz, animateur au centre social d'Epinay. Là, c'est la fille qui a réussi. Le jour de l'inauguration de la Maison de la mixité, la mère de Fadela était là. Elle regardait sa fille, elle regardait Chirac, elle était tellement fière que c'était beau à voir."

Aujourd'hui, son père lui dit qu'elle vaut dix hommes. "C'est ma dernière bataille, sourit Fadela Amara. Je lui dis : "Pourquoi pas dix femmes ?""

Anne Chemin
Article paru dans l'édition du 20.10.06
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La présidente du mouvement Ni putes ni soumises, Fadela Amara, à Paris, le 30 mars 2005. | AFP/JEAN-PIERRE MULLER
AFP/JEAN-PIERRE MULLER
La présidente du mouvement Ni putes ni soumises, Fadela Amara, à Paris, le 30 mars 2005.

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