l est tout à fait comme on se l'imagine. Maigrichon, haut comme trois pommes assises, gai, vif, grave, drôle, pétillant de fraîcheur et débordant de toutes les douleurs de la vie. C'est l'acteur le mieux payé de France, l'idole des moins de 25 ans, il traverse le monde en reniflant l'air du temps dans son immense bureau des quartiers chic -
"Parquet-moulures, j'adore". Son agent l'appelle
"le petit prince", un gamin perdu dans un monde trop grand, qui s'interroge gravement en faisant des blagues à deux balles.
Pourtant Jamel Debbouze, à 31 ans, a pris de l'épaisseur, et il n'a pas le sentiment d'être au sommet de sa gloire. Il est partout : sur les affiches avec le Jamel Comedy Club, show télévisé dénicheur de talents, diffusé cet été sur Canal+ et qui poursuit sa carrière au Théâtre de Dix-Heures. Sur Fun Radio, à la télé, et à partir du 27 septembre, dans les 500 salles qui projettent
Indigènes, le film de Rachid Bouchareb, où il offre
"des héros qui leur ressemblent aux gamins des cités". Comédien, bête de scène, producteur et bientôt réalisateur, Jamel tourne une page de sa propre histoire.
"Ma période gros nénés-Ferrari est passée. Ma hantise, c'est ce qu'on va laisser comme trace."Laisser une trace, prendre du recul sur sa banlieue, poser un regard plus évidemment politique sur le monde. Il s'appuie, lui la star, sur une galaxie d'amis discrets, parfois secrets, qui tous le font grandir. A Trappes où il a poussé, à Saint-Germain-des-Prés où il habite, ses potes de la cité et de sa bande du 19e arrondissement côtoient des stars de cinéma et croisent le roi du Maroc. Lui, le fils du balayeur du métro, tend la main gauche à Jacques Chirac, sous l'oeil attendri de Bernadette. Dans ces multiples cercles, il puise des idées, des mises en garde et des remises en place. Et des blagues, toujours. Il en convient : "Je suis une éponge."
Au centre de son monde, la famille. Avec Karim, le frère discret et posé, le premier qui a cru en lui et qui était de toutes leurs virées. Notamment en 1994 près de Gap, dans les Hautes-Alpes, chez un boulanger qui avait monté un café-théâtre dans son arrière-boutique. "Au milieu, il y avait une baignoire énorme. On s'est dit : on y va, rigole Jamel. On a pris un super-bain moussant, c'était la première fois de ma vie. J'étais à oilpé quand le boulanger débarque, furieux : "Vous avez piqué toute l'eau du village !" Je me suis dit : merde, c'est le public de ce soir." Il enfile sa djellaba Lacoste (sa maman a brodé un petit crocodile) et monte sur scène. "Première vanne, pas un rire, deuxième, rien. Fin du premier sketch, silence. Et j'entends un type mort de rire au fond : c'était Karim aux manettes qui s'éclatait tellement on faisait un bide."
Rire, quoi qu'il arrive. Retourner les situations et apprendre le métier. A la MJC de Nanterre, un type crie "Rentre chez toi !" "Je lui ai répondu : "Rentre chez toi, toi. T'es plus près." Ça a fait marrer ses copains, après c'était fini pour lui, je m'en suis occupé pendant une heure, j'ai compris que j'avais là une arme de destruction massive." Aujourd'hui, Karim, l'ombre souriante, est toujours dans les coulisses, tourne les making-of pour les DVD, dirige Debjam, la société qui gère les spectacles.
Un pas en retrait, il y a Momo, le petit frère que Jamel rudoie dans ses spectacles, le gars qui veut faire de l'événementiel "et qui de sa vie n'a jamais organisé une boum" ; Momo qu'on accueille au bureau par un jovial : "C'est quoi ton plan mytho, Momo ?" "Momo, sur son passeport, y a écrit "piéton"", expliquait Jamel au Zénith en 2004. Il reconnaît aujourd'hui qu'il y est allé un peu fort, que c'était sa manière de le faire avancer. Depuis, Momo a sa petite entreprise et navigue tout seul. " Du coup, j'ai plus de vannes sur lui, explique son frère. Ça m'angoisse un peu."
Et puis il y a Mme Debbouze, la maman, l'ange gardien. Elle a tout suivi : les blagues entre copains dans les cages d'escalier, à une époque où ce n'était pas encore un délit ; la compagnie de théâtre montée par le prof de sixième, Alain Degois ; la Ligue d'"impro" des Yvelines. Et le coup dur quand, à 14 ans, Jamel traverse les voies en gare de Trappes pour attraper le bus 417B. Le train a emporté un de ses amis et laissé Jamel anéanti, avec un bras mort.
Le gamin rêvait d'être comédien : sa mère, femme de ménage chez Bouygues, prend un crédit sur quatre ans pour lui acheter un micro-cravate. Elle est partout, dans sa loge souvent, dans ses spectacles toujours. "Que Dieu te garde, dit-elle dans le DVD Jamel en vrai. Ne pense qu'à de bonnes choses, et si Dieu le veut, il ne t'arrivera que du bien. J'espère que tu fais bien tes prières ?" Il les fait. Ne boit pas, ne fume pas, ou alors seulement un p'tit joint. Avec les potes. Ce sont eux qui bouclent le premier cercle. Toujours là, à se raconter les péripéties minuscules de la vie quotidienne, dont Jamel s'inspire depuis des années.
"Ce sont eux aussi qui remettent les pendules à l'heure, explique Jean Bréhat, le producteur d'Indigènes, et qui le font redescendre sur terre à la vitesse de la lumière." Hamid, le fidèle des fidèles, copain de Trappes, et Ichem, dit "Django", le gars de la rue Riquet, qui campe au Cheval gris, un petit troquet du 19e. "Une fois, raconte Jamel, j'étais au comptoir, la tête de ma mère : il y avait un type qui courait derrière sa femme avec une perceuse, elle hurlait comme ça, hihi !" Ichem, "breaker" (danseur) et sparing partner permanent. "Le jour où il monte sur scène, je suis au chômage", jure Jamel.
Pour le moment, ça va. D'autant que pour affûter les spectacles, il y a Kader. Kader Aoun, l'ami, le beau gosse, intello rebelle et diplômé de Sciences Po. Rencontré sur Canal+, en 1997. Il a co-écrit la série H, parodie d'Urgences façon banlieue, premier tremplin du comédien sur la chaîne cryptée, et monté avec Jamel ses deux spectacles. Il garde la haute main sur la pépinière du Jamel Comedy Club, et n'a pas que des amis. On suspecte "mollah Kader" ou "le général Aoun" d'une influence occulte, d'écarter des scénarios, de pousser ses projets.