Rencontres Méditerranéennes Albert Camus

Lourmarin, vendredi 10 et samedi 11 octobre 2003

 

Comme chaque année, l’Association des Rencontres Méditerranéennes a réuni, autour d’Albert Camus, écrivains, spécialistes et lecteurs. Cette rencontre était la vingtième, accompagnant tant d’autres manifestations un peu partout en France, à l’occasion de l’année de l’Algérie mais « hors de tout label officiel » comme l’a souligné Jean-Claude Xuereb, dans sa présentation de ces journées. Elles avaient pour but essentiel le dialogue et l’échange, autour d’un patrimoine littéraire commun entre les deux rives de la Méditerranée dont Albert Camus est un des représentants les plus prestigieux.

« Albert Camus et les écritures algériennes. Quelles traces ? » Sous cet intitulé, c’était à une relecture de l’œuvre camusienne que nous étions invités en même temps qu’à une meilleure connaissance de la littérature algérienne actuelle, « constitutive d’un apport original et irremplaçable dans le vaste mouvement de métissage culturel qui caractérise notre époque. » Nul ne pouvait prétendre à l’exhaustivité en la matière mais l’invitation de cinq écrivains algériens contemporains a déjà donné un aperçu passionnant de cet échange possible, « à juste portée de parole, à juste jet de cœur » selon les mots de l’un d’entre eux, Aziz Chouaki. Lui, justement, dont on connaît la complicité avec Camus qui s’exprime dans plusieurs de ses textes, a  écrit pour ces rencontres un inédit, « Le tag et le royaume » dont l’impertinence, la tendresse et la lucidité ont été appréciées par tous les participants. Abdelmadjid Kaouah s’est plutôt situé par rapport à deux aînés imposants, Kateb et Camus, insérant sa propre parole poétique dans ces « dits » algériens. Maïssa Bey a poursuivi sa lecture sensible de Camus sous la double entrée du rapport à l’écriture de « l’ombre de l’homme qui marche au soleil » et du silence de la mère. Alek Baylee Toumi a rappelé les étapes de la création de sa pièce, « Camus, l’algérian(iste). Entre la mère et l’injustice » dont il a lu quelques extraits et qui plaide pour une réhabilitation de l’œuvre en Algérie en citant la nouvelle, L’Hôte et en « jouant » avec elle. Nourredine Saadi, enfin, s’est plus intéressé au penseur Camus pour aborder avec sérénité et acuité ses textes et ses déclarations à propos de la violence et de la guerre d’Algérie sous un titre suggestif qui a comblé ses promesses : « Camus et l’actuel de l’Algérie : nostalgie de ce qui n’a pas eu lieu ? » Dans le choix qu’ont fait ces cinq écrivains d’extraits de l’oeuvre de l’auteur, on a pu voir se dessiner leur rapport différents et complémentaires. Une sixième écrivaine, et non des moindres, participait aussi à ces rencontres : Annie Cohen qui, dans « Géographie des origines », a offert un très beau texte méditant sur le « Nord » et le Sud » dans la trajectoire de Camus et dans la sienne propre.

Poète aussi mais intervenant moins en tant que tel qu’en tant qu’analyste, Jean-Claude Xuereb dans « Le mythe d’Al-Andalous et les écrivains algériens » a livré une réflexion prenante et érudite sur les contours de ce mythe permettant dans la tension vers une nostalgie constructive de postuler le désir d’Andalousie de chacun, se manifestant dans l’ouverture à une rencontre plurielle tournant le dos à la crispation identitaire. Pour rester du côté des écrivains, dont la part se devait d’être dominante, notons aussi le bel hommage de Jean-Claude et Renée Xuereb à Jean Pélégri par un témoignage et la lecture de son poème le plus célèbre, « Les paroles de la rose ».

 

Par ailleurs ces deux journées ont fait place à des interventions plus universitaires – Nourredine Saadi et Jean-Claude Xuereb ayant, comme nous venons de le signaler, plutôt pris cette option dans leur intervention -, au nombre de quatre. Poursuivant dans le sillon creusé par la circonscription de la « position algérienne » de Camus à partir d’une écriture qui se construit sur le manque de l’origine, Jean-Jacques Gonzalès s’est appliqué à montrer son échappée de l’espace algérien vers un espace plus universel et plus légitime au regard du « grand » texte littéraire et philosophique, ce qu’il a nommé sa « dissonance ». Emile Temime, dans une intervention vigoureuse et remarquable, a montré combien l’enquête sur la Kabylie et les articles de 1945 étaient originaux mais combien aussi ils participaient du concert d’autres voix algériennes qui n’ont pas été publiées alors. Son choix s’est porté sur Jean Amrouche et Mouloud Feraoun ; il a ainsi ouvert des pistes à explorer. Naget Khadda a cerné la figure du contemporain de Camus, un peu plus jeune que lui, Mohammed Dib, pour dégager les convergences et les différences des deux grands écrivains d’Algérie, de leur humanisme et de leur implication réelle et différente dans la société d’alors.

J’ai moi-même ouvert ces journées en tentant d’embrasser une période assez importante, allant de Noces à 2002, pour suivre la lecture progressive de Camus telle qu’on peut l’apprécier en Algérie. Je me suis plus attardée sur sa réception après l’indépendance, son rejet, qui n’a jamais été indifférence, sa réinsertion dans une interrogation sur l’avenir de la littérature et à sa (re) découverte comme écrivain essentiel du patrimoine littéraire algérien, en liant ces interrogations aux difficultés de la littérature algérienne - hier, aujourd’hui -, à trouver son espace de légitimité. Cette première intervention s’est conclue par un hommage aux trois disparus de cette année, en liaison avec Albert Camus : Blanche Balain, Mohammed Dib et Jean Pélégri auxquels ont fait écho les interventions de Renée et Jean-Claude Xuereb ainsi que celle de Naget Khadda.

Le rappel concis du contenu des interventions ne peut, à lui seul, rendre compte, de la chaleur, de la convivialité et du bonheur de ces rencontres. On le doit évidemment aux communications mais aussi, et pour une grande part, à l’organisation et à la présence amicale et attentive de la Présidente des rencontres, Andrée Fosty, de Jean-Louis Meunier, aux membres de l’association dont  Franck Planeille, (auteur d’une récente étude sur L’Etranger, pour son enseignement dans lycées et universités), à la présence de toutes celles et de tous ceux que nous ne pouvons nommer ; au lieu, bien sûr, le beau château de Lourmarin et à la présence de Madame Catherine Camus à l’ensemble de nos travaux. Le souhait qu’exprimait Jean-Claude Xuereb en présentant ces journées s’est largement réalisé : « Puissions-nous, écrivait-il, par cette démarche croisée de reconnaissance, contribuer à établir, sur une base strictement égalitaire, entre les femmes et les hommes des deux pays, des relations confiantes d’échanges, comme peuvent en avoir les habitants des deux rives pacifiées d’un fleuve commun, la Méditerranée. »

 

Il faut encore préciser que ces rencontres seront publiées, comme l’ont été les précédentes. Le dernier volume, Audisio, Camus, Roblès, frères de soleil. Leurs combats (Edisud, Centre des Ecrivains du Sud, septembre 2003) était en vente à la librairie, très riche en titres.

 

 

Christiane Chaulet Achour

Octobre 2003