La conviction que la langue parlée influence la langue écrite au risque d’y laisser infiltrer des fautes typiques de l’oral est souvent admise.[1]

 

Jusqu’au XIXème siècle, la littérature était le champ d’un style recherché, soutenu, cultivé, un style qui s’écartait la plupart du temps de la langue courante, mais qui était dicté par la finalité esthétique de l’art. Progressivement, la conception de la littérature a subi une transformation avec l’apparition des Réalistes et des Naturalistes. Ceux-ci ont fait de la représentation de la réalité telle qu’elle est et telle qu’on la conçoit un principe fondamentalement artistique. Il va sans dire que la langue française littéraire a porté l’empreinte de cette transformation. De cultivée qu’elle était, elle est devenue émaillée d’expressions familières, de termes populaires et de mots parfois même vulgaires.

 

Il suffit de jeter un coup d’œil sur la production littéraire d’une œuvre qui remonte aux XVIème et XVIIème siècles et sur un roman écrit au XIXème siècle pour témoigner de la divergence linguistique entre les deux littératures.

 

L’éloquence, la métaphore, la recherche du mot raffiné, la soumission au «bon usage » ont cédé la place à l’émergence de plusieurs niveaux de langue. Les œuvres d’un Emile Zola, ou d’un Raymond Queneau illustrent la mutation à laquelle était exposée la littérature française.

Le XXème siècle n’a fait, en réalité, que renforcer cette mutation.

« Les nouveaux moyens de communication (téléphone, radio, télévision, magnétophone), où le français fonctionne uniquement comme langue parlée, cimentent la primauté de la langue parlée sur la langue écrite. La tendance au nivellement de la société favorise les français familier, populaire, argotique qui formaient jusque là les niveaux inférieurs au «bon français » ; au lieu d’une discrimination entre ces niveaux et l’usage, celui-ci commence à s’aligner sur ceux-là. » [2]

 

Les auteurs des romans policiers, d’espionnage, d’aventure, d’amour et même ceux des quotidiens et des hebdomadaires exploitent délibérément les différents niveaux au nom de la liberté intellectuelle et morale.

Il existe donc une hétérogénéité linguistique à l’intérieur d’une même langue comme l’a assuré Gisèle GSCHWIND- HOLTZER dans son ouvrage «Analyse sociolinguistique de la communication et didactique ». Cette hétérogénéité est représentée par la coexistence de différents répertoires appelés «niveaux de langue », «registres de langue » ou «variétés fonctionnelles » qui offrent des alternatives pour dire la même chose.[3]

 

Ces niveaux sont répartis conformément à la norme.

«Par norme[…], on entend […] : une prescription, une règle ou l’application prévisible d’une décision qui peut prétendre à être universellement reconnue […], précisant comment doit être réalisé tel fait, telle chose, tel comportement. »[4]

Selon Bodo MULLER, la norme considérée comme niveau-zéro ou registre-zéro se situe qualitativement entre le français cultivé et le français courant. Le français cultivé représente, par la suite, la supernorme, alors qu’une grande partie du français courant, le français familier, le français populaire et le français vulgaire représentent des niveaux plus ou moins éloignés de la norme. Ces niveaux peuvent être désignés par le français relâché.[5]

 

A cet égard, il nous paraît nécessaire de souligner que les termes «niveau » et «registre » existent côte à côte, mais,

«le premier paraît pour certains impliquer un jugement social sur le discours par rapport à une échelle linguistique graduée du niveau populaire au niveau soutenu sous-tendant une attitude orientée péjorative-méliorative. Le terme registre est neutre à cet égard, l’ensemble des registres forme une sorte de gamme linguistique permettant de modaliser l’énoncé. »[6]

 

D’où le choix du terme niveau tout au long de la présente étude. Une autre remarque mérite d’être signalée avant de procéder à faire savoir les différents niveaux qui existent dans Le Gone du Chaâba, c’est le caractère instable de certains termes. Des termes qui étaient considérés comme argotiques sont devenus populaires et les populaires furent qualifiers de familiers et ainsi de suite. Les frontières entre les différents niveaux ne sont pas des cloisons étanches, elles tendent parfois à se volatiliser et les termes passent au cours des années d’un niveau à un autre. D’autre part, ce qui est familier pour un dictionnaire peut ne pas l’être pour un autre. La classification des termes en différents niveaux n’est pas la même dans tous les dictionnaires. Chaque dictionnaire procède à une répartition des mots selon la conception de son lexicologue. Ce faisant, nous avons estimé essentiel de signaler le dictionnaire sur lequel nous avons basé notre étude des différents niveaux. Le Petit Larousse illustré 1999 de Bertrand EVENO est notre référence pour la classification des termes en divers répertoires.

 

Le français familier

Le niveau familier étend, à vrai dire, son éventail sur Le Gone du Chaâba. Il est présent dans les deux plans de l’énonciation : le discours et le récit.

En effet, les termes familiers marquent le parler des adultes et des adolescents. Mais sa présence est plus accrue chez les gamins et les copains du protagoniste. C’est dans leur langage que nous trouvons le plus grand nombre de termes familiers. Car, il va sans dire que

«les différences d’âge des locuteurs entraînent d’importantes modifications de registres. Les générations plus âgées se montrent linguistiquement plus conservatrices : les plus jeunes, chez qui l’on décèle la plupart des innovations, représentent en moyenne un stade linguistique plus avancé, une nouvelle phase d’une évolution continue. C’est surtout au niveau du vocabulaire que se manifestent ces différences. »[7]

 

Ainsi, s’est-il avéré indispensable d’aller à la découverte de ces termes familiers à travers l’étude du discours rapporté et plus précisément du discours direct qui «rapporte exactement les propos tenus ; sa principale qualité serait donc une fidélité très grande. »[8].

 

Nous avons remarqué que le parler des jeunes est semblable. Ils utilisent presque toujours le même lexique et trouvent de la facilité dans l’emploi du niveau familier. Animés du désir de se solidariser, les adolescents partagent un lexique familier. La preuve en est la récurrence des mots que nous avons relevés du langage des divers personnages. Ce parler familier «reflète un état spontané, détendu et une absence d’auto-contrôle. »[9]

 

Citons le cas de Rabah, qui pour attirer l’attention, crie : «Halte ! Arrêtez-vous tous! j’ai un truc à vous montrer. »[10]

Le mot «truc » désigne quelque chose dont nous ne savons pas le nom ou dont le nom ne vient pas tout de suite à l’esprit. Rabah a recours à ce terme familier étant donné qu’il s’adresse à ses cousins en allant à l’école, cette relation d’intimité le pousse à un langage spontané, un discours quotidien, ordinaire «que l’excitation ou l’émotion font apparaître et qui brise les contraintes d’une situation formelle. »[11]

 

Loin des relations officielles et hiérarchisées des domaines professionnels, la relation amicale unissant les adolescents du roman impose un niveau de langue familier.

«L’emploi d’un terme dit familier […] dans le discours ne peut être considéré comme un indice d’appartenance sociale mais comme une adaptation à une situation de communication (conversation au sein de la famille, avec des amis, etc) »[12]

Rabah, voulant convaincre le frère de Azouz d’aller travailler au marché dit :

« - Tu t’en fous de ton père. Moi, j’ai rien demandé chez moi![…]. Tu fais ce que tu veux. Mais si tu veux gagner des ronds et apprendre à embrasser les femmes sur la bouche avec la langue, tu devrais venir. »[13]

De cette réplique, nous relevons d’une part le terme (rond) et de l’autre le verbe (se foutre). Le premier désigne l’argent, les sous, c’est un terme familier couramment utilisé par les jeunes d’où sa reprise par le petit Azouz en s’adressant à son frère. «Tu crois qu’on va gagner des ronds ? Et qu’est-ce-qu’on va faire avec ? J’ai envie de m’acheter un vélo. »[14] a-t-il dit.

 

En ce qui concerne le verbe (se foutre), il signifie se moquer de quelqu’un, ne lui accorder aucune importance. Ce verbe très familier, nous l’entendons prononcé à plusieurs reprises par différents personnages :

- Par le cousin de Azouz, Hacène qui en a assez du mauvais traitement de son père.

« Maintenant, j’m’en fous, poursuit Hacène, parce qu’il a déchiré mon carnet de composition et il l’a mis dans le feu. […]. Ouais, Ouais, j’m’en fous. J’m’en fous, conclut le cousin. »[15]

 

- Par le protagoniste en personne dans le but d’initier son copain à étudier et à n’accorder aucune importance aux circonstances susceptibles d’ébranler sa volonté de réussir.

« Tu t’en fous, dis-je pour l’encourager. Tiens, tu veux que je te fasse réciter ta leçon de géo ? »[16]

 

Le même signe verbal «foutre »-sous sa forme non pronominale- se trouve employé par Rabah pour faire précipiter ses amis : « Mais qu’est-ce-que vous foutez ? Il est déjà 6h20. »[17]

Dans le sens, comme ci-dessus, de faire, le même terme se trouve employé par le voisin du protagoniste surpris de voir Azouz dans son quartier.

« -Ali ! Tu m’as fait peur, dis-je encore sous l’effet de la surprise.

-Qu’est-ce-que tu fous là ? demande-t-il.

-Eh ben, on habite là, maintenant. »[18]

 

Et également par Kamel :

«-Qu’est-ce que tu fous ? demande-t-il en souriant.

-J’arrive pas à le casser. »[19]

 

En effet, c’est la situation de communication qui décide du niveau ou du répertoire employé.

« Dans une situation sociale déterminée, le locuteur, conscient de son propre statut, du statut de son interlocuteur, du lieu social où se déroule la communication…sélectionne dans son répertoire linguistique les formes langagières appropriées. La question des registres se situe dans ce contexte analytique, une énonciation ne pouvant être évaluée que par rapport à la situation dans laquelle elle est émise. »[20]

S’est avérée à son tour riche et très illustratrice du niveau familier, cette conversation qui a eu lieu entre les deux amis Kamel et Azouz à propos d’un vélo.

« - Comment, j’en veux un ? T’en a un à me refiler ?

-Te casse pas la tête. Je vais finir de réparer cette putain de roue et on va aller t’en trouver un, de vélo. »[21]

Alors que Kamel a eu recours à l’expression «se casser la tête » pour dire «se fatiguer » et à celle de «putain de » qui veut dire sale, fichu, maudit ; le protagoniste a utilisé le verbe «refiler » qui désigne donner. Dans le même contexte, Kamel, le voyou, incite de la sorte le protagoniste à voler:

« - On va piquer un braque. T’en veux un ou pas ?

- Ouais. Bien sûr que j’en veux un. Mais, je suis pas un piqueur, moi.

Il éclate de rire.

-Moi, non plus. De toute façon, c’est toi qui vas piquer un vélo, c’est pas moi. Je vais faire le guet, c’est tout. »[22]

Kamel a employé le verbe (piquer) au lieu de voler pour répondre à un besoin d’expressivité spontanée.

 

Appartenant à un même niveau social, habitant le même bidonville «le Chaâba », le protagoniste aussi bien que tout son entourage emploient des termes familiers sans fard, signe d’une communication étroite. Répondant à Hacène qui voulait aller pêcher au Rhône, Azouz dit : « T’es dingue ou quoi ? Tu veux qu’mon père y m’égorge!. »[23]

Au lieu de dire à son ami, tu es fou, Azouz opte pour l’usage du morphème «dingue ».

 

Nous l’entendons également employer le mot «choper »- ce verbe familier désignant attraper ou prendre- à deux reprises en s’adressant à Hacène. La première fois, lorsqu’il lui décrivait comment il a échappé à l’homme qui voulait l’attraper. « Eh ben, il voulait me choper. Je lui ai fait peur tout seul. »[24]. La deuxième fois, quand il évoquait avec son ami la chasse. «On va d’abord manger le casse-croûte. On ne sait jamais… au cas où on ne chope rien à la chasse. »[25]

 

Quant à Moustaf, l’aîné de Azouz, il choisit des termes qui relèvent du niveau familier, surtout lorsqu’il veut taquiner son cadet.

«La langue entre les dents, il savoure ma posture délicate.

-J’t’avais dit que j’t’aurais.

J’appelle mon père à la rescousse :

-Abboué !Abboué ! Il me tape.

Mon frère s’inquiète et resserre son étreinte :

-Ferme la ou je te démonte pour de bon. »[26]

 

Dans ce discours direct, Moustaf a eu recours deux fois au niveau familier. L’expression «avoir quelqu’un » signifie tromper quelqu’un et «ferme la » signifie tais-toi.

 

De son côté, Hacène, l’ami de Azouz dit en voyant avancer un agent de police vers eux :

« - Ils sont venus pour les putes. J’en suis sûr. […]. C’est peut-être un de leurs clients à qui on a fait péter le pare-brise qu’ a dû nous dénoncer. »[27]

Le verbe «péter » en familier désigne casser ou briser.

 

Le jour où le professeur devait rendre les devoirs, Zohra a demandé à Azouz : «T’as les chtons ? »[28]. «Avoir les jetons » signifie en familier avoir peur.

 

En effet, l’abondance de ce répertoire est due à ce que le français familier est un niveau qualitatif plus proche de la norme que le français populaire. C’est par excellence le registre de la conversation quotidienne, entre des personnes qui se connaissent et qui se côtoient, utilisant la langue sans contrôle. C’est le langage des élèves à l’école.

« Devant les listes affichées sur les murs, des dizaines d’élèves se pressent. Et quelqu’un de hurler : -Chouette! On est ensemble. »[29].

« Chouette » signifie agréable, sympathique et joli.

Trouvant que Azouz est un favori pour le professeur, son copain de classe Alain lui dit :

« -Tu le connaissais d’avant, le prof ? demande-t-il curieusement.

-Non, lui dis-je. C’est la première fois que je le vois.

-Putain ! s’esclaffe-t-il. T’es veinard, toi ! » [30]

Alain emploie l’adjectif «veinard » qui signifie chanceux parce qu’il s’adresse à son ami et, par la suite, il n’observe pas son langage.

 

Tous ces exemples prouvent que le français familier

«à la différence du français populaire, ne présente pas de sérieuses divergences avec le français commun, c’est-à-dire qu’il est relativement conforme aux règles. Il s’agit avant tout d’un français parlé, caractérisant les échanges linguistiques détendus sans rapport avec la situation sociale, même si on le rencontre plus facilement dans la classe supérieure et dans les couches moyennes cultivées que dans les couches inférieures. »[31].

 

Lorsque les jeunes veulent passer un moment agréable, plaisanter et rigoler, ils emploient délibérément les termes familiers entre eux. C’est le cas du morphème «blague » qui signifie une histoire imaginée pour faire rire, une farce ou une plaisanterie. Ce terme a été employé par tous les jeunes. Kamel voulant se moquer de Azouz lui a fait croire qu’un homme, «mec » en familier, court après eux.

«- Pédale plus vite ! crie-t-il. Y a un mec qui nous court après ![…] C’était une blague. T’as eu peur, hein ?»[32]

Pour se divertir, les amis racontent des «blagues ».

« On se raconte des blagues de Toto ? suggère Hacène. J’en connais une ! »[33]

Le discours direct suivant introduit par le verbe «expliquer » en incise comporte le verbe «pisser » qui est l’équivalent très familier de «uriner ».

« Mme Bédrin l’institutrice d’une classe de filles, est en train de pisser, m’explique Rabah en riant à l’étouffée. »[34]

S’adressant à son frère, Zohra dit «Eh ! Zouz. Regarde, là c’est les chiottes et puis la vabo ! »[35]. Elle emploie le terme familier «chiotte » pour désigner le cabinet d’aisance.

 

Tous les discours des jeunes sont marqués par le répertoire familier.

« Ali s’empresse de me répondre :

- On a rencart avec des femmes sur la place Sathonay. Elles sont quatre.

Kamel […] excité :

- On va leur passer des pognes […]

Ali poursuit :

- Kamel a la barre avec la plus moche. Toi et Babar, vous prendrez les deux autres.

Le pogneur se trouve un argument:

-Eh ben, j’m’en fous qu’elle est boudin. Je vais lui passer des pognes. »[36]

Dans ce fragment discursif, les adolescents emploient un parler familier et se comprennent facilement. «Rencart » est pour eux rendez-vous, les «pognes » désignent les mains, «moche » est un adjectif qu’ils préfèrent utiliser au lieu de dire laide et «boudin » désigne une fille ou une femme grosse et sans grâce.

 

Or, si le discours que nous avons signalé est fort compréhensible pour les jeunes, le parler familier de certains gamins peut être très exagéré au point de ne pas être assimilé par le protagoniste. Tel est le cas de ce dialogue entre Ali et Azouz :

« -Qu’est-ce-que tu branles, maintenant ? questionne Ali.

-Qu’est-ce-que je quoi ?? dis-je surpris.

-Qu’est-ce-que tu fous, quoi ?

-Je vais chez moi […]

-Bon, on va t’accompagner, comme ça tu nous montreras où tu crèches.

-Je fais une mine étonnée. Ali précise :

-Où tu habites, quoi…Putain, mais où tu as appris à jacter, toi ?

Lui et Babar se moquent amicalement de mon ignorance. »[37]

En effet, les trois termes que Azouz n’a pas compris parce que c’est la première fois qu’il les écoute sont des mots familiers préférés par une certaine catégorie de jeunes. «Branler » signifie faire, «crécher » habiter quelque part et «jacter » parler.

«Ainsi les bandes de jeunes adolescents qui défraient la chronique depuis le début des années 90 dans les banlieues parisiennes, lyonnaises et marseillaises sont-elles caractérisées à la fois par une classe d’âge (et) une situation sociale (milieux défavorisés, échec scolaire). »[38], ce qui se reflète dans leur langue.

Par ailleurs, ce niveau de langue se caractérise par les abréviations.

« Auparavant formations marginales, elles (les abréviations) constituent à présent un type presque aussi productif que celui de la dérivation ou de la composition. Les abréviations viennent pour une part du nivellement des registres, en particulier la vague des mots en finale phonétique –o qui fonctionne comme marque d’abrègement : métro (métropolitain), auto (automobile), vélo (vélocipède). […]. Elles proviennent d’autre part des langues techniques où le principe d’économie et le nombre limité des locuteurs ayant toujours les mêmes sujets de conversation, favorisent le signifiant raccourci »[39]

La majorité des abréviations signalées dans le roman concerne notamment le domaine scolaire. Ce procédé de raccourcissement est inséré dans le parler des étudiants qui se comprennent facilement.

 

Parmi les raccourcissements, le mot «récré » qui est une abréviation familière du terme récréation. Cette abréviation est intervenue dans le langage des camarades de classe du protagoniste. L’un d’eux lui demande «Et à la récré, pourquoi tu restes toujours avec les Français ? »[40] et un autre renchérit « eh ben, dis pourquoi t’es toujours avec les Français pendant la récré »[41].

 

L’abréviation «prof » de professeur a été utilisée à trois reprises. Le narrateur rapportant le discours du maître dit «vous n’êtes pas mieux comme ça ? fait le prof, un peu ironique »[42] et plus tard à la même page, il dit « il y a des profs que l’on sent tout de suite, avec qui on est sûr que tout va marcher »[43].

Un camarade de classe dit :«Non, on était neuf seulement. Mais le prof principal a rendu les rédacs… »[44]

La dernière citation comporte aussi l’abréviation «rédacs » qui signifie rédactions.

 

Nous distinguons également l’abréviation «certifs » qui veut dire certificats. « Cette année, je passe mon certif »[45], a dit Azouz à un voisin.

 

D’autre part, voulant obtenir le consentement et l’entente de Azouz, un ami emploie l’abréviation de «d’accord ».

« - Ecoute, on se verra à la sortie, ce soir, parce que cet après-midi j’accompagne ma mère à la mairie pour remplir des papiers. D’ac ?

- D’ac »[46]

 

Le terme «pote » qui signifie ami ou camarade et qui constitue une apocope de poteau a, de même, été relevé. Dans un dialogue entre Ali et Azouz, nous entendons:

« -Alors ? Comment ça s’est passé, cette journée ? demande Ali qui est venu m’attendre à la sortie. Tu sais que tu es dans la même classe que mon pote Babar ?

-Non, je ne le savais pas. »[47]

Et deux pages plus loin, Babar dit «Tu connaîtras tous nos potes. Comme ça, tu ne seras pas seul.. »[48]

 

D’autre part, le parler familier trouve sa place dans la situation de colère.

Toute situation de colère implique le recours au répertoire familier, un répertoire à la portée de tous,

ce qui «constitue (sa) fonction expressive : un langage au moyen duquel nous pouvons exprimer avec force notre frustration, notre rage, notre dépit. »[49].

Les adolescents beurs, furieux du mauvais traitement du professeur français et de l’obéissance de Azouz aux ordres du maître, exploitent le répertoire familier.

 

L’un d’eux, provoqué par le comportement de Azouz et par sa soumission aux Français, dit :

«Et en plus, t’es un fayot. T’en n’as pas marre d’apporter au maître des feuilles mortes et des conneries comme ça ? »[50].

«Fayot » en familier désigne une personne qui fait du zèle auprès de ses supérieurs pour se faire bien voir. Le camarade de classe accuse le protagoniste de vouloir plaire à tout prix au professeur et attirer son attention pour être parmi les premiers. Il le taxe d’hypocrisie. Etant au comble de sa colère, le camarade utilise l’expression familière «en avoir marre » qui signifie en avoir assez ou être excédé par quelque chose.

Un autre copain, Moussaoui, continue de blâmer et de réprimander Azouz en répétant le terme «fayot ».

«Et alors…et alors ? Toi, t’es le pire des fayots que j’aie jamais vus. Quand il t’a dit d’enlever tes chaussettes, qu’est-ce-que t’as dit ? Oui, m’sieur, tout de suite comme une femme »[51]

 

Moussaoui, ce délinquant mal élevé, ne se contente pas d’insulter Azouz mais il décide d’aller plus loin, il franchit les limites acceptables et insulte le professeur en disant :

« le directeur ? Je le nique, avertit-il avant de se situer à un niveau plus général. Et d’abord, je vous nique tous ici, moi, un par un. »[52].

Moussaoui a utilisé le verbe très familier «niquer » pour dire mépriser ou se moquer.

Cet élève déteste tous les Français, qu’ils soient des professeurs ou des élèves. S’adressant à Jean-Marc Laville, un enfant studieux et classé parmi les premiers de la classe, il emploie l’expression familière «se casser » qui désigne partir ou s’en aller :

«Toi ! Casse-toi de là ! ordonne Moussaoui à Jean-Marc en lui lançant un coup de pied dans le cartable. »[53].

Quant à Jean-Marc, il dit en se référant à Moussaoui :

«il nous embête toujours, et après il dit qu’on est des racistes ! Je l’aime pas, ce mec. »[54].

Laville a utilisé, à son tour, le verbe «embêter » pour dire agacer, contrarier et taquiner et a opté pour le substantif «mec » qui désigne un garçon ou un homme.

 

Une autre conversation bourrée de termes familiers est celle qui a eu lieu entre Babar et Ali qui souffrent de la discrimination du professeur :

« - J’ai bien vu. Même que la maîtresse, elle s’est foutue de ta pomme. Fais gaffe, c’est une salope. Moi, elle peut pas me saquer, je sais pas pourquoi. Elle dit que je suis un fumiste, mais je comprends pas pourquoi elle dit ça[…]

-si elle te fait trop chier, tu me le dis[…]. »[55]

« Faire gaffe » c’est se méfier, prendre ses gardes, «saquer » c’est chasser et renvoyer, «faire chier » veut dire ennuyer et importuner vivement, «ta pomme » désigne toi et «salope » est une femme méprisable mais c’est un terme vulgaire.

 

L’expression très familière «faire chier » a été exploitée par Azouz, lors d’une querelle avec son frére Moustaf. « Tu me fais chier. »[56].

Azouz a également eu recours à l’adjectif «maboule » pour se moquer de sa soeur : «T’es devenue maboule ou quoi ? »[57].

 

A son tour Saïda, la voisine de Azouz exprime sa colère envers Hacène qui lui a soulevé la jupe en disant: « T’es con ! Arrête ou je vais tout rapporter à ta mère. »[58] L’injure «con » a été répétée par Saïda lorsque Azouz l’a pincée.

«Je la pince sur les fesses :

-Gros con ! »[59]

En effet, ce gros mot a été presque inséré dans les discours de tous les personnages. Azouz, dupé par Kamel qui lui a fait un tour et a prétendu qu’un homme court après eux parce qu’ils ont volé le vélo, dit : « T’es con de faire des blagues comme ça. »[60]

 

Moussaoui l’utilise pour blâmer Azouz qui s’est moqué de lui dans la classe :

« -Ah ! Ah ! Ah ! t’as bien ri la dernière fois quand le maître a dit : Premier Ahmed Moussaoui. Deuxième Nasser Bouaffia.

-Non, j’ai pas ri.

-T’as ri, j’te dis.

-Bon, ben, si tu veux, j’ai ri !

-Eh ben, t’es un con. C’est ce qu’on voulait te dire»[61].

Moustaf l’emploie pour empêcher son frère de se plaindre auprès du père.

«- Abboué!Abboué! Moustaf ne veut pas me laisser dormir. Il se calme.

-T’es pas con de réveiller l’papa pour ça ? S’il se lève, on va ramasser tous les deux. »[62]

 

En effet, «con » veut dire une personne stupide, imbécile qui ne comprend rien.

C’est «avant tout une interjection injurieuse ayant pris le statut de nom commun. Le féminin conne est de formation récente, il est bien implanté dans l’usage contemporain. »[63]

Outre «con », la réplique Moustaf comporte un autre signe verbal familier, à savoir «ramasser » qui signifie attraper, recevoir, prendre quelque chose de fâcheux, on dit même ramasser une gifle.

 

Le substantif «connerie » désignant la stupidité a été utilisé par Kamel qui trouvait que le fait de voler un vélo est facile.

«C’est facile. Tu prends le cadenas comme ça. Tu le tournes dans les doigts et il craque. Ça tient que dalle, ces conneries. Tu verras. »[64]

Kamel emploie l’expression familière «que dalle » pour dire rien du tout. Le terme «connerie » a été également exploité, comme nous l’avons déjà signalé, par un copain de classe pour se moquer de l’attitude faible de Azouz à l’égard du professeur de souche française. «T’en n’as pas marre d’apporter au maître des feuilles mortes et des conneries comme ça »[65].

 

Lors d’une rixe qui éclate entre les gamins à cause d’un jeu de billes, l’un d’eux ordonne à Hacène de poser son bigarreau «-T’as les mouilles que j’te le chourave, ton big ! »[66]. Le gamin en colère, parce qu’il a perdu, a recours à un répertoire familier : « avoir les mouilles » signifie avoir peur, «chouraver » c’est voler et «big » est une abréviation de bigarreau qui constitue la plus grosse bille.

 

Le recours au répertoire familier s’est avéré expressif pour dénoter un certain état de soumission accompagné d’un sentiment de colère, d’indignation et de mépris. Citons le cas de Zohra :

« Ma grande sœur s’exécute à contrecœur. Elle nous supplie de la suivre : autrement, c’est moi qu’il va engueuler, le papa ! argumente-t-elle. »[67].

«Engueuler » désigne accabler de reproches, d’injures grossières, réprimander durement.

 

Mais c’est surtout le recours à l’interjection injurieuse «merde » qui se montre plus significatif :

«Merde, ça sonne déjà. Ecoute, on se verra à la sortie, ce soir, parce que cet après-midi, j’accompagne ma mère à la mairie pour remplir des papiers. »[68],

C’est ainsi qu’un jeune exprime son exaspération qu’a suscitée le retentissement de la sonnerie, signe qu’il doit quitter son camarade et entrer à l’école.

La «merde » est «le symbole de tout objet désagréable et importun qui lasse notre patience, exaspère notre colère et déclenche en nous un désir d’éloignement et de refus. »[69]

Cette interjection est très ancienne, nous la trouvons déjà dans le Roman de Renart du XIIème siècle ; le moyen français à partir du XIVème siècle a connu l’emploi de «merde » dans deux sens principaux : soit une chose ou une personne de peu de valeur, méprisable, soit une situation ennuyeuse. [70]

 

Par ailleurs, nous avons relevé l’emploi du verbe «emmerder » qui est dérivé de cette interjection et qui signifie importuner et ennuyer. Moussaoui au comble de sa colère s’en prend au professeur français en lui lançant : « je t’emmerde »[71]. Et il ajoute,

«t’es rien qu’un pédé ! je t’emmerde […] si tu veux te battre, pédé, viens. Moi, tu me fais pas peur »[72].

Certainement, cette abréviation injurieuse et très familière de pédophile «pédé » n’est, à vrai dire, employée et connue que par les voyous des classes défavorisées. La preuve en est que le narrateur doute qu’elle soit connue par les élèves français qui mènent une vie plus ou moins aisée. Evoquant son camarade Alain, l’écrivain dit :

«Il n’est pas de genre à prendre plaisir à fouiller les immondices des remblais, à s’accrocher aux camions de poubelles, à racketter les putes et les pédés ! d’ailleurs, sait-il au moins ce que pédé veut dire ? »[73].

«Pédé » signifie homosexuel.

 

Les exemples déjà cités relèvent du langage des jeunes, cependant nous avons remarqué que le parler des adultes ne manque pas d’être jalonné par le répertoire familier. Ce dernier émerge dans les deux situations que nous avons soulignées dans le cas des jeunes : soit dans un dialogue entre amis, soit dans une situation de colère.

 

A titre d’exemple, Bouchaoui, un ami de Bouzid, préfère avoir recours à la locution «s’en faire » qui est une tournure familière le plus souvent employée à la forme négative. N’a-t-il pas dit :

«- Non, non, nous allons marcher jusqu’à Villeurbanne, et là, nous trouverons bien un taxi. - T’en fais pas pour nous Bouzid. C’est mieux ainsi. 

- Tu veux aller à pied jusqu’à Villeurbanne à 1 heure du matin ?

- Oui, Oui, t’en fais pas. Allez les enfants, habillez-vous.»[74]

«T’en fais pas » signifie ne t’inquiète pas, ne te fais pas de souci. Bouchaoui choisit à dessein cette tournure parce qu’il se trouve dans une situation qui n’est pas formelle et que son interlocuteur est un ami.

« Un francophone adulte dispose en fait de plusieurs français, registres, niveaux ou codes qu’il choisit d’utiliser selon le cas en fonction de la situation de l’interlocuteur et de l’objet de la communication. »[75]

Provoqués par une situation ou une personne, les adultes trouvent plus facile de puiser des termes familiers. Ils ne se donnent pas le souci de choisir et de rechercher des termes soutenus.

Le père, dépassé par des problèmes financiers dus à leur déménagement, dit à sa famille :

«C’est bien fait pour vous : vous avez voulu partir…eh ben maintenant démerdez-vous sans moi […]. Ça va pas tarder. Je vais y retourner, moi, au Chaâba. Celui qui veut bouffer n’a qu’à me suivre. »[76]

Bouzid utilise les verbes « se démerder » qui désigne se débrouiller et «bouffer » pour dire manger. Lorsqu’il enrage, il décide de faire marier sa jeune fille pour se débarrasser de son fardeau.

« Toi, je t’ai dit de ne plus parler. D’abord, je vais te marier, comme ça tu me débarrasseras le plancher. »[77]

L’expression «débarrasser le plancher » signifie partir.

Malgré son incapacité de subvenir aux besoins de sa famille, il refuse que ses enfants travaillent dans le marché.

« Je préfère que vous travailliez à l’école. Moi, je vais à l’usine pour vous, je me crèverai s’il le faut, mais je ne veux pas que vous soyez ce que je suis, un pauvre travailleur. »[78].

«Se crever » veut dire s’épuiser.

 

D’origine arabe, alimenté par les traditions pudiques de l’Orient, Bouzid s’est énervé en voyant un baiser à la télévision.

« Coupez-moi cette cochonnerie ! on n’est pas dans la rue ici ? ! ! »[79].

Sa colère l’empêche d’observer son langage, il emploie le terme «cochonnerie » au lieu de dire malpropreté ou geste obscène.

Découvrant que ses deux garçons ont entendu la conversation qui s’est déroulée entre lui et Bouchaoui, Bouzid chasse Azouz et Moustaf. Mais au lieu de dire allez-vous-en, il a recours à l’expression familière «foutre le camp ».

« Allez-vous coucher, vous deux! qu’est-ce-que vous écoutez ? Allez ! fout’-moi l’camp d’ici. »[80]

 

Le père a été également irrité et agacé par l’article du journal qui a dévoilé le trafic de viande opéré par les Arabes et la façon dont les moutons sont égorgés pour être vendus à une clientèle maghrébine. D’où l’emploi de l’adjectif «foutu » qui désigne détestable ou mauvais. « Tu as lu le journal ! On est foutus, tu ne crois pas. ? »[81]

 

Outre le père Bouzid, la mère taquinée par Azouz qui l’empêche de faire le ménage dit

«pousse-toi ! Ah ! Mais qu’est-ce-que tu fais toujours fourré dans mes pattes. »[82]

Le signe verbal «fourrer » signifie en familier mettre ou introduire quelque chose dans ou sous une autre chose, l’y faire pénétrer ou faire entrer quelqu’un sans ménagement quelque part. La mère veut, de la sorte, exprimer sa gêne d’être toujours suivie de près par Azouz au point que ce dernier semble lui être collé.

 

Par ailleurs, nous avons relevé un grand nombre de morphèmes familiers dans le langage de la Louise. Celle-ci en apprenant qu’il y a un camion qui est arrivé et que personne ne l’a prévenue ne cesse de blâmer Rabah qui ne l’a point avisée.

« Tu voulais. Monsieur voulait…tu m’as bien eue, oui ! Tu voulais garder le magot pour toi tout seul ! Dis-le ! La Louise, elle t’en aurait piquer une partie ! »[83]

 

Dans le discours précédent, «magot » est une somme d’argent plus ou moins importante amassée peu à peu et mise en réserve, «piquer » c’est voler et «avoir quelqu’un » c’est le tromper.

Une page plus loin, elle ajoute «tu fais le caïd, Rabah. Tu sais bien que c’est toi qui perdras à ce jeu. »[84], «caïd » en familier est un chef de bande. La Louise préfère employer ce terme familier français d’origine arabe parce que Rabah sera apte à l’assimiler et à le comprendre plus facilement.

 

S’adressant avec colère aux prostituées qui se trouvent dans le quartier, elle dit

«Bande de sâles ! Faut cesser de faire vos cochonneries dans notre quartier ! Voyez pas qu’y a plein d’enfants par ici ?…Vous allez foutre le camp, et tout de suite ! »[85]

La Louise, indignée par les prostituées, n’observe pas son langage et parle avec spontanéité ; elle les insulte et les termes injurieux familiers qu’elle emploie vont de pair avec l’immoralité de ses interlocuteurs. La Louise a «la compétence communicative ».

En d’autres termes, elle possède le savoir de

«choisir la variété linguistique qu’ (elle) va utiliser en fonction de l’auditeur, du lieu, du moment ou du sujet de l’activité linguistique. »[86].

Ceci dit, elle opte pour le terme «sale » qui désigne une personne détestable et méprisable, «cochonnerie » pour qualifier leur action déloyale et égrillarde et «foutre le camp » pour les chasser du bidonville.

 

Cette compétence communicative est surtout remarquable dans ce discours direct de la prostituée.

« Non, mais, dis donc, la mémé, tu crois p’têt que tu vas nous faire peur avec ta bande de moukères bariolées ? C’est raté. Tu nous vois bien, nous toutes ! eh ben on te dit merde. Tu comprends. Merde ! on va rester là et toi tu vas retourner dans ton jardin avec tes brebis du djebel, d’accord ? Allez, barre-toi de ma vue ! »[87]

Elle a recours à un lexique familier étant donné qu’elle est provoquée par les femmes arabes du bidonville qui sont venues la chasser. Elle se moque d’elles et attaque leur origine arabe maghrébine. La «mémé » est un terme familier ayant un sens péjoratif, il désigne une femme d’un certain âge, installée dans sa vie domestique, «moukère » est un autre terme signifiant également femme. La répétition de l’interjection très familière «merde » met en relief son agacement. Le verbe «se barrer » signifie s’en aller. Le participe passé «raté » signifie échoué. La prostituée consciente de l’origine de ses destinataires a, avec dextérité, choisi les termes qui garantissent la compréhension de son message.

« Dans la perspective ethnographique, la communication est envisagée comme un processus à deux phases (a two-step process). Le locuteur, ayant une intention communicative, examine son environnement et effectue une sélection de traits situationnels pertinents (lieu, rôles, statuts…) qui fixent les contraintes imposées à sa pratique communicative par la situation sociale. »[88]

 

Cependant, l’état de l’agent de police représente le cas opposé. Venu faire une enquête sur les moutons égorgés, il n’arrive pas à communiquer avec les Arabes. D’où sa colère : «vous êtes tous les mêmes. Vous ne comprenez jamais le français devant les flics. »[89]. «Flic » signifie agent de police.

 

Citons enfin l’exemple de Mme Valard, professeur de Azouz, qui croyant que le petit Arabe de la classe a copié son devoir, l’accuse de plagiat. « Vous n’êtes qu’un fumiste. Vous avez très mal copié Maupassant. »[90]. Elle le qualifie de «fumiste » étant donné qu’elle le considère comme une personne inappliquée, négligente et frivole.

 

Le répertoire familier est également manifeste au niveau du discours intérieur où les «enchaînements d’idées sont censés beaucoup plus libres que dans la narration classique ».[91]

 

En effet, ce genre de discours intitulé de même le discours direct libre est une forme d’énonciation qui n’a ni élément introducteur ni marque typographique. Il s’agit des pensées du je-narrant-protagoniste.

« […] on peut y voir du discours direct sans marque typographique ni élément introducteur. »[92]

Et c’est ce que représente l’énoncé suivant :

«Des gens comme ça portent le doute dans votre tête. Vous vous demandez pourquoi elle vous en veut : parce que vous êtes arabe ou parce que vous avez une tête qui ne lui revient pas ? Pourtant, j’ai une tête sympathique, moi. Je la regarde souvent dans la glace et je la trouve marrante. »[93]

Dans ce fragment discursif, l’adjectif «marrante » signifie intéressante et l’expression «en vouloir » désigne garder de la rancune.

 

Voulant assurer qu’il était un élève favori et préféré, l’auteur emploie le terme familier «chouchou ». « Au lycée Saint-Exupéry, j’étais le chouchou de Loubon, mais mes notes de rédaction frôlaient souvent la moyenne. »[94].

 

Vis à vis des éloges de M. Grand, Begag s’est senti embarrassé, immobilisé, d’où le recours au verbe familier «clouer ». « La réplique me cloue sur ma chaise. »[95].

Ces éloges lui ont valu l’envie et la jalousie de ses amis arabes qui l’ont qualifié de traître, d’où l’embarras de Begag qui s’est senti à ce moment mal placé ou «mal barré ». «La sonnerie nous rappelle au travail, mais je suis mal barré pour les prochains jours »[96].

Dans le même contexte, Azouz a ainsi décrit la crainte qui lui est survenue après les accusations de ses amis arabes. « J’ai peur. Je ne peux pas crâner car je crois qu’ils ont raison »[97]. D’où la valeur significative du verbe familier «crâner » qui veut dire affecter la bravoure, faire le brave et le fier, mais qui est employé ici pour mettre en relief son sentiment de peur.

 

Dans ce genre de discours, le répertoire familier traduit la crédibilité du narrateur et sa fidélité. Tout discours intérieur reflète l’état d’âme et les mouvements de la conscience de la personne, le recours au niveau familier donne une image fidèle des pensées du narrateur. Personne ne peut parler à soi en langage soutenu.

 

Croyant que le maître a pitié de lui car il travaille au marché, Azouz dit :

«J’ai envie de rassurer mon maître, de lui dire : arrêtez de pleurer, monsieur Grand, ce n’est pas pour gagner ma vie que je vais vendre mes bouquets au marché, mais surtout pour fiche la paix à ma mère. Et puis je me marre bien quand je vois les Français dépenser leur argent pour acheter des fleurs que la nature leur offre à volonté. »[98]

Dans ce discours intérieur, nous avons remarqué l’usage du verbe «se marrer » pour dire se divertir ou s’amuser et de l’expression «fiche la paix » qui signifie donner la paix ou rendre tranquille.

 

Déshonoré par le fait qu’il regarde la prostituée, Azouz se dit «la honte si on nous surprenait en train de nous rincer l’œil sur les putes du boulevard. »[99].

«Se rincer l’œil », c’est regarder avec plaisir une personne attrayante ou un spectacle érotique.

Voyant un camarade de classe arabe, le protagoniste pense qu’il a autant de problèmes que lui.

« Là-bas, devant la dernière liste des noms, j’aperçois un «cheveux frisés ». Il me voit aussi, me fixe un instant puis détourne les yeux. Il doit être aussi paumé que moi, le pauvre. »[100].

L’auteur croit que l’Arabe est déprimé, indécis, dépassé par les événements et inapte à s’adapter à la situation. D’où le recours à l’adjectif familier «paumé ».

 

A part les discours directs ou intérieurs, nous avons remarqué que la présence des mots familiers était évidente et distincte dans le discours au sens général du terme : le discours se caractérisant par la présence d’embrayeurs, notamment la personne je, et de déictiques spatio-temporels qui réfèrent à l’instance d’énonciation.

 

Nous entendons, à titre d’exemple, Azouz qui, provoqué par sa mère, utilise le terme «beuglement » au sens figuré, pour mettre en relief sa colère :

«En guise de réponse, je sors ma grosse langue de sa cachette et la dirige dans sa direction, pointue, odieuse, effrontée en poussant un beuglement. »[101].

«Beuglement » signifie un hurlement, un cri à tue-tête. Sa mère l’exaspérant et le mettant hors de lui, Begag est incapable d’observer sa langue, d’où son recours à l’emploi d’un terme familier.

 

Les discours de Begag sont, à vrai dire, touffus d’expressions et de termes familiers. Nous l’entendons, à titre d’exemple, désigner les gens qui viennent rencontrer les prostituées et qui sont des immoraux, par le terme «faune » :«Nous sommes cernés par les putes et la faune qu’elles attirent. »[102], terme ayant un sens très péjoratif d’ensemble de gens fréquentant le même lieu.

 

Décrivant les étudiants de la classe, il utilise le verbe «piailler » pour souligner leur cri incessant.

«Lorsque nous arrivons devant l’école, tous les élèves sont déjà en train de piailler dans la cour »[103]

L’auteur a également employé les termes et les expressions familières «balade », «sans le sou », «crotte de bique » et «briquer » pour dire promenade, sans argent, chose sans valeur et nettoyer à fond en frottant, astiquer.

« Les grèves paralysaient toujours les bus, alors je préférais les balades à vélo avec les gones de la rue de la Vieille[…] »[104], C’est ainsi qu’il a souligné son penchant pour les promenades.

 

Pour passer son temps, Azouz va faire des courses :

« Il nous reste cinq minutes, alors je propose d’aller acheter des crottes de bique dans le magasin de l’autre côté de la rue »[105].

Le père, ayant déménagé à contrecœur, laisse sa famille sans argent:

« Mais le lendemain, il injurie Emma, la maudit d’avoir voulu déménager, et s’enfuit trois ou quatre jours dans son ancienne maison, nous abandonnant sans le sous »[106].

Décrivant sa mère en train de faire le ménage, il utilise le verbe «briquer ». « Dans la maison, ma mère n’a pas fini de briquer »[107].

 

N’oublions pas les termes «godasse » qui désigne chaussures et «taloche » qui signifie un coup donné sur la tête ou la figure avec la main ouverte. « Deux vieux traînant leurs godasses sur le pavé fumant me croisent sans me regarder. »[108], a-t-il dit en décrivant des passagers.

La Louise de par son caractère intransigeant aime donner des coups aux enfants.

« Elle vient chez nous pour se sentir moins seule, pour retrouver les gens du Chaâba, pour les entendre, leur parler, les commander, leur «filer des taloches », les sélectionner pour le goûter de 4 heures. »[109].

Outre tout ce répertoire familier qui a réussi à donner au lecteur une image fidèle et crédible des registres des personnages à travers leurs discours, nous avons remarqué la présence des termes familiers dans le récit où «tout se passe […] comme si personne ne produisait l’énoncé, comme si les événements se racontaient tout seuls. »[110]

 

Dans le récit, le recours remarquable au niveau familier est dû à la volonté de l’écrivain de se rapprocher du lecteur et de diminuer autant que possible la distance qui les sépare. La volonté de Begag de garantir la communication avec le lecteur moyen l’a poussé à émailler son récit de termes familiers.

D’autant plus que «pour qu’un éditeur français prenne le risque de publier un auteur inconnu, il faudra que son texte soit accessible sans difficulté à un large public français. »[111]

Décrivant l’arrivée du camion sur les lieux de déchargement, l’auteur dit :

«Encombrant le petit chemin de son nez de fer immense, il avance à très faible allure comme un dessert : un camion de poubelles majestueux, plein aux as, débordant de trésors de tous côtés. »[112]

L’auteur a employé l’expression familière «être plein aux as », qui signifie être dans l’aisance ou avoir de l’argent, dans un sens figuré pour souligner que le camion était surchargé.

Voulant décrire le mari de la Louise, il dit :

«taciturne, chauve, effacé, toujours pâlot, les yeux globuleux, il est souvent perplexe devant les excentricités de sa femme. »[113]

L’adjectif «pâlot » désigne un peu pâle.

 

Conscient du caractère moral répugnant des hommes qui viennent pour les prostituées, Begag les qualifie de «mâle », terme à connotation péjorative signifiant homme vigoureux moralement ou physiquement.

« Deux putes travaillent à l’intérieur des voitures, tandis que les mâles qui attendent leur tour trépignent d’impatience dans leur véhicule. »[114]

Le récit est, de même, marqué par un nom et deux adjectifs familiers qui sont «panse », «cingle  »et «ficelé » qui désignent successivement ventre, fou et élaboré.

Les poussins de la Louise étant pillés, la femme est privée de ses futures poules et ne trouvera, par la suite, rien à manger.

Son chien «la mène naturellement dans le poulailler et se fixe face au trou par lequel s’infiltre le voleur des poussins qui lui taquine régulièrement la panse. »[115].

La sonnerie de l’école est, pour lui, un rappel à l’ordre fou.

« Puis, au milieu des éclats de bouteilles, des pierres qui cognent sur les clous rouillés des cris, un rappel à l’ordre cingle. »[116].

Et il dit «Deux valises et plusieurs cartons maladroitement ficelés ont été déposés au milieu de la cour »[117].

 

Par ailleurs, décrivant son aîné qui déploie un grand effort pour le déménagement, nous l’entendons dire «le pauvre bougre s’active comme un turc depuis ce matin »[118].

Le narrateur le qualifie de «bougre », terme familier qui équivaut à gaillard ou individu. Ce même terme a été employé pour désigner un vieux :

«Le bougre avait une manie, celle de ramasser tous les bouts de n’importe quoi qui traînaient par terre, dans l’espoir d’en avoir tôt ou tard l’usage »[119].

 

Surpris par la réaction de la prostituée qui propose aux gamins de la laisser travailler tranquillement en échange d’une somme d’argent, «Rabah et Moustaf ne pipent pas mot ».[120]

L’expression familière «piper mot » qui signifie garder le silence a été également exploitée pour décrire l’attitude de la mère qui ne voulait pas déclarer son opinion sur le déménagement. « De toute la soirée, elle n’a pas pipé mot, de crainte de l’influencer »[121]

 

Le verbe «se rebiffer » qui signifie se refuser à quelque chose avec brusquerie a été utilisé à deux reprises. La première fois en désignant le refus du père d’entendre l’incitation de Bouchaoui à déménager.

« -je sais que tu cherches à partir d’ici, Bouzid.

Mon père se rebiffe immédiatement. »[122]

La seconde fois, pour décrire l’attitude de Saïda face aux provocations de Hacène.

« Sur le chemin, Hacène ne cesse de porter les mains sur ses fesses, mais elle se rebiffe de moins en moins. »[123]

Le fait que le narrateur est, comme nous l’avons déjà signalé, homodiégétique, et que le protagoniste est un enfant a, certainement, facilité la tâche de l’auteur et lui a permis d’insérer le répertoire familier dans le roman.

« Après plusieurs essais, on s’est aperçu qu’un texte qui se présente comme un récit d’adolescent se prête mieux qu’un autre à une performance naturelle. En effet, il est possible de faire entrer dans un tel cadre des expressions comme : « c’était un gosse marrant, c’est sûr. ». Une lectrice d’âge mûr, par exemple, rechignerait sans doute si ces mots étaient placés dans la bouche d’un adulte, mais venant d’un adolescent, ils lui paraissent tout à fait naturels »[124].

 

Le récit du narrateur enfant est foisonné, par la suite, de termes familiers notamment lors des descriptions. Citons à titre d’exemple ces deux passages décrivant dans l’un Bouzid jouissant de l’acte de manger :

«Mon père déchire un morceau de la viande entre ses dents, s’acharne sur la moelle, dont il raffole, frappe l’os sur le côté de la table pour qu’il libère la substance onctueuse. »[125] «Raffoler » est aimer à l’excès.

Et dans l’autre, Bouzid et son manège avec le tabac à priser :

«Avec trois doigts, il ramasse une boulette de tabac à priser, la malaxe pendant un moment et, ouvrant la bouche comme s’il était chez le dentiste, fourgue sa chique entre ses molaires et sa joue »[126], «Fourguer » c’est céder ou laisser quelque chose.

 

Le verbe familier «grommeler » est utilisé deux fois. Ce verbe désigne grogner, bougonner, se plaindre, protester en murmurant ou parler indistinctement. Il est employé pour mettre en relief l’insatisfaction de la mère qui veut exhorter son petit à aller travailler au marché.

« Depuis des minutes interminables, ma mère ne cesse de s’agiter dans les quatre coins de la pièce, encombrée d’un balai, de chiffons, d’éponges, de bidons pleins d’eau. Elle grommelle. »[127].

 

Provoqué par le professeur qui le menace de suspendre les allocations que touche sa famille, Moussaoui grommelle.

« Le moribond grommelle encore dans sa bouche quelques mots incompréhensibles, puis soudainement une lueur jaillit de son corps tout entier »[128].

 

Plusieurs autres verbes familiers ont été insérés dans le récit. Citons à titre d’exemple, «flancher », «s’en vouloir », «dégouliner », «brailler », «débouler ».

«Flancher » signifie manquer de la force nécessaire, défaillir. N’a-t-il pas dit en soulignant l’exaspération des habitants du bidonville : « les nerfs flanchent rapidement »[129].

 

«S’en vouloir » désigne se reprocher quelque chose. C’est ce qu’a ressenti Zohra lorsqu’elle n’a pas pu se débrouiller « Zohra s’en veut de ne pas avoir été à la hauteur de la situation »[130].

 

«Dégouliner » veut dire couler goutte à goutte ou en traînées. Décrivant son copain excité d’avoir un rendez-vous avec une fille, il dit «la salive dégoulinant de sa langue, il continue à s’exciter dans l’escalier »[131].

Par ailleurs, le jour de la circoncision, et «dans la cohue des femmes collées les unes contre les autres, dégoulinantes de sueur »[132], il reconnaît sa mère.

 

«Brailler » est synonyme de crier d’une manière assourdissante. Ce signe verbal est utilisé pour mettre en relief le cri du frère cadet de Hacène.

« Hacène fait alors un geste un peu brusque et le bébé à quatre pattes se met tout à coup à brailler comme si on l’avait marqué au fer rouge »[133].

 

Au lieu de dire descendre rapidement, l’auteur a préféré l’emploi de «débouler ». «Lorsqu’elle (Zidouna) vit débouler mon père, elle le dévisagea pour la première fois de sa vie, la bouche tombante, le nez retroussé, les yeux noyés de haine »[134].

 

Le français vulgaire

Le français vulgaire est également présent dans Le Gone du Chaâba mais d’une façon moins saillante que le français familier.

«Le français vulgaire partage en effet avec l’argot la caractéristique d’appeler, par leur nom, sans ambages, des choses qu’en général on ne nomme pas et de ne pas avoir recours à des euphémismes pour remplacer les mots que le bon ton récuse, particulièrement les désignations de certaines parties du corps, ou concernant la sexualité, les fonctions digestives et certains défauts (stupidité, sottise, caractère désagréable, etc). Le français vulgaire –au sens large du mot- se définit donc à la fois par les choses désignées, par la façon de les désigner et par l’usage qu’en font les couches inférieures de la société qui l’emploient avec une certaine régularité. »[135]

Un mot vulgaire est un mot connu de tous mais les règles de décence linguistique des milieux cultivés et de la haute société ont jugé bon de restreindre son utilisation. Un mot vulgaire est également un mot grossier.

« Sous le mot grossier, les dictionnaires distinguent quatre significations principales : 1) de basse qualité ; 2) qui manque de finesse ; 3) mot dégrossi (par la culture) ; 4) qui offense la pudeur, contraire aux bienséances. »[136]

 

Si nous prenons en considération les composantes significatives du groupe social considéré tel que les tranches d’âge, le milieu social ou culturel et les professions, nous découvrirons qu’il est naturel que les personnages recourent à certains termes vulgaires. Ils sont tous issus de milieux défavorisés, ils occupent la base de l’échelle sociale d’après «une image qui assimile la société à une échelle ou à une pyramide dont une élite occupe le sommet alors que la masse se trouve dans le bas. »[137]

 

Ils sont des analphabètes, des ignorants, et bien plus ils habitent les bidonvilles et les baraques.

« Concernant la formation des divers niveaux sociaux, il ne faut pas seulement tenir compte de l’opposition entre la province et la capitale ou entre la campagne et la ville ; dans les grandes villes, il peut même y avoir des différences de quartier à quartier. »[138].

D’où l’usage de certains termes vulgaires parmi lesquels nous distinguons «putains » et «putes » qui désignent les prostituées ou les femmes débauchées.

« A la hauteur du petit chemin qui part du Chaâba pour rejoindre le boulevard, trois putains travaillent à l’abri des platanes. »[139]

Et quelques pages plus loin :

«Sur le trottoir, le commerce de bonheur éphémère va bon train. Deux putes travaillent à l’intérieur des voitures, tandis que les mâles qui attendent leur tour trépignent d’impatience dans leur véhicule. »[140]

A son tour, la Louise a utilisé ce terme vulgaire.

«La Louise se dirige vers le groupe, serre la main à tout le monde et engage la conversation sur les putes, en allumant une Gauloise sans filtre :- il faut faire quek chose, m’sieur Begueg…on va pas se laisser marcher sur les pieds par ces putains. »[141]

Irritée, la Louise emploie ce terme avec spontanéité parce qu’elle n’y trouve aucune bassesse.

« Un mot bas et grossier – c’est-à-dire jugé bas et grossier par les gens distingués- ne comporte aucune bassesse, ni grossièreté dans la bouche et dans l’oreille de gens bas et grossiers, […] n’ayant eux-mêmes aucune conscience ni aucune intention de cette bassesse et de cette grossièreté que leur attribuent les gens distingués. »[142]

Elle semble déterminée à chasser les prostituées.

 

« Pendant qu’elle marche, la grande dame du Chaâba élabore un plan d’attaque : -J’vais leur envoyer les gones au cul, moi. Elles vont voir ces salopes, qui c’est qui va se barrer. »[143]

 

«Cul » est la partie postérieure de l’être humain comprenant les fesses et le fondement. Ce terme a été répété par le petit Azouz en parlant de son père qui l’a tapé :

« Regarde les marques que j’ai au cul. C’est à cause de la dernière fois qu’on a été au Rhône, quand mon père est venu nous chercher. »[144]

En ce qui concerne «salope », il désigne une femme dévergondée, de mauvaise vie, une garce :

« Le salopard est une forme aggravée et renforcée de salaud qui pimente l’injure d’une nuance de respect. S’applique à un individu dangereux par sa malfaisance. »[145]

Le recours à cette injure met en relief le mépris total manifesté par la Louise pour les prostituées.

C’est notamment dans les discours de la Louise que nous trouvons des termes vulgaires. En apprenant qu’un camion est venu au lieu de décharge et que personne ne l’a prévenue, elle crie : «bande de salauds ! Vous auriez pu m’avertir »[146].

 

«Salaud » désigne une personne méprisable, ignoble et moralement répugnante. Ce terme était employé par Saïda taquinée par un gamin qui l’a harcelée :« - Salaud ! Je vais tout rapporter à ton père et à ta mère. »[147]

Moussaoui, provoqué par un camarade de classe français l’accuse d’homosexualité en criant «tapette »[148]. Ce mot vulgaire désigne une personne qui sent une attirance sexuelle pour une autre de son sexe.

 

L’Argot

Vient ensuite l’argot.

Si «le lexique du français vulgaire comprend généralement des mots très anciens, datant de l’ancien français, que les milieux cultivés de la bonne société des temps modernes ont jugé bon d’éliminer […], le mot d’argot, par contre, est le plus souvent un néologisme car la tendance profonde de l’argot est d’innover continuellement : formellement, il recourt souvent aux métaphores, aux métonymies, aux périphrases en optant pour des expressions ironiques, humoristiques, imagées ou renforcées par une déformation grotesque. »[149]

Selon Bodo Muller, les utilisateurs de l’argot se sentent unis par une sorte de solidarité, du fait qu’ils sont tous des marginalisés, qu’ils mènent une vie médiocre et qu’ils se sentent menacés par les Autres. Le recours à l’argot souligne une tentative de se démarquer, de se différencier de la société. Il peut désigner soit le langage des métiers soit le bas langage et c’est cette dernière définition qui nous intéresse. Si autrefois, l’argot était conçu comme le langage des malfaiteurs, au XIXème siècle, il s’est intégré au langage populaire.

« L’argot traduit donc un esprit du corps spécifique, il sert de signe de reconnaissance, il représente un lien social et peut servir à se défendre contre ceux qui n’y participent pas. »[150]

L’argot n’est le plus souvent compréhensible que par ses initiés car il désigne des mots triviaux qui sont bannis de la langue normale. Parmi l’argot cité, le mot «bougnoule » qui est une désignation raciste du Noir et par extension de l’Arabe ou de tout étranger de modestes conditions. Selon le Dictionnaire de l’argot français et de ses origines, ce mot est dérivé de l’ouolof, bou-gnoul qui signifie Noir au Sénégal. [151]

C’est ainsi qu’un homme français, qui fréquentait les prostituées, a qualifié les enfants au Chaâba :

«bande de p’tits bougnoules ! Vous croyez que je vais vous laisser faire les caïds dans notre pays ? »[152]

Soulignant la crise d’identité du protagoniste qui se sent inférieur aux Français et qui sait que sa souche arabe n’est pas valorisée, le narrateur répète le même terme.

« Depuis, chaque jour, lorsque les dames trottoirs viennent exercer du côté des baraques aux bougnoules, là où la police ne vient jamais, un commando va encaisser l’impôt. » [153]

 

Dans ce même contexte, Begag a utilisé le mot «bicot » qui est également une désignation raciste de l’Arabe (notamment Nord-Africain). Fier de lui-même et du résultat qu’il a obtenu, Azouz dit :

«j’ai eu un sentiment pour ceux qui n’avaient sans doute pas manqué de nous enfouir tous les deux dans le panier à bicots[154]

Azouz est conscient de la dépréciation des Arabes et de la persécution des immigrés, il n’est pas considéré comme un citoyen purement français à l’instar de ses homologues hexagonaux. Il est sous-estimé et toujours considéré comme étant «différent ». Mais lorsqu’il a réussi à devenir le premier de la classe, le sentiment d’infériorité a laissé place à une sensation de fierté et de défi.

 

On note également la présence de l’argot scolaire dans Le Gone du Chaâba. « Qui aurait eu l’idée d’aller dire bonjour au dirlo le matin en rentrant à l’école ? »[155]. Le terme argotique «dirlo » désigne le directeur.

 

Azouz a, de même, employé le terme «guittoun » qui signifie en argot une chambre ou un logement. Evoquant la morale sur la bonne éducation que le maître enseigne à l’école, il dit «je n’ai, jusqu’à ce jour, jamais fait de telles cérémonies avant de m’enfouir dans mon guittoun. »[156]

L’usage de ce morphème met en relief le caractère modeste de sa chambre.

 

En ce qui concerne Moustaf, il a employé lui aussi un terme en argot, c’est celui de «deb » et ce afin d’insulter son cadet qui ne veut pas lui donner un coup de main.

 

« -Reviens, grand deb ! hurle-t-il.

-Tu me fais chier, lui dis-je. »[157]

«Deb » est une apocope de débile mental, c’est un adjectif en vogue dans le parler branché des années 80.

 

Relève également de l’argot, l’expression «avoir la barre avec quelqu’un » qui signifie lui plaire et qui a figuré dans le discours de Ali qui a dit «Kamel a la barre avec la plus moche »[158].

 

 

Le français régional

Le français régional ne manque pas de marquer Le Gone du Chaâba. Comme nous l’avons déjà signalé, les événements se déroulent dans un bidonville «le Chaâba » à Villeurbanne, quartier de Lyon. Ce faisant, huit termes lyonnais y ont été insérés. Ces termes relèvent du français régional. En effet, le français n’est pas uniforme dans toutes les régions. Celui d’Aix-en-Provence est différent dans une certaine mesure de celui de Lille. D’où l’apparition de ce que nous appelons les variétés régionales du français.

Ces variétés sont des particularités que les locuteurs conservent compte tenu de la région ou de l’endroit où ils sont nés et où ils ont vécu.

« Nous entendons par français régional un registre limité à une région ou à un seul endroit, que les locuteurs de cette région (ou de cet endroit) utilisent aussi bien entre eux qu’avec des locuteurs d’origine différente. »[159].

Bref, le «français régional, c’est ce qui reste du dialecte quand ce dernier a disparu. »[160].

Les variétés régionales du français sont à distinguer des dialectes régionaux d’oïl comme le picard et le wallon et ceux d’oc comme le limousin et le gascon.

Les dialectes régionaux sont «un système de signes et de règles combinatoires de même origine qu’un autre système considéré comme la langue, mais n’ayant pas acquis le statut culturel et social de cette langue indépendamment de laquelle il s’est développé. »[161].

Le français régional est également à distinguer des langues régionales qui regroupent en France les langues romanes comme le catalan, les langues germaniques telles que l’alsacien et le flamand aussi bien que le basque.

 

L’usage du français régional est connoté péjorativement et dépend le plus souvent du niveau social. Il paraît plus utilisé par les classes défavorisées que par les classes supérieures.

 

La variation régionale lyonnaise a paru dans «gone », «baraque », «bôche », «pâti », «radée de pierres », «traboule » et «vogue ». Ces termes ont été expliqués par l’auteur à la fin du roman du fait qu’ils peuvent ne pas être compris par tous les lecteurs même les Français.

 

A commencer par le terme «gone », nous pouvons assurer que c’est le terme régional le plus utilisé dans le roman. Il signifie gamin de Lyon ; il vient du verbe goner qui veut dire vêtir sans goût. Le narrateur l’a employé pour désigner les enfants de la rue qu’il fréquentait. Le terme «gone » comporte par la suite une connotation de misère et de pauvreté qui va de pair avec les conditions sociales des personnages.

 

Les gones sont les voisins de Azouz, «Je peux continuer à marcher sur le chemin de l’école avec les gones du Chaâba. »[162] et « -Le taxi arrive ! le taxi arrive ! crient les gones qui attendaient impatiemment l’arrivée de la voiture depuis qu’on avait dit qu’elle viendrait chercher les Bouchaoui. »[163]

Ce sont les amis avec qui il joue. « Les jours, sans école, j’y passe des heures entières, avec les autres gones. »[164]

Ce sont les enfants pauvres qui sont forcés de travailler pour aider leur père.

« Depuis quelques jours, l’activité lucrative de Rabah a fait naître des idées nouvelles auprès des mères de famille. Des pièces de monnaie et des fruits et légumes, même trop cuits, valent mieux que de supporter les gones du Chaâba pendant toute la matinée. »[165]

Les gones sont les gamins à qui la Louise donne à manger.

« La Louise nous installe autour d’une table au milieu de la pièce, malheureusement trop petite pour accueillir la quarantaine de gones qui meurent d’envie de visiter le château. »[166]

 

En ce qui concerne le terme «baraque », nous pouvons dire que c’est un nom désignant une maison au confort rudimentaire ou mal tenue, une construction légère en planches. Ce terme est employé notamment à Lyon pour désigner la résidence principale de l’immigré algérien des années 60.

« Enjambant les barbelés, nous nous engouffrons au milieu des arbres dix fois plus hauts que nos baraques, touffus encore plus que nos cheveux. »[167] et quelques pages plus loin, nous pouvons lire « on descend des bouteilles avec les lance-pierres, on finit de réparer le pédalier du braque, on poursuit la construction d’une baraque en carton. »[168]

Le terme «carton » met en relief le caractère fragile, rudimentaire et misérable de cette construction. Cette dernière citation comporte un autre terme régional, à savoir «braque » qui signifie vélo.

 

Bien qu’il connaisse le terme pierre et qu’il l’emploie dans la locution lyonnaise «radée de pierres » qui signifie pluie de pierres dans «les hommes et les femmes sortent des voitures, à découvert, sont accueillis par une radée de pierres […] »[169], l’auteur a préféré employer une fois un équivalent régional de pierre à savoir «bôche ». « J’lui ai balancé une bôche en plein dans la tête, à ce hallouf, il s’est sauvé. »[170]. Il voulait de la sorte prouver sa complète possession et sa maîtrise de la langue française.

 

Il a également eu recours à deux reprises au terme régional «traboule » qui signifie une allée qui traverse de part en part un pâté de maisons.

« En partant de la rue Terme, je suis parvenu jusqu’en haut de la Croix-Rousse en empruntant les traboules. »[171] ; et plus loin, l’auteur ajoute «La fameuse rue se trouve effectivement à quelques pas de l’école. Elle ressemble à toutes les autres avec ses pavés, son gris et ses traboules. »[172].

 

Le mot «fête » a été supplanté par la variation régionale «vogue ». « Sur le retour, nous sommes passés par Villeurbanne pour voir la vogue. »[173].

 

Le terme «pâtis » qui risque de ne pas être assimilé par le lecteur est également expliqué par l’auteur. Il signifie les chiffons et cartons usagés ramassés par les clochards et destinés au recyclage en pâte à papier. Ce terme est utilisé pour mettre en relief les objets que les gones ont collectés du camion venu au lieu de décharge.

« Afin de rapporter les trésors de ma caverne, j’attache un bout de ficelles à ma cagette, y enfouis pêle-mêle livres, assiettes, jouets et chiffons, et la traîne derrière moi sur le chemin caillouteux. Les autres m’imitent, et nous formons bientôt un véritable cortège de pâtis, provoquant sur nos pas un formidable nuage de poussière. »[174]

 

Nous parvenons, ainsi, à la fin de notre étude où nous avons tenté de déceler les traces de la langue parlée dans l’écrit et de jeter la lumière sur les différents répertoires du français parlé. L’exploitation des divers niveaux de langue familier, vulgaire, régional et argotique met en exergue la compétence de l’auteur qui a su varier sa langue en fonction du niveau social des différents locuteurs et des situations de communication, ce qui a donné au roman vivacité et crédibilité.

«Le jeu de l’expressivité «intra-française » (a) fait sa richesse et son originalité : changements constants de registres, de niveaux et de codes linguistiques franco-français ; ce qui donne vivacité et tension au texte(…) »[175]



[1] BLANCHE-BENVENISTE, Claire, Approches de la langue parlée en français, Ophrys, Paris, 1997, p. 147.

[2] MULLER, Bodo, Le français d’aujourd’hui, Klincksieck, Paris, 1985, p.55.

[3] Cf. GSCHWIND- HOLTZER, Gisèle, Analyse sociolinguistique de la communication et didactique, Hatier, Paris, 1981, p.17.

[4] MULLER, Bodo, Op.cit., p. 263.

[5] Cf. Ibid., p. 226.

[6] Ibid., p. 17.

[7] MULLER, Bodo, Op.cit., p. 178.

[8] MAINGUENEAU, Dominique, L’énonciation en linguistique française, p. 124.

[9] RIGAULT, André, La grammaire du français parlé, Hachette, Paris, 1971, p.153.

[10] Le Gone du Chaâba, p. 18

[11] LABOV, William, Op.cit., p. 146.

[12] CHISS, Jean-Louis, FILLIOLET, Jacques, MAINGUENEAU, Dominique, Linguistique française, initiation à la problématique structurale, tome 2, Hachette, Paris, 1978, p. 100.

[13] Le Gone du Chaâba, p. 20.

[14] Le Gone du Chaâba, p. 109.

[15] Ibid., p. 93.

[16] Ibid., p. 83.

[17] Ibid., p. 24.

[18] Le Gone du Chaâba, p. 182.

[19] Ibid., p. 196.

[20] GSCHWIND-HOLTZER, Gisèle, Op.cit., p.37.

[21] Le Gone du Chaâba, p. 194.

[22] Le Gone du Chaâba, p. 195.

[23] Ibid., p. 118.

[24] Le Gone du Chaâba, p. 55.

[25] Ibid., p. 34.

[26] Ibid., p. 171

[27] Ibid., pp. 122-123.

[28] Le Gone du Chaâba, p. 83.

[29] Ibid., p. 204.

[30] Ibid., p. 212.

[31] MULLER, Bodo, Op.cit., p. 250.

[32] Le Gone du Chaâba, p. 196.

[33] Ibid., p. 120.

[34] Ibid., p. 85.

[35] Le Gone du Chaâba, p. 166.

[36] Ibid., p. 231.

[37] Le Gone du Chaâba, p. 185.

[38] CALVET, Louis-Jean, La sociolinguistique, Collection Que sais-je, PUF, Paris, 1993, p. 85.

[39] MULLER, Bodo, Op.cit., pp. 56-57.

[40] Le Gone du Chaâba, p. 95.

[41] Ibid., p. 106.

[42] Ibid., p. 207.

[43] Loc.cit.

[44] Ibid., p. 224.

[45] Le Gone du Chaâba, p. 182.

[46] Loc.cit.

[47] Ibid., p. 184.

[48] Ibid., p. 186.

[49] GUIRAUD, Pierre, Les Gros Mots, collection Que sais-je, PUF, Paris , 1975, p. 25.

[50] Le Gone du Chaâba, p. 95.

[51] Ibid., p. 105.

[52] Le Gone du Chaâba, p. 102.

[53] Ibid., p. 94.

[54] Ibid., p. 104.

[55] Le Gone du Chaâba, p. 184.

[56] Ibid., p. 169.

[57] Ibid., p. 167.

[58] Ibid., p. 119.

[59] Ibid., p. 120.

[60] Ibid., p. 196.

[61] Le Gone du Chaâba, p. 95.

[62] Ibid., pp. 160-161.

[63] YAGUELLO, Marina, En écoutant parler la langue, Seuil, Paris, 1991, p. 76.

[64] Le Gone du Chaâba, p. 195.

[65] Ibid., p. 95.

[66] Ibid., p. 58.

[67] Ibid., p. 64.

[68] Le Gone du Chaâba, p. 182.

[69] GUIRAUD, Pierre, Les Gros mots, p. 114.

[70] Cf. Ibid., p. 95.

[71] Le Gone du Chaâba, p. 101.

[72] Le Gone du Chaâba, p. 101.

[73].Ibid., pp. 59-60.

[74] Le Gone du Chaâba, p. 159.

[75] MULLER, Bodo, Op.cit., p. 50.

[76] Le Gone du Chaâba, p. 197.

[77] Le Gone du Chaâba, pp. 236- 237.

[78] Ibid., p. 22.

[79] Ibid., p. 199.

[80] Ibid., p. 158.

[81] Le Gone du Chaâba, p. 135.

[82],Ibid., p. 30.

[83] Ibid., p. 41.

[84] Le Gone du Chaâba, p. 42.

[85] Ibid., p. 51.

[86] GARMADI, Juliette, Op.cit., p. 88.

[87] Le Gone du Chaâba, p. 52.

[88] GSCHWIND-HOLTZER, Gisèle, Op.cit., p. 16.

[89] Le Gone du Chaâba, p. 123.

[90] Ibid., p. 220.

[91] MAINGUENEAU, Dominique, L’énonciation en linguistique française, p. 143.

[92] MAINGUENEAU, Dominique, L’énonciation en linguistique française, p. 142.

[93] Le Gone du Chaâba, pp. 207-208.

[94] Ibid., p. 222.

[95] Ibid. 103.

[96] Le Gone du Chaâba., p. 190.

[97] Ibid., p. 96.

[98] Ibid., p. 76.

[99] Le Gone du Chaâba, p. 48.

[100] Ibid., p. 204.

[101] Le Gone du Chaâba, p. 30.

[102] Ibid., p. 49.

[103] Ibid., p. 93.

[104] Ibid., p. 223.

[105] Le Gone du Chaâba, p. 58.

[106] Ibid., p. 229.

[107] Ibid., p. 33.

[108] Ibid., p. 177.

[109] Ibid., p. 146.

[110] MAINGUENEAU, Dominique, L’énonciation en linguistique française, p. 74.

[111] BONN, Charles, Littératures des immigrations, tome 1, un espace littéraire émergent, L’Harmattan, Paris, 1995, p. 25.

[112] Le Gone du Chaâba, p. 37.

[113] Le Gone du Chaâba, pp. 40- 41.

[114] Ibid., p. 54.

[115] Ibid., pp. 46- 47.

[116] Ibid., p. 61.

[117] Le Gone du Chaâba, p. 137.

[118] Ibid., p. 168.

[119] Ibid., pp. 220-221.

[120] Ibid., p. 70.

[121] Ibid., p. 159.

[122] Le Gone du Chaâba, p. 157.

[123] Ibid., p. 119.

[124] LABOV, William, Op.cit., pp. 140-141.

[125] Le Gone du Chaâba, p. 158

[126] Ibid., p. 12.

[127] Ibid., p. 30.

[128] Le Gone du Chaâba, pp. 102-103.

[129] Ibid., p. 10.

[130] Ibid., p. 92.

[131] Ibid., p. 231.

[132] Ibid., p. 112.

[133] Le Gone du Chaâba, p. 82.

[134] Ibid., p. 130.

[135] MULLER, Bodo, Op.cit., p. 235.

[136] GUIRAUD, Pierre, Les Gros mots, p. 12.

[137] Ibid., p. 10.

[138] MULLER, Bodo, Op.cit., p. 185.

[139] Le Gone du Chaâba, pp. 47-48.

[140] Ibid., p. 54.

[141] Ibid., p. 50.

[142] GUIRAUD, Pierre, Les Gros mots, p. 23.

[143] Le Gone du Chaâba, p. 52.

[144] Ibid., p. 118.

[145] GUIRAUD, Pierre, Les Gros mots, p. 84.

[146] Le Gone du Chaâba, p. 40.

[147] Ibid., p. 19.

[148] Le Gone du Chaâba, p. 87.

[149] MULLER, Bodo, Op.cit., p. 235.

[150] MULLER, Bodo, Op.cit., p. 214.

[151] Cf. COLIN, Jean-Paul, Op.cit., 1990, p. 97.

[152] Le Gone du Chaâba., p. 54.

[153] Ibid., pp. 70-71.

[154] Le Gone du Chaâba, p. 225.

[155].Ibid., p. 66.

[156] Ibid., p. 66.

[157] Le Gone du Chaâba, p. 169.

[158] Ibid., p. 231.

[159] MULLER, Bodo, Op.cit., p. 157.

[160] WALTER, Henriette, Le français dans tous les sens, Robert Laffont, Paris, 1988, p. 175.

[161] KANNAS, Claude, Op.cit., p. 143.

[162] Le Gone du Chaâba, p. 18.

[163] Ibid., p. 139.

[164] Ibid., p. 32.

[165] Ibid., p. 21.

[166] Le Gone du Chaâba, p. 44.

[167] Ibid., p. 32.

[168].Ibid., p. 61.

[169] Ibid., p. 54.

[170] Le Gone du Chaâba, p. 55.

[171] Ibid., p. 170.

[172] Ibid., p. 187.

[173] Ibid., p. 115.

[174] Le Gone du Chaâba, pp. 39-40.

[175] BONN, Charles, Littératures des immigrations, tome 1, un espace littéraire émergent, p.48.