Université  Paris 13
Formation  doctorale
« Etudes littéraires
francophones et comparées »

LE  DIALOGISME  DANS  LE  ROMAN  ALGÉRIEN
DE  LANGUE  FRANÇAISE

Thèse de Doctorat Nouveau Régime

présentée par Vladimir SILINE

sous la direction du Professeur Charles BONN

1999


Même thèse au format Acrobat Reader (.PDF)

Page d'accueil du site Limag (Littératures du Maghreb)

TABLE  DES  MATIÈRES

INTRODUCTION.. 4

1. Aperçu historique du roman algérien de langue française. 5

2. Aperçu historique des travaux critiques sur le roman algérien. 22

3. Aperçu historique du concept de dialogisme. 37

4. Composition de la thèse. 53

PREMIÈRE PARTIE: L’émergence et l’évolution du dialogisme en Europe. 61

1. Prémices du dialogisme. 62

1. L’indétermination morale. Molière. 62

2. Les hasards du dialogisme. John Milton, l’abbé Prévost et Denis Diderot 72

2. Pionniers du roman dialogique. 83

1. Le psychologisme irrationnel. Fiodor Dostoïevski 83

2. Le monologue intérieur et la temporalité cyclique . Marcel Proust 93

3. Maîtres du dialogisme européen. 103

1. Le récit mythique et le symbole-clé. Franz Kafka. 103

2. Le courant de conscience  et le mythe implicite. James Joyce. 115

4. Conclusions de la Première partie. 126

1. Les influences. 126

2. Le bilan. 137

DEUXIÈME  PARTIE: L’émergence et l’évolution du dialogisme en Algérie. 144

1. Fondateurs du roman dialogique algérien. 145

1. Quatre récits et la temporalité cyclique rompue. Kateb Yacine. 145

2. Un récit et deux mythes implicites. Mohammed Dib. 157

2. Maître du roman dialogique algérien. 171

1. Le Nouveau roman et le dialogisme. Rachid Boudjedra. 171

2. Le récit absurde et le mythe implicite. Rachid Boudjedra. 183

3. Successeurs du dialogisme algérien. 191

1. Le récit politique et une image poétique. Nabile Farès. 191

2. Un double récit mythique et deux symboles-clés. Rachid Mimouni 198

4. Conclusions de la Deuxième partie. 211

1. Les influences. 211

2. Le bilan. 224

CONCLUSION.. 232

BIBLIOGRAPHIE des œuvres littéraires et des ouvrages critiques. 245

1. Oeuvres littéraires. 246

2. Ouvrages critiques. 249

3. Articles. 260

4. Thèses. 268


INTRODUCTION


1. Aperçu historique du roman algérien de langue française.

Un bref aperçu historique est indispensable pour démontrer que l’étude du dialogisme sur l’exemple de la littérature algérienne de langue française n’est pas un hasard. C’est un regard personnel sur l’histoire de la littérature algérienne qui résulte de l’étude des textes et des travaux critiques des auteurs français, maghrébins et russes. Comme tout aperçu, il est schématique et réducteur, mais il permet de délimiter le principal probléme de la thèse qui présente l’intérêt pour la recherche.

*

Les Algériens se mettent à écrire après la première guerre mondiale. Ils s’aventurent dans le journalisme, publient des essais et des témoignages sur plusieurs sujets socio-politiques. Certains critiquent l’influence négative du colonialisme sur la vie des Algériens, d’autres vantent la mission civilisatrice de la France. Bientôt apparaissent les premiers romans. Jean Déjeux les caractérise comme “médiocres et décevants” et témoigne qu’entre 1920 et 1945 les Algériens en publient une douzaine: Ahmed Ben Mustafa, le goumier (1920) de Caïd Ben Cherif, Zohra, la femme d’un mineur (1925) d’Abdelkader Hadj-Hamou et d’autres [1]. Tous ces romans sont exotiques et moralisants. Les écrivains décrivent la vie quotidienne, recourent souvent au folklore et s’adressent toujours au lecteur français. Leur critique retenue ne touche que certains aspects de la morale. D’une façon générale, les romans des années 20 et 30 constituent, selon les chercheurs presque unanimes, la période d’assimilation, d’acculturation ou de mimétisme dans l’histoire de la littérature algérienne. A cette époque, les Algériens maîtrisent suffisamment le français pour pouvoir créer des oeuvres littéraires en imitant leur écrivain préféré.

Une nouvelle étape du développement de la littérature algérienne de langue française commence après la deuxième guerre mondiale. Elle est d’abord caractérisée par l’accroissement de l’activité littéraire des Algériens. Ils créent des cercles, des clubs, des associations littéraires, travaillent dans les rédactions des journaux et des revues. Ils maintiennent également des contacts plus ou moins étroits avec l’Ecole nord-africaine dont ils se séparent bientôt. Bref, la deuxième moitié des années 40 et le début des années 50 est, pour les écrivains algériens, un moment de “scolarité”, d’initiation active à la littérature. En même temps, c’est le moment de rupture avec la littérature précédente, puisque l’époque d’assimilation est dépassée et les romanciers des années 20 et 30 n’écrivent plus. Seul Jean Amrouche continue à produire et s’impose comme maître aux yeux de la nouvelle génération des écrivains algériens.

La parution des romans Le Fils du Pauvre (1950) et La Terre et le Sang (1953) de Mouloud Feraoun, La Grande Maison (1952) de Mohammed Dib et La Colline oubliée (1952) de Mouloud Mammeri est  donc la conséquence de l’accroissement de l’activité littéraire des Algériens après la deuxième guerre mondiale. Ces romans ont marqué le début d’une littérature nouvelle que plusieurs chercheurs considèrent comme authentiquement algérienne. Le trait commun de la nouvelle littérature est son caractère ethnographique, et la période est souvent nommée, elle-aussi, ethnographique. Irina Nikiforova affirme que les romans ethnographiques algériens “sont très proches des essais dont ils dérivent en effet” [2]. Et c’est vrai, car il est possible d’imaginer Le Fils du Pauvre comme une série d’essais ethnographiques liés entre eux par la présence d’un héros. Jean Déjeux note de même que L’Incendie de Dib est basé sur “un reportage effectué par le romancier lui-même sur une grève d’ouvriers agricoles dans la région d’Aïn-Taya” [3].

Certains critiques accusent la littérature ethnographique de régionalisme et d’exotisme. Abdelkébir Khatibi déclare que les romans ethnographiques poursuivent la tradition des algérianistes français [4]. Ghani Mérad considère les années 50 comme prolongement de la période d’assimilation [5]. Jean Déjeux, par contre, note que ces romans possèdent “un sens de dévoilement et de contestation” [6]. Irina Nikiforova, elle-aussi,  définit la fonction ethnographique de ces romans comme “idéologique par excellence” [7]. D’après elle, “la description affectueuse toute seule de la vie traditionnelle agressée par le colonialisme avec sa politique d’assimilation témoignait de l’opposition de l’écrivain à cette époque-là[8]. La contradiction signalée provient du fait que la contestation anticolonialiste des romans ethnographiques est exprimée seulement au niveau de la morale, ce qui rend indirect et atténue son impact politique. Face au lecteur européen, les romanciers algériens affirment le droit à l’existence du mode de vie national, ce qui est présenté comme tout à fait juste du point de vue de la morale humaine, et refoulent le colonialisme comme amoral.

Les romans ethnographiques décrivent la vie traditionnelle et dessinent le “portrait collectif” du peuple, en même temps ils sont biographiques et rappellent le roman d’apprentissage européen qui suit l’évolution du héros depuis son enfance et adolescence. Mais par rapport au roman européen, le héros ne se révolte pas contre la société, tout au contraire, c’est le milieu national qui forme son caractère et sa vision du monde. Cependant la perception du monde de héros est toujours subjective, par conséquent, le roman ethnographique algérien est toujours psychologique, car la vie du peuple y est décrite le plus souvent à travers les sentiments du héros. L’émergence du psychologisme chez les romanciers algériens peut être considéré comme un véritable exploit parce que, comme témoigne Dib, “les Algériens élevés dans un milieu musulman considèrent l’introspéction comme un peu malsaine” [9]. Les écrivains algériens ont transgressé donc la tradition nationale qui interdit l’expression publique des sentiments intimes, et la description psychologique subjective de la réalité devient le trait pertinent de leur littérature.

La période ethnographique, très courte, a été, selon l’observation de Galina Djougachvili, “une période d’essai” [10]. La parution des romans ethnographiques a été dictée avant tout par la volonté de s’exprimer. Les écrivains ont essayé de raconter leur enfance et leur jeunesse, de parler de leurs problèmes et de leurs sentiments, de décrire la vie du peuple dont ils faisaient une partie intégrante. La période suivante, période de guerre, commence, d’après Ghani Mérad, à partir de 1952 [11]. Il prend pour critère la polémique autour du roman  La Colline oubliée de Mammeri qui, pense-t-il, a témoigné de l’accroissement de la contestation anticolonialiste et qui a poussé les écrivains à s’engager dans la lutte pour la libération nationale. Galina Djougachvili rattache le début de cette période au premier novembre 1954, date de la déclaration par le FLN de la lutte armée [12]. Jean Déjeux  préfère l’année 1956. D’après lui, les événements dans les Aurès ne pouvaient se répercuter “automatiquement” sur la littérature. La parution de Nedjma de Kateb Yacine est pour lui un événement plus important [13]. Abdelkébir Khatibi  reporte le début de la période à une date encore plus éloignée, à 1958. Les écarts dans la datation s’expliquent par la transition progressive d’une littérature à l’autre, car l’ethnographie n’a pas disparu subitement et la contestation anticolonialiste, comme on l’a vu, a été également observée dans le roman ethnographique. Peut-être Galina Djougachvili a-t-elle plus raison puisqu’elle s’appuie sur les critères de même nature historique, quoique approximatifs, 1954 et 1962. Mais rien n’empêche d’imaginer une seule période entre 1945 et 1962, période où la contestation implicite au niveau de l’ethnographie est évincée progressivement par la critique plus explicite. D’autant plus qu’en 1962 cette période a abouti à une deuxième rupture dans l’évolution de la littérature algérienne.

Pendant la guerre les écrivains algériens se tournent parfois vers le passé glorieux national, ils sont passionnés par les personnalités éminentes de la science et de la culture, par les héros légendaires de la résistance contre l’envahisseur, ils sont également animés par l’intérêt pour le folklore du terroir. Ils publient des essais historiques, des recueils de contes, de légendes, de poésies, de chansons parmi lesquels L’Eternel Jugurtha (1946) de Jean Amrouche, Chansons des jeunes filles arabes (1953) de Mostefa Lacheraf, Baba Fekrane (1959) de Mohammed Dib, Les Poèmes de Si Mohand traduits par Mouloud Feraoun (1960). Mais le plus souvent les écrivains algériens se penchent sur le problème le plus important à cette époque, sur la confrontation entre deux civilisations dans la vie de leur pays. Les héros de leurs oeuvres se trouvent devant un choix, ils doivent définir leur position vis-à-vis la guerre de libération. Ce choix est surtout douloureux pour l’intelligentsia algérienne de formation française. Par exemple, le héros du roman Le Sommeil du Juste (1955) de Mouloud Mammeri a dû beaucoup souffrir avant de pouvoir renoncer à ses anciens idéaux. C’est bien exprimé dans l’épisode symbolique où il brûle ses livres préférés des écrivains français. Les héros des romans de  Malek Haddad La Dernière Impression (1958), Je t’offrirai une gazelle (1959), L’Elève et la Leçon (1960) se heurtent au même problème. Ils détestent la violence, tâchent de rester à l’écart des événements politiques, mais le sentiment de responsabilité les oblige à partager le destin de leur peuple. A travers les romans d’Assia Djebar, on peut observer comment se forme le même sentiment chez les Algériennes. Dans La Soif (1957), elles sont occupées exclusivement par des problèmes de famille, dans Les Impatients (1958), elles s’intéressent aux événements politiques, dans Les Enfants du Monde Nouveau (1961), elles s’engagent dans la lutte. A cette époque les écrivains algériens ne sont pas toujours optimistes, car le choix à faire est trop dur. On note dans certaines oeuvres l’expression du désespoir causé sûrement par une guerre trop longue et trop sanglante. Le sentiment d’angoisse et d’amertume imprègne Le Métier à tisser (1957) de Dib et Les Chemins qui montent (1957) de Feraoun. Dans Le Quai aux Fleurs ne répond pas (1961) de Haddad le héros en vient à l’idée que les meilleures qualités humaines se meurent dans l’atmosphère de violence et de vengeance. La hausse de la qualité du roman algérien observée à cette époque est considérable. Si le héros des romans ethnographiques ne s’opposait jamais contre la société, dans la littérature des années de guerre le rôle de l’individu s’accroît, il devient plus indépendant et capable de résoudre non seulement des problèmes personnels, mais aussi ceux de la société.

Malgré la contestation anticolonialiste présente dans la littérature algérienne entre 1945 et 1962, il est impossible de la qualifier comme littérature d’engagement nationaliste, car les écrivains n’oublient pas de dévoiler aussi les tares de la société nationale. La discussion politique autour de La Colline oubliée, ainsi que les accusations des nationalistes proférées contre Malek Haddad et Assia Djebar en disent long. On trouve l’explication d’une telle intolérance de la critique dans les paroles de Mohammed Dib : ”On nous a appris à apprécier davantage la dignité que la vérité. Or, le roman exige d’aller au-delà; il faut attenter à la dignité pour aller vers quelque chose qui est parfois cruel, parfois laid: la vérité” [14].  Les romanciers algériens ont donc transgressé encore une tradition, et cela dans une conjoncture défavorable, quand toute atteinte au mode de vie national était qualifiée de traîtrise. La contestation sociale bien prononcée des romans de la période de guerre témoigne donc de leur mâturité.

En 1956 Kateb Yacine a publié son roman Nedjma qui a fait l’événement dans l’histoire de la littérature algérienne. Il a étonné par sa forme originale qui réunit très harmonieusement les éléments de l’oralité nationale avec la technique romanesque de la littérature mondiale moderne. Ce roman que l’on situe souvent dans le cadre de la littérature de guerre est en effet difficile à classer. Basé sur l’oralité, il n’est pas ethnographique. La technique moderne le détache de la littérature algérienne précédente, essentiellement “réaliste”. L’expression de l’engagement que l’on y retrouve se heurte à l’idée de l’échec. Inclassable partout, le roman a eu un grand succès, a été hautement apprécié par la critique littéraire et a exercé une grande influence sur le développement ultérieur du roman maghrébin.

Depuis l’indépendance, c’est la nouvelle période dans l’évolution de la littérature algérienne qui  se manifeste par une deuxième rupture. Mouloud Feraoun est assassiné à la veille de l’indépendance. Malek Haddad s’est tu refusant d’écrire en français. Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Assia Djebar publient un roman chacun, oeuvres conçues sans doute avant l’indépendance, puis changent d’activité: Mammeri choisit l’enseignement, travaille sur la résurrection de la culture berbère, Kateb fonde une troupe de théâtre et s’occupe de la mise en scène de ses pièces en arabe dialectal, Djebar travaille à la télévision nationale et fait du cinéma. Seul Mohammed Dib fait l’exception: installé en France, il continue à produire, comme jadis Jean Amrouche.

Les années 60 sont les années de transition parce qu’une nouvelle génération d’écrivains prend la relève. Ils sont nombreux et publient essentiellement des nouvelles, des témoignages, des mémoires. Aux périodes de transition le roman cède sa place aux petits genres prosaïques qui réagissent plus vite aux changements sociaux. Les nouveaux écrivains publient leurs oeuvres dans les mensuels Novembre et Promesses, dans l’hebdomadaire Algérie Actualité, dans le supplément du quotidien officiel El-Moudjahid, à l’édition SNED. La production en français est abondante, malgré certains pronostics pessimistes. Cela permet à Charles Bonn de noter que depuis 1962 la littérature algérienne de langue française “ne connaît pas de crise” [15]. Depuis 1962 la littérature algérienne change aussi de caractère parce que la plupart des oeuvres sont consacrés à la guerre de libération présentée comme une tragédie. On y décrit le martyre enduré par le peuple et l’exploit de simples gens engagés dans la lutte. Beaucoup de nouvelles sont de qualité médiocre et ont un aspect documentaire. Leurs auteurs ne prétendent pas avoir écrit des oeuvres de fiction et les munissent de sous-titres “vécu” ou “témoignage”. La plupart des nouvelles sont psychologiques, parfois même lyriques, parce que les événements de guerre y sont transmis à travers les sentiments et les impressions des personnages en tant que témoins. C’est la manière des meilleurs auteurs de nouvelles sur la guerre: Mouloud Achour, Tahar Djaout, Laadi Flici, Farouk Zehar. Le psychologisme s’affirme donc dans tous les genres prosaïques en Algérie.

Dans les années 60 les écrivains de la “génération de guerre” posent des problèmes plus complexes dans leurs romans. Les auteurs y réfléchissent sur le destin des hommes et sur l’évolution de la société algérienne toute entière. Dans son roman L’Opium et le Bâton (1965), Mouloud Mammeri décrit la guerre du point de vue d’un intellectuel algérien à travers ses doutes et ses prises de position. Dans Les Alouettes naïves (1967), Assia Djebar parle du courage des Algériennes qui ne veulent pas rester à l’écart des événements politiques et participent activement dans la lutte. Le Polygône étoilé (1966) de Kateb Yacine présente l’histoire de l’Algérie depuis le début de la colonisation jusqu’aux temps nouveaux. Le roman se compose de réflexions philosophiques sur le destin de l’Algérie et d’interprétations allégoriques et ironiques des événements politiques actuels. La composition du roman est fragmentaire parce qu’il n’a pas de sujet bien distinct qui puisse lier ses fragments. Kateb y a reporté certains éléments de la poétique de Nedjma, mais la légende des Keblout ne rend pas le récit plus intègre parce qu’elle ne gouverne pas la structure du texte tout entier. Kateb a peut-être voulu échapper à l’universalité du mythe pour restituer des événements concrets. 

Qui se souvient de la mer (1962) et Cours sur la rive sauvage (1964) de Mohammed Dib occupent une place particulière parmi les romans algériens des années 60. Depuis les années 50 Dib est connu comme auteur de La Grande Maison (1952), L’Incendie (1954) et Le Métier à tisser (1957), une trilogie “réaliste” qui l’a rendu célèbre. Mais dans la postface de Qui se souvient de la mer Dib renonce résolument au Réalisme qui, d’après lui, n’est pas capable d’exprimer, par exemple, le sentiment d’horreur avec autant d’expression que Guernica de Picasso. Il croit que l’on peut mieux transmettre ce sentiment au lecteur par le délire et l’hallucination que par la description réaliste (p. 189). Alors, dans les deux romans, dits de “deuxième manière”, Dib présente la guerre d’Algérie en récits allégoriques rappelant des cauchemars ou des hallucinations. Le choix de la manière est certainement la question de goût, mais la déclaration de Dib a été très importante pour le développement ultérieur de la littérature algérienne parce qu’il renonçait à l’engagement politique et donnait ainsi un exemple aux nouvelles générations d’écrivains. C’est Jean Déjeux qui explique la raison du changement de sa manière en notant que Dib, militant reconnu qui a été “Africain quand il fallait l’être”, déclare lors de la parution de Cours sur la rive sauvage que “le temps de l’engagement est terminé” [16]. La prédilection pour l’esthétique qui s’est affirmée dans la littérature algérienne depuis Nedjma de Kateb et les romans de la “deuxième manière” de Dib supprime le risque de ruptures qui sont forcément les indices d’instabilité d’une littérature engagée, trop attachée à l’événement politique. D’ailleurs, les survivants de la “génération de guerre” qui se remettent à écrire dans les années 80 changent aussi leur manière. Par exemple, La Traversée (1982), le dernier roman de Mammeri, L’Amour, la Fantasia (1985) et Ombre sultane (1987) de Djebar se distinguent par les formes plus originales par rapport à leurs oeuvres précédentes. Nedjma de Kateb et les romans allégoriques de Dib ont exercé une influence si considérable sur les romanciers algériens qu’il convient d’indiquer l’accentuation de la tendance à la recherche formelle comme un des traits saillants de la littérature algérienne des années 70, 80 et  90. Cette tendance a même pénétré dans la littérature de guerre, et le roman La Grotte éclatée (1979) de Yamina Méchakra en sert d’exemple. La romancière a imaginé les événements de la guerre d’Algérie comme un cauchemar parce qu’ils sont présentés du point de vue d’une infirmière du FLN qui a perdu la raison après la mort de sa fille sous un bombardement de la grotte qui servait d’hôpital et la grotte symbolise l’horreur de la guerre d’Algérie..

Dans les années 60,  on observe en Algérie l’émergence d’une littérature moralisante qui  est caractérisée par la simplicité de la forme et la transparence du contenu, ainsi que par une analyse sociale superficielle, le plus souvent émotionnelle. Dans cette littérature les problèmes sociaux importants ne sont jamais exposés, la critique se manifeste essentiellement dans le domaine de la morale. Les maux sociaux sont le plus souvent considérés comme sequelles du colonialisme et sont expliqués par une influence négative des moeurs européens, l’apologie de la morale traditionnelle qui surgit parfois dans les oeuvres leur transmet une nuance nationaliste. Cette littérature didactique se veut accessible au lecteur moyen et préfère le genre de nouvelle, car les romans moralisants ne sont pas nombreux. Parmi ces romans on peut  citer La Chrysalide  (1976) d’Aïcha Lemsine qui analyse la situation de la femme dans la famille et dans la société algérienne, l’injustice y étant considérée comme amorale. Dans Le Déchirement (1980) de Mohammed Chaïb, tous les problèmes proviennent du mode de vie européen, le héros du roman arrive à s’en débarasser grâce à l’initiation aux valeurs morales traditionnelles. Cependant, La Mante religieuse (1976), roman moralisant de Jamel Ali-Khodja, a également subi l’influence de la tendance à la recherche formelle. Contrairement au principe de la transparence de cette littérature, le romancier recourt à l’allégorie transmise par les images fantastiques qui apparaissent dans les visions hallucinatoires du héros et présente la ville de Constantine symboliquement, comme une mante religieuse qui dévore ses mâles.

La tradition de Kateb et de Dib s’est incarnée avec plus de vigueur dans la littérature de la “nouvelle vague”, appelée ainsi par Svetlana Projoguina qui a adopté comme terme l’expression empruntée à Jean Déjeux [17]. Cette littérature, qui recourt à une technique moderne, complexe et variée, se distingue également par une contestation sociale violente qui n’épargne rien dans la société nationale, à partir de la morale traditionnelle jusqu’à la politique officielle et la religion. Le premier venu de la “nouvelle vague” est certainement Mourad Bourboune avec son roman Muezzin (1968). La réalité romanesque, présentée du point de vue du héros aliéné, y est rendue insolite grâce à l’emploi des hallucinations, des éléments de théâtre et de la poésie. Toute cette technique transmet au roman une signification symbolique importante. La contestation de Muezzin est concentrée dans l’image de la mosquée qui est, pour l’auteur, le symbole de l’oppression.

Après Qui se souvient de la mer  et  Court sur la rive sauvage  Dib renonce à l’allégorie trop prononcée. A la lecture de son roman La Danse du Roi (1968), on a l’impression que le romancier a changé de manière encore une fois. Cette “troisième manière” s’est affirmée dans Dieu en Barbarie (1970), Le Maître de Chasse  (1973), Habel  (1977), Les Terrasses d’Orsol  (1985). La réalité présentée dans ces romans du point de vue des héros aliénés n’est pas totalement hallucinante, comme dans les romans de la “deuxième manière”, mais elle est étrange, déformée et contient une contestation sociale assez violente. Par conséquent, tous ces romans s’inscrivent dans la “nouvelle vague”. En ce qui concerne Le Sommeil d’Eve (1989), Neiges de Marbre (1990) et L’Infante maure (1994) qui forment une trilogie “nordique”, il est possible d’évoquer déjà une “quatrième manière” de Dib puisqu’il y traite les problèmes de famille d’une façon lyrique. Mais il vaut mieux dire que Mohammed Dib reste toujours le même, changeant.

L’oeuvre de Rachid Boudjedra est abondante et possède tous les traits propres à la littérature de la “nouvelle vague”. Dans ses romans, l’écrivain recourt aux plusieurs procédés de la littérature mondiale contemporaine auxquels il associe harmonieusement des éléments de l’oralité nationale. A partir de La Répudiation (1969) et L’Insolation (1972) qui ont choqué le lecteur national par une contestation violente et la transgression des tabous traditionnels et jusqu’à Timimoun (1994), le romancier analyse plusieurs problèmes de la vie sociale algérienne d’un point de vue personnel particulier, sous forme d’obsessions d’un narrateur aliéné. Tous ces problèmes, politiques, historiques ou éthiques, revêtent, grâce au symbolisme de ses romans, une signification universelle.

Après Yahia, pas de chance (1970), un roman réaliste sur la guerre d’Algérie, Nabile Farès publie Un Passager de l’Occident (1971) rempli de plusieurs images fantastiques qu’il puise dans la littérature européenne, dans la tradition orale berbère, ou bien qu’il invente lui-même. Ce roman est suivi des autres, pas moins allégoriques: Le Champ des Oliviers (1972), Mémoire de l’Absent (1974), L’Exil et le Désarroi (1976), La Mort de Salah Baye (1980). Toutes ces oeuvres présentent une vision critique de certains aspects de la vie en Algérie indépendante exprimée par les images allégoriques qui habitent les souvenirs et les impressions des héros. Par ces qualités, les romans de Nabile Farès appartiennent, eux-aussi, à la “nouvelle vague” algérienne.

Les traits de la “nouvelle vague” sont visibles également dans quelques romans de Rachid Mimouni: Le Fleuve détourné (1982), Tombéza (1984), L’Honneur de la tribu (1989), Une Peine à vivre (1991), La Malédiction (1993). Dans ces romans, Mimouni recourt à l’allégorie et au grotesque qui rendent absurde la vie décrite du point de vue des héros aliénés. L’absurdité y recèle un grand potentiel accusateur, la contestation de Mimouni touche les points les plus sensibles de la vie sociale et politique en Algérie.

Or, l’évolution de la littérature algérienne de langue française se présente à peu près ainsi. Après la première guerre mondiale les essais et les témoignages des Algériens font naître une douzaine de romans exotiques. Après la deuxième guerre mondiale la littérature exotique est refoulée comme trop bienveillante au  colonisateur. Une rupture s’opère donc entre les romans des années 20 et 30 et les romans ethnographiques qui prennent leur source, eux-aussi, dans des témoignages, mais qui, peu à peu, sont évincés par les romans de meilleure qualité pendant la guerre d’Algérie. A l’indépendance, on observe encore une rupture parce que la littérature des années de guerre est considérée comme insuffisamment engagée. Alors, les écrivains de la nouvelle génération de l’Algérie indépendante s’adressent de nouveau aux témoignages, mais cette fois-ci aux témoignages sur la guerre d’Algérie. Cette tendance commence à produire des romans plus ou moins intéressants. D’autres témoignages qui portent sur la confrontation de deux civilisations en Algérie post-coloniale constituent la base des romans moralisants  simplistes.

Mais la deuxième rupture dans l’évolution de la littérature algérienne n’a pas été  fatale parce que vers la fin des années 60 on observe chez certains écrivains une volonté subite de reprendre tout ce qu’il y a de plus intéressant dans la littérature nationale précédante. Ce phénomène a touché tous les courants de la littérature algérienne, mais il est surtout manifeste dans la “nouvelle vague”. D’abord, c’est le psychologisme particulier qui prend sa source dans le roman ethnographique et qui tourne vers une narration subjective et déformante et, en même temps, touchante par sa franchise. Au récit objectif, lent et plat, les romanciers algériens préfèrent le monologue intérieur d’un narrateur aliéné, psychiquement traumatisé ou naïf. Deuxièmement, lorsque le roman algérien dépasse le didactisme de la littérature ethnographique et  oppose le héros à son entourage, c’est la contestation sociale qui devient sa propriété pertinente, car les romanciers contemporains n’épargnent aucun  aspect de la vie nationale à leur jugement souvent très sévère. Troisièmement, c’est l’exemple de Kateb qui a été le premier à emprunter la dure voie du roman moderne avec toute sa technique complexe et à y introduire de l’oralité nationale d’une façon originale. Enfin, c’est l’exemple de Dib qui a préféré la liberté d’expression à l’engagement politique.

L’aperçu de l’histoire de la littérature algérienne de langue française démontre que l’évolution du roman algérien a été rapide, qu’il a brûlé les étapes faisant son propre choix, trouvant ses propres préférences en quête d’originalité. Il démontre également que tout ce qu’il y a de plus original et de plus intéressant dans le roman algérien est concentré dans la “nouvelle vague” qui continue la tradition de Kateb et de Dib. Apparemment, tous ces écrivains sont différents. Que ce soit Kateb, Dib, Boudjedra, Farès ou Mimouni, chacun d’eux possède sa propre manière reconnaissable où l’on peut, si l’on veut, relever des indices de l’influence de tel ou tel romancier connu. C’est tout à fait possible, car la littérature algérienne est ouverte à tous les vents. Pourtant, tous ces écrivains ont quelque chose de commun. Dans mes travaux, j’ai noté une sorte de dédoublement structurel propre à la plupart de leurs oeuvres. J’ai relevé tout d’abord la présence très fréquente d’un narrateur aliéné, porteur d’un point de vue subjectif irrationnel. Son aliénation est expliquée rationnellement, par un choc psychique quelconque, et se manifeste dans son monologue intérieur hallucinant, délirant ou fabulant. La réalité romanesque présentée d’un point de vue pareil est alors déformée, insolite. En même temps, j’ai constaté la présence d’une conscience non-aliénée qui véhicule une vision du monde rationnelle exprimée indirectement, dans le symbolisme des images insolites, fantastiques ou bien dans des mythes implicites. Alors, j’ai fait la conclusion que ces romans tendent vers l’intellectualité propre à la littérature mondiale contemporaine caractérisée, premièrement, par un désir de l’universalité qui se manifeste dans sa relation étroite avec la philosophie, psychologie, sociologie, mythologie etc.; deuxièmement, par une diversité idéologique parce que la littérature moderne ne donne pas de réponses toutes faites aux problèmes soulevés, mais les expose en toute leur complexité sous deux ou plusieurs perspectives [18].

Insatisfait des conclusions générales, j’ai étudié le fonctionnement structurel du dédoublement de visions et d’idées découvert dans les romans des écrivains algériens et j’ai remarqué qu’il imite les principes du dialogisme, concept connu de Mikhaïl Bakhtine. Premièrement, opposées comme  rationnelles et irrationnelles, les idées exprimées sont incapables de former une synthèse et se trouvent donc en dialogue supposé; deuxièmement, l’appartenance de l’idée irrationnelle au narrateur aliéné et de l’idée rationnelle à un narrateur “secret” rappelle la “personnification des idées”, principe fondamental du concept bakhtinien. Alors, j’ai choisi le dialogisme comme le principal problème de la thèse en se rendant compte que ce concept complexe présente un grand intérêt scientifique, à la fois pratique et théorique.


2. Aperçu historique des travaux critiques sur le roman algérien.

Une revue analytique des travaux critiques est indispensable pour éclaircir la situation dans la recherche de la littérature algérienne. C’est un aperçu rapide des orientations critiques qui ne prétend pas être complet parce qu’il présente seulement les ouvrages des chercheurs français, maghrébins et russes les plus connus, mais qui permet de voir l’état d’étude du dialogisme, ainsi que de délimiter et de formuler le thème de la thèse.

*

D’une façon générale, on distingue dans cette critique une aile “traditionnaliste”, la plus ancienne, avec Jean Déjeux à la tête, et une aile “moderniste”, avec son leader Charles Bonn. La méthodologie des “traditionnalistes” est bien connue, ils recueillent minutieusement toute information possible concernant le texte étudié en dehors du texte. Les trois tomes de La littérature maghrébine d’expression française (1970) de Jean Déjeux étonnent par la quantité d’information sur les auteurs, leurs oeuvres, leurs lecteurs, sur la conjoncture politique, culturelle etc. Même dans une version abrégée, intitulée Littérature maghrébine de langue française (1973) la méthodologie reste la même. Cette version a subi plusieurs rééditions et reste le maître livre de Jean Déjeux. Charles Bonn a signalé quelques défauts connus de ce livre, mais a souligné son importance: “Toute découverte d’une littérature nouvelle et sous-décrite doit commencer par un recensement thématique et une périodisation. C’est ce que fait ce livre essentiel avec assurance et solidité, même s’il apporte moins, déjà, sur le plan de l’analyse proprement littéraire” [19]. En effet, plusieurs parmi nous ont commencé l’étude de la littérature maghrébine avec ce manuel.

Les mêmes trois tomes ont été également réduits à 125 pages dans La littérature algérienne contemporaine (1975, 1979) de la collection Que sais-je? qui a été réécrite et publiée en 1992 sous le titre Littérature maghrébine d’expression française. Selon la tradition, ce livre contient de l’information sur l’écrivain et son oeuvre. Toutes les oeuvres sont présentées chronologiquement, suivant une périodisation délimitée en fonction des thèmes préférés aux époques historiques différentes et par pays. Dans la deuxième partie du livre, Jean Déjeux décrit l’imaginaire de la littérature de trois pays maghrébins en deux aspects: “Espaces” et  “Situations”. Charles Bonn, qui a salué la parution de ce livre, a critiqué sa deuxième partie à cause des “simplifications un peu abusives” et des “clichés préférés depuis toujours” [20]. Jean Déjeux est aussi l’auteur des bibliographies et le co-auteur des anthologies. Il a publié un livre sur l’oeuvre de  Dib, Mohammed Dib, écrivain algérien (1977), un autre sur l’oeuvre de Djebar, Assia Djebar, romancière algérienne et cinéaste arabe (1984). Il a quelques travaux sur la poésie algérienne, La Poésie algérienne de 1830 à nos jours (1964), Jeunes poètes algériens (1981) et d’autres.

L’analyse des textes chez Déjeux est essentiellement thématique,  les titres de ses ouvrages le révèlent: Djoh’a, hier et aujourd’hui (1978), La Ville éblouissante dans la littérature maghrébine de langue française (1981), Le Sentiment religieux dans la littérature maghrébine de langue française (1986). Déjeux étudie l’imaginaire en recueillant ça et là “l’image du soleil”, “l’image de la caverne”, “le mythe de l’ancêtre”, “le mythe de la régénération” etc., et manifeste un penchant pour la psychanalyse surtout visible dans ses études de Qui se souvient de la mer  et  Cours sur la rive sauvage de Dib. Son dernier gros livre Maghreb: Littératures de langue française (1993), à part l’information plus récente sur les écrivains et leurs oeuvres, contient un petit historique sur l’évolution de la critique et sur la situation dans la recherche des littératures maghrébines en France. D’une façon générale, Jean Déjeux s’est montré  un grand amateur des littératures maghrébines qui n’a laissé sans attention aucune oeuvre publiée, aucun auteur paru, qu’il soit important ou non, et recueillait sans cesse de l’information qui lui était accessible. Il ne reste pratiquement pas un seul aspect des littératures maghrébines sur lequel Jean Déjeux ne se soit pas prononcé. Il est pour nous “irremplaçable”, selon le mot de Charles Bonn [21].

Le deuxième personnage important de l’aile “traditionnaliste” est certainement Jacqueline Arnaud avec son oeuvre capitale Recherches sur la littérature maghrébine de langue française. Le cas de Kateb Yacine (1982). L’ouvrage est très grand et très détaillé (1171 pages). Tâchant de donner le maximum de l’information sur Nedjma, roman de Kateb, Arnaud décrit même le voyage qu’elle a effectué au Nadhor, le bled montagneux évoqué dans le roman. L’analyse du texte réalisé par Arnaud est donc traditionnelle: elle retrouve des explications rationnelles du caractère onirique de certains épisodes de Nedjma, par exemple, l’influence du haschisch, interprète le symbolisme de certaines images et découvre au coeur du récit “le mythe de la pureté du sang”. L’étude de la structure de Nedjma est brève et inconséquente parce que, au départ, Arnaud déclare: ”Il est inutile de chercher à ce roman une structure impeccablement agencée” [22]. Charles Bonn a dû remarquer que Jacqueline Arnaud “ne fait guère de véritable analyse de ce texte lui-même” [23]. L’étude des romans de Dib (de Qui se souvient de la mer  à  Habel) présentée dans cet ouvrage, est aussi traditionnelle: Arnaud les tient tous pour allégoriques. L’analyse est donc réduite à l’interprétation des symboles et à la constatation de la présence de tels ou tels mythes.

Le Marocain Abdelkébir Khatibi, l’auteur de Le Roman maghrébin (1968) a choisi trois axes de l’étude: périodisation thématique, typologie du genre et téchnique romanesque. Le Roman maghrébin, un des premiers ouvrages présentant l’évolution périodique des littératures maghrébines, est marqué par certaines imperfections. La périodisation  (1945 à 1953, le roman ethnographique; 1954 à 1958, le roman de l’acculturation; 1958 à 1962, la littérature militaire) y est mal justifiée. La typologie est intéressante, mais simplifie le tableau parce que les romans maghrébins sont en général plus compliqués. Le roman aussi “simple” que Le Fils du pauvre de Feraoun est à la fois ethnographique, psychologique et didactique. La technique définie par Khatibi comme biographique et non-biographique est approximative.

Dans son ouvrage La littérature algérienne d’expression française (1976), le Tunisien Ghani Mérad propose d’abord sa propre périodisation. Il ne sépare pas, par exemple, le roman ethnographique des années 1945 à 1952 du roman de la période d’assimilation des années 30, ce qui est contesté aujourd’hui. Le point le plus intéressant dans son travail est la distinction de deux grands thèmes dans l’évolution de la littérature algérienne: le thème du passé et le thème de l’homme nouveau. En ce qui concerne l’étude de la structure des romans, elle est à l’état de naissance chez les deux chercheurs maghrébins. Khatibi, par exemple, limite l’analyse de la structure de Nedjma par la constatation qu’il y a  chez Kateb “une technique terroriste qui brise la structure propre au roman” [24].

Ce qui distingue les travaux des Maghrébins de ceux des Français, de Jean Déjeux notamment, c’est un certain déplacement des accents dans leurs considérations, que ce soit la périodisation thématique ou l’évaluation des qualités des oeuvres. Par exemple, on note chez Khatibi une attitude négative non justifiée envers les romans ethnographiques et une exaltation pour Nedjma jusqu’à déclarer que “Kateb a révolutionné le roman maghrébin en jetant dans la mer“ toute la littérature maghrébine précédente qu’il accusait de régionalisme et d’un réalisme “étriqué et pauvre” [25].

Les chercheurs russes s’inscrivent tous à l’aile “traditionnaliste”. Les premiers ouvrages La littérature de Maroc et de Tunisie (1968), La poésie algérienne contemporaine de langue française (1970), La littérature francophone des pays du Maghreb (1973) de Svetlana Projoguina et La littérature algérienne contemporaine de langue française (1974) d’Ibarrouri Radjabova sont des études historiques. Le livre Le Roman algérien de langue française (1976) de Galina Djougachvili est plus intéressant parce que, à part la périodisation thématique du roman algérien, il possède quelques observations sur la forme de Nedjma. Galina Djougachvili y voit une synthèse de la forme romanesque traditionnelle avec la structure du mythe d’origine nationale. Elle note également l’aspect fragmentaire de la structure du roman Le Polygône étoilé de Kateb et le présente comme un recueil de témoignages allégoriques. Galina Djougachvili signale la nature mythologique de l’imaginaire dans les romans Qui se souvient de la mer  et  Cours sur la rive sauvage, mais ne les apprécie pas à cause de l’impression d’angoisse et de désespoir qu’ils produisent.

Dans son livre Le Roman africain (1977), Irina Nikiforova étudie la genèse du roman en Afrique, y compris au Maghreb. Elle croit que le roman ethnographique algérien s’est formé de la synthèse des témoignages ethnographiques avec la forme du roman naturaliste français. D’après Irina Nikiforova, l’émergence du roman ethnographique nécessite une condition sociale typique: il se forme dans les sociétés où la conscience collective est dominante et l’individu ne s’oppose pas à son entourage. La méthodologie employée par Irina Nikiforova dans ce livre est historico-typologique, très populaire à l’époque. Cette méthodologie, d’un côté, ne réduit pas l’analyse aux simples influences et aux emprunts en expliquant des ressemblances littéraires par des similitudes sociales. De l’autre côté, elle prévoit, à part l’étude sociologique, une analyse de la forme. Par exemple, Irina Nikiforova, ayant évoqué la contestation des romans de Boudjedra et ayant expliqué ses raisons sociales, analyse les procédés purement formels avec lesquels le romancier a réussi à exprimer cette contestation.

Cette méthodologie reste essentielle chez Svetlana Projoguina, leader reconnu de la recherche des littératures maghrébines en Russie. Depuis le livre Maghreb: Ecrivains francophones des années 60 - 70 (1980) la typologie du développement des littératures du Maghreb est le principal objectif de ses recherches. Dans cet ouvrage, elle étudie des similitudes typologiques chez Khatibi et Benjelloun, chez Boudjedra, Farès et Khaïr-Eddine, chez Memmi et Chraïbi. Dans le livre Frontière des époques, frontière des cultures (1984), elle passe en revue la typologie des littératures du Maghreb sous plusieurs aspects: évolution du roman biographique et évolution de la conscience nationale, interaction de l’élément national et de l’élément étranger, concept de l’individu, sémantique de la chronologie, rapport entre l’art et la réalité. Son livre Driss Chraïbi (1986) est une présentation traditionnelle de l’écrivain et de son oeuvre. Pour les rivages de la Patrie lointaine... (1992) est consacré au thème de l’exil dans les oeuvres des Maghrébins, y compris dans celles des émigrés, étudié, comme toujours chez Svetlana Projoguina, du point de vue de son évolution typologique. Dans un article récent, Svetlana Projoguina propose d’en finir avec l’opposition idéologique surannée entre le “Réalisme” et le “Modernisme” et de transposer ce problème dans son vrai domaine littéraire et exige le droit à l’existence au “subjectivisme épique” (Modernisme) à côté  de l’ ”objectivisme épique” (Réalisme). Svetlana Projoguina a parfaitement raison, même si le problème n’est pas aussi simple [26].

Dans son livre La littérature algérienne de langue française et ses lectures (1974), Charles Bonn découvre dans la littérature algérienne une structure profonde de l’espace et du temps qui fonctionne comme une opposition entre l’Espace maternel et l’Espace-temps de la Cité, univers de l’Autre. Il réalise également une analyse sociologique concernant l’attitude du lecteur algérien envers ses lectures et constate qu’il préfère le discours critique et non pas le discours social officiel. Charles Bonn manifeste le goût pour une étude approfondie des textes dans son grand ouvrage Le roman algérien de langue française (1985). Ce livre n’est pas une étude socio-historique conséquente, même si l’auteur fixe les étapes dans l’évolution du roman algérien: description ethnographique, guerre d’indépendance, “génération de 1962” etc. D’après Charles Bonn lui-même, il étudie dans cet ouvrage la typologie narrative. L’accent est mis, dans ce livre, sur la différence qui existe entre les romans publiés à la SNED, caractérisés par une surdétermination idéologique, simplicité de forme, didactisme et une lecture normative et certains romans qui “dynamitent” la clôture idéologique. La partie la plus intéressante du livre est constituée de l’étude des formes qui servent à mettre en échec le discours idéologique officiel sur l’exemple des romans Le Polygône étoilé de Kateb, Muezzin de Bourboune, La Répudiation de Boudjedra, L’Exil et le Désarroi de Farès, Habel de Dib.  Parmi ces formes, Bonn signale la ruine du monologisme, plurivocalisme, ambiguïté, dérision carnavalesque, parodie, résonnances intertextuelles etc., et donne la préférence à l’étude des structures spatiales qui, plus tard, sera prépondérente dans sa recherche. Pour la première fois donc, Charles Bonn introduit dans cet ouvrage la notion du dialogisme (plurivocalisme, polyphonie) comme une des particularités du roman algérien. Mais cette notion est très vaste et incertaine chez lui.  En étudiant Nedjma, Bonn y signale un “dédoublement au niveau des symboles” et “la polyphonie mythique” [27]. Dans Le Polygône étoilé, c’est “le dédoublement théâtral du signifiant par le carnaval” dû à “une mise en espace du texte” [28]. Dans La Répudiation le plurivocalisme provient, d’après lui, d’une “pluralité des récits en présence, comme des dynamiques narratives d’ensemble du roman” [29].

Dans le livre Problématiques spatiales du roman algérien (1986) Charles Bonn note que les espaces - Terre, Ville, l’Ailleurs - tels qu’ils sont représentés dans les romans algériens, sont a-temporels et que “cette a-temporalité ne peut pas être décrite par un discours idéologique” [30]. Le discours idéologique, d’après lui, “cède en quelque sorte cette fonction à la parole littéraire” [31]. Dans son exemple, “le Nadhor est spatialité inséparable de la signifiance mythique” [32]. Ayant appliqué cette observation à la théorie de Bakhtine sur la polyphonie romanesque, Bonn découvre encore une niche où se forme le dialogisme. Il le voit dans l’opposition entre le sens produit par l’espace a-temporel et le discours idéologique: “La production du sens par un récit”, - écrit-il - “me semble nécessairement spatiale et mytique - les deux notions m’apparaissent ici inséparables - en ce qu’elle passe par la double matérialité du réel et du mythe, par opposition à la production du sens par le discours qui suppose la transparence du signifiant” [33]. Etant donné que le discours idéologique est incapable de décrire l’espace, le récit, selon cette conception, “produit l’espace par sa propre spatialité” [34]. “Cette spatialité syntagmatique est la condition nécessaire de la multiplication des ambiguïtés que j’ai opposées au monologisme du discours”, - souligne Charles Bonn [35].

Dans le livre de Charles Bonn Nabile Farès: La Migration et la Marge (1986), le dialogisme ne fait pas l’objet d’une étude détaillée, mais l’auteur n’oublie pas de noter “l’ambiguïté que la parole de Farès comme celle de l’Ogresse opposent à leur récupération par l’univoque des “dires usurpés” [36]. Par contre, l’étude du dialogisme occupe une place importante dans son livre Kateb Yacine. Nedjma (1990). Dans Nedjma, Charles Bonn distingue trois récits: récit politique, récit biographique et récit mythique. La polyphonie du roman provient, d’après lui, de l’interaction des trois récits. Il énumère les éléments qui servent à produire le dialogisme. D’abord, c’est la “similitude structurelle des récits” [37]. Puis, “l’alternance entre cinq voix narratives: celle du narrateur, certes, mais aussi, celle des quatre personnages principaux”, et la “pluralité de points de vue subjectifs sur le mème événement” [38]. La temporalité de Nedjma produit de la polyphonie elle-aussi, selon Charles Bonn, puisque “la progression du roman se situe presque toujours sur deux niveaux différents, ou davantage” [39]. Ensuite, Charles Bonn signale une multiplication des sens “lorsque images, symboles ou métaphores s’organisent selon une structuration narrative” et “produisent à leur tour une spatialité et temporalité propres” [40]. Enfin, “une des dimensions essentielles de la polyphonie de Nedjma”, notée par Charles Bonn, est l’écriture “double” de Kateb [41]. Or, le point de vue de Charles Bonn sur le dialogisme est partout le même: il le voit d’une façon générale dans l’ambiguïté entre tous les éléments de structure à l’intérieur du texte par opposition à l’intertextualité qui produit de l’ambiguïté entre les éléments du texte donné avec des textes extérieurs à celui-là.

Marc Gontard n’inclut pas le dialogisme en tant qu’objet d’une étude détaillée dans son livre Nedjma de Kateb Yacine. Essai sur la structure formelle du roman (1985), mais il note que la structure de Nedjma “n’est pas sans rappeler la technique musicale d’une harmonie polyphonique” [42]. Son observation sur l’écriture katebienne est également très intéressante. Marc Gontard distingue chez Kateb une technique objectiviste, celle des romans réalistes, et une technique subjectiviste, lorsque l’événement est présenté du point de vue du personnage principal du roman. Alors, Marc Gontard note que “Kateb Yacine opère la synthèse de ces deux conceptions” et qu’il en résulte “cette technique objectiviste, fondée sur l’autonomie des points de vue” qui crée “tout un système d’équivoques” [43].

Dans sa thèse de doctorat d’Etat (En)jeux culturels dans le roman algérien de langue française (1987), Naget Khadda étudie sur l’exemple des romans de Feraoun, Dib, Boudjedra, Tengour un problème immense concernant toutes sortes de rencontres des cultures différentes à l’intérieur des textes. Elle analyse de nombreuses formes-sens, telles que intertextualités culturelles et linguistiques, rapports “même/autre, opposition des visions du monde etc. Elle découvre de nombreux entrecroisements et téléscopages interculturels et conclue que la poétique du roman algérien est un hybride parce que son texte est un lieu de multiples échanges et synthèses. Dans un article sur l’oeuvre de Kateb Yacine, Naget Khadda note qu’en Europe l’art moderne “renonce à livrer un sens cohérant et achevé”, propre à la tradition classique, que l’auteur “perd son aura de démiurge inspiré et apparaît désormais comme un démystificateur qui exploite les données du hasard et multiplie les points de vue pour, non plus délivrer une vérité, mais énoncer un questionnement” [44]. D’après elle, la tendance à la diversité est intentionnelle en Europe, c’est le refus d’une tradition stagnante, tandis que chez Kateb elle est spontanée, car la fragmentation de ses romans “correspondait profondément à la structure même de sa pensée” [45]. Dans un autre article consacré à l’oeuvre de Dib, Naget Khadda note, comme une particularité de Dieu en Barbarie et Le Maître de chasse, la formation du fantastique “à la jonction du surnaturel de la tradition maghrébine et du surréel de la littérature moderne occidentale”  et y découvre la présence de “deux récits ou plutôt deux niveaux narratifs qui sont comme la mise en scène de l’accouplement d’un élément archaïque avec un élément moderne [46]. L’interaction de ces éléments, entre la discussion politique et l’ésotérisme mystique, est sûrement dialogique, mais Naget Khadda n’emploie pas le terme et évoque un “déchaînement narratif provoqué par la confrontation de ces deux composants socio-idéologiques qui constituent l’argument même du roman” [47]. Elle ne mentionne pas le dialogisme, même lorsqu’elle constate la personnification des idéologies: “Dès lors, les deux personnages centraux revêtent la stature de personnages allégoriques représentant la tension entre le rationnel et le mystique” [48].

La thèse de doctorat d’Etat de Beïda Chikhi Conflit des codes et position du sujet dans les nouveaux textes littéraires maghrébins de langue française (1970-1990) est consacrée à l’étude des textes maghrébins “modernes”. La modernité, pour Beïda Chikhi, est un état de crise, mais une crise bienfaisante qui secoue l’inertie. D’après elle, les textes maghrébins se trouvent en position de transformation constante et de quête de formes nouvelles non pas par désir de mimétisme, mais comme une tension interne fondée sur le conflit des codes culturels entre l’Orient et l’Occident qui revêt la forme d’une critique double. Dans son article sur la fragmentation dans les oeuvres de Kateb Yacine, Beïda Chikhi note que c’est “l’effet d’une manifestation brillante de l’inconscient” qui possède en même temps “une grande capacité de simultanéité des effets” [49]. Dans un article sur l’oeuvre de Mohammed Dib, Beïda Chikhi analyse Les Terrasses d’Orsol et y découvre des interactions dialogiques qu’elle présente comme “le double jeu du voile et du dévoilement” et, puisque le dialogisme exige la personnalisation des idéologies, imagine le narrateur comme  “un être double, qui questionne et qui répond dans une relation dialogique” [50]. Elle l’appelle “le Grand Autre” à cause de son origine mythique sacrée [51].

Anne Roche s’intéresse surtout aux interactions intertextuelles qu’elle découvre dans les oeuvres des romanciers maghrébins. Par exemple, dans son article A la faveur d’un équivoque passeport de langue française, elle démontre le caractère profondément intertextuel de l’écriture de Kateb Yacine en découvrant dans ses romans de nombreux échos internes, ainsi que des significations provenant de l’interaction intertextuelle de ses romans avec le genre [52]. Dans Kateb, à lire entre les lignes, elle présente les romans de Kateb comme intertexte très fertile de nombreuses oeuvres contemporaines. Anne Roche crois que “l’écrivain algérien a littéralement appris à lire-écrire avec Nedjma[53]. Elle démontre sa thèse sur l’exemple des romans de Leïla Sebbar, Tahar Wattar, Nabile Farès et conclue que les romanciers algériens n’imitent pas Kateb, mais se réfèrent à ses textes par “relation de dette ou de source” [54].

L’aperçu des travaux critiques démontre que depuis quelque temps la critique “traditionnaliste” est en crise, et Jean Déjeux a exprimé sa déception sur ce sujet dans son livre Maghreb: Littératures de langue française. Il a constaté avec amertume que les études thématiques tournent toujours autour des mêmes sujets: condition des paysans, émigration, condition de la femme, engagement de l’écrivain, aliénation du romancier, guerre de libération; et il a regretté qu’il y ait peu d’études psychanalytiques et comparativistes [55]. Il va sans dire que la critique “traditionnaliste” ne s’est jamais penchée sur l’étude du dialogisme dans les littératures maghrébines. L’aile “moderniste”, par contre, ne connaît pas de crise. Plusieurs thèses sont soutenues, de nombreux ouvrages sont publiés, leur problématique est très variée, les approches sont complexes. Cependant, la critique “moderniste” n’a pas étudié le dialogisme dans tous ses aspects d’une manière détaillée et consécutive. Plusieurs chercheurs se contentent de signaler le dialogisme, juste par intuition, sous quelques appellations: dialogisme, plurivocalisme, polyphonie. Parfois on évoque le monologisme pour l’opposer au dialogisme. Naget Khadda, Beïda Chikhi, Anne Roche étudient le plus souvent l’aspect intertextuel du dialogisme. Se réfèrant à l’intertexte historique et culturel, elles découvrent dans les textes maghrébins toutes sortes d’entrecroisements et de télescopages intertextuels et interculturels. Charles Bonn tient à déceler des rapports dialogiques à l’intérieur des textes. Par analogie avec l’intertextualité, il considère comme dialogique toute interaction structurelle qui produit des significations: interaction des récits, dédoublement spatial et temporel, ainsi que multiplication des sens des images signifiantes incluses dans des structures particulières. La tension de cette analogie est considérable: lorsque Marc Gontard  retrouve une “autonomie des points de vue”, Naget Khadda, une “opposition des visions du monde”, Beïda Chikhi, “le double jeu” d’un narrateur “double”, ils les considèrent aussi comme structures dialogiques produisant des significations qui s’ajoutent aux significations des autres interactions structurelles, et ne se réfèrent pas à la fameuse “personnification des idées” de Bakhtine pour essayer de préciser ou de modifier le concept de dialogisme.

Le choix du thème de la thèse est déterminé d’abord par l’intérêt pratique, par le fait que dans l’histoire de la recherche du roman algérien de langue française il n’existe pas de travaux consacrés entièrement à une étude approfondie du dialogisme, ainsi que par la confusion concernant le concept même du dialogisme qui se manifeste dans des interprétations contradictoires des interactions dialogiques.


3. Aperçu historique du concept de dialogisme.

Cet aperçu est indispensable pour exposer la conception de dialogisme présentée à la soutenance qui est élaborée à partir des travaux de Mikhaïl Bakhtine, des ouvrages des théoriciens français, russes et américains.

*

Dans un ouvrage publié en 1924, Mikhaïl Bakhtine note que l’écrivain se réfère dans ses oeuvres non seulement à la réalité, mais aussi à la littérature précédente, il imagine cette référence comme un “dialogue” constant avec elle, comme une compétition de l’écrivain avec les formes littéraires existantes [56]. Bakhtine arrive à cette réflexion parce qu’il représente la vie intellectuelle du monde comme un grand dialogue, comme un échange d’idées entre les consciences humaines. La “personnification de l’idée” est la condition primordiale de ce dialogue, car chaque homme, de son point de vue, est un homme conscient, avec sa propre perception du monde et porteur d’une idée. Parmi les idées, Bakhtine distingue une idée “achevée” - non litigieuse, morte - que l’on ne discute pas parce qu’elle a perdu son importance; et une idée à part entière - “inachevée” et sans solution, mais pour cette raison, vivante. L’idée, selon Bakhtine, “vit en une interaction continue avec d’autres idées” [57]. L’idée qui vit, d’après lui, n’est pas celle qui, étant “achevée”, reste dans la conscience individuelle, mais celle qui se manifeste dans la communication dialogique entre les consciences; “elle est interindividuelle et intersubjective”, notait-il [58]. Autrement dit, le dialogue est le mode de vie d’une idée.

Ayant constaté l’unité dialectique du mot et de l’idée, Bakhtine a noté qu’ils sont dialogiques “par nature” [59]. Partie de cette thèse de Bakhtine, Julia Kristéva a défini le dialogisme comme la vie d’un mot dans un constant dialogue avec d’autres mots: ”Le dialogisme voit dans tout mot un mot sur un mot, adressé au mot: et c’est à condition d’appartenir à cette à cette polyphonie - à cet espace “intertextuel” - que le mot est un mot plein. Le dialogue des mots/des discours est infini[60]. L’intérêt pour la richesse sémantique du mot à l’époque où prenait de l’empleur la recherche sémiotique des textes est tout à fait compréhensible, mais dans l’interprétation de Kristéva le dialogisme s’avère omniprésent et le concept de Bakhtine qui prévoit la personnification des idées, leur interaction intratextulle et la distinction des textes dialogiques et monologiques apparaît comme incorrect. Tzvétan Todorov parle de “l’échec” de la division des oeuvres en polyphoniques et monologiques [61]. Algirdas Julien Greimas note “l’imprécision de ce concept” [62]. Kristéva n’hésite pas de remplacer, en 1967, le terme “dialogisme” par ”intertextualité” pour se débarasser de l’imprécision indésirable du concept bakhtinien [63].

Kristéva adopte l’intertextualité comme un concept purement linguistique limité uniquement par le domaine de la littérature, comme un “dialogue” entre les textes. Ce concept a été vite reconnu par les critiques d’orientations différentes et a joui d’une certaine popularité. A.J.Greimas, Rolland Barthes, Jacques Lacan, Michel Foucault, Jacques Derrida qui tiennent à prouver la nature linguistique de la pensée humaine trouvent un emploi très large à ce concept parce qu’ils considèrent tout comme texte: littérature, culture, société, histoire, homme lui-même. La culture humaine est pour eux un intertexte unique qui sert de pré-texte pour des textes naissants. Selon la définition canonique de Rolland Barthes, l’intertexte est un champ commun de formules anonymes et de citations inconscientes. D’après lui, chaque texte est formé de fragments des textes précédents empruntés à l’intertexte. Pareils à de vieilles citations, ces fragments revêtent des formes variées et sont présents aux niveaux différénts du texte. L’explication d’une telle présentation de la production des textes remonte à l’idée bakhtinienne de la nature dialogique du mot qui exprime un sens (texte) et rappelle en même temps des sens déjà dits (intertexte). En notant que la langue existe avant le texte et autour de lui, Barthes confirme l’origine linguistique de l’intertextualité puisque c’est la langue qui sert d’intermédiaire entre le texte et l’intertexte [64].

L’interprétation linguistique de l’intertextualité qui a assimilé tout au texte, y compris l’homme, a eu pour conséquence la dissolution “intertextuelle” de l’individu dans le “grand intertexte” de la tradition culturelle. Kristéva parle de la “production impersonnelle” du texte. Foucault  déclare la “mort du sujet”. Barthes  annonce la “mort” de l’auteur, du lecteur et du texte individuel. Leyla Perrone-Moisés présente un tableau bien triste des conséquences de la dépersonnalisation du texte: “L’auteur et son texte ne seront plus des références, des objets forclos et sacrés, mais constitueront un champ infini pour le jeu scriptural, qui en changera constamment le sens, dissolvant leur valeur de vérité” [65].

L’interprétation très large de l’intertextualité a provoqué d’abord une différenciation d’approches qui témoigne d’une tentative d’appréhender ce concept pour le rendre fonctionnel. Perrone-Moisés décrit bien les conceptions de trois personnalités connues: “Le dialogisme de Butor est constructif, le dialogisme de Barthes est disséminateur, le dialogisme de Blanchot est ressasseur. S’il s’agissait d’un travail sur bande magnétique, Butor intercalerait l’enregistrement de plusieurs voix, il fera un collage sonore; Barthes ferait un brouillage de voix superposées [...]; Blanchot enregistrerait une voix neutre disant que tout l’enregistrement doit être effacé” [66].

Plusieurs théoriciens essaient de limiter l’omniprésence de l’intertextualité en la décomposant en plusieurs intertextualités particulières pour les classer ensuite selon leurs fonctions. Laurent Jenny qui tente de résoudre le problème de “frontières de l’intertextualité” indique l’existence de l’intertextualité implicite et explicite [67]. Lucien Dällenbach distingue une intertextualité générale (rapports entre textes d’auteurs différents) et une intertextualité restreinte (rapports entre textes du même auteur) établies par Jean Ricardou [68].  L’approche de Gérard Genette est aussi fonctionnelle parce qu’il a proposé toute une typologie d’interactions des textes: intertextualité proprement dite en tant que “la présence effective d’un texte dans un autre” (citation, allusion, plagiat); paratextualité (titre, couverture, préface, épigraphe); métatextualité qui représente la relation de commentaire entre les textes; hypertextualité unissant un texte à un autre “d’une manière qui n’ est pas celle du commentaire”; architextualité comprise comme relation d’un texte à son genre littéraire [69]. Cette typologie de Gérard Genette se développe en structure solide, concrétise les relations dialogiques entre les textes et doit, par conséquent, devenir fonctionnelle dans la pratique. Pourtant, Daniel Sangsue croit que Genette n’a pas résolu le problème et remarque qu’une des relations, hypertextualité, “risque d’être omniprésente”, comme le dialogisme dans l’interprétation de Julia Kristéva [70].

Comme témoigne Ilya Ilyine, un groupe de chercheurs allemands, U. von Broich, M. Pfister et d’autres, s’est fixé pour l’objectif l’étude de l’intertextualité en tant que formes littéraires concrètes: emprunt, transformation de thèmes et de sujets, citations implicites et explicites, traduction, plagiat, allusion, paraphrase, imitation, parodie, mise en scène, épigraphe etc. Ayant concrétisé les formes de l’intertextualité, ils les ont présentées comme procédés de fiction littéraire qui servent à obtenir tel ou tel effet voulu par l’auteur à l’intérieur d’un texte [71]. Une approche identique est observée dans l’article de Philippe Hamon qui présente le fonctionnement de l’ironie comme un phénomène dialogique: “Par rapport au discours “sérieux” (de type monologique et dépourvu d’ambiguïté), l’ironie est donc un discours double, émis par un énonciateur lui-même dédoublé, pour un public également dédoublé, partagé qu’il est entre ceux qui interprètent “correctement” le message et ceux qui l’intrerprètent littéralement” [72]. La parodie de Daniel Sangsue est également l’exemple d’une approche pareille [73]. L’étude intertextuelle des phénomènes littéraires concrets présente bien leur fonctionnement et prend de l’ampleur. Certains chercheurs, par exemple Thierry Belleguic et Clive Thomson, la considèrent comme une des orientations de la critique dialogique qui se caractérise par l’intérêt “à l’hétérogénéité polyphonique à l’intérieur du texte particulier” [74]. Cependant cette orientation exclut de la considération l’intertexte, et porte ainsi une atteinte au concept de l’intertextualité.

Le coup le plus dur a été infligé à ce concept par Jean Ricardou et Lucien Dällenbach qui, ayant déclaré que l’omniprésence de l’intertextualité prive de sens tout acte de communication, ont proposé une nouvelle typologie qui restitue l’autonomie de l’oeuvre. Dällenbach écrivait: “Soucieux de mettre en cause l’unité d’une oeuvre et la notion corrélative d’Auteur, Ricardou en arrivait fort logiquement à distinguer entre une intertextualité externe et une intertextualité interne comprise comme rapport d’un texte à lui-même[75]. Le dégagement d’une intertextualité interne que Dällenbach qualifie comme “intertextualité autarcique” ou “autotextualité” a bouleversé  le système “classique” érigé par plusieurs chercheurs qui présentent l’intertextualité comme un rapport exclusivement extérieur du texte avec l’intertexte. Pour ne pas affecter l’équilibre du système existant, Dällenbach propose de créer un système parallèle et imagine l’autotexte, une sorte d’intertexte intratextuel défini comme “une réduplication interne” [76].  Dans son interprétation, l’autotextualité est une interaction de discours intratextuels: discours du narrateur sur celui des personnages, discours d’un personnage sur celui d’un autre etc. En outre, Dällenbach considère comme autotextuel le rapport entre la mise en abyme et l’ensemble du texte [77]. Cependant, l’invention de l’autotexte n’a pas atténué le choc, et Greimas n’a pas caché son indignation contre les chercheurs “allant tantôt jusqu’à la découverte d’une intertextualité à l’intérieur d’un mème texte” [78].

Une tentative intéressante de tracer la frontière entre la dépendance intertextulle du texte et son autonomie a été entreprise par Michael Riffaterre. Il présente cette antinomie comme opposition de deux lectures: de la “lecture linéaire” ou contextuelle produisant un sens référentiel qui “résulte des rapports, réels ou imaginaires, du mot avec leurs correspondants non verbaux” et de la “lecture littéraire” intertextuelle produisant la signifiance qui “résulte des rapports entre ces mêmes mots et des systèmes verbaux extérieurs au texte”, autrement dit, à l’intertexte [79]. Pour mieux adopter la lecture intertextuelle à la recherche pratique, Riffaterre propose une définition plus restreinte et fonctionnelle de l’intertexte. Daniel Sangsue note quil joue le rôle d’un “interprétant” chez Riffaterre et le présente comme “l’ensemble des textes que l’on peut rapprocher de celui  que l’on a sous les yeux, l’ensemble des textes que l’on retrouve dans sa mémoire à la lecture d’un passage donné”. Sangsue démontre que la lecture intertextuelle de Riffaterre n’a pas besoin de l’intertexte tout entier pour interpréter un texte et la décrit comme un processus de recherche des significations: “Au fil du texte, le lecteur est arrêté par des non-sens, des “agrammaticalités” (anomalies morphologiques, syntaxiques, sémantiques) une sorte de signaux d’alerte qui indiquent “des significations submergées”. Le fait de pouvoir les rapprocher à un intertexte implicite permet d’accéder à des significations, à la “signifiance” qui, dans le cas de la poésie, est essentielle, car “un poème nous dit une chose et en signifie une autre” [80]. Dans l’interprétation de Riffaterre l’intertextualité est assez fonctionnelle, mais il ne résoud pas le problème de l’omniprésence intertextuelle parce qu’il assimile les deux lectures à la syllepse d’un mot qui l’oblige à constater “l’indécidabilité” du mot sylleptique, et par conséquent, des lectures [81].

Examinons le fonctionnement des deux lectures un peu autrement sur l’exemple du livre de Youri Lotman consacré entièrement aux commentaires du poème Eugène Onéguine (1825-32) d’Alexandre Pouchkine [82]. Lotman interprète les allusions de Pouchkine aux personnes de sa connaissance, aux hommes de lettres et aux hommes politiques, commente les archaïsmes et les citations cachées, explique de nombreuses réalités russes du XIXème siècle. D’une façon générale, ce livre constitue l’intertexte historique et culturel du poème qui assure sa lecture intertextuelle par le lecteur contemporain qui se contentait de la lecture contextuelle parce qu’il ignorait cet intertexte.

Lorsque Pouchkine écrit qu’Eugène avait des cheveux coupés “à la dernière mode” et qu’il était habillé “comme un dandy de Londres”, le lecteur contemporain qui recourt à la lecture contextuelle ne retrouve qu’une partie de l’information, celle qui caractérise le personnage comme un homme qui tient beaucoup à la mode. Il peut seulement essayer de deviner comment est coiffé et vêtu Eugène, mais ce ne sera qu’un tableau imaginaire, subjectif et approximatif, peut-être même faux. La lecture intertextuelle de Lotman informe qu’à l’époque de Pouchkine une coupe courte anglaise a remplacé la coiffure française “à la Titus” et décrit en détails les deux coiffures, ainsi que la veste, le gilet et le pantalon portés par les “dandies” de Saint-Pétersbourg. Lorsque Pouchkine note que Tatiana “savait mal le russe”, le lecteur contemporain accepte cette information comme un détail qui caractérise le personnage. Il en est peut-être même intrigué, mais le contexte n’explique pas pourquoi une demoiselle russe bien élevée sait mal le russe et écrit une lettre à Eugène en français.  Lotman informe qu’à l’époque de Pouchkine les demoiselles parlaient russe, savaient par coeur les prières, mais qu’elles ne pouvaient pas exprimer par écrit des nuances sentimentales. Cependant, elles connaissaient très bien des formes correspondantes en français.

De cette petite étude on peut conclure que la lecture idéale comprend deux lectures, contextuelle et intertextuelle, mais que les deux sont imparfaites. La lecture contextuelle est limitée par le cadre du contexte de la fiction, l’origine fictionnelle du contexte démontre son caractère subjectif, approximatif parce que ce contexte est deviné, improvisé au cours de la lecture. Le lecteur contemporain ne peut que supposer pourquoi Tatiana sait mal le russe. La lecture intertextuelle se réfère à l’intertexte qui n’est pas imaginaire et fournit une information objective dont la perception dépend entièrement du niveau de culture et d’éducation du lecteur. Mais cette information est universelle et indirecte, elle n’explique pas comment exactement est vêtu Eugène, mais quelle était la mode de l’époque. Les vêtements d’Eugéne et sa coiffure sont imaginés par analogie à la mode. La lecture contextuelle et intertextuelle se diffèrent donc comme subjective et objective.

En comparant les deux lectures, on doit noter une certaine autonomie de la lecture contextuelle qui la rend possible en dépit de l’absence éventuelle de la lecture intertextuelle. C’est cette autonomie qui fait les oeuvres littéraires accessibles à tout lecteur. Par exemple, Les Voyages de Gulliver, grâce à l’autonomie de cette lecture, survit comme un livre pour enfants, malgré que Swift l’a fourni d’une quantité d’allusions intertextuelles satiriques et ironiques devenues presqu’imperceptibles aujourd’hui. Joseph et ses Frères de Thomas Mann contient aussi un très grand nombre d’intertextualités, mais comme son récit est basé sur la fable biblique connue, l’autonomie de la lecture contextuelle du roman est très réduite parce que sa fiction imite la conception biblique et ne communique rien de neuf. Chez Thomas Mann, le récit biblique sert plutôt de trame pour de nombreuses intertextualités qui concentrent le gros de l’information et rendent la lecture de Joseph et ses Frères difficile, car elle exige du lecteur de solides connaissances de la Bible, de la philosophie, de l’histoire antique et contemporaine. Grâce à l’autonomie de la lecture contextuelle, l’oeuvre littéraire jouit aussi d’une certaine autonomie et résiste à sa dissolution dans l’intertexte, ainsi qu’à la “mort” de l’auteur et du personnage. Cette autonomie se fonde sur la potentialité du texte de “se lire” tout seul, isolé de ses rapports intertextuels, même si la lecture contextuelle est imparfaite et insuffisante. Il s’agit bien sûr d’une abstraction, car la lecture intertextuelle n’est jamais absente. L’autonomie de l’oeuvre est assurée par la subjectivité du contexte improvisé qui ne peut pas être assimilé à l’intertexte historique et culturel qui fournit une information objective beaucoup plus complète.

La lecture intertextuelle possède une propriété fonctionnelle qui la distingue nettement de la lecture contextuelle. La lecture contextuelle n’est pas réversible, car c’est le contexte qui aide à interpréter les événements et les personnages, et le processus inverse est impossible, car les événements et les personnages n’expliquent pas le contexte improvisé pour les comprendre. L’expression “dandy de Londres” caractérise Eugène, mais Eugène n’explique aucunement le contexte supposé par le lecteur, ce serait absurde. La lecture intertextuelle, par contre, est réversible et fonctionne en deux sens: les rapports intertextuels fournissent l’information sur les événements et les personnages du récit et en même temps caractérisent l’intertexte. La lecture intertextuelle explique pourquoi Tatiana, comme toutes les demoiselles de sa génération, ne sait pas écrire des lettres en russe, mais en même temps elle représente, comme personnage, la société de son époque et son manque d’éducation se transforme alors en défaut social, le “défaut” de l’architexte. C’est la lecture intertextuelle qui représente cet aspect de l’oeuvre qui “reflète la réalité”. Les rapports intertextuels ne sont pas toujours stylistiquement neutres, ils sont souvent affectifs, critiques, satiriques, ironiques etc. dans les deux sens. La lecture intertextuelle est donc dialogique à cause de l’interaction réversible du texte et de son intertexte, la lecture contextuelle est monologique.

Néamoins, la distinction observée entre la lecture intertextuelle dialogique et la lecture contextuelle monologique ne résoud pas le problème de l’opposition bakhtinienne entre les oeuvres dialogiques et monologiques. On ne peut pas quand même accepter la solution très approximative de Daniel Sangsue qui divise les oeuvres en monologiques et dialogiques en expliquant qu’il y a davantage d’intertextualité en prose qu’en poésie, davantage dans le roman que dans d’autres genres prosaïques, davantage dans le roman polyphonique que dans le roman monologique [83]. Pour résoudre ce problème, certains chercheurs proposent de décomposer le dialogisme, par exemple Ken Hirschkop note “le double sens du terme “dialogisme”: à la fois l’état naturel de la langue comme telle et la catégorie valorisée de certains discours” [84]. Gary Saul Morson partage son avis, il distingue, d’un côté, “une description de l’ensemble de la langue” ou bien “une redéfinition de la langue”, de l’autre, “un “dialogue” qui admet, ou plutôt exige un “monologue” en tant que son contraire”. Ce deuxième “dialogue” se distingue, d’après Morson, par la “position discursive particulière des narrateurs” [85]. Dans les deux définitions, le premier aspect du dialogisme est certainement intertextuel, on le devine facilement parce qu’il a été décrit par plusieurs théoriciens. Le deuxième aspect reste irrésolu. L’idée de Hirschkop sur l’opposition dialogisme - monologisme rappelle celle de Daniel Sangsue parce qu’il considère le monologisme comme la “répression du dialogisme naturel” [86]. Morson tient à la “personnification des idées” de Bakhtine en supposant que la solution du problème dépend de la “position discursive” du narrateur.

Examinons alors la position du narrateur sur l’exemple d’Eugène Onéguine. La strophe “le village où s’ennuyait Eugène était un coin merveilleux” nous dit que la position du narrateur par rapport au texte est dominante, c’est lui qui décrit le village et caractérise le personnage, c’est lui qui se caractérise lui-même en qualifiant le village comme “un coin merveilleux”, c’est-à-dire, par l’intermédiaire des qualificatifs qu’il attribue aux personnages et aux événements. Dans cette relation, la position du personnage, par exemple, est nettement subordonnée, il ne peut pas caractériser le narrateur, il ignore même son existence. Les rapports entre le narrateur et l’intertexte sont indirects, car le narrateur se réfère à l’intertexte par l’intermédiaire du texte. Cette référence indirecte est purement fictionnelle. Dans les deux cas, les rapports de narrateur ne sont pas dialogiques. Seulement, lorsque le narrateur évoque au lecteur sa propre existence en forme de digression, on peut constater un rapport intertextuel, comme, par exemple, dans la strophe “sous le ciel de mon Afrique” où Pouchkine rappelle au lecteur son origine africaine. La domination du narrateur provient de sa fonction du producteur du récit, cette fonction est aussi indirecte parce que derrière lui on devine toujours un auteur. Sa domination se manifeste dans l’agencement structurel du récit qui rassemble toutes les significations obtenues par la lecture contextuelle et intertextuelle de façon que l’ensemble de significations exprime une idée générale. C’est le narrateur qui représente l’idée que l’on attribue généralement à l’auteur qui se cache derrière le narrateur, mais qui en porte la responsabilité. D’ailleurs, c’est ce rassemblement des significations qui amortit les pertes dûes à l’imperfection des lectures. Or, on peut conclure de cette analyse que la lecture contextuelle et intertertextuelle appartiennent au niveau linguistique du texte, tandis que le narrateur représente le niveau idéologique du texte, c’est lui qui personnifie l’idée tout à fait dans l’acception de Bakhtine.

Essayons de définir le dialogisme du niveau idéologique, mais pour cela, commençons par le monologisme. C’est Hirschkop qui propose de définir avant tout le monologisme et pose cette question: “En effet, c’est le status du monologisme qui est le plus problématique: si le dialogisme est une propriété de la langue, alors qu’est-ce qui produit le monologisme?” [87]. Au niveau linguistique, c’est la lecture contextuelle qui est monologique, au niveau idéologique, le monologisme est bien présenté par Gilbert Durand qui divise tous les récits en deux groupes parce que, d’après lui, leurs structures se composent selon deux régimes de l’imaginaire: régime diurne ou de l’antithèse et régime nocturne ou de la synthèse [88]. Le récit du régime diurne représente un combat, une action contre tout ce qui évoque le temps, le mal, la mort. Le récit du régime nocturne refuse le combat et cherche à transformer le mal en le rendant supportable ou agréable et en changeant les valeurs. Schématiquement, on peut présenter les deux régimes ainsi: A > B = A  et  A + B = C.  Il est évident que les récits des deux régimes sont parfaitement monologiques parce qu’ils tendent vers l’unicité: l’antithèse implique la victoire d’une force sur une autre ou la domination d’une idée sur une autre; la synthèse représente la transformation des deux dans une forme différente, mais unie. Durand imagine la synthèse comme “conversion” ou “euphémisme”[89]. Or, le dialogisme du niveau idéologique doit se présenter comme interaction réversible (par analogie avec l’intertextualité) de deux idées (ou plus) qui doivent forcément appartenir à deux narrateurs (ou plus), et par conséquent, les structures du récit doivent être dédoublées et les lectures (contextuelle et intertextuelle) doivent être doubles.

Cette définition du dialogisme idéologique ne contredit pas la définition de Bakhtine. Premièrement, elle admet sa thèse que le dialogisme s’établit au niveau des idées personnifiées. Bakhtine soulignait toujours l’importance de la personnification des idées pour une oeuvre dialogique; d’après lui, elles y gouvernent tout: “L’idée en tant qu’objet de représentation et dominante dans la construction du personnage, amène à la désagrégation de l’univers du roman au profit des univers des personnages, et c’est l’idée maîtresse de ceux-ci qui dicte la forme et l’organisation” [90]. Deuxièmemnt, cette définition accepte que la distinction entre les oeuvres monologiques et dialogiques se manifeste également au niveau des idées personnifiées. Pour Bakhtine, une oeuvre est monologique lorsque “toutes les idées affirmées se fondent dans l’unité de la conscience de l’auteur qui regarde et qui représente” [91]. Par contre, dans une oeuvre dialogique “les idées sont distribuées entre les personnages, non pas en tant qu’idées valables en soi, mais en tant que manifestations sociologiques ou caractérologiques de la pensée” [92]. Troisièmement, cette définition correspond tout à fait à l’affirmation de Bakhtine que “les rapports dialogiques sont [...] impossibles entre différents textes” parce que le dialogisme idéologique s’établit effectivement à l’intérieur d’un seul texte [93].

La confusion qui existe entre le concept de dialogisme de Bakhtine et l’intertextualité peut être expliquée par le fait que Bakhtine n’a pas tracé une frontière distincte entre le niveau idéologique et le niveau linguistique du texte. Ayant constaté que les idées personnifiées régissent à tous les niveaux d’une oeuvre dialogique, jusqu’à sa composition, que “tout le roman polyphonique est entièrement dialogique”, Bakhtine passe à l’étude des modes de représentation du dialogisme [94]. D’abord, il découvre que l’opposition des idées se manifeste non seulement dans les dires des personnages, mais aussi dans des contradictions structurelles et il note: “Les rapports dialogiques s’établissent entre tous les éléments structuraux du roman, c’est-à-dire qu’ils s’opposent entre eux, comme dans le contrepoint” [95]. Ensuite, Bakhtine trouve les indices du dialogisme au niveau du mot et constate: “Le dialogue finissait par pénétrer dans chaque mot du roman, le rendant bivocal, dans chaque geste, chaque mouvement du visage de héros, traduisant leur discordance, leur faille profonde. On aboutissait ainsi à ce “microdialogue”qui définit le style verbal de Dostoïevski” [96]. D’après Bakhtine, le dialogisme des idées personnifiées qui s’installe au niveau des narrateurs doit être soutenu par les structures du récit et même se répercuter dans chaque mot du texte. Le concept de Bakhtine et celui de Julia Kristéva se distinguent donc comme “macrodialogue” idéologique, interpersonnel et intratextuel, et “microdialogue” linguistique, dépersonnalisé et intertextuel qui fait partie du “macrodialogue” bakhtinien. L’intertextualité, par conséquent, n’est pas le dialogisme à part entière, mais une de ses manifestations et sa  partie intégrante.

Or, l’étude proposée est en quelque sorte une tentative de “retour à la source”, au concept de Bakhtine, parce que la conception de dialogisme de la thèse est basée sur le “macrodialogue” des idées personnifiées qui se manifeste au niveau idéologique du texte. L’intérêt théorique qu’elle présente est prouvé par le fait que depuis Bakhtine il n’y a pas eu de travaux de recherche qui aient développé ses idées, car les chercheurs considèrent le dialogisme bakhtinien comme “imprécis” et se tournent en général vers l’intertextualité, concept linguistique dérivé du dialogisme. La conception théorique de la thèse est élaborée donc à partir des principes dialogiques de Bakhtine qui sont justifiés par les idées des chercheurs contemporains. Elle ne renie pas l’intertextualité et l’intertexte et résoud le problème de “l’imprécision” du concept bakhtinien en traçant une frontière entre les niveaux de fonctionnement de l’intertextualité et du dialogisme.

 


 4. Composition de la thèse

L’aperçu Composition de la thèse présente les principaux éléments de la thèse indispensables pour une recherche efficace. Ce sont : objectif de recherche, corpus étudié, méthodologie de recherche, structure de la thèse.

*

1. La présentation de l’objectif de recherche est indispensable pour indiquer le résultat prévu de la recherche qui sert à prouver la validité de la conception de dialogisme proposée à la soutenance et à justifier l’intérêt pratique et théorique qu’elle présente.

L’objectif de recherche est déterminé en fonction du thème de la thèse, il prévoit d’abord l’étude de l’évolution structurelle et fonctionnelle du dialogisme depuis ses origines jusqu’aux romans dialogiques “classiques” pour passer ensuite à l’étude des particularités dialogiques des romans algériens. L’objectif fixé permet de tirer des conclusions sur la variété formelle et le fonctionnement structurel du dialogisme et d’élaborer un modèle dialogique universel.

2. Pour atteindre l’objectif fixé, il fallait constituer le corpus de la thèse en retrouvant dans l’histoire de la littérature les oeuvres dialogiques. Sa présentation sert à prouver que le choix de ces oeuvres n’est pas fortuit et qu’elles reflètent bien l’évolution du dialogisme.

Contrairement à ce qu’on peut penser, ce n’était pas très difficile de repérer les oeuvres dialogiques parce que elles se trouvent parmi les plus complexes et, pour cette raison, elles sont aussi parmi les plus étudiées. Ces oeuvres sont présentes pratiquement dans tous les manuels d’histoire de la littérature et se distinguent par leurs interprétations contradictoires dûes à l’approche monologique traditionnelle.

La toute première oeuvre dialogique du corpus des oeuvres antérieures aux romans algériens est certainement la comédie de Molière Le Misanthrope, l’opposition des idées et des personnages qui les représentent y est bien nette parce qu’elle est intentionnelle. Le Paradis perdu de John Milton et Manon Lescaut de l’abbé Prévost contiennent certaines structures dialogiques qui contredisent l’idée maîtresse, mais  cet effet n’a pas été voulu par les auteurs. La comédie de Diderot Est-il bon? Est-il méchant? exprime une idée litigieuse et ambiguë, mais cette oeuvre est monologique parce que cette idée est représentée par un seul personnage.

Le premier roman dialogique a été créé par Dostoïevski qui a réparti plusieurs idées contradictoires parmi plusieurs personnages et s’est distancé d’eux pour produire un choeur dialogique. L’Immoraliste d’André Gide a répété l’expérience de Diderot en exprimant une idée monologique, mais contradictoire. Marcel Proust ne se posait pas pour objectif d’installer le dialogisme dans son roman A la Recherche du temps perdu, mais l’effet contradictoire produit par la structure temporelle cyclique fermée a eu des conséquences très importantes, car le romancier a été le premier à répartir les idées opposées entre le plan direct et indirect de contenu.

Si le dialogisme des romans de Dostoïevski et de Proust possède certaines imperfections, Franz Kafka et James Joyce ont élaboré des modèles dialogiques presque parfaits. Franz Kafka a développé la découverte de Proust dans sa nouvelle La Métamorphose en opposant le contenu direct du récit à son contenu indirect exprimé par le symbole-clé. James Joyce a instauré le dialogisme de la même façon, mais dans Ulysse le symbole a été remplacé par le mythe.

Le dialogisme de Kafka et de Joyce n’a pas été perçu par leurs contemporains. Les successeurs de Joyce poursuivent la tradition du “courant de conscience”, mais négligent le dialogue des idées. Parmi leurs oeuvres on peut citer La Promenade au phare de Virginia Woolf et Le Bruit et la Fureur de William Faulkner. Lorsque Thomas Mann fait recours au mythe, ce n’est pas non plus pour rendre dialogique son roman Joseph et ses Frères. Deux romanciers latino-américains, Miguel Angel Asturias et Alejo Carpentier, introduisent dans leurs romans Monsieur le Président, Les Hommes de maïs et Le Règne de ce monde deux perspectives de narration, rationnelle et mythologique, mais les deux sont dominés par l’idée d’auteur monologique.

La parution, après Kafka et Joyce, d’une quantité de romans dialogiques en Algérie est surprenante. Ce deuxième volet du corpus commence par Nedjma de Kateb Yacine qui a instauré le dialogisme grâce à l’introduction d’une légende d’origine nationale et le symbolisme de la rupture de la temporalité du récit. L’influence de Kateb exercée sur la littérature algérienne est extraordinaire, c’est lui qui a greffé le dialogisme au roman algérien. La plupart des romans de Mohammed Dib, de Qui se souvient de la mer et Cours sur la rive sauvage et à sa trilogie “nordique”, sont dialogiques. Dib recourt aux mythes et aux symboles-clés dont les idées se trouvent en interaction dialogique avec le contenu des récits. Le dialogisme est présent dans tous les romans de Rachid Boudjedra, sauf Timimoun. Boudjedra introduit lui-aussi des mythes d’origine différente ou bien des symboles-clés qui contredisent l’idéologie irrationnelle des narrateurs. A partir de Un Passager de l’Occident Nabile Farès oppose dans ses romans une image symbolique heureuse au contenu lugube du récit. Dans ses romans Le Fleuve détourné, Tombéza, L’Honneur de la tribu, Rachid Mimouni présente deux symboles qui sont liés entre eux comme cause et conséquence d’un problème social. L’information contenue dans ces symboles se trouve en relation dialogique avec le récit de narrateur torturé mentalement par ce problème parce qu’il ignore sa nature.

Le phénomène de dialogisme algérien est surtout étonnant parce qu’ailleurs les oeuvres dialogiques sont rarissimes. Un seul roman Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez pour toute la littérature latino-américaine ne permet pas d’admettre qu’il existe un courant du roman dialogique latino-américain. On ne peut pas non plus parler d’une tendance dialogique du roman kirguiz ou soviétique parce que Tchinguiz Aïtmatov a écrit deux romans dialogiques : Une Journée plus longue qu’un siècle et Les Rêves de la louve. Cependant, il est tout à fait possible d’affirmer que le dialogisme idéologique se présente comme une propriété pertinente du roman algérien.

3. La méthodologie de recherche est élaborée en fonction de l’objectif de recherche. Sa présentation sert à expliquer comment sont étudiés les oeuvres et à prouver que l’approche choisie est capable d’atteindre cet objectif et de soutenir la conception théorique de la thèse.

La méthodologie employée est complexe. Elle est tout d’abord génétique parce que le travail commence par l’étude des prémices du dialogisme qui se manifeste d’abord dans Le Misanthrope de Molière dont l’examen démontre l’origine théâtrale du phénomène. Cette observation est confirmée par l’étude de la comédie de Diderot Est-il bon? Est-il méchant?. L’exploration du phénomène à partir de son origine permet de détecter ses particularités les plus secrètes grâce à la simplicité de la forme originelle et de suivre l’évolution du phénomène qui se complique et se diversifie avec le temps.

Elle est également historico-comparative parce que les oeuvres sont étudiées en diachronie, comme évolution d’une tendance du XVIIème siècle à nos jours, tendance qui émerge en Europe chez Molière, se développe dans les romans de Dostoïevski et Proust, dans les oeuvres de Franz Kafka et James Joyce et se répend à travers le monde, car on découvre le dialogisme dans les romans de Kateb Yacine, Mohammed Dib, Rachid Boudjedra, Nabile Farès, Rachid Mimouni, Gabriel Garcia Marquez, Tchinguiz Aïtmatov. Les oeuvres sont donc analysées progressivement, selon une chronologie linéaire. Leurs particularités dialogiques sont recensées et comparées entre elles afin d’en tirer des conclusions.

L’aspect suivant de la méthodologie est typologique parce que les oeuvres étudiées sont présentées comme des modèles dialogiques originaux. Le premier modèle dialogique a été élaboré par Molière dans la comédie Le Misanthrope. Certains indices de dialogisme se manifestent sous forme de dissonances à l’idée de l’auteur dans Le Paradis perdu de John Milton et  Manon Lescaut de l’abbé Prévost. Le premier modèle de roman dialogique a été proposé par Dostoïevski, dans son modèle les idées divergentes sont réparties entre les personnages. Marcel Proust a modifié le principe du dialogisme en installant l’interaction dialogique entre les plans de contenu direct et indirect. Les modèles “classiques” ont été élaborés par Franz Kafka et James Joyce qui recourent à la psychologie irrationnelle pour rendre insolite le contenu du récit. A ce contenu Kafka oppose l’idée du symbole-clé, Joyce, la conception du mythe implicite. Ensuite le dialogisme se répend en Algérie, ailleurs les oeuvres dialogiques sont extrêmement rares.

Une étude structurelle du dialogisme est aussi très importante parce que le dialogisme exige des structures particulières qui permettent de créer une interaction des idées divergentes. L’interaction dialogique est toujours basée sur l’opposition des idées personnifiées qui exclut toute possibilité de synthèse, alors, les fonctions des personnages porteurs des idées et les modes d’expression de ces idées sont très importants dans une oeuvre dialogique. Par exemple, dans le modèle de Dostoïevski, les idées divergentes sont réparties entre les personnages rendus ni positifs ni négatifs grâce au recours à la psychologie irrationelle qui sert à sauvegarder l’égalité dialogique des idées. James Joyce recourt au mythe implicite dont la conception est opposée au contenu du récit exposé par les narrateurs aliénés. L’irrationalité du récit est exprimée par le mode particulier de son agencement nommé “courant de conscience”. Dans les deux cas, la psychologie irrationnelle des narrateurs est un procédé purement conventionnel, et l’analyse psychologique est exclue de la méthodologie de recherche.

Enfin, la méthodologie inclut une approche fonctionnelle parce que chaque élément de structure des modèles dialogiques est étudié du point de vue de son fonctionnement qui assure une interaction dialogique. Cette étude est la plus minutieuse, car le dialogisme exerce une influence considérable sur tous les niveaux structuraux: sur l’écriture et le mode de narration, sur le personnage et l’événement; il exige des structures spatiales et temporelles particulières, ainsi que l’introduction des symboles et des mythes.

4. Il est également nécessaire de présenter la structure de la thèse pour démontrer qu’elle correspond à la logique de la méthodologie employée et qu’elle permet d’atteindre l’objectif fixé.

La structure de la thèse est basée sur le principe d’une étude consécutive du phénomène: d’un auteur à l’autre, d’un modèle dialogique à l’autre. Ce principe permet d’appliquer l’ensemble de la méthodologie à l’étude de chaque modèle. La thèse contient une Préface, deux Parties, Conclusion et Bibliographie.

La Préface se compose d’un Aperçu historique du roman algérien de langue française qui permet de déterminer le dialogisme comme problème présentant l’intérêt pour la recherche; d’un Aperçu historique des travaux critiques sur le roman algérien qui permet de formuler le thème de la thèse et de justifier l’intérêt pratique de l’étude du dialogisme; d’un Aperçu historique du concept de dialogisme qui sert à définir la conception à soutenir et à prouver l’intérêt théorique de l’étude du dialogisme; d’une présentation de la Composition de la thèse qui formule l’objectif de la recherche, argumente le choix du corpus, décrit la méthodologie employée et la structure de la thèse.

La Première partie, intitulée L’émergence et l’évolution du dialogisme en Europe présente la genèse du phénomène et les premiers modèles dialogiques, décrit leurs particularités et leur évolution jusqu’au XXème siècle. Elle se compose de 4 chapitres: 1. Prémices du dialogisme; 2. Pionniers du roman dialogique; 3. Maîtres du dialogisme européen; 4. Conclusions de la Première partie. Chaque chapitre inclut deux sous-chapitres. Le premier chapitre : L’indétermination morale. Molière et Les hasards du dialogisme. John Milton, l’abbé Prévost et Denis Diderot ; le deuxième : Le psychologisme irrationnel. Fiodor Dostoïevski et Le monologue intérieur et la temporalité cyclique. Marcel Proust ; le troisième : Le récit mythique et le symbole-clé. Franz Kafka et Le “courant de conscience” et le mythe implicite. James Joyce ; le quatrième : Les influences et Le bilan.

La Deuxième partie, intitulée L’ émergence et l’évolution du dialogisme en Algérie, est consacrée à l’étude du dialogisme dans les romans algériens de langue française. Elle se compose aussi de 4 chapitres: 1. Fondateurs du roman dialogique algérien; 2. Maître du roman dialogique algérien ; 3. Successeurs du dialogisme algérien ; 4. Conclusions de la Deuxième partie. Chaque chapitre contient également deux sous-chapitres. Le premier chapitre : Quatre récits et la temporalité cyclique rompue. Kateb Yacine et Un récit et deux mythes implicites. Mohammed Dib ; le deuxième : Le Nouveau roman et le dialogisme. Rachid Boudjedra et Le récit absurde et le mythe implicite. Rachid Boudjedra ; le troisième : Le récit politique et une image poétique. Nabile Farès et Un double récit et deux symboles-clés ; le quatrième : Les influences et Le bilan.

La Conclusion de la thèse présente le bilan de l’étude réalisée: expose l’évolution des particularités des modèles dialogiques étudiés et décrit le mécanisme fonctionnel universel du dialogisme.

La Bibliographie présente la liste des oeuvres littéraires étudiées et des travaux critiques utilisés. Elle se compose de 4 parties : Oeuvres littéraires, Ouvrages critiques, Articles, Thèses.


PREMIÈRE PARTIE:
L’émergence et l’évolution du dialogisme en Europe



1. Prémices du dialogisme

1. L’indétermination morale. Molière

Le tout premier modèle dialogique a été élaboré par Molière dans sa comédie Le Misanthrope (1666) à partir de certains principes du Classicisme. Grâce au comique de caractère, sa découverte connue, il a égalisé les personnages et leurs idées en créant une indétermination morale et a opposé leurs idées divergentes comme rationnelle et irrationnelle.

*

L’histoire de la littérature a connu un long conflit entre deux tendances, tendance à l’unicité et tendance à la diversité. La première est monologique parce qu’elle implique les oeuvres construites selon une seule logique et exprimant les idées d’une seule personne, de l’auteur. L’auteur est seigneur dans le royaume de ses oeuvres, les personnages sont des esclaves guidés par leur maître. Programmés comme positifs ou négatifs, ils ne font que confirmer la “vérité” de l’auteur dans leurs dires ou par leur comportement. La littérature monologique est donc une littérature d’affirmation qui impose un point de vue bien défini et rationnel. A partir de la fin du XIXème siècle c’est la littérature dialogique qui commence à se développer. Tzvetan Todorov présente son émergence comme une vraie victoire: “La solution du conflit sera une victoire de la tendance à la diversité, incarnée à son sommet par les romans de Dostoïevski”  [97]. Les oeuvres dialogiques expriment deux ou plusieurs points de vue sur le même problème. C’est une littérature d’interrogation qui invite le lecteur à réfléchir et à se faire une opinion.

Mikhaïl Bakhtine a noté que la littérature européenne est essentiellement monologique, mais que le dialogisme est né au sein de cette littérature [98]. Et il avait raison, car les efforts entrepris pour retrouver des oeuvres dialogiques dans la littérature européenne des siècles passés ont finalement abouti à la découverte de la comédie Le Misanthrope de Molière où le grand dramaturge a tenté pour la première fois le dialogisme, étant bien conscient de son expérience. Dans cette comédie Molière présente deux philosophies différentes personnifiées dans deux personnages, Alceste et Philinte. Alceste est un critique intransigeant des vices de la société de l’époque, il voit partout l’hypocrisie et le mensonge, la médisance et la flatterie. Il ne tolère pas le moindre défaut humain et devient misanthrope parce qu’il condamne la société toute entière sans faire la distinction entre les bons et les méchants. Alceste préfère dire la vérité en toute circonstance, mais il pousse sa franchise jusqu’à la brutalité. Sa critique est juste, mais il s’emporte pour des futilités et devient ridicule, il transgresse les lois de décence et se rend désagréable et insupportable même pour ceux qui l’aiment. Par conséquent, Alceste subit l’échec partout et quitte la société pour s’isoler dans un “endroit écarté / Où d’être homme d’honneur on ait la liberté”. Philinte, son antagoniste, prêche la tolérance envers les moeurs humains. En principe, Philinte est d’accord avec la critique de son ami Alceste, mais il n’accepte pas son intransigeance, il ne veut pas détester le monde entier parce qu’il croit que l’homme est faible de nature et que l’on doit lui pardonner certains défauts. Philinte respecte les règles de décence de son milieu, il est indulgent, complaisant et flatteur, il veut à tout prix être gentil pour être aimé, même s’il n’est pas sincère parfois. En résultat, il en tire un grand profit, il n’a pas d’ennemis et réussit dans la vie.

La comédie traditionnelle est monologique et construite selon le régime de l’antithèse de la classification de Gilbert Durand: A > B = A. L’une des idées de la comédie est dominante, elle est exprimée par le personnage positif intelligent dont chaque propos est attribué presqu’automatiquement à l’auteur, ce rapport est direct et exprime l’idéologie de l’oeuvre toute entière. Les personnages négatifs, ridicules, stupides ou méchants, ne font que confirmer par leur comportement et leurs dires l’idée maîtresse de l’oeuvre parce qu’ils subissent toujours un échec, tandis que le personnage positif réussit dans ses entreprises et prouve ainsi la justesse de cette idée. Comme l’opposition des idées personnifiées divergentes selon le régime diurne ne permet pas d’installer le dialogisme, Molière a dû élaborer un nouveau mode de leur opposition qui renverse la tradition monologique. La découverte de Molière consiste en ce qu’il a réussi à établir une égalité parfaite des idées opposées par le biais de l’égalité des personnages qui représentent ces idées. Du premier coup d’oeil, Alceste, un homme droit et honnête, paraît capable d’assumer la fonction de personnage positif, et son idée peut être attribuée à l’auteur, mais Molière rend Alceste ridicule et malencontreux, le privant ainsi du droit de représenter l’idée maîtresse. Philinte personnifie une idée divergente, mais comme c’est un personnage négatif de toute évidence, cette idée ne peut appartenir à l’auteur. Cependant, Philinte n’est pas un personnage négatif traditionnel, il ne confirme pas l’idée de l’auteur par son échec parce que Molière lui a ajouté une qualité positive: c’est un veinard qui réussit à retrouver l’amour d’une femme, tandis qu’Alceste perd Célimène. L’égalité des antagonistes, mi-positifs mi-négatifs, et par conséquent, l’égalité des idées opposées qu’ils personnifient sont donc basées sur “l’indétermination morale”, selon le terme de Pierre Voltz [99]. Grâce à cet équilibre dialogique, Molière se distance de ses personnages et se soustrait de l’obligation de porter un jugement monologique parce qu’Alceste et Philinte, libérés tous les deux de l’emprise idéologique de l’auteur, paraissent indépendants dans l’expression de leurs idées. Les efforts entrepris par Molière prouvent que son expérience a été intentionnelle, car le grand dramaturge se rendait certainement compte que le dialogisme est un subterfuge, un procédé qui produit l’impression que l’auteur refuse de se prononcer et cède ce droit aux personnages, mais qu’en effet il sert à exprimer son dédoublement idéologique vis-à-vis le problème soulevé, une sorte de confusion devant le choix à faire. L’objectif de ce procédé est l’ambiguïté qui incite le lecteur à chercher sa propre réponse au problème. Sur le schéma, le modèle de Molière peut être représenté ainsi: A >< B = ? Ce modèle est diurne d’origine, mais inachevé. Comme aucune des idées de l’antithèse ne l’emporte sur l’autre, le résultat de cette opposition est vague et ambigu. C’est ainsi que Molière a créé le tout premier modèle d’une oeuvre dialogique, élémentaire et idéal, et en même temps exceptionnel, car il n’a plus jamais répété son expérience parce que les spectateurs de l’époque n’ont pas compris Le Misanthrope. Habitués au monologisme traditionnel, ils cherchaient en vain à définir le héros positif pour déduire ensuite l’idée maîtresse.

La facilité avec laquelle Molière a installé le dialogisme dans sa comédie est étonnante. On peut même conclure qu’une oeuvre dramatique convient mieux au dialogisme: l’auteur et le narrateur y sont absents, la voix de l’auteur ne se fait entendre que par la bouche du personnage intentionnellement positif. Mais quand il n’y a pas de personnages positifs, la voix de l’auteur ne s’entend plus et les personnages deviennent indépendants, même si, au fond, ils transmettent son message double, triple etc. Il convient même de supposer que l’origine du dialogisme est au théâtre parce que la personnification des idées est plus importante pour une pièce de théâtre que pour un roman. Dans une oeuvre épique, l’auteur, qui assume, d’une manière ou d’une autre, la fonction de narrateur, a la possibilité de commenter les événements, d’apprécier les actions des personnages, d’exprimer ses idées directement. Dans une oeuvre dramatique, l’auteur est privé d’une telle possibilité, alors, il est obligé de recourir toujours à la personnification des idées dans des personnages.

Le défaut principal de toutes les interprétations de la comédie Le Misanthrope réside dans la tentative de prouver son unicité idéologique en proposant toutes sortes de solutions du problème posé. Les chercheurs ne se rendent pas compte du piège dressé par Molière: dans cette pièce l’opposition des idées divergentes est dialogique et réversible, elle s’offre à plusieurs solutions dont aucune n’est définitive. En fin de compte, toutes les idées contradictoires ont été prévues par l’auteur qui a élaboré, à cet effet, une oeuvre à structure dialogique particulière. Les critiques qui, à travers des siècles, tentent de retrouver la fameuse idée maîtresse monologique dans Le Misanthrope se heurtent au même problème que les premiers spectateurs de cette comédie, ils n’arrivent pas à déterminer qui en est “le vrai héros positif” ou bien qui est “plus sympathique à l’auteur, Alceste ou Philinte” [100]. Le Misanthrope est une pièce relativement simple, ses idées sont parfaitement claires, mais comme les critiques n’y voient pas de dialogisme, ils étonnent par leurs interprétations très contradictoires, parfois même bizarres. Etant donné que les positions divergentes d’Alceste et de Philinte se rapportent entre elles comme thèse et antithèse, l’erreur la plus répandue se manifeste dans le fait que les chercheurs privilégient l’une d’elles. Dans ce cas-là, ils sont obligés de négliger ou de critiquer la seconde, mais n’arrivent jamais à être bien persuasifs. Prenons en exemple les interprétations de S.D.Artamonov et You.B.Vipper, meilleurs critiques de Molière à l’époque soviétique. Pour formuler l’idée maîtresse, Artamonov prend le parti de Philinte en affirmant carrément que Molière préfère Philinte, même si Alceste lui est sympatique. Artamonov tient à l’humanisme de Philinte et lui pardonne ses défauts parce qu’il est tolérant et indulgent, parce qu’il lance l’appel de ne pas fuir la société, de vivre parmi les gens, de tâcher de perfectionner leurs moeurs. D’après lui, l’humanisme de Philinte est “doux, vraiment humain” parce qu’il éprouve envers les hommes “une tolérance bienveillante” [101]. Pour formuler une idée monologique, Artamonov assimile tout simplement le point de vue d’Alceste à celui de Philinte. D’après Artamonov, la misanthropie d’Alceste est en effet un “humanisme fanatique” parce qu’il veut bien que tous les hommes soient bons, honnêtes, généreux etc., mais comme il ne voit pas autour de lui de gens sans défauts, il devient misanthrope par protestation et par désespoir et décide de fuir la société.

Il y a également des critiques qui ont choisi Alceste comme héros positif. Le champion reconnu parmi eux est certainement Jean-Jacques Rousseau qui, dans sa fameuse Lettre à d’Alembert (1758), s’est levé à la défense de la vertu et a sévèrement critiqué Molière. D’après lui, Molière n’avait pas le droit de se moquer d’Alceste et de manifester trop de sympathie pour Philinte. La réaction de Rousseau provient de sa haine pour les représentants de la haute société personnifiés dans Philinte, il se voit obligé de prendre le parti d’Alceste, mais, habitué au monologisme, il ne supporte pas l’échec de son personnage préféré. L’interprétation de You.B.Vipper est peut-être la plus originale de toutes. D’abord, il affirme qu’il est impossible de résoudre le problème du choix du héros positif entre Alceste et Philinte d’une façon directe et simpliste. Il se moque également de la synthèse éventuelle des deux qu’il présente comme “la droitesse d’Alceste légèrement adoucie par la tolérance de Philinte” ou comme “la prudence de Philinte un peu réchauffée par le tempérament d’Alceste” [102]. Cette observation de Vipper est très importante parce qu’elle met en évidence une particularité purement dialogique signalée par Bakhtine qui dit qu’il est impossible d’appliquer les rapports thèse - antithèse - synthèse sur l’idéologie d’une oeuvre dialogique. Bakhtine écrivait: “A l’intérieur du roman, les univers des personnages établissent entre eux des relations événementielles, mais [...] ces relations ne peuvent, en aucun cas, être réduites aux rapports thèse - antithèse - synthèse” [103]. Pourtant, Vipper emploie un grand effort et toute son ingéniosité à retrouver une idée maîtresse dans Le Misanthrope. D’après lui, les positions d’Alceste et de Philinte convergent, malgré tout, dans “quelques points profonds” parce que, finalement, ils sont tous les deux misanthropes et détestent, Alceste ouvertement, Philinte secrètement, le régime social de l’époque [104]. Ayant déterminé un point commun dans les positions d’Alceste et de Philinte, Vipper arrive à une déduction paradoxale: il note que Jean-Jacques Rousseau a tort de critiquer Molière et d’exiger de lui un héros positif parce que Molière démontre qu’un héros idéal est impossible dans une société fondée sur l’hypocrisie. Selon Vipper, l’idée de Molière est révolutionnaire, c’est un révolté qui accuse le régime monarchique et appelle à le renverser. Vipper se rend peut-être compte que son idée est assez arbitraire, alors il note qu’elle est exprimée “dans une forme très allégorique et indirecte” [105]. Ayant choisi la révolte comme idée maîtresse de la comédie, Vipper prend le parti d’Alceste le misanthrope et lui attache, naturellement, beaucoup plus d’importance qu’à Philinte qui est présenté chez lui comme un petit supplément à cette idée. Comme il est impossible de fermer les yeux sur l’antagonisme de Philinte qui se prononce pour la tolérance sociale, Vipper se voit obligé de signaler la divergence des points de vue d’Alceste et de Philinte, mais d’une façon très rusée, sous forme d’une question rhétorique, comme si cette divergence était sans importance et n’exigeait pas de réponse, comme si elle était à la périphérie de l’idée maîtresse: “Une question se posait alors, une question qui n’était pas abstraite, mais très concrète: qui faut-il imiter, qui suivre? Alceste qui est prêt à maudire le monde entier, à le fuir en désespoir, ou bien Philinte qui ne perd pas l’équilibre moral, qui tâche d’obtenir au moins de petites concessions particulières de la part de la société dominante? ” [106]. Malgré un effort énorme destiné à prouver le monologisme de la comédie et à dégager une idée maîtresse, Vipper a dû quand même constater la divergence des points de vue des personnages principaux, une divergence dialogique, même s’il a essayé de dissimuler son importance. 

L’étude de la comédie, même très rapide, met en évidence l’importance primordiale des personnages pour la représentation des idées divergentes qui constitue la base du dialogisme et démontre que Molière a créé des personnages de type nouveau. L’évolution du personnage dans les oeuvres de Molière est bien décrite par D.D.Oblomievski [107]. D’après lui, parallèlement au “héros maniaque”, propre à la comédie de l’époque, qui ne réfléchit pas et possède des traits de caractère constants et bien déterminés, Molière crée un “héros intellectuel” qui a un caractère complexe, contradictoire et changeant. Tartuffe est intriguant et séducteur, un faux bigot et délateur; Dom Juan est un séducteur cynique et athée; Alceste est un dénonciateur des vices sociaux intransigeant qui pardonne à Célimène, dont il est amoureux, tous ses défauts. Malgré sa complexité, le “héros intellectuel” de Molière n’évolue pas, et Oblomievski ne manque pas de le souligner: “Le dynamisme du personnage chez Molière est lié non pas tellement à l’évolution objective de son caractère, mais plutôt à l’évolution du point de vue des autres personnages sur lui. Il n’est pas question d’un changement spirituel du héros, mais du dévoilement plus profond de son caractère” [108]. Oblomievski note également que le nouveau héros de Molière est actif, qu’il réfléchit sur la vie et possède son propre point de vue qu’il veut imposer aux autres. Oblomievski rappelle à ce propos que Molière a été souvent critiqué à cause de ses personnages “raisonneurs” qui prononcent de longs monologues où ils expriment et justifient leurs idées devant un antagoniste ou dans un milieu hostile. Toutes ces observations d’Oblomievski coïncident bien avec les caractéristiques des personnages des romans dialogiques de Dostoïevski présentées par Bakhtine comme “héros conscients” qui n’évoluent pas idéologiquement et qui rappellent en ce sens les personnages des tragédies classicistes [109].

Cette dernière remarque de Bakhtine est très significative, car elle indique presque directement l’origine du personnage des oeuvres dialogiques. Il est tout à fait possible de supposer que Molière a emprunté son “héros intellectuel” à la tragédie classiciste et l’a adapté à la comédie. Un coup d’oeil rapide sur Tartuffe, Dom Juan, Alceste, Philinte permet de voir leur parenté avec les personnages des tragédies parce qu’ils ne sont ni clowns, ni innocents, mais sérieux”, voire dangereux; ils sont tous portés sur la réflexion et possèdent un point de vue personnel indépendant sur le problème soulevé, y tiennent beaucoup et, pour cette raison, n’évoluent pas. L’adaptation des personnages tragiques à la comédie est réalisée par Molière à l’aide du comique de caractère, c’est-à-dire, en dotant le personnage “sérieux” d’une manie ridicule qui se présente comme son trait de caractère. Cette invention de Molière est plus “intellectuelle” que le comique de position ou de moeurs parce qu’une manie qui se manifeste dans un comportement irrationnel n’exclut pas que le personnage soit intelligent et porteur d’une idée “sérieuse”. Il s’avère donc que c’est le comique de caractère qui a permis d’instaurer le dialogisme dans Le Misanthrope. Premièrement, une manie ridicule d’Alceste crée l’indétermination morale et égalise son idée avec celle de Philinte. Par conséquent, aucune des idées ne l’emporte sur l’autre, et l’antithèse reste irrésolue. Deuxièmement, l’irrationalité de son comportement est transmise à son idée. Elle est aussi acceptée comme irrationnelle parce que son porte-parole, obsédé par sa misanthropie, ne pense pas au profit personnel. Par contre, l’idée de Philinte est rationnelle parce que c’est un flatteur qui se fait aimer et en profite beaucoup. La divergence des idées d’Alceste et de Philinte est donc soutenue par une divergence des personnages, et cette superposition exclut la synthèse des idées parce qu’elle est impossible entre la rationalité et irrationalité qui proviennent du dilemme insoluble entre la raison et le sentiment.

2. Les hasards du dialogisme. John Milton, l’abbé Prévost et Denis Diderot

Après Le Misanthrope, l’histoire de la littérature européenne a laissé les cas curieux des oeuvres où le dialogisme n’est pas intentionnel et se manifeste dans des contradictions à l’idée de l’auteur, pareilles à des dissonances.

*

Il s’agit tout d'abord du poème Le Paradis perdu (1667) de John Milton, une oeuvre célèbre basée sur des sujets bibliques qui décrit la guerre que Satan mène contre Dieu. Le puritain Milton l’a conçu comme une apologie de la toute-puissance du Seigneur, mais les dissonances, propres à cette oeuvre, déforment son idée. Elles sont tellement importantes que parfois on a l’impression que Milton chante la gloire à Satan. Cette contradiction est présentée par R.M.Samarine, un des meilleurs critiques de Milton, comme un paradoxe: “Depuis très longtemps, on essaie d’expliquer l’allégorie de la conception immense de Milton. Mais les chercheurs n’arrivent pas à comprendre pourquoi, malgré la dévotion de l’auteur qui tenait à montrer le triomphe de Dieu sur Satan, celui-ci se présente grand et héroïque, tandis que Dieu et son Fils sont abstraits, fades” [110]. Ce phénomène a été signalé depuis longtemps, notamment par le poète anglais Shelley et l’écrivain français Chamfort. Vissarion Bélinski, un critique russe du XIXème siècle, a essayé de l’expliquer et a noté quelques observations intéressantes: “La poésie de Milton est de toute évidence l’oeuvre de son époque: sans se douter, il a écrit, à travers le personnage de Satan, fier et morose, une apothéose de la révolte contre les autorités, bien qu’il ait envisagé de faire quelque chose de tout à fait différent” [111]. Bélinski a parfaitement raison quand il note que la contradiction provient du personnage complexe de Satan qui personnifie l’idée de la révolte. A priori négatif, comme il doit l’être, parce qu’il concentre en lui tous les vices humains, Satan est en même temps muni, dans le poème, de quelques traits positifs: il est audacieux, puisqu’il se lève contre Dieu; il est astucieux, puisqu’il réussit à tromper Dieu et à le priver de ses créatures préférées, Adam et Eve; il subit une défaite, mais son échec n’est pas fatal parce qu’il se prépare à poursuivre la lutte. Ces traits positifs, ajoutés au personnage négatif, créent l’indétermination morale qui assure l’égalité des personnages et, par conséquent, introduit la nuance imprévue de l’égalité de leurs idées. Satan devient indépendant et ne soutient plus l’idée de l’auteur, mais celle qu’il personnifie. En même temps, la révolte de Satan contre Dieu se présente comme irrationnelle parce qu’elle est vouée à l’échec. Cette qualité le distingue et l’oppose aux forces du Bien, mais en même temps, elle amplifie la dissonance, car elle présente le conflit comme insoluble et ambigu. Le Paradis perdu possède donc plusieurs indices d’une oeuvre dialogique, sauf une: le dialogisme n’y est pas intentionnel. Bélinski a raison, en notant que Milton n’envisageait pas d’exprimer l’idée de la révolte dans son poème. Il ne prévoyait non plus d’ambiguïté et tenait à créer une oeuvre monologique avec une idée maîtresse traditionnelle, autrement, son effort serait évident. En décrivant Satan, Milton a tout simplement suivi la logique des événements bibliques, sans faire attention aux nuances contradictoires dont les conséquences se sont avérées considérables.

Le XVIIIème siècle offre, lui-aussi, le cas d’une oeuvre dont le dialogisme n’est pas intentionnel, mais cet exemple est plus intéressant parce que cest un roman, et notamment, la célèbre Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut (1731) de l’abbé Prévost. Ce roman n’a pas été compris au XVIIIème siècle, mais a été hautement apprécié par Balzac, Maupassant et surtout par le critique russe V.V.Kojinov qui a noté que “Prévost a donné le premier exemple d’un grand roman authentique” [112]. D’après lui, le plus grand mérite de cette oeuvre consiste en ce que “Prévost y a fait la fusion du roman picaresque et du roman psychologique, de la tradition de Lazarillo de Tormez  avec la tradition de La Princesse de Clèves” [113]. Kojinov considère ce roman comme héritier de la prose psychologique du XVIIème siècle et croit que les recueils de pensées, maximes, aphorismes de Pascal, La Bruyère, La Rochefoucauld, Fontenelle, Fénelon ont joué le même rôle pour le roman psychologique que les facéties, fabliaux, schwanks pour le roman picaresque événementiel. Il présente La Princesse de Clèves (1678) comme un roman fondé sur des maximes développées en narration psychologique et rappelle que les premiers romans psychologiques contiennent des “maximes insérées”, pareilles aux “nouvelles insérées” du roman picaresque [114]. La période “sentimentaliste” du roman psychologique, qui se profile dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle, témoigne, selon Kojinov, d’une crise, car le psychologisme y devient excessif; il trouve également que le roman picaresque a subi une crise pareille parce qu’il a été trop centré sur l’événement. Par conséquent, le roman de Prévost, qui combine le psychologisme avec l’événement, est qualifiée par Kojinov comme une oeuvre d’importance cruciale , il croit même que “le roman a atteint sa maturité dans l’oeuvre de Prévost et s’est placé au même rang que les autres genres fondamentaux” [115].

Les observations de Kojinov sont intéressantes parce qu’elles expliquent l’origine de l’indétermination morale des personnages et des contradictions à l’idée de l’auteur. Dans Manon Lescaut, Prévost s’est fixé un objectif moralisant très modeste: il a voulu tout simplement dire aux jeunes gens nobles de ne pas suivre l’exemple de Des Grieux, amoureux d’une femme aussi indigne que Manon Lescaut. Dans la préface du roman, Prévost a noté qu’il décrivait les aventures du chevalier Des Grieux et n’a même pas mentionné Manon. Elle n’était pour lui que l’objet de passion de Des Grieux qui ne méritait pas beaucoup d’attention. Pourtant, depuis plus de cent ans, le roman est couramment nommé Manon Lescaut. Kojinov voit l’origine de cette contradiction dans la fusion de la tradition de La Rochefoucauld et de La Fayette avec la tradition picaresque qui détermine, à son avis, la “dualité” de Des Grieux et de Manon [116]. Il a parfaitement raison, quand il note que “Manon n’est plus simplement une “aventurière”, et Des Grieux n’est pas seulement un “aristocrate reflexif”, comme le “héros lyrique” des Maximes de La Rochefoucauld” [117]. L’ambiguïté morale des personnages observée dans Manon Lescaut résulte effectivement de cette fusion. D’ailleurs, comme note L.G.Andréev, selon la tradition picaresque, la conduite immorale des personnages n’est jamais condamnée, tandis que dans Manon Lescaut elle est réprouvée [118]. Cette observation est très importante, car elle signale la présence du contraste entre le moral et l’immoral qui sert à produire l’indétermination morale. Des Grieux, narrateur sentimental conçu comme personnage positif, tombe amoureux de Manon, une courtisane, se dégrade moralement et se transforme sous son influence en aventurier. C’est la dégradation qui le rend faible et misérable et le fait céder sa première position dans le titre à Manon. Manon, prévue par Prévost comme personnage négatif, possède les traits d’une héroïne picaresque, mais grâce à l’amour de Des Grieux, elle se hausse moralement. C’est cet effet-là qui a fait d’elle, malgré l’auteur, l’exemple classique d’une femme à caractère fort et indépendant. Ni positifs ni négatifs à part entière à cause de l’indétermination morale, ces personnages ne sont pas capables de véhiculer l’idée de l’auteur et apportent une contradiction dans l’idéologie du roman, même si l’abbé Prévost ne l’a pas prévue.

Le projet de Prévost a été simple, il a voulu donner l’exemple d’un amour malheureux, en décrivant les souffrances de Des Grieux, amoureux “à la folie” de Manon. Au nom de l’amour, Des Grieux est prêt à sacrifier son honneur, sa fortune, sa carrière, mais cet amour lui apporte trop de malheurs. Le caractère de ses souffrances est bien présenté par D.D.Oblomievski: “Ses émotions sont apparemment brusques, imprévues; notamment, la jalousie poignante pour le fils de G.M. qui brise le coeur de Des Grieux se transforme, dès qu’il reçoit la lettre de Manon, en tranquillité sombre et apathique, l’accès de rage qui le saisit ensuite se transforme en douleur inconsolable, puis se calme et lui permet de rassembler ses idées” [119]. Manon paraît énigmatique à Des Grieux: tantôt elle quitte le luxe et l’aisance par amour pour lui, tantôt elle l’abandonne. “Fidèle et volage, dévouée et perfide, pudique et vénale, naïve et maligne”, c’est ainsi que V.R.Grib présente Manon et conclut que “l’on ne peut pas appliquer à Manon des conceptions ordinaires, les critères de la morale formelle et rationnelle” [120]. On se rend bien compte que le comportement de Des Grieux et de Manon n’est pas bien raisonnable du point de vue du sens commun. Et l’erreur de Prévost s’explique facilement: il a confié son idée rationnelle aux personnages à comportement irrationnel. L’indétermination morale des personnages et l’irrationalité de leur comportement ont créé une très grande distance entre eux et l’auteur, en résultat, l’histoire d’un amour malheureux, conçue par Prévost, s’est transformée en histoire d’un amour passionnant, interprétée par deux “acteurs”, Des Grieux et Manon, car l’idée de l’auteur est presqu’invisible.

Dans Le Misanthrope et Le Paradis perdu l’irrationalité se manifeste seulement dans le comportement des personnages, chez  Prévost elle est double, événementielle et psychologique. La découverte de Prévost a été signalée par Grib: “Prévost a été le premier qui a découvert l’aspect “irrationnel” de la nouvelle psychologie, inexplicable du point de vue du raisonnement bourgeois” [121]. Le psychologisme irrationnel a transmis à  Manon Lescaut une qualité extraordinaire qui a été notée par Kojinov: “Dans le roman de Prévost qui a lié ensemble l’événement “prosaïque” et le nouveau psychologisme, il se crée, pour la première fois, un agencement organique, “spontané” de la narration” [122]. Cela veut dire que, grâce au psychologisme irrationnel, le récit de Prévost devient spontané et produit l’impression que la narration s’y développe toute seule, indépendemment de l’auteur. Le roman paraît indéfini et illimité, exprimant le mouvement vers un but qui n’est jamais atteint par les héros jamais satisfaits, mouvement qui se déploit tout seul à travers le destin des hommes et leurs sensations. Les personnages deviennent différents, très variés, leur caractère reçoit une multitude de traits contradictoires et semble inpénétrable. Le comportement des personnages devient libre, imprévisible, car il ne peut être expliqué par les critères de la logique formelle. Ils se détachent de l’auteur, fuient sa domination et deviennent autonomes grâce à la spontanéité de leur psychologie individuelle.

La découverte de Prévost n’a pas été comprise au XVIIIème siècle parce que le psychologisme littéraire, dès son émergence, est imprégné de rationalisme: tous ces recueils de pensées, d’aphorismes, de maximes de l’école de La Rochefoucaud, La Princesse de Clèves de Marie-Madelaine de La Fayette, ainsi que le roman psychologique de la deuxième moitié du XVIIIème siècle (Richardson, Sterne, Goldsmith, Goethe, Rousseau, Diderot) émanent la rationalité. En principe, l’exploration de la psychologie humaine rend les personnages littéraires plus vivants, plus vraisemblables. Mais l’absence de l’aspect irrationnel déforme leur image, ils se présentent trop raisonnables et paraissent avoir une volonté presque surhumaine. Par exemple, le roman psychologique Paméla ou la Vertu récompensée (1740) de Samuel Richardson, très populaire à l’époque, est devenu très vite l’objet de nombreuses parodies à cause de sa rationalité excessive. Richardson a raconté l’histoire d’une orpheline qui s’est retrouvée sans défense devant son nouveau maître après la mort de sa tutrice bienveillante. Le maître de Paméla tente de la séduire, mais elle ne cède pas, bien qu’elle soit amoureuse de lui. A la fin, le jeune aristocrate tombe amoureux de Paméla et l’épouse. Dans les parodies, Paméla est présentée comme une fine mouche qui a réussi à duper son maître pour l’épouser. Etant très raisonnable, Paméla est censée penser au résultat à atteindre, seule l’irrationalité n’implique pas le profit. Le roman psychologique du XVIIIème siècle est certainement monologique, car ses personnages sont dominés par l’idéologie de l’auteur, et ne servent qu’à exprimer ses idées et à prouver leur justesse. Le monologisme exige une concordance plus ou moins parfaite des opinions des personnages avec celle de l’auteur et c’est le rationalisme qui est capable d’offrir une telle concordance, car l’irrationalisme échappe à la subordination.

Au XIXème siècle, quand Prévost a été redécouvert, le psychologisme irrationnel devient une des propriétés pertinentes du roman. Par exemple, Goethe, Flaubert, Tolstoï, conscients de la spontanéité qu’il assure à la narration, avouent qu’ils ne savent pas d’avance par quoi finira l’action de leurs oeuvres, à quoi aboutira l’évolution spirituelle de leurs héros. Les romanciers du XIXème siècle considèrent comme trop pragmatique et primitif l’ancien modèle monologique dont tous les éléments sont appelés à transmettre seulement l’idéologie de l’auteur. Ils ne renoncent pas à exprimer leurs propres idées, mais ils se veulent plus sensibles à la “dialectique de l’âme” de leurs personnages et tâchent de créer, dans leurs oeuvres, un monde autonome, vivant et changeant, un monde plus peuplé et plus varié qu’il faut pour exprimer une idéologie déterminée. C’était un pas important vers la  “ liberté d’expression” des personnages et  le dialogisme puisque les romanciers du XIXème siècle ont dépassé les limites de l’utilité rationaliste, mais comme ils tiennent toujours à l’idée maîtresse, leurs oeuvres sont remplies de nombreuses petites dissonances qui contredisent cette idée. C’est curieux, mais cette particularité du roman du XIXème siècle a été notée par Lénine dans son fameux article Léon Tolstoï, miroir de la révolution russe (1908) [123].  De son point de vue, Tolstoï est une nature double: d’un côté, c’est un partisan de l’humanisme évangélique qui s’efforce à imposer son message idéologique; de l’autre, c’est un grand Réaliste dont l’oeuvre transgresse le cadre idéologique trop étroit pour décrire la vie en toute sa diversité. Seule l’irrationalité est capable d’apporter la contradiction signalée par Lénine. Le message monologique de Tolstoï, par exemple dans Guerre et Paix (1865-69), est accompagné d’un grand nombre de voix qui ne prennent pas en considération son idéologie, ou bien  l’ignorent. Comme la plupart de ses personnages ne sont ni positifs ni négatifs et ne sont pas soumis à la domination de l’auteur, le message de Tolstoï est amorti par toutes sortes d’idées contradictoires, même si ses romans restent en principe  monologiques.   

Le XVIIIème siècle a vite oublié une petite comédie amusante de Denis Diderot Est-il bon? Est-il méchant? (1734). Cependant, la découverte faite par Diderot dans cette pièce mérite d’être étudiée. Ardouin, personnage principal de la comédie, se présente comme philanthrope parce qu’il ne refuse pas de rendre service à ceux qui s’adressent à lui. Mais la façon dont il s’y prend n’est pas tout à fait honnête. Par exemple, quand une veuve lui demande de l’aider à obtenir une pension pour son fils, il le fait, mais pour réussir sa démarche, il trompe le fonctionnaire de sa connaissance en lui disant que le fils de la veuve est de lui. Quand un jeune homme lui demande d’obtenir l’accord d’une dame qui refuse de lui donner sa fille en mariage, Ardouin dit à cette dame que sa fille est enceinte. Cet argument la persuade très vite, mais le héros l’a inventé. A la fin, quand Ardouin satisfait tout le monde, les gens qu’il a trompés et ceux qu’il a aidés sont très mécontents de lui à cause des moyens malhonnêtes qu’il a employés. Ardouin croit qu’ils n’ont pas raison parce que toutes ses démarches ont été entreprises au nom de la justice et parce qu’il n’en a tiré aucun profit. Finalement, tous les personnages acceptent les arguments d’Ardouin et le qualifient comme “ni bon ni méchant”. Dans cette comédie, la vertu et le vice ne sont donc pas répartis entre les personnages positifs et négatifs selon la tradition monologique, ni entre les personnages mi-positifs mi-négatifs indispensables pour le dialogisme, mais sont incarnés dans un seul personnage, il s’agit donc d’une synthèse. Cependant, la synthèse implique la fusion des contraires en une seule forme différente, tandis que chez Diderot la synthèse reste inachevée parce que la contradiction se présente comme irrésolue. Elle reste inachevée même lorsque les personnages de la comédie se reconcilient avec Ardouin, elle est, tout au contraire, amplifiée puisque ces personnages avouent qu’ils sont aussi “ni bons ni méchants”. L’inachèvement est une propriété dialogique, mais chez Diderot le dialogue imaginaire entre la vertu et le vice, deux aspects divergents d’un personnage, est impossible, leur contradiction est perçue comme une unité, comme une idée litigieuse monologique. Les critiques, habitués au monologisme traditionnel, découvrent facilement l’idée litigieuse de la comédie de Diderot, même s’ils l’interprètent d’une manière éronnée, car ils croient que l’auteur est obligé de vanter la vertu et de critiquer le vice. Par exemple, A.A.Akimova déclare formellement que Diderot accuse par le fait même de mettre en doute les valeurs morales de la société de l’époque [124]. Mais une oeuvre dialogique, Le Misanthrope par exemple, est capable d’engendrer plusieurs interprétations contradictoires. L’inachèvement, propre au modèle antithétique de Molière et au modèle synthétique de Diderot, produit de l’ambiguïté, mais dans ces modèles son effet se révèle aux niveaux différents. Chez Molière l’ambiguïté s’installe entre les idées personnifiées divergentes. Dans le modèle de Diderot l’ambiguïté fonctionne entre la réconciliation avec le personnage que l’on accepte tel qu’il est, bon et méchant à la fois et le refus de réconciliation à cause de ses méthodes immorales. L’unité des contraires adoptée par le modèle de Diderot est une propriété de la synthèse qui est incompatible avec le modèle de Molière basé sur l’impossibilité de la réconciliation des idées divergentes.

L’idée personnifiée par Ardouin est dominante parce qu’il n’a pas d’antagonistes et devrait exprimer, de toute apparence, l’opinion de l’auteur. Mais Diderot relativise la morale du personnage par le biais de la même synthèse de la vertu et du vice, l’indétermination morale qui en résulte crée une distance entre lui et le personnage et produit l’impression que l’auteur présente son personnage au public et refuse de le juger. Ardouin ressemble donc au “héros intellectuel” de Molière qui n’évolue pas idéologiquement et dont le portrait moral est indéterminé. Mais comme la contradiction personnifiée par Ardouin et l’indétermination morale sont formées par le même procédé, on peut en déduire que l’emploi  du modèle de Diderot est plus restreint par rapport au modèle de Molière parce qu’il s’applique seulement aux problèmes de morale.

L’étude de la comédie Est-il bon? Est-il méchant? démontre que Diderot a dû élaborer un modèle de récit qui se distingue par ses structures des modèles monologiques classiques et du modèle de Molière. Comme Diderot expose une idée personnifiée litigieuse et refuse porter un jugement, sa comédie doit être construite selon le régime nocturne et se présenter comme une synthèse inachevée: A + B = ?. On peut noter également que, malgré certaines différences importantes, les modèles de Diderot et de Molière possèdent des traits similaires qui remontent éventuellement à leur origine théâtrale commune. Comme dans toutes les pièces de théâtre, leurs comédies n’ont pas de narrateur qui pourrait fournir des appréciations et résoudre, d’une façon ou d’une autre, le problème posé. Les deux auteurs recourent à l’indétermination morale pour se distancer des personnages et renoncent ainsi à imposer la solution d’un problème sous forme d’une idée maîtresse. Les deux modèles sont caractérisés par l’inachèvement idéologique, leur qualité la plus importante qui sert à produire l’ambiguïté et qui a permis éventuellement de greffer ces modèles au roman, genre qui n’a pas d’achèvement par sa nature même. C’est cette qualité qui place les deux modèles à l’origine de la tendance à la diversité de la littérature mondiale.


2. Pionniers du roman dialogique

1. Le psychologisme irrationnel. Fiodor Dostoïevski

Le premier modèle du roman dialogique a été élaboré par Fiodor Dostoïevski, un représentant du Réalisme classique du XIXème siècle. Dans ses romans polyphoniques, il s’est servi largement du psychologisme irrationnel comme d’un procédé qui libère les personnages de la domination idéologique de l’auteur. Au début du XXème siècle André Gide produit le premier roman à ambiguïté monologique fondé sur l’indétermination morale.

*

Le psychologisme irrationnel, découvert par l’abbé Prévost, a été adopté au XIXème siècle par les Réalistes qui l’emploient comme un moyen d’investigation de la psychologie humaine. Mais Dostoïevski change radicalement la fonction de l’irrationalité: pour lui, ce n’est plus un moyen d’investigation, mais un moyen d’installation du dialogisme. Le romancier découvre cette potentialité de l’irrationalité, en s’apercevant des contradictions qu’elle apporte dans les oeuvres. Il a dû imaginer que, s’il arrive à étouffer la tension rationnelle de l’auteur dans le roman, l’irrationalité assurera l’autonomie des personnages et installera le dialogue imaginaire de leurs idées. Il s’est servi donc sciemment de la diversité offerte par la psychologie irrationnelle pour opposer des idées divergentes exprimées par des héros qu’il a réussi à libérer de l’emprise de sa propre position idéologique. Julia Kristéva a trouvé une belle définition du roman dostoïevskien: “Il est un dispositif où les idéologies s’exposent et s’épuisent dans leur confrontation” [125]. Kristéva a mis en évidence le principe même de l’attitude de Dostoïevski envers les idées, car il les met toujours en doute lorsqu’il les oppose. N.V.Kachina confirme cette observation en notant qu’il “cherchait et trouvait une idée divergente même à l’idée qu’il acceptait personnellement comme inconditionnelle (à l’existence de Dieu, par exemple)” [126]. Aussi comprendra-t-on pourquoi Dostoïevski a été violemment critiqué de son vivant par la gauche et par la droite russes qui voyaient leurs idéologies respectives s’anéantir dans ses romans, notamment, dans Les Possédés (1871-72). 

L’intention du romancier est évidente, avant tout, dans ses personnages particuliers. D’après Bakhtine, les personnages de Dostoïevski ont des voix reconnaissables, jouissent d’une parfaite indépendance par rapport à l’auteur et expriment leurs propres idées. Pour caractériser le personnage de Dostoïevski, Bakhtine reprend la définition de B.M.Engelgardt:

Celui-ci est un roturier appartenant à l’intelligentsia, qui s’est coupé de la tradition culturelle, de ses origines, de la terre, et qui se trouve désarçonné; c’est un représentant de la “race accidentelle”. Ce genre d’hommes entretient avec l’idée des rapports particuliers: il est sans défense devant elle, devant sa puissance: car il n’a pas de racines dans l’existence et se trouve  dépourvu de traditions culturelles. Il devient un “homme de l’idée”, possédé par l’idée. Quant à celle-ci, elle devient chez lui une idée-force, qui détermine et dénature despotiquement sa conscience et sa vie. L’idée possède une vie autonome dans la conscience du personnage: ce n’est pas lui qui vit, à proprement parler, mais l’idée, et le romancier relate non pas la vie du personnage, mais celle de l’idée en lui; l’historien de la “race accidentelle” devient “l’historiographe” de l’idée. Il s’ensuit que c’est l’idée maîtresse du personnage qui, dans sa description, occupe la place prépondérante, et non sa biographie, comme c’est le cas habituellement (chez Tolstoï ou Tourguéniev, par exemple) (p. 53-54).

De cette définition on peut relever deux points importants. Premièrement, le personnage de Dostoïevski est psychiquement déséquilibré, “désarçonné”. Il s’agit donc d’une aliénation comme manifestation de la psychologie irrationnelle. Dostoïevski a ainsi approfondi le psychologisme littéraire jusqu’au subconscient devenu l’un des principaux moteurs de l’irrationalité dans ses romans. L’explication de l’aliénation est socialement ancrée, puisque le personnage est un marginal appartenant à une “race accidentelle” qui n’a plus de liens avec la tradition culturelle de son milieu et qui souffre à cause de sa marginalité. L’expression de l’aliénation, dans une oeuvre, exige des formes appropriées. Dostoïevski a élaboré un procédé simple qui sert à exprimer l’état d’âme des personnages aliénés. Il l’expose lui-même dans la préface du roman La douce (1876) citée par Bakhtine [127]. Son héros aliéné est “un hypocondriaque invétéré”, il subit une dure épreuve psychologique qui le rend presque fou puisque sa femme vient de se suicider. Dans son discours il essaie de comprendre sa geste, de l’expliquer à lui-même, il se justifie et accuse sa femme. Son monologue incohérent est en fait la confession d’un homme qui tente de “rassembler ses idées en un point”, c’est un soliloque confus dont le style n’est pas arrangé par l’écrivain, mais enregistré fidèlement, comme par un “sténographe imaginaire”. Autrement dit, c’est la forme du discours même qui exprime l’aliénation du héros. Chez Dostoïevski, les discours sont tellement variés que Bakhtine a dû souligner que “le roman de Dostoïevski est à styles multiples ou sans style, ainsi qu’à accents multiples de valeurs contradictoires” [128]. Il trouve également que  certains éléments de la narration sont si différents qu’ils sont “incompatibles” entre eux et qu’ils feraient éclater l’oeuvre, s’ils n’étaient pas “répartis entre plusieurs mondes et entre plusieurs consciences autonomes”, mais se rapportaient tous à la “conscience d’auteur unique et monologique” [129]. Le recourt à l’aliénation réalisé par Dostoïevski est à la fois étonnant et logique. Étonnant parce que l’aliénation est très efficace comme effet qui justifie l’irrationalité de la psychologie et du comportement des personnages; logique parce que le romancier, en tant que Réaliste qui tient au déterminisme social, présente l’aliénation comme une conséquence négative sociale qui sert en même temps d’un élément de critique sociale. L’importance de cette découverte de Dostoïevski est évidente vis-à-vis le modèle de Molière qui recourt à l’irrationalité dans Le Misanthrope, mais ne fait pas de tentative de la justifier par l’aliénation, même si N.P.Kozlova qualifie la manie étrange d’Alceste comme “une sorte de “folie” qui mérite d’être ridiculusée” [130].

Deuxièmement, le personnage de Dostoïevski est un porteur de l’idée qui l’obsède, qui “dénature despotiquement sa conscience”, c’est un “possédé par l’idée”. Cela explique pourquoi le romancier choisit toujours des penseurs “appartenant à l’intelligentsia”. Kachina note que “les porteurs des positions idéologiques divergentes des romans de Dostoïevski sont tous intelligents généralement et sont capables de défendre leur point de vue” [131]. Bakhtine notait à se propos: “Dostoïevski cherchait un héros conscient par excellence, un héros dont la vie eût été entièrement centrée sur la prise de conscience de soi et du monde. C’est à ce moment-là que dans son oeuvre apparurent “le rêveur” et “l’homme de sous-sol” [132]. Les personnages de Dostoïevski ne sont pas typiques, comme le veut le Réalisme, mais plutôt exceptionnels parce qu’ils incarnent avant tout l’idée qui les “possède”. Bakhtine note à ce propos que “il n’y a pas chez lui de devenir, pas de croissance” et que, de ce point de vue, ses personnages rappellent ceux des tragédies du classicisme [133]. Cette observation note la similitude des personnages de Bakhtine et de Molière qui a emprunté ses “héros intellectuels” à la tragédie classiciste et met en relief une particularité structurelle des oeuvres dialogiques. Par exemple, dans le roman à thèse monologique les idéologies opposées peuvent être incarnées dans des personnages, comme dans Le Neveu de Rameau (1762) où le moi positif de Diderot l’emporte sur lui négatif de Rameau. Elles peuvent aussi bien être représentées sous forme d’une évolution, de la victoire d’une idéologie sur une autre dans l’esprit d’un seul personnage, comme, notamment, dans Candide (1759) de Voltaire où le héros renonce finalement à la philosophie de l’optimisme dont il a été adepte au début. Les deux romans sont fondés sur l’antithèse, mais le personnage de type voltairien est inadmissible dans une oeuvre dialogique parce qu’il représente une idée qui se transforme en son contraire, tandis que le dialogisme exige l’incarnation des idées qui n’évoluent pas dans des personnages qui ne changent pas.

L’aliénation du personnage des romans de Dostoïevski n’est pas incompatible avec sa fonction de porteur d’une idée indépendante, tout au contraire, elle justifie bien l’obsession du personnage par cette idée. Mais l’aliénation du personnage ne devient jamais l’objet d’une analyse psychologique, car son emploi est conventionnel. On connaît bien l’affirmation de Bakhtine que “Dostoïevski nie catégoriquement être un psychologue[134]. Le romancier évite l’analyse psychologique objective qui mène sûrement à la soumission des personnages à un auteur omniscient et, finalement, au monologisme. Pour lui, la psychologie est “la chosification”de l’âme humaine [135]. Les personnages n’intéressent pas Dostoïevski du point de vue de leur biographie, ce qui lui importe c’est leur discours sur le monde et sur eux-même. Bakhtine définit les héros de Dostoïevski “comme des symboles d’une certaine attitude idéologique dans la vie, comme des incarnations de solutions possibles aux problèmes idéologiques qui le torturent” [136]. Alors, Dostoïevski est avant tout l’écrivain de la pensée, la psychologie chez lui est un prétexte pour l’idéologie, et l’aliénation socialement justifiée est une sorte de camouflage de la conventionnalité du procédé de perspective narrative. Bakhtine n’a pas manqué de  souligner sa pertinence: “Le héros intéresse Dostoïevski comme point de vue particulier sur le monde et sur lui-même[137]. Dostoïevski ne s’abstient pas d’exprimer sa propre idée, mais la voix de l’auteur, dominante par son origine, apparaît dans ses romans comme un point de vue parmi les autres. Bakhtine remarque cette particularité de son dialogisme: “Le mot de l’auteur sur le héros est organisé dans les romans de Dostoïevski comme le mot sur quelqu’un de présent qui entend l’auteur et qui peut lui répondre” [138]. C’est une vrai qualité théâtrale qui indique encore une fois la parenté du dialogisme de Dostoîevski et de Molière.

Le procédé de perspective narrative est largement employé  comme un moyen efficace qui permet de focaliser l’attention des lecteurs sur certains phenomènes, inaperçus ou habituels dans la vie quotidienne, en les rendant insolites, grotesques, voire absurdes. C’est un regard autre sur la vie dont la perception est relativisée par quelque condition, et notemment par l’aliénation, comme chez Dostoïevski. En résultat, le héros se détache de l’auteur, car celui-ci  est censé garder une vision du monde rationnelle, et fuit l’emprise de son idéologie qui devient, elle-aussi, relative puisque l’auteur n’est plus omniscient, ni dominant. Il est bien évident qu’une telle divergence entre les points de vue témoigne d’un dédoublement idéologique conventionnel de l’auteur qui constitue la base du dialogisme. Le procédé de perspective narrative est certainement conventionnel, et Bakhtine a raison, quand il note que Dostoïevski s’en sert “comme d’un outil” [139]. Dans ses romans “polyphoniques”, il emploie plusieurs points de vue dont la diversification est possible grâce à l’irrationalité qui rend les personnages autonomes et différents. Les points de vue idéologiques sont confrontés dans un dialogue sous-entendu, car le dialogisme est aussi conventionnel. Les idéologies divergentes, exprimées à partir des points de vue différents, n’arrivent jamais à s’affirmer ou à se détruire entièrement dans les romans de Dostoïevski parce que le romancier ne résoud pas les problèmes, mais démontre, par contre, qu’il est impossible de les résoudre. Bakhtine a raison de considérer comme intentionnel l’effort de Dostoïevski de “laisser l’opposition dialogique sans solution” [140]. L’ambiguïté qui en résulte est une propriété importante et en même temps l’objectif des oeuvres dialogiques. C’est donc grâce à sa découverte qui consiste en diversité idéologique de ses romans soutenue par la diversité psychologique et transmise à travers plusieurs points de vue que Dostoïevski a réussi à créer une vraie polyphonie romanesque. Il ne se contredit pas, mais se sert consciemment des potentialités de la psychologie irrationnelle pour opposer des idéologies divergentes dans un dialogue imaginaire.

La “polyphonie” des romans de Dostoïevski est bien connue grâce aux travaux de Bakhtine, le concept même de dialogisme a été élaboré sur l’exemple de ses romans. Pourtant, et c’est très curieux, son modèle dialogique n’a jamais été imité. On pourrait l’expliquer seulement par quelques “points faibles” de son dialogisme par rapport au modèle idéal de Molière. Le modèle de Molière se distingue par un contraste très important entre deux idées opposées parce qu’il est accentué par l’opposition de la rationalité et irrationalité des personnages représentant ces idées. Dostoïevski instaure le dialogisme comme une discussion imaginaire de plusieurs points de vue des personnages rendus différents par le biais de leur irrationalité seulement. Dans son cas, le contraste dialogique est donc faible, flou parce qu’il n’est pas soutenu par l’opposition entre la rationalité et irrationalité. Outre cela, Dostoïevski a négligé l’indétermination morale qui rend plus nette la distance entre l’auteur et les personnages. Etant représentant du Réalisme critique, Dostoïevski ne crée pas de personnages parfaitement positifs et négatifs, mais parmi ces personnages il y a toujours des plus ou moins sympathiques. Parmi les sympathiques, on peut citer Raskolnikov, un jeune criminel du roman Crime et Châtiment (1866); le naïf prince Mychkine de L’Idiot (1868); Chatov de Les Possédés; Aliocha de Les Frères Karamazov (1879-80). C’est sûrement l’imperfection du modèle dialogique de Dostoïevski qui a incité G.M.Fridlender à noter que “malgré la “polyphonie” apparente des romans de Dostoïevski, ils tendent toujours vers un noyau interne, ressenti par le lecteur, vers un complexe de problèmes ethiques, sociaux, philosophiques et historiques qui cumule l’ensemble de l’idéologie et de l’esthétique du roman” [141].

Le dialogisme de Dostoïevski est donc imparfait par rapport au modèle de Molière, mais Bakhtine a réussi à le découvrir, grâce à sa vision particulière du roman. Bakhtine imagine le roman comme un mécanisme dont chaque élément devient important seulement quand il fait fonctionner un autre. Selon Bakhtine, le personnage vit et s’affirme comme individu avec son caractère particulier seulement au contact avec d’autres personnages. L’idée qu’il personnifie est vivante, quand elle n’est pas résolue et se réfère à d’autres idées. Les idées sont exprimées dans des parlers multiples, et leur différence n’est ressentie que dans leur interaction. De même, chaque mot se réfère à un autre, et ainsi de suite. C’est cette approche qui a permis à Bakhtine de découvrir dans les romans de Dostoïevski une structure particulière: les idées des personnages y sont organisées en grande discussion, mais malgré leur interaction, elles restent irrésolues, vivantes parce qu’elles ne sont pas amorties par une idée dominante de l’auteur.

Au début du XXème siècle le modèle à ambiguïté monologique de Diderot rejoint la tendance à la diversité avec le roman d’André Gide L’Immoraliste (1902). Comme ce modèle se base sur l’indétermination morale, il renaît, sûrement, sous l’influence de la théorie de Friedrich Nietzsche, quand sa mise en question des lois de la morale humaine pénètre dans la littérature. Michel, le héros principal de L’Immoraliste, personnifie une idée contradictoire qu’il n’arrive pas à résoudre et se confesse devant ses camarades. Il s’accuse de la mort de sa femme et en même temps tâche de se justifier parce qu’il se trouve dans une situation délicate du point de vue de la morale. Il n’a pas fait beaucoup d’effort pour soigner sa femme souffrante parce qu’il tenait beaucoup à sa liberté personnelle, tandis que sa femme a fait tout son possible pour le guérir de tuberculose. La nature contradictoire du problème soulevé est bien expliquée par S.You.Zavadovskaya qui note que Gide “se dresse contre la morale chrétienne” et proclame “une sorte de culte de l’irresponsabilité”, mais “d’autre part, il se rend parfaitement compte des dangers que représentent les excès d’individualisme” [142]. Michel expose son problème dans un monologue apparemment extérieur, mais qui est en effet intérieur parce que la présence de ses amis est formelle, conventionnelle, puisqu’ils ne réagissent pas aux aveux de Michel et ne portent aucun jugement. Il est le seul représentant de l’idée litigieuse parce que les amis sont exclus de la discussion et ne personnifient aucune autre idée. Le monologue assume dans L’Immoraliste une fonction importante, car il permet à l’auteur de se soustraire de la narration, cette qualité purement théâtrale de son roman met en évidence sa parenté avec le modèle de Diderot. En même temps, l’auteur se distance du personnage qui représente une synthèse complexe de traits positifs et négatifs en créant une indétermination morale. Comme Gide reprend l’ensemble de structures du modèle de Diderot, le problème posé dans son roman reste irrésolu, et N.F.Rjevskaïa a raison lorsqu’elle constate que “L’Immoraliste ne donne pas de réponse directe” [143]. Et c’était bien l’objectif de Gide qui a noté dans la préface du roman: “Au demeurant, je n’ai cherché de rien prouver, mais de bien peindre et d’éclairer bien ma  peinture” [144]. La contradiction irrésolue du roman de Gide est bien ressentie par les critiques puisqu’elle est représentée par un seul personnage, Rjevskaïa note que “le héros, tout comme l’auteur, croit que la soif de la vie est au-dessus de toutes les obligations morales de l’homme”, mais qu’en même temps “il  ne cesse pas de souffrir se rendant compte de sa faute” [145]. L’ambiguïté du problème se produit entre deux pôles, la liberté et le sacrifice, et Rjevskaïa la présente comme une question: “Où finit la liberté de l’homme, doit-il se sacrifier, s’il sait que sa liberté menace la vie d’un autre?” [146]. Mais comme les critiques tiennent toujours au monologisme et cherchent à exprimer une idée maîtresse, malgré que le problème posé reste irrésolu dans le roman, ils affirment que l’auteur critique l’immoralité, tout simplement parce qu’il doit, d’après eux, condamner le vice. Par exemple, L. Tokarev note que Gide “détrône la morale “absolument” irresponsable du superman nietzschéen” [147]. V.A.Nikitine reprend à peu près la même idée : “Le roman critique l’immoralité, démontre l’échec de la doctrine formulée dans Les Nourritures terrestres[148].

2. Le monologue intérieur et la temporalité cyclique . Marcel Proust

Le modèle dialogique de Marcel Proust, observé dans son roman A la Recherche du Temps perdu (1913-27), est développé à partir des principes de l’Impressionisme. La fonction la plus importante y est assumée par un monologue intérieur particulier qui transmet fidèlement la perception intuitive et affective de la réalité. Le récit subjectif ainsi exposé s’oppose dialogiquement à l’idée symbolique de la structure temporelle cyclique du roman.

*

Le roman A la Recherche du Temps perdu se compose d’une quantité de souvenirs qui transmettent des impressions et des visions si subtiles et si fortuites qu’il est difficile de percevoir une histoire derrière elles. Certains critiques ont même conclu que le roman de Proust n’a pas d’intrigue. Il s’agit ici d’une inversion par rapport au roman traditionnel parce que la sensation est plus importante pour Proust que la vie réelle. Il était guidé par l’idée que l’homme qui se souvient est un homme authentique ayant une âme et des sensations, il croyait qu’un souvenir suscité par des sensations intenses devient plus réel que la vie. Léon Guichard écrivait à ce propos: “On pourrait presque dire que les faits lui sont indifférents. Ils ne l’intéressent que dans la mesure où ils pourront amener des remarques psychologiques intéressantes” [149]. Les seules actions qui importent à Proust sont les rapports entre les hommes et les modifications de ses rapports. Essayant d’approfondir la psychologie romanesque, Proust manifeste un vif intérêt pour l’inconscient, par exemple, pour l’état de rêve ou pour l’état de souffrance. C’est L.G.Andréev qui attire l’attention sur cette particularité du roman proustien:  “C’est curieux, mais Proust tend à décrire en quelque sorte des “histoires de maladie” propres plutôt aux Naturalistes du XIXème siècle, à fixer scrupuleusement des processus psychiques et psychologiques, à observer des états maladifs, “décalés” qu’il considère comme analogues aux états bien portants” [150].

Une attention si intense pour les sensations exige des formes appropriées, et Proust a radicalement changé la composition du roman. Les critiques lui ont donné plusieurs noms - “en rosace”, orchestrale, symphonique, wagnerienne, dynamique, architecturale - parce que le récit n’y progresse pas, mais reprend sans cesse les mêmes thèmes pour les développer. Jean-Yves Tadié trouve paradoxale une telle composition: “Le paradoxe de la technique proustienne du récit est s’adapter à une ascension qui ne se voit pas, qui ne se verra qu’au dénouement, et à des événements dont l’importance apparente et réelle ne coïncident pas” [151]. Le récit proustien, surchargé de détails d’apparence futile, sans une intrigue bien prononcée et exposé d’une manière peu ordinaire, peut paraître  imprécis, confus, flou. Jean-Yves Tadié a raison quand il écrit à propos de la Recherche que “ce n’est pas une vie qui s’est construite, c’est une vision” [152]. Mais en même temps Proust fait un effort conscient pour maîtriser la narration, tâche d’y mettre de l’ordre. Léon Guichard est bien persuasif quand il note qu’à son avis “il y a eu dans l’esprit de Marcel Proust, lorsqu’il a conçu et commencé à rédiger son roman, un sujet précis, et un souci très net, et même raffiné, de composition” [153].

Tout d’abord, le récit proustien est centré autour du narrateur, figure principale du roman, qui expose ses souvenirs et ses impressions sous forme d’un monologue intérieur. C’est le noyau de la narration, et Michel Raymond souligne bien cette particularité du roman: “Qu’il s’agisse d’un paysage, d’un personnage ou d’un milieu, tout s’ordonne, dans la Recherche, par rapport au narrateur. Tout gravite autour de lui, c’est avec lui que le lecteur découvre le monde” [154]. Dans son monologue intérieur, Proust n’a pas atteint le niveau de James Joyce qui proposait d’enregistrer les sensations instantanément, dans le “désordre” de leur agencement. La phrase de Proust est au contraire bien structurée, soignée, même si elle suit de près les données immédiates de la conscience du narrateur, elle reflète l’ordre et exprime plutôt l’expérience du créateur lui-même qui choisit ce qui vaut la peine d’être noté. Mais Proust a réussi à rendre l’irrégularité des impressions à sa façon, en renonçant à respecter la logique traditionnelle du développement du récit. La narration, dans son roman, va d’un souvenir à l’autre selon le principe de contiguïté, comme un regard qui passe d’un objet à l’autre. Michel Raymond est, peut-être, plus précis: “Aux rapports d’action, Marcel Proust a substitué des rapports de voisinage” [155]. Le monologue intérieur de Proust est catalysé par les objets, tombés, comme par hasard, sous les yeux du narrateur. Ces objets sont nombreux, ils sont tous énumérés par Jean-Pierre Richard qui croit qu’il y a chez Proust “un très puissant et très particulier désir de la matière” [156]. Chacun des objets sert à susciter des sensations qui enclenchent des souvenirs exprimés dans des monologues et, en même temps, à organiser la narration spatialement, en tant que repères. Chronologiquement, les faits sont regroupés autour des foyers: une soirée, un après-midi, etc.

Par rapport aux oeuvres de Dostoïevski, le roman de Proust a donc une forme plus complexe et plus soignée qui exprime mieux l’aliénation à travers le monologue intérieur et une composition particulière. Mais ce qui les rapproche, c’est le procédé de perspective narrative basé sur la psychologie irrationnelle. Jean-Yves Tadié, par exemple, attire souvent l’attention sur l’importance de la corrélation entre le procédé de perspective narrative et la psychologie dans le roman de Proust [157]. Pourtant, ce procédé a quelques particularités chez Proust. D’abord, l’aliénation du narrateur n’est pas motivée dans la Recherche directement, comme chez Dostoïevski. Elle se manifeste à travers la vision insolite du monde exprimée dans son monologue intérieur qui est bien adapté pour révéler les impressions les plus intimes et les pensées les plus subtiles. C’est le point de vue d’un homme malade, replié sur lui-même et regrettant le passé. En même temps, le narrateur proustien n’est pas omniscient, même s’il est au centre du récit. Il est tout simplement l’un des héros qui ne sait rien des autres. Pour remédier à cette restriction, le narrateur se transforme de temps en temps en voyeur qui découvre les secrets des autres, ou bien trouve des témoignages, parfois il s’efface pour céder sa place au point de point de vue des autres personnages. D’ailleurs, les personnages de la Recherche  ne sont pas des caractères classiques bien décrits et définis, ils sont encore plus énigmatiques que ceux de Dostoïevski. Si les héros de Dostoïevski sont au moins porteurs de certaines idées qu’ils essaient de s’expliquer dans leurs soliloques incohérents, ceux de Proust sont des visionnaires dont la perception du monde est fragmentée, changeante et contradictoire. Mais les “visionnaires” de Proust sont aussi fidèles à leurs visions que les “idéologues” de Dostoïevski à leurs idées.

Comme il s’agit des points de vue différents basés sur la psychologie irrationnelle, il convient d’y voir du dialogisme et même de la polyphonie, mais la Recherche n’imite pas en ce sens la manière de Dostoïevski: le point de vue du narrateur y est dominant. Selon l’expression de Jean-Yves Tadié, c’est “un regard central qui récupère toutes les visions, toutes les images, ne laisse rien perdre” [158]. L’explication du phénomène présentée par Jean-Yves Tadié est aussi parfaitement convainquante, car il croit qu’une accumulation de visions et d’interprétations trop nombreuses et contradictoires ferait éclater le roman en le rendant complétement absurde, et que seule leur soumission à un point de vue central serait capable de préserver la cohérence de l’oeuvre [159]. Il s’agit d’une façon d’établir l’unité du récit très fragmenté à cause d’un enregistrement fidèle de l’instantané.

Pourtant, la Recherche n’est pas un roman monologique, même s’il n’a pas été conçu comme dialogique. Tout simplement, Proust a fermé la structure temporelle du récit en précisant que le narrateur se mettait à écrire un roman juste au moment où l’auteur achevait le sien. Cette structure cyclique a produit une idée symbolique d’itération et d’universalité des sensations humaines qui s’est opposée à l’idée de singularité des sensations d’un individu, dominante dans les monologues intérieurs. Proust a démontré ainsi que la structure temporelle est très active, étant donné qu’elle est capable de mettre en doute le récit tout entier en lui opposant une idée symbolique du plan de contenu indirect. Cependant, on a l’impression que Proust n’attachait pas beaucoup d’importance à sa geste, c’était un clin d’oeil ironique au narrateur, ou plutôt à soi-même, une dissonance qui mettait en doute ses propres idées. Jean-Yves Tadié retrouve dans la Recherche “deux plans disticts, deux niveaux de conscience: l’histoire racontée, et l’histoire à déduire” et une opposition entre les deux plans qu’il présente comme “une dialectique entre la multiplicité et l’unité, entre la singularité et la relation” [160]. Il est difficile d’admettre que tous ces effets dialogiques ont été prévus par Proust, mais malgré tout, Proust a fait, avec cette geste, une découverte importante et a esquissé un nouveau modèle dialogique, car il a transféré le dialogisme dans une autre dimension, entre deux plans de contenu, direct et  indirect qui sont incarnés dans son roman dans deux consciences de natures opposées: irrationnelle aliénée qui produit des visions insolites de la réalité dans un monologue intérieur, et rationnelle exprimant une “sagesse” secrète indirectement, par le symbolisme de la structure temporelle cyclique du roman. Dans la Recherche, la voix irrationnelle transmet une perception subjective du temps, la voix rationnelle lui oppose une loi générale. Comme écrivait L.G.Andréev, “Proust essaie d’attribuer la signification d’une loi à un cas unique, particulier et à construire un programme philosophique, éthique et esthétique obligatoire” [161].

Les rapports traditionnels entre le contenu direct et indirect n’ont jamais connu d’opposition pareille. D’habitude, le contenu direct ne contredit pas le contenu indirect qui est découvert à l’aide du contexte linguistique, littéraire, historique, culturel. Susan Rubin Suleiman a raison quand elle note que “ce contexte n’est rien d’autre qu’un autre texte (ou l’ensemble d’autres textes) par rapport auquel le texte donné se révèle comme variante, ou comme illustration - ou, plus généralement, qui est lisible “dans” le texte donné” et elle définit le phénomène comme “un cas spécial d’intertextualité” [162]. L’absence de contradiction entre le contenu direct et indirect du récit est présenté par Suleiman comme une sorte de monologisme. D’après elle, le monologisme s’installe, lorsque “un discours “répète” un autre sans le nier” [163]. La “répétition” des discours provient, dans l’interprétation de Suleiman, de la similitude structurelle entre les deux plans de contenu, mais il convient de noter que la relation entre ces plans n’est pas si simple. Selon la tradition, un récit allégorique se présente comme une création innocente d’un auteur qui fait semblant que le contenu indirect ne lui appartient pas, que c’est le lecteur lui-même qui l’invente. Mais en réalité, c’est l’auteur qui exprime ses idées secrètes par le contenu indirect de l’allégorie. Alors,  en cas de monologisme, le contenu indirect nie le contenu direct, même s’il répète ses structures, parce que ce dernier est ostensiblement conventionnel et par conséquent, faux.  Ce n’est qu’un beau carosse qui véhicule une idée secrète de l’auteur déduite de l’interaction du contenu direct avec le contexte. La suprématie de l’idée de l’auteur est le principe même du monologisme. La tentative d’établir une opposition entre les deux plans de contenu entreprise par Proust est donc révolutionnaire, parce que dans son roman deux contenus contraires “ne se répètent pas” et ne se nient pas. C’est déjà le principe de dialogisme.

Proust n’a donc pas imité Molière ou Dostoïevski qui ont distribué des idées différentes parmi des personnages. Soucieux d’obtenir l’égalité des idées opposées pour qu’aucune d’elles ne l’emporte sur l’autre, Molière et Dostoïevski devaient égaliser les personnages porteurs de ces idées pour étouffer ainsi la voix d’auteur, transmise traditionnellement à travers les personnages positifs. Molière a établi l’indétermination morale des personnages, Dostoïevski s’est servi du psychologisme irrationnel qui rend les personnages égaux et indépendants. Proust a exclu ce problème. Ayant réparti les idées opposées entre deux plans de contenu et entre deux narrateurs qui “ne se connaissent pas”, il a tracé une frontière entre elles. En résultat, aucune des idées n’est gagnante dans l’opposition, et leur synthèse n’est pas possible non plus parce que l’une d’elles est rationnelle, l’autre est irrationnelle. Les avantages du modèle de Proust sont donc importants: il se passe de l’indétermination morale, devenue inutile et accentue le contraste dialogique, en soutenant la divergence de deux idées par leur opposition comme rationnelle et irrationnelle.

Comme les idées sont opposées entre le narrateur qui concentre des visions subjectives multiples et un narrateur “invisible” dont l’idée rationnelle se fait entendre dans la structure temporelle du roman, on est tenu à présenter le narrateur rationnel comme un archinarrateur qui ne peut être assimilé au narrateur de plan de contenu direct parce que ce dernier n’exprime pas une seule idée qui contredise sa propre perception du monde, il n’y a aucune indication dans le roman qu’il renonce à tout ce qu’il s’est dit dans son monologue intérieur. Les narrateurs des oeuvres dialogiques, en général, n’évoluent pas idéologiquement, ce sont des “possédés” d’une idée. Alors, l’idée symbolique de la Recherche, par sa nature même, ne peut pas appartenir au narrateur. Il n’est pas non plus possible d’admettre que c’est l’auteur qui contredit le narrateur de plan de contenu direct, car celui-là est un alter ego de Proust. L’auteur est ressenti plutôt derrière les deux, car il s’agit d’un dédoublement de l’auteur, d’une sorte de doute devant le choix entre deux points de vue. Ce dédoublement de l’auteur est probablement à l’origine de toute oeuvre dialogique, car on peut l’observer également chez Dostoïevski et dans Le Misanthrope de Molière.

L’égalité entre le rationnel et l’irrationnel a transmis au roman de Proust plusieurs qualités souvent contradictoires. Par exemple, pour Michel Raymond, Marcel Proust est à la fois poète, philosophe et mystique, et il classe son roman “aux confins du Symbolisme et de l’Impressionisme” [164]. Il y voit aussi “une galerie de personnages qui sont, comme ceux de Balzac, des types humains dotés d’un puissant relief individuel”, mais il conclut que l’oeuvre de Proust “s’inscrit dans un vaste mouvement de réaction contre la littérature réaliste” [165]. L.G.Andréev pense que la Recherche est essentiellement impressioniste parce que, d’après lui, Proust évoque constamment “la suprématie du savoir sensuel sur le savoir logique” [166]. En même temps il croit que ce roman est une “épopée de Naturalisme” parce que l’auteur tâche de reproduire en détails toutes les impréssions [167]. Sa conclusion contredit celle de Michel Raymond parce que, selon L.G.Andréev, le roman de Proust est d’une certaine façon proche de la “tradition décente” du Réalisme qui a réussi à l’intégrer [168]. Toute cette confusion de points de vue sur le roman de Proust signifie qu’il est difficile à classer, plus difficile, par exemple, que les romans polyphoniques de Dostoïevski. Les tentatives de le définir sont voués à l’échec, si l’on ne tient pas compte de sa double nature. Plusieurs indices des tendances littéraires différentes relevées dans ce roman proviennent de leur origine à la fois irrationnelle, intuitive, et rationnelle. Tout devient clair lorsqu’on se réalise qu’il s’agit d’une opposition dialogique entre le récit exposé par le narrateur à conscience irrationnelle et l’idée rationnelle implicite contenue dans la structure temporelle cyclique du roman.


3. Maîtres du dialogisme européen.

1. Le récit mythique et le symbole-clé. Franz Kafka

Le modèle dialogique de Franz Kafka est basé sur la déformation expressionniste de la réalité qui devient la force motrice de son récit mythique. Le contenu irrationnel de ce récit  est opposé au symbole-clé qui exprime une idée universelle et rationnelle.

*

L’étape suivante de l’évolution du dialogisme est caractérisée par le perfectionnement du modèle dialogique de Proust qui se réalise dans la fusion du psychologisme irrationnel qui avec la mythologie.

Au cours de son histoire, la littérature a connu deux types de rapports avec la mythologie. Le premier est celui de démythologisation  de la littérature qui a existé presque jusqu’au XXème  siècle. C’était une longue voie d’élimination de tout ce qui est mythique, considéré comme faux, et une recherche  inlassable de la “vérité” qui a abouti au déterminisme social et biologique propres au Réalisme et au Naturalisme. Une description fantastique, mythologique ou légendaire de l’histoire a été remplacée par la présentation réaliste du milieu social où vit le personnage muni lui-même des traits typiques de son milieu. Le premier type, selon E.M.Mélétinski, signifie “le refus conscient du sujet et de la “topique” traditionnels pour un passage définitif du “symbolisme” médiéval à “l’imitation de la nature”, à la représentation de la réalité dans des formes équivalentes de la vie” [169]. La voie de la démythologisation de la littérature n’était pas toute droite car elle menait parfois à l’accentuation de l’intérêt pour la mythologie comme, par exemple, chez les Romantiques. Passionnés par la littérature orale du peuple comme fruit de la sagesse collective et ancienne, les Romantiques avaient adopté une attitude particulière envers le mythe, ils l’ont accepté positivement, comme une “vérité” préhistorique précieuse. La nouvelle perception du mythe chez les Romantiques est bien expliquée par M.I.Stebline-Kamenski: “La redécouverte romantique du mythe consiste en ce que toutes les anciennes interprétations des mythes ont été considérées tout à coup comme fausses. Les mythes ont été perçus comme  Vérité et comme une création du Peuple, et ils sont devenus objet d’admiration et de vénération” [170]. En fait, il n’y a rien d’exceptionnel dans cette perception, car les mythes étaient conçus comme vérité expliquant le monde. M.I.Stebline-Kamenski a noté que “pour ceux qui ont créé le mythe il était une réalité objective et, par conséquent, il ne pouvait être ni allégorie, ni symbole, ni poésie, ni science, ni archétype, ni structure” [171]. Ce qu’il y avait de nouveau et d’étonnant, c’est que les mythes ont été redécouverts dans leur conception d’origine à une époque relativement récente où régnait l’explication scientifique rationnelle de l’univers. L’explosion de l’intérêt pour le mythe vers la fin du XIXème siècle a été suscité certainement par Richard Wagner qui avait hérité des Romantiques allemands leur perception particulière de la mythologie. D’après E.M.Mélétinski, c’était Hoffman qui a influencé le plus Wagner qui, à son tour, a attiré l’attention de ses contemporains sur les potentialités artistiques des mythes: “En général, la “nouvelle mythologie” des Romantiques, appliquée le plus rigoureusment par Hoffman, était l’un des maillons allant jusqu’à la mythologie du roman du XXème siècle” [172].

Le deuxième type de rapports entre la littérature et la mythologie est la remythologisation qui prend de l’extension dans la littérature du XXème siècle. Les écrivains ont emprunté aux Romantiques le même respect pour les mythes, constaté par Mircea Eliade: “Au lieu de traiter, comme leurs prédecesseurs, le mythe dans l’acception usuelle du terme, i.e. en tant que “fable”, “invention”, “fiction”, ils l’ont accepté tel qu’il était compris dans les sociétés archaïques, où le mythe désigne, au contraire, une “histoire vraie” et, qui plus est, hautement précieuse parce que sacrée, exemplaire et significative” [173]. Le retour du mythe dans la littérature a été provoqué par plusieurs raisons. Parmi les plus importantes est certainement la crise du Réalisme classique du XIXème siècle. Ses propriétés cognitives se sont révélées insuffisantes pour décrire l’image du monde de plus en plus complexe qui échappait au déterminisme social et se fragmentait finalement. Alors les écrivains, soucieux d’une présentation minutieuse de l’intégrité du monde, se mettaient à produire des “romans-fleuves”, d’autres cherchaient l’issue de la crise dans le mythe.

Pour les adeptes du mythe, celui-ci s’avère intéressant parce qu’il est capable de fournir une conception de la vie humaine. Il ne s’agit pas d’un modèle universel du monde, mais d’une “matrice” de comportement humain que l’on peut appliquer sur un récit. D’après You.N.Davydov, “une conception déterminée de l’homme” est très importante pour tout art, et le mythe en possède une [174]. La perception du mythe par les écrivains du XXème siècle est donc la même que chez les Romantiques et Wagner, mais son emploi est différent. C’est pourquoi E.M.Mélétinski observe chez les contemporains “les tentatives d’un emploi conscient, complètement non-formel, non-traditionnel du mythe” [175]. Dans leur révolte contre le rationalisme et le matérialisme, les Romantiques et Wagner idéalisaient un passé éphémère et mythique. Les écrivains du XXème siècle, par contre, ne surestiment pas le mythe, il n’est pour eux qu’une vérité parmi les autres. Introduites dans leurs oeuvres, les conceptions mythologiques se rapportent à une autre vérité, celle de nos jours. Quand N.N.Vilmont compare Thomas Mann à Richard Wagner, il note bien cette différence: “Très différent de Wagner, Thomas Mann, en s’adressant à un thème mythologique, n’appelait personne en arrière, dans le passé préhistorique, “dans la nuit et la brume” de l’illogisme politique et historique” [176].

Les adversaires du mythe indiquent dans celui-ci plusieurs traits incompatibles, d’après eux, avec la littérature. Parmi ces traits-là on cite souvent anti-historicité, puisqu’il y a du fantastique dans les mythes; fatalité, car le sujet mythologique est un cliché qui ne peut que se reproduire infiniment sans changer; universalité, parce que la conception concerne tout le genre humain en dépit des races et des régimes politiques etc. Par exemple, B.L.Soutchkov croyait que les mythes “conduisent inévitablement vers l’apauvrissement de l’art, le privent de variétés de formes, simplifient ses rapports avec la vie et la réalité, avec l’expérience spirituelle du XXème siècle parce que les aspirations idéologiques et morales de notre époque ne peuvent guère être insérées dans l’ambiance et le cadre du mythe” [177]. Cette réflexion erronnée provient de l’exagération du rôle du mythe dans une oeuvre moderne que B.L.Soutchkov considère comme soumise à la domination de la conception mythologique. En effet, cette conception est opposée en égalité, comme une “histoire vraie”, à une conception idéologique moderne, “vraie” elle-aussi, et les “défauts” du mythe, par conséquent, ne sont que les “défauts” d’une des conceptions opposées.

Les conceptions mythologiques s’avèrent donc “dignes” de considération et d’introduction dans la littérature contemporaine parce qu’elles ne dominent pas dans les oeuvres et ne dissimulent pas le présent. Il s’agit d’un procédé au nom d’une expérience artistique parce que les conceptions mythologiques sont opposées intentionnellement aux conceptions modernes de la réalité. A.V.Goulyga a sûrement raison quand il souligne que “l’emploi du mythe n’est qu’un procédé artistique” [178]. C’est dans cette fonction-là que le mythe est pertinent dans la littérature contemporaine. Selon I.F.Smolnikov, qui a étudié le problème d’introduction de l’oralité sur l’exemple de la littérature des petits peuples du Nord russe, il existe trois types d’adaptation littéraire du mythe: la reproduction directe par écrit; l’illustration allégorique de certains épisodes d’une oeuvre; enfin, l’adaptation qui “détermine toute la variété idéologique et esthétique d’une oeuvre” [179]. C’est dans cette dernière adaptation que le mythe est employé comme procédé dans la littérature contemporaine.

Comme l’opposition des conceptions mythologiques aux idéologies contemporaines est artistique, indirecte, elle nécessite des structures particulières pour sa représentation dans les oeuvres. Alors, l’introduction des mythes dans la littérature du XXème siècle n’a pas évité de porter atteinte à la forme traditionnelle des oeuvres. E.M.Mélétinski explique bien ce phénomène sur l’exemple du roman: “L’approche socio-historique a rendu rigide la structure du roman du XXème siècle, c’est pourquoi le désir de dépasser le cadre de cette structure ou de le surmonter n’a pu que le briser finalement” [180]. Les nouvelles structures ont été empruntées au mythe même. “La mythologie est devenue instrument de structuration de la narration”, écrivait E.M.Mélétinski [181]. Le phénomène d’adaptation des mythes par la littérature est très complexe parce que les écrivains contemporains ne les ménagent pas, leurs ”matrices” conceptionnelles sont souvent modifiées, abrégées, complétées etc. Il s’agit d’une volonté de faire plus évidente l’approche entre une conception mythologique et une vision du monde moderne par la mise en valeur des idées plus importantes et par l’étouffement ou l’élimination des moins importantes.

La littérature contemporaine exploite deux propriétés les plus importantes du mythe en tant que procédé. Premièrement, les récits imitent les structures des mythes connus, et exposent implicitement leur contenu à une comparaison avec les conceptions mythologiques correspondantes; deuxièmement, les oeuvres  imitent la forme même du récit mythologique capable d’associer le fantastique au réel. C’est A.I.Dorochévitch qui définit bien les deux principales fonctions du mythe dans la littérature du XXème siècle: “Le mythe dans la littérature. La littérature comme le mythe. Nous distinguons ces notions soit quand l’écrivain met en relief la similitude des situations décrites dans ses oeuvres avec des sujets mythologiques connus, soit quand il y crée une réalité fantastique qui ne nous rappelle guère la vie habituelle” [182].

Le principe de “littérature comme le mythe” devient fondamental dans les oeuvres dialogiques de Franz Kafka. On l’observe dans ses romans Le Procès (1925) et Le Château (1926), mais sa nouvelle La Métamorphose (1916) présente la quintessence de sa manière. Grégor Samsa, héros de cette nouvelle, se métamorphose un matin en scarabée, mais ne s’affole pas et pense qu’il doit prévenir sa mère et sa soeur de ce qui lui est arrivé. La mère et la soeur ne s’étonnent pas beaucoup non plus et acceptent la métamorphose comme on accepte une maladie. La vue de l’insecte leur inspire le dégoût, elles évitent de le regarder, et quand il meurt, elles s’en débarrassent une nuit en le laissant dans une décharge. La fusion du fantastique et du vraisemblable rend le récit de Kafka pareil au mythe. Comme il ne s’agit pas d’une stylisation à la façon d’un mythe, mais d’un récit fantastique authentique, certains critiques ont essayé de voir dans les oeuvres de Kafka les indices d’autres genres que mythe. Par exemple, Michel Raymond considère le récit kafkaïen comme une allégorie, mais une allégorie particulière, “une sorte d’allégorie métaphysique de la condition humaine” [183]. Marthe Robert le définit comme une fable, genre fondé sur l’allégorie, mais une fable spéciale qui “tient aussi du Märchen” [184]. Les deux chercheurs soulignent donc que le récit de Kafka dépasse les limites des genres traditionnels. Pour une allégorie, il est trop vaste sémantiquement; pour une fable il est trop significatif et indépendant au niveau événementiel, comme un conte (Märchen). V.D.Dnéprov renonce formellement à admettre que les oeuvres de Kafka appartiennent au “mythologisme artistique” parce que “le mythe est le produit de l’élaboration d’un fait réel par l’imagination populaire”, tandis que sa production est “le fruit d’une subjectivité” [185]. Il a certainement raison puisque Kafka n’emprunte pas de mythes classiques, mais recourt à une transformation fantastique spontanée du récit à la façon d’un mythe. C’est pour cette raison que Charles Mouron le définit comme “mythe individuel”, Pierre Albouy et Raymond Trousson, comme “mythe littéraire” [186]. Les chercheurs ont essayé tout simplement de classer le récit kafkaïen parce qu’ils se rendaient bien compte que c’était un pur produit de l’imagination individuelle. Mais en même temps ils ne pouvaient s’empêcher de constater qu’il ressemblait beaucoup au mythe.

Les particularités du mythe par rapport à la fable ont été bien expliquées par A.I.Dorochévitch qui a noté que “à l’origine du mythe se trouve une métaphore perçue comme réalité; en tant que métaphore, le mythe est très proche de l’art. Mais une métaphore ne devient mythe qu’en cas où elle prétend exprimer la vérité et l’universalité” [187]. La fable, pour lui, est en quelque sorte un mythe incomplet parce que “dans ce cas-là, la métaphore développée en récit ne se présente pas comme un mythe prétendant exprimer l’absolu, mais en forme explicitement conventionnelle, en forme d’une fable” [188]. Alors, le récit de Kafka n’a rien d’une allégorie ou d’une fable parce qu’il possède une propriété mythologique importante: il n’est pas ostensiblement conventionnel, car son contenu symbolique est bien dissimulé dans une histoire manifestement “vraie”, comme dans un mythe. La nature de cette particularité du récit kafkaïen est bien démontrée par Michel Denten:

Ce qui est employé d’ordinaire comme une simple référence à autre chose, le signe conventionnel qui désigne une réalité reconnue et admise confusément par tous, est pour lui [Kafka] une réalité en soi. Aussi notre attente est-elle trompée sans cesse: nous attendons des images kafkéennes qu’elles ouvrent sur nous un au-delà, et elles ne sont que la matérialisation, sans cesse reprise et développée de ce que la pensée commune utilise comme signe conventionnel [189].

Cette “ matérialisation ” du “ signe conventionnel ” est une propriété purement mythologique, on doit l’admettre avec D.V.Zatonski: “L’image mythologique ne fait pas que symboliser quelque chose, elle incarne ce “quelque chose” en toute son intégrité contradictoire” [190]. En effet, dans l’espace de la fiction diégétique de Kafka le réel et le fantastique coexistent tout à fait naturellement, comme dans un mythe, et les images surnaturelles se présentent comme “vraies” et équivalentes aux réelles. Dans les oeuvres du Réalisme classique les phénomènes surnaturels se présentent toujours comme surprenants et extraordinaires, par exemple, dans La Peau de Chagrin (1831) de Balzac, tandis que chez Kafka les rapports entre le vraisemblable et le fantastique paraissent tout à fait ordinaires. Selon l’expression de V.D.Dnéprov, “dans son univers étrange règne une causalité naturelle” [191]. V.D.Dnéprov présente bien le fonctionnement de cette causalité du récit kafkaïen: 

Imaginez un instant que Grégor Samsa s’est vraiment métamorphosé en concrelat, et vous serez contraint d’accepter tout le reste. La suite est l’aboutissement logique des données. La translation dans le domaine de l’étrange, du monstrueux, n’abolit pas les interdépendances “normales” du quotidien, bien au contraire elle les met à nu et les fixe [192].

Cependant, une déscription des rapports entre le réel et le fantastique comme manifestement “normaux” rend le récit absurde et irréel, comme dans un rêve. D’une manière générale, le mythe kafkaïen est fondé sur l’absurdité, au centre de tous ses récits se trouve une situation absurde qui ne change pas malgré les efforts déployés par les personnages. Le fonctionnement de l’absurdité  dans l’oeuvre de Kafka est bien expliqué par Jean Starobinski: “L’absurdité ne siège vraiment ni dans la structure des objets, ni dans le comportement des personnages, elle est dans l’intervalle entre les objets et les personnages, elle s’élabore dans la constante rupture de coordination qui rend le monde impraticable” [193]. C’est donc à travers des situations absurdes, implicitement, que se dévoile le contenu des oeuvres de Kafka. Comme écrivait Michel Raymond, chez lui “le sens n’était jamais dit, mais était toujours présent comme une lumière incertaine dans laquelle baignaient les détails contingents” [194].

Chez Kafka, c’est l’absurdité qui sert à créer la perspective narrative. Il n’emploie pas à cette fin de monologue intérieur, la réalité est décrite dans ses oeuvres traditionnellement, à la troisème personne, mais du point de vue d’un personnage effrayé, naïf et sincère. Son héros est psychiquement traumatisé par l’absurdité hostile de la vie et n’arrive pas à s’expliquer d’où vient le mal. La vie est présentée dans le récit comme absurde et fantastique à cause de l’aliénation du héros qui la voit ainsi. C’est cette causalité du récit kafkaïen qui justifie l’aliénation du héros et dissimule la conventionalité du procédé de perspective narrative. Kafka refuse d’être omniscient, au lieu d’explorer les motivations psychologiques reliant les actions aux mobiles qui les ont causées, il préfère se détacher du personnage comme s’il voulait dire que la perception du monde irrationnelle appartient à ce dernier. Rosemarie Ferenczi n’a pas manqué de signaler cette mise à distance chez Kafka qui, d’après elle, “n’intervient jamais dans le texte. Il s’en exclut systématiquement” [195]. Kafka s’est distancé du récit fantastique par le bias du procédé de perspective narrative et en même temps du contenu indirect qui est traditionnellement implicite. Elle est illusoire, l’objectivité qui se produit, mais elle permet de mettre sur un pied d’égalité les deux plans de contenu. La mise à distance est inutile dans une oeuvre allégorique dont la vérité monologique réside toujours dans le plan de contenu indirect, mais elle est indispensable pour le dialogisme.

Au centre des récits de Kafka il y a toujours une image symbolique, par exemple, le scarabée de La Métamorphose. Dans ses romans Le Procès et Le Château, ce sont les titres qui indiquent les symboles. Ces symboles-clés concentrent tous les problèmes des personnages, ils sont toujours insolites et énigmatiques et c’est leur présence qui rend absurde la vie des personnages, malgré la causalité naturelle apparente. Les récits de Kafka sont en principe construits sur l’énigme des symboles: si l’on savait de quoi est accusé le personnage dans Le Procès, pourquoi le château est inaccessible, ou bien pourquoi Grégor Samsa s’est transformé en insecte, les récits s’écrouleraient. Les énigmes ne sont jamais expliquées, car les personnages ne tâchent même pas de les comprendre et pour cette raison ils n’évoluent pas idéologiquement. Ils sont sûrs qu’ils n’arriveront jamais parce que le monde entier est une immense énigme pour eux. Les symboles de Kafka ont un caractère global: ils gouvernent la diégèse du récit et expriment des idées universelles concernant l’existence humaine.

Comme Kafka se soustrait des deux plans de contenu tout en restant leur auteur, il convient de constater son dédoublement idéologique parce qu’on le devine derrière la perception subjective irrationnelle du narrateur et en même temps derrière les idées objectives déduites des symboles et appartenant éventuellement à l’archinarrateur que l’on doit imaginer puisque l’auteur se tient à l’ombre de l’opposition dialogique. Alors, il est possible d’imaginer le dialogisme chez Kafka comme une opposition ambiguë et réversible de deux lectures différentes. La première est une lecture mythologique qui accepte les récits fantastiques comme “vrais” parce que leur conventionalité est camouflée par la perspective narrative. La deuxième lecture est symbolique, basée sur la supposition qu’un récit fantastique est toujours conventionnel et que sa “vérité” est exprimée dans son contenu symbolique. D’abord, si l’on accepte le récit mythique comme “vrai”, l’histoire de Grégor Samsa, par exemple, apparaît comme un accident étrange, parodique même, pas grave finalement puisqu’il est présenté du point de vue d’un héros aliéné qui est enclin d’exagérer ou de fabuler. Une lecture pareille est tout à fait possible, Michel Denten, par exemple, trouve chez Kafka “un humour secret, perceptible et fuyant” [196]. Mais si l’on croit que le récit de Kafka est une “histoire fausse”, on accepte tout de suite le symbolisme lugubre du scarabée. Alors, la fiction se transforme en une accusation assez violente et la situation de Gregor Samsa paraît insupportable parce qu’elle incarne l’état précaire et vulnérable de tout être humain comparé ici à un insecte hideux. C’est bien la lecture de Maurice Blanchot qui trouve que “les récits de Kafka sont, dans la littérature, parmi les plus noirs, les plus rivés à un désastre absolu” [197].

 Kafka se présente également comme un vrai démystificateur qui met en échec son propre mythe parce que dans ses oeuvres la lecture symbolique exprimant la “vérite” rationnelle d’archinarrateur est fondée sur la négation complète du mythologisme de son récit. Le refus du mythe est donc une condition indispensable du dialogisme dans ses oeuvres. Comme écrivait Rosemarie Ferenczi, “la réalité que Kafka dépeint en suivant sa généologie, il la fait en même temps s’effondrer sous les yeux du lecteur en le rendant conscient du fait qu’elle est fondée sur un mythe qui est une imposture” [198]. En même temps, il convient de souligner la relativité d’une telle démystification parce qu’elle n’exprime qu’une seule voix, celle de l’archinarrateur, qui fait partie d’une opposition dialogique ambiguë n’admettant aucune domination idéologique.

2. Le courant de conscience  et le mythe implicite. James Joyce

Un modèle original du roman dialogique a été proposé par James Joyce dans son roman Ulysse (1922). Ce modèle est basé sur la fusion paradoxale du “courant de conscience”, procédé qui exprime bien le psychologisme irrationnel, avec le mythe extratextuel implicite employé selon le principe de “mythe dans la littérature”.

*

James Joyce a employé dans son roman Ulysse un procédé simple et apparemment anodin: ayant décrit une journée de la vie de Léopold Bloom, un petit employé, il a entitulé les chapitres du roman par les titres empruntés à l’Odyssée, et le roman lui-aussi a reçu pour titre le nom du héros antique. En résultat, Léopold Bloom est comparé implicitement à Ulysse, sa femme Marion à Pénélope, Stephen à Télémaque et le récit tout entier à la conception du mythe. L’écrivain a découvert ainsi un modèle d’adaptation du mythe qui a transmis à son oeuvre une dimension nouvelle et qui a exercé une grande influence sur l’évolution ultérieure du roman à travers le monde.

Le récit du roman de Joyce est exposé du point de vue de trois personnages dont la narration est fondée sur le “courant de conscience”, un type de monologue intérieur qui suit un itinéraire étriqué des sensations, obsessions et angoisses et non pas celui d’une logique rationnelle du roman classique. Jean Paris décrit ainsi cette particularité d’Ulysse: “A l’opposé des romans classiques où l’action observe une échelle fixe de valeurs, Ulysse se morcellera en une myriade de systèmes temporels et psychologiques” [199]. La découverte du “courant de conscience” est attribuée généralement à Edouard Dujardin, auteur du roman Les Lauriers sont coupés (1887), mais son introduction dans la littérature est liée avec James Joyce qui en a fait un procédé universel, un style, voire une philosophie. Jean Paris note à cet égard: “Le monologue, qui ne servait chez les prédecesseurs qu’à des fins stylistiques, apparaît donc à Joyce comme la trame ininterrompue de l’existence” [200]. Alors, si le narrateur de Dostoïevski arrive à “rassembler ses idées” malgré un choc psychologique et Proust s’attache à mettre de l’ordre dans la narration qui saute d’une impression à l’autre, Joyce enregistre instantanément les moindres mouvements de conscience dans leur “désordre” et leur confusion en négligeant complètement la structure logique du récit. Joyce a basculé toutes les normes traditionnelles en poussant l’expression du psychologisme à l’extrême, “jusqu’à l’outrance la plus résolue”, selon l’expression de Floris Delattre [201].

Le concept et le terme du “courant de conscience” a été proposé par le psychologue américain William James à la fin du XIXème siècle. D’après son concept, l’homme n’imagine pas sa propre conscience comme fragmentée, malgré qu’elle se compose en effet d’une myriade d’impressions, mais comme un courant ininterrompu. Selon James, le “courant de conscience” est une forme d’expression de l’unité moïque de l’homme qui se traduit dans la perception du présent comme étroitement lié avec certains épisodes du passé, même si la distance temporelle est ressentie. Développé à partir du monologue intérieur, le “courant de conscience” de Joyce se base sur l’unité moïque de James et se distingue par l’expression très prononcée de la relativité du temps et de l’espace qui se dilatent et se contractent constamment, ainsi que par les passages spatio-temporelles rapides et apparemment arbitraires. Le deuxième aspect du “courant de conscience” est l’impression sensorielle, notion élaborée par les théoriciens américains du XXème siècle, notamment par Melvin Friedman. Par rapport au monologue intérieur qui se présente comme une sorte de citation du processus de formation active et consciente de pensées et de sentiments, l’impression sensorielle se caractérise par un certain décalage de l’attention de son foyer. Comme l’attention n’est pas orientée et la conscience reste passive, elle enregistre distraitement des sensations fortuites dans l’ordre de leur apparition, se déplace imperceptiblement vers le subconscient et fragmente la narration. Inspiré par Freud, Joyce a été surtout intéressé par cet aspect du “courant de conscience” qui permet de tenter l’exploration des données du subconscient qui, paraît-il, sont très difficiles à exprimer avec des moyens linguistiques. Cependant Joyce fait un grand effort pour exprimer des sensations physiologiques, états nevrosés, désirs pervers qui sont étudiés d’habitude par les psychanalystes. Cette particularité a rendu absurde son “courant de conscience” et lui transmis la nuance d’une expérience presque scientifique. D’après le témoignage de Michel Raymond, à l’époque de Joyce “on attribuait parfois au monologue intérieur une fonction d’investigation scientifique” [202].

L’enregistrement détaillé des sensations subjectives, souvent pathologiques, dans le “désordre” de leur agencement voulu par le “courant de conscience” rend la narration alogique et opaque. Pour exprimer cet effet, Joyce emploie plusieurs procédés linguistiques qu’il élabore en fonction du niveau de culture de chaque narrateur. Tantôt il remplit le texte de mots et d’expressions archaïques, tantôt de néologismes assez osés. Il recourt parfois à l’écriture liée de plusieurs mots, s’amuse à inventer des jeux de mots et des calembours. La phrase de son “courant de conscience”, parfois interrompue à demi-mot, est morcelée par des intercalations exprimant des impressions passagères, dans certains épisodes le “courant de conscience” est transmis par des phrases sans majuscules et sans signes de ponctuation. 

L’étude de la psyché humaine à travers le monologue intérieur fondé sur la libre association des idées et des sentiments aurait dû enrichir l’oeuvre, la rendre plus explicite et vraisemblable puisque l’homme est plus sincère dans ses pensées que dans ses dires. Pourtant le récit de Ulysse, perçu à travers le “courant de conscience”, est sans intrigue, la diégèse ne sert guère à expliquer les personnages, c’est tout simplement un canevas du “courant de conscience”. Les personnages ne sont pas des héros aux caractères bien déterminés, mais des silhouettes incertaines diluées dans leurs réactions psychiques subconscientes parce que Joyce concentre son attention sur des désirs réprimés non-réalisés et non-exprimés sans laisser passer le moindre mouvement sensoriel. En résultat, les personnages deviennent imprécis et la réalité se fond dans une quantité de détails minuscules. Plusieurs chercheurs affirment que le “courant de conscience” de Joyce ne convient pas à la littérature parce qu’il n’accomplit pas la fonction d’analyse psychologique qui sert d’habitude à expliquer le comportement des personnages par leurs sentiments. Floris Delattre écrit qu’avec ce procédé “on risque de n’appréhender jamais que de l’irréel” [203]. Michel Raymond pense que “c’est une duperie, ou un abus de langage, que de prétendre explorer l’inconscient d’un personnage imaginaire en enregistrant sa “pensée parlée” [204]. Il soupçonne que le “courant de conscience” de Joyce vise un objectif secret, que son “expérience” psychologique est un subterfuge puisqu’il ne produit qu’un contenu absurde. En effet, Joyce aurait dû se rendre compte qu’il ne pouvait pas proposer aux lecteurs de s’occuper de la psychanalyse freudienne pour explorer le subconscient des narrateurs, car une approche scientifique est incompatible avec la littérature. Alors, pour remédier à ce défaut de son monologue intérieur, Joyce remplit le roman d’une multitude de symboles d’origine différente. On y trouve les réminiscences des livres des mystiques médiévaux et des légendes irlandaises anciennes, les symboles des liturgies catholiques et tout un système de symboles érotiques élaborés par Freud. Chaque épisode du roman et chaque personnage incarne une couleur, chaque épisode représente en même temps une science ou un art, ainsi qu’une partie du corps humain. Les personnages transmettent également un symbolisme prèsqu’imperceptible fondé sur des impressions subjectives d’auteur. Dans certaines interprétations, Bloom est Juif Errant, Stephen est Shakespeare, parfois même Jésus Christ, Marion est Sainte Vierge. Outre cela, la sémantique du roman est enrichie par de nombreuses parodies de styles, genres, tendances, auteurs. Tous ces procédés ont contribué à sauvegarder la littérarité de Ulysse en lui procurant un contenu et à respecter en même temps le caractère absurde de son monologue intérieur qui n’a pas été affecté grâce à la forme indirecte de ce contenu.

L’aspect analytique du monologue intérieur de Joyce est donc beaucoup moins important que son aspect formel, conventionnel. Dans Ulysse, les événements ne sont pas motivés par des mobiles psychologiques à cause de leur absurdité. Le “courant de conscience” de Joyce sert avant tout à signaler l’absurde dans la psychologie humaine au lieu de dévoiler les raisons internes secrètes du comportement des personnages. La conclusion que fait Michel Raymond à propos du monologue intérieur de Joyce est très significative: “Là, où l’on avait vu d’abord un procédé d’exploration de la pensée intime en formation, on découvrait bien vite un excellent moyen de manifester la divergence des optiques” [205]. Alors, le subterfuge de Joyce s’explique par son intention d’exprimer avec le “courant de conscience” l’aliénation des narrateurs et l’irrationalité de leur perception du monde et de créer une perspective de narration qui permet à l’auteur de se tenir à distance par rapport au discours des narrateurs. D’après l’expression de T.L.Motyliova, “dans Ulysse l’auteur ne s’unit pas avec le narrateur, mais se cache derrière” [206].

Le deuxième élément important du dialogisme est certainement le mythe extratextuel que Joyce a introduit dans son roman implicitement, par l’intermédiaire des titres tirés de L’Odyssée. Le fonctionnement structurel du mythe introduit dans une oeuvre selon le principe de “mythe dans la littérature”, comme c’est présenté par I.M.Fradkine, est assez simple: “Le récit est superposé sur des sujets mythologiques, historiques ou littéraires et il est comparé au fur et à mesure avec ceux-là par le biais des allusions, certaines analogies ou ressemblances” [207]. Comme résultat de la superposition, I.M.Fradkine signale l’émergence, à côté du “plan de représentation-narration directe”, d’un “plan de signification généralisante” qui se manifeste indirectement [208]. D’abord, la similitude structurelle entre les épisodes du roman et les chapitres du poème épique a fourni à Ulysse une “charpente” structurelle qui assure l’intégrité de sa narration très fragmentée. Cette “charpente” sert à maîtriser le “courant de conscience” fondé sur l’indétermination spatio-temporelle que Floris Delattre a baptisé de “dédale si impitoyablement encombré”  [209]. Pour sauvegarder l’intégrité du roman, Joyce recourt également à l’unité d’espace et de temps, car le récit se déploie à Dublin pendant une seule journée du 16 juin 1904 de 8 heures du matin jusqu’à 3 heures du matin du jour suivant. Dans son roman, Dublin est décrit en détails, Joyce y a reporté prèsque tout le contenu du guide de la ville de 1904 et a minuté les événements de tous les épisodes. En même temps, la structure du récit empruntée au mythe établit l’unité de son contenu parce qu’elle intègre l’ensemble de significations symboliques et intertextuelles d’origine différente. D’une façon générale, c’est le mythe qui a transformé l’expérience quasi-scientifique de Joyce en oeuvre littéraire parce qu’il a structuré le récit de Ulysse pour le rendre lisible en lui opposant une conception mythologique. Comme le “courant de conscience” centré sur la récupération des sensations incertaines et des éclats d’impressions du subconscient des narrateurs aliénés transmet des idées subjectives irrationnelles et la conception mythologique est rationnelle, le dialogisme s’installe dans Ulysse entre le plan de contenu indirect attribué à un archinarrateur imaginaire et le contenu direct exprimé par les narrateurs dans le récit

La plupart des critiques renoncent à analyser les fonctions du mythe dans Ulysse et se concentrent sur le “courant de conscience”. Ceux qui s’y penchent se voient obligés de constater plusieurs contradictions difficiles à expliquer. Le premier effet produit par le mythe qu’on observe le plus souvent, c’est la parodie et la satire parce que Bloom, Marion et Stephen, comparés à leurs analogues antiques, paraissent ridicules et minables. Le deuxième effet provient du caractère universel de la conception mythologique qui rend le récit romanesque également universel, mais contredit son aspect parodique parce qu’il universalise la mesquinerie des personnages. V.V.Ivacheva a essayé de reconcilier, assez maladroitement, les deux effets pour formuler une idée maîtresse. D’après elle, “Ulysse est une critique de la morale bourgeoise abjecte, du mode de vie et de l’idéologie des philistins et à la fois c’est une déclaration de l’universalité illusoire du bourgeois, de son triomphe. C’est un roman qui met à nu les instincts bas et en même temps déclare: l’homme est un monstre et plus précisément, un animal sale et vil” [210]. Elle n’accepte pas que “l’épopée lugubre de Joyce” est formée sous l’influence du “poème épique joyeux et vivifiant des Anciens”, y voyant une contradiction, et minimise le rôle du mythe dans ce roman en notant que leurs correspondances “revêtent un caractère purement formel” [211]. Le troisième effet du mythe dans Ulysse est signalé par I.V.Chablovskaïa qui affirme que “le roman lui-même est aussi un mythe, contemporain et ancien, stylisé et original” [212]. En effet, Léopold Bloom apparaît comme un “everyman” qui incarne un bourgeois typique, Stephen représente un intellectuel, Marion, la féminité. Le récit englobe, en une journée, les principaux aspects de l’existence humaine: enterrement, naissance etc. Claude Jacquet la présente ainsi: “La journée de Bloom, cycle et retour, équivaudra aux dix années d’errance d’Ulysse, à toute une vie ou à toute l’histoire humaine, de même que Dublin est l’équivalent du monde homérique ou de l’univers tout  entier” [213]. Enfin, les plus perspicaces ont remarqué que le récit parodié par L’Odysée, la parodie à son tour. Par exemple, I.Chamir, le traducteur russe de Ulysse, note que “le baiser planté par Bloom sur la fesse de Marion parodie Ulysse qui embrasse les pierres d’Itaque” [214]. Or, le cercle est fermé, le récit et le mythe manifestent dans Ulysse une égalité fonctionnelle et une interaction réversible efficace.

Ulysse est la première oeuvre dont la réversibilité dialogique entre le récit et le mythe a été signalée par les critiques. Chez Proust et Kafka, l’interaction dialogique des deux plans de contenu est moins évidente: le symbolisme de la structure temporelle fermée de la Recherche n’apparaît qu’à la fin du septième livre; Kafka recourt à une structure traditionnelle, alors ses lecteurs suivent un itinéraire connu et tâchent de formuler l’idée maîtresse à partir d’un symbole-clé sans se rendre compte que le récit est opposé en égalité à l’idée du symbole. C’est sûrement à cause de sa conception développée en poème épique que le mythe est ressenti dans Ulysse comme égal au récit des narrateurs.

Le dialogisme instauré entre les deux plans de contenu de Ulysse produit l’ambiguïté dont l’effet peut être présenté comme l’opposition de deux lectures. D’abord, si l’on entend la voix secrète de l’archinarrateur qui exprime le contenu indirect, et si l’on considère cette voix comme dominante, on arrive à la perception pessimiste du roman à l’exemple de D.G.Jantiéva: “L’idée philosophique qui se trouve à la base du roman se réduit à ce que la vie de chaque individu et de toute l’humanité n’est qu’un tourbillon, un cycle monotone et infini” [215]. Si l’on néglige le contenu indirect parce que le mythe est implicite et ne se révèle qu’au niveau des structures, on a l’impression que le récit romanesque est indépendant et on entend seulement la voix des narrateurs du plan de contenu direct. Par exemple, Jean-Louis Giovannangeli croit que dans Ulysse “le récit déborde le stricte cadre odysséen”, que “le schéma homérique ne serait qu’un effet surajouté” et qu’en général, ce roman est une parodie puisque du point de vue du narrateur la réalité est présentée comme bizarre: “La tentative de réactivation du mythe n’embraie plus que sur une réalité dérisoire. Vaines tentatives de retrouver l’origine perdue dans un passée glorieux” [216].

Les deux chercheurs sont formels dans leurs conclusions parce qu’ils traitent Ulysse comme une oeuvre monologique et la divergence de leurs points de vue provient du choix de la voix. En effet, les deux lectures du roman sont possibles à cause de l’ambiguïté de son contenu résultant du dialogisme entre Bloom, parfois remplacé par sa femme ou Stephen, et l’archinarrateur. Bloom présente sa vision du monde dans un “courant de conscience” très sincère, le récit est perçu comme “vrai” grâce à sa sincérité et grâce à l’absence d’indices apparents d’une allégorie qui puisse le rendre “faux”, même si le monologue intérieur implique une mise en perspective discrètement conventionnelle qui crée une distance entre le narrateur et l’archinarrateur. L’archinarrateur dissimule sa voix dans le plan de contenu indirect. Implicitement, avec le mythe, il essaie d’indiquer à Bloom sa différence par rapport à Ulysse, mais il n’arrive jamais à le rendre ridicule ou minable parce que la “vérité” mythologique qu’il lui oppose est une “vérité” très ancienne et relative. Claude Jacquet présente bien l’effet produit par le dialogisme, même s’il ne l’évoque pas et n’explique pas son origine:

Il n’y a pas dans Ulysse de dégradation systématique du présent par rapport au passé. Bloom n’est pas non plus un personnage héroï-comique, ou s’il l’est parfois, c’est de façon plus ambiguë que dans les poèmes burlesques, la référence à l’Odyssée restant implicite. La médiocrité de Bloom par rapport à Ulysse, ou son courage exemplaire face à des adversaires ridicules, ne suffisent pas à le rendre dérisoire. En réalité, Bloom est à la fois trivial et mythique, contemporain et universel, et le parellèle se situe sur un double plan, à la fois sérieux et burlesque [217].

Seul le dialogisme est capable de réaliser une ambiguïté  pareille entre nouveau et ancien, bon et méchant, tragique et ridicule, précis et imprécis, objectif et subjectif, rationnel et irrationnel. Autrement, Floris Delattre ne saurait découvrir chez Joyce une “beauté inconnue” et une “poésie nouvelle” en notant: ”Et dans le même temps qu’il s’acharne à dégrader la vie humaine, il s’efforce d’extraire du fond de cette horreur toute la beauté inconnue qui y est enclose. Sur la vulgarité, si morne et vide de la vie citadine, il jette une sorte de poésie nouvelle, qui fait penser aux rayons crus du soleil sur un gris paysage d’hiver” [218].


4. Conclusions de la Première partie

1. Les influences

Dostoïevski, Proust, Kafka, James Joyce exercent une grande influence sur l’évolution ultérieure du roman européen. Cependant, leurs oeuvres sont acceptées, avant tout, comme exemples de l’approfondissement du psychologisme littéraire, comme tentatives de pénétrer la vie intime de l’homme jusqu’au subconscient. Cette tendance est motivée, naturellement, par l’influence des idées de Zigmund Freud, Karl-Gustav Jung, Henri Bergson, populaires à l’époque d’entre deux guerres. Mais le dialogisme des romans de Dostoïevski, Proust, Kafka, Joyce reste inaperçu par leurs successeurs qui adoptent leurs découvertes comme procédés d’investigation de la psychologie humaine. Ils se rendent sûrement compte que le “courant de conscience” de Joyce, par exemple, crée une perspective de narration qui distance l’auteur du narrateur, mais n’essaient jamais de l’opposer à une idée divergente exprimée par un mythe ou un symbole. Tout au contraire, ils multiplient les perspectives pour diversifier leur investigation et tâchent de les rassembler dans un point pour proposer une conclusion monologique.

Une telle attitude envers la psychologie est très évidente dans les romans de Virginia Woolf. Pour elle, la vie intérieure sentimentale de l’homme est beaucoup plus précieuse que la vie matérielle, événementielle. L’aspect spirituel de l’homme, d’après elle, est plus intéressant pour l’art que son activité sociale. La narration de ses oeuvres est orientée par l’imagination des narrateurs, par le libre enchaînement de leurs émotions, impressions, associations dans des monologues intérieurs où la perception instantanée du réel et les souvenirs se confondent. La réalité est secondaire pour Woolf, elle n’apparaît qu’à travers la perception des narrateurs, elle est morcellée et opaque. Virginia Woolf a fait du “courant de conscience” le principe même de la création. D’après elle, les détails psychologiques considérés communément comme insignifiants et négligés par les romanciers s’avèrent parfois très importants dans notre vie. Dans ses paroles que Floris Delattre tire de son fameux article La littérature moderne (1919), elle appelle à suivre son exemple:

Observons la chute des atomes dans l’esprit et l’ordre dans lequel ils tombent; suivons le dessin, si brisé et incohérent qu’il puisse paraître, que chaque chose vue, que chaque incident trace dans la conscience; Ne tenons point pour acquis que la vie existe plus pleinement dans ce qui passe communément pour important que dans ce qui passe pour insignifiant [219].

Dans le célèbre roman de Virginia Woolf Promenade au phare (1927), la narration est constituée de plusieurs perspectives, car l’histoire y est exposée par les membres de la famille Ramsey et leurs invités qui habitent une petite maison au bord de la mer. La première partie du roman est dominée par une opposition entre Mme Ramsey incarnant un monde féminin, chaud, compréhensif, accueillant, et M. Ramsey représentant un monde masculin, froid, logique, intolérant. La deuxième partie constate une crise de la famille causée par la première guerre mondiale et surtout par la mort de Mme Ramsey: la maison perd sa chaleur accueillante, ses habitants ne sont plus fréquentés. Dans la troisième partie, M. Ramsey réalise le désir de sa femme défunte, il accomplit un voyage au phare avec ses enfants et ses invités, la maison renaît et, avec elle, le pouvoir imperceptible de Mme Ramsey, ressenti par tous les habitants de la maison. Les perspectives polyphoniques du roman de Virginia Woolf sont donc reliées par le symbole du phare. L’opposition tracée entre le féminin et le masculin est résolue par une synthèse heureuse. Le roman sans sujet bien distinct, constitué principalement de petits mouvements psychologiques qui ne respectent pas les lois de la logique formelle, obtient, grâce au symbole, une idée maîtresse tout à fait traditionnelle. E.Guéniéva a raison quand elle note que les romans de Virginia Woolf “contiennent une confirmation philosophique de l’harmonie de la vie, de la nécessité des liens profonds entre les hommes” [220]. L’approche de la romancière est donc monologique par principe, car elle tient à persuader que ce monde si changeant est uni. Le recourt au symbole est motivé sûrement par le fait que le “courant de conscience”, irrationnel, ne peut pas exprimer des idées rationnelles de l’auteur. La fonction des symboles-clés des romans de Virginia Woolf est bien expliquée par V.V.Ivacheva: “Ces symboles sont appelés à mettre en évidence le lien existant entre le monde visible et le monde intime qui se trouve derrière lui et à expliquer le sens des impulsions cachées dans le subconsient” [221].

Aux Etats-Unis, les romanciers sont égalements attirés par le “courant de conscience” et ne découvrent pas le dialogisme dans les romans de leurs auteurs préférés. William Faulkner développe l’expérience de James Joyce dans son roman Le Bruit et la Fureur (1929) où il présente, séparément, trois monologues intérieurs de trois frères exposant la même histoire de leur famille. Le premier, c’est le “courant de conscience” absurde de Benjie, un malade mental sourd-muet; le deuxième est celui de Quentin, un névrosé obsédé par des complexes psychiques qui le poussent au suicide; le troisième présente le point de vue de Jason, un misanthrope vil et grossier. L’expérience de Faulkner consiste donc dans la diversification psychologique assez ingénieuse des monologues intérieurs. Cependant, comme le romancier se rendait compte que les “courants de conscience” des trois personnages ne sont pas aptes d’exprimer des idées rationnelles, il les a complétés d’un quatrième récit, réaliste, qui relate la fin de l’histoire du point de vue de l’auteur et qui relie les monologues par une idée maîtresse. C’est sûrement à cause de cette conclusion que certains critiques considèrent Le Bruit et la Fureur comme “réaliste”, malgré ses “courants de conscience” [222]. En 1946 Faulkner a ajouté à ce roman un complément où il raconte la même histoire encore une fois, en la motivant par des événements historiques. Cet effort du romancier est bien expliqué par Ya.N.Zassourski: “La forme de roman de courant de conscience n’a peut-être pas offert à l’écrivain la possibilité de dévoiler la tragédie de la famille Compson et il a dû placer les trois monologues intérieurs dans le cadre formé non seulement par une conclusion narrée par l’auteur, mais, plus tard, par une sorte d’introduction historique” [223].

Or, chez James Joyce, Virginia Woolf, William Faulkner, le “courant de conscience” devient apparemment un procédé universel d’investigation de la psyché humaine qui décrit bien la perception du monde à travers une multitude d’impressions subjectives. Mais comme ce procédé est constitué de toutes sortes de rêves, visions et d’autres données irrationnelles du subconscient, il s’avère incapable de rendre des idées d’auteur rationnelles. Seule la psychanalyse freudienne permet peut-être d’en déduire une information objective, mais c’est une méthodologie scientifique, incompatible avec la littérature. Alors, les romanciers sont obligés de recourir aux moyens littéraires auxiliaires: tout en soulignant le caractère expérimental de leurs oeuvres, ils sont tenus à exprimer leurs idées rationnelles indirectement, par le biais d’un mythe (Joyce), d’un symbole (Woolf), d’une conclusion d’auteur réaliste (Faulkner).

Les fonctions dialogiques du récit mythique de Kafka et du mythe extratextuel de Joyce n’ont pas été perçues non plus par leurs successeurs, certains écrivains introduisent des mythes dans leurs romans, mais ils restent monologiques. Par exemple, Thomas Mann recourt dans sa tétralogie Joseph et ses Frères (1933 - 1943) à un mythe biblique connu, reporte l’action du roman dans le passé du mythe emprunté et raconte l’histoire biblique en ressuscitant la civilisation archaïque. Thomas Mann a employé toute son immense érudition, en mêlant tous les genres et tous les styles pour décrire la légende de Joseph, fils de Jacob. Mais la déscription des temps bibliques ne constitue pas l’unique objectif du romancier qui a rempli son oeuvre d’une substance tout à fait moderne. N.N.Vilmont écrivait à ce propos: “C’est étonnant: le récit reporté dans le passé mythologique n’a pas séparé la légende biblique de Joseph de la problématique actuelle et ne la même pas privé d’une morale tendancieuse” [224]. La modernité de Joseph et ses Frères provient du fait que Thomas Mann s’est servi du mythe comme d’un moyen pour exposer une idéologie contemporaine. Pour exprimer ses idées, il n’a pas modifié la conception légendaire, sa variante de l’histoire de Joseph ne se distingue guère de l’original biblique, mais il y a ajouté une quantité de détails absents dans la Bible. Joseph ne s’écarte pas de sa voie prescrite par la légende, il garde ainsi son aspect mythique, mais en même temps il est très doué intellectuellement et psychologiquement. Selon Louis Leibrich, “Joseph apparaît presque comme notre contemporain“ [225].

Un changement plus ou moins radical des structures du mythe, son interprétation différente auraient pu produire une signification nouvelle, mais comme le mythe n’a pas subi de modification importante chez Thomas Mann, son discours idéologique a été transféré de la diégèse à la narration. I.M.Fradkine a raison quand il note que “dans le roman intellectuel de Thomas Mann, l’idée ne découle pas de la logique objective de l’action, du comportement des personnages et du sens interne du développement de la fable, elle est plutôt exprimée dans les propos et dans les monologues intérieurs, dans les discussions des antagonistes, à travers l’exclusion réciproque des thèses philosophiques divergentes” [226]. Une attitide pareille envers le mythe résulte des principes de Thomas Mann. Le romancier croit que certains aspects de la nature humaine peuvent être bien expliqués par le mythe, par exemple, l’amitié et l’amour, le désir du bonheur, la quête de la vérité et de la justice etc. Pour le Réaliste Thomas Mann l’homme est une nature complexe soumise à toutes sortes de déterminismes: social, biologique et mythologique également. Par exemple, il pardonne à Joseph son narcissisme, à Jacob les privilèges injustes dont il comble son fils préféré, en attirant sur lui la haine de ses frères parce que leurs actes résultent d’une prédestination mythologique, parce que tout ce qui leur arrive est voulu par Dieu. Comme l’action de la tétralogie est reportée dans un passé reculé et le romancier suit à la lettre les événements de la légende qui se présente comme “vraie” grâce au déterminisme mythologique, Joseph et ses Frères acquiert quelquefois le caractère d’un roman historique. Seul l’attachement plus important à la modernité à travers son symbolisme distingue cette oeuvre de Thomas Mann des romans historiques, même si ceux-là évoquent aussi des problèmes actuels.

L’introduction d’une conception mythologique dans une oeuvre contemporaine trahit toujours l’intention de l’auteur de comparer la vie de nos jours à une vie préhistorique exemplaire. Aussi le principe du modèle mannien de l’emploi du mythe consiste-t-il dans la plongée dans le passé archaïque avec la référence constante au présent. Mais la conclusion tirée de cette comparaison est toujours monologique, la tétralogie Joseph et ses Frères n’exprime que la “vérité” d’auteur et ressemble plutôt à un roman à thèse. L’introduction du mythe ne produit donc pas de dialogisme automatiquement. L’idéologie du récit de la tétralogie n’est pas opposée à la conception mythologique, tout au contraire, elle en est déduite grâce au rapprochement des images mythologiques à leurs référents actuels. Il n’y a aucune opposition psychologique dans Joseph et ses Frères  puisque le narrateur n’est pas un personnage aliéné qui perçoit la vie d’un point de vue insolite qui le distingue de l’archinarrateur: c’est un alter ego de l’auteur et c’est son  idéologie qu’il exprime. En plus, le narrateur subit une évolution idéologique considérable, pareille à celle d’un roman d’apprentissage, inadmissible dans une oeuvre dialogique. Le récit s’avère finalement “faux” chez Thomas Mann malgré le déterminisme mythologique qui sert à le rendre “vrai” en camouflant sa conventionalité. C’est pour cette raison que A.V.Goulyga considère Joseph et ses Frères comme un “mythe stylisé” [227]. Et c’est vrai car on n’entend que la voix de Thomas Mann dans un décors archaïque de la tétralogie. Le mythe est précieux pour lui dans la mesure qu’il procure une conception digne de considération et sert de moyen d’expression symbolique de ses idées sur la modernité.

Deux écrivains latino-américains, Miguel Angel Asturias et Alejo Carpentier, ont été également intéressés par l’introduction des mythes et de la psychologie irrationnelle dans les romans. Asturias et Carpentier n’ont pas discerné le dialogisme dans les oeuvres de James Joyce et Franz Kafka, mais ils ont enrichi la tendance découverte de leurs propres innovations et l’ont exportée en Amérique Latine. Profitant de la survivance dans leurs pays de la mentalité mythologique superstitieuse, il ont introduit dans la narration une perspective mythologique irrationnelle. Asturias et Carpentier ont remplacé la perception du monde aliénée maladive, propre aux romans européens, par une mentalité mythologique locale qui a rendu leurs oeuvres très différents et colorées. En même temps, ils ont opposé la perspective de narration mythologique irrationnelle à une perspective rationnelle. La nécessité d’une telle opposition est bien expliquée par V.N.Kouteïchtchikova: “Pour le romancier de l’Amérique Latine, cette mentalité [mythologique] était vivante et aussi contemporaine que la mentalité rationnelle, cela exigeait non pas un “retour au mythe” tout simplement, mais une jonction de deux types de consciences très différentes et égaux esthétiquement” [228].

La première tentative de la jonction des deux types de mentalité a été réalisée par Asturias dans son roman  Monsieur le Président, écrit en 1933 et publié en 1946. C’est un roman politique qui décrit l’époque de la présidence du dictateur guatémaltèque Estrada Cabrera. Le “héros collectif” de ce roman est la société toute entière paralysée par la peur, car son thème principal est la violence. Pour cette oeuvre Asturias a trouvé des moyens permettant d’exprimer l’irrationalité de la mentalité mythologique, il l’a rendue par l’intermédiaire de la langue parlée de son peuple. Cette particularité du roman Monsieur le Président est notée par Kouteïchtchikova: “La vision du monde folklorique et épique, représentée dans la langue, est acceptée par l’auteur comme critère de description et d’appréciation de la réalité contemporaine” [229]. Deuxième particularité du roman d’Asturias est la structure folklorique de la narration qui remonte, selon Kouteïchtchikova, à une “anecdote orale” et même à un “conte folklorique” [230]. Sa troisième particularité est la représentation du délire et des visions des personnages agressés par le régime politique qui indique qu’Asturias fait recourt à l’aliénation comme moyen d’accusation sociale et de justification des visions.

Malgré certains éléments propres au dialogisme qu’on observe dans Monsieur le Président, il n’est pas dialogique, car les deux perspectives, différentes par leur origine et capables d’accentuer le contraste des idées, ne se contredisent pas, car les deux accusent la violence. Kouteïchtchikova retrouve dans ce roman l’interaction de “deux mythologies”. La première est Popol-Vuh, la vieille croyance des Mayas, avide de sacrifices humains; la deuxième est la “mythologie du XXème siècle” des dictateurs misanthropes [231]. Mais l’interaction signalée par Kouteïchtchikova n’est pas contradictoire, elle l’avoue elle-même en notant que “les deux mythologies qui représentent deux étapes de l’évolution de l’humanité et qui sont séparées par le temps convergent dans un point” [232]. Le deuxième roman d’Asturias, Les Hommes de maïs (1949), décrit un conflit entre une tribu indienne et les autorités locales. Ce conflit est présenté principalement du point de vue des Indiens. Kouteïchtchikova met en évidence la domination de la vision mythologique dans ce roman en notant que “les événements de ce livre sont liés et sont déterminés non pas par les règles de la logique rationnelle, mais par les lois de la mentalité mythologique” [233]. Cette observation indique que le dialogisme est impossible dans ces conditions, mais Kouteïchtchikova a parfaitement raison lorsqu’elle vante la découverte d’Asturias qui a créé, pour la première fois, un modèle fictionnel de la mentalité mythologique: “Là où on avait l’habitude de voir un élément irrationnel, illogique ou “anté-logique”, le romancier guatémaltèque a découvert une autre logique, un moyen différent de perception du monde” [234]. Kouteïchtchikova a également raison quand elle note que l’expérience d’Asturias a exercé une grande influence sur toute une génération d’écrivains latino-américains. Il ne reste qu’apporter une précision: l’attitude d’Asturias et des écrivains européens envers les mythes est identique, mais Asturias a réussi à élaborer, avec des moyens linguistiques, un mode d’expression particulier de la mentalité mythologique.

Le deuxième écrivain qui a exercé une grande influence sur les romanciers latino-américains est certainement Alejo Carpentier. Comme Asturias, le romancier cubain a introduit dans son roman Le Règne de ce monde (1949) une mentalité mythologique. Kouteïchtchikova note que “l’auteur ne fait pas de cette mentalité l’unique moyen de perception de la réalité”, car elle est en interaction constante avec une mentalité rationnelle [235]. Portant, ce roman n’est pas dialogique parce que les deux perspectives ne se contredisent pas. Lorsque Kouteïchtchikova note que “le point de vue de l’auteur se déplace prèsque invisiblement de la sphère de perception de Blancs dans la sphère de perception des Noirs”, elle met en évidence non seulement une particularité de fonctionnement de l’interaction, elle indique également que ce point de vue est unique [236]. Le Règne de ce monde est aussi intéressant par les idées de son auteur sur l’origine de la “réalité magique” exposées dans la préface du roman. Carpentier explique l’introduction de la mentalité mythologique dans son roman par l’existence réelle de cette mentalité en Amérique Latine. Selon lui, la réalité des pays latino-américains est “pleine de merveilles”, et il oppose ce monde “merveilleux”, vivant et coloré, au “merveilleux” propre aux “certaines tendances de la littérature européenne”, ayant en vue, sûrement, le surréalisme dont il a été adepte un certain temps [237]. D’après Carpentier, le “merveilleux” européen, basé sur de vieux clichés, est artificiel et truqué, tandis que son roman est fondé sur des témoignages. Il prévient le lecteur qu’il respecte la “vérité historique”, mais que “l’élément du merveilleux pénètre cette histoire” [238].

2. Le bilan

Le retour dans le passé de la littérature européenne n’a découvert qu’une seule oeuvre dialogique qui précède les romans “polyphoniques” de Dostoïevski, Le Misanthrope de Molière, ainsi qu’une oeuvre monologique produisant de l’ambiguïté, Est-il bon? Est-il méchant? de Diderot, et deux oeuvres contenant des dissonances idéologiques qui contredisent l’idée d’auteur, Le Paradis perdu de John Milton et Manon Lescaut de l’abbé Prévost. Cette retrospection a été fructueuse parce qu’elle a permis de déceler les origines du dialogisme et de faire le point des principaux éléments qui constituent le dialogisme.

Le dialogisme de Molière est né de toute apparence du désir d’amuser le spectateur, de l’intriguer en lui proposant, au lieu d’une idée maîtresse, deux idées divergentes. L’émergence du dialogisme au théâtre semble tout à fait logique parce que l’art dramatique est fondé sur l’absence de narrateur et exige la personnification obligatoire de l’idée d’auteur. La tâche de Molière peut paraître très simple puisqu’il n’avait qu’à répartir deux idées divergentes entre deux personnages. Cependant, il a dû résoudre quelques problèmes assez difficiles. Premièrement, les personnages qui représentent les idées d’auteur doivent être intelligents, car le spectateur ne prend pas au sérieux les idées des clowns et des fous. Alors le grand dramaturge emprunte le héros intellectuel à la tragédie classiciste. D’ailleurs, il n’avait pas d’autre choix parce qu’à son époque il n’y avait que deux genres dramatiques. Deuxièmement, Molière a dû résoudre le problème le plus dur, celui d’adaptation de ce héros intellectuel au dialogisme qui n’accepte pas de personnages positifs idéaux. Et il réussit à le faire: ses personnages restent intellectuels et en même temps deviennent ridicules grâce au comique de caractère, sa découverte connue. On peut même conclure qu’au XVIIème siècle seule la comédie a été capable d’adapter le héros intellectuel au dialogisme.

Comme le dialogisme est fondé sur l’opposition des idées contradictoires, mais égales, la découverte de Molière a rendu égales les idées divergentes de sa comédie par le biais de l’égalité morale des personnages rendus mi-sérieux mi-ridicules. L’idée maîtresse est représentée, selon tradition, par le héros positif, mais l’indétermination morale des personnages de Le Misanthrope a permis à son auteur de se distancer d’eux et de se soustraire de l’obligation de porter un jugement. Les personnages deviennent indépendants, leurs idées, aussi indépendantes. Mais pour contraster l’opposition des idées et rendre impossible leur synthèse, Molière résoud un troisième problème: par le biais du comportement des personnages, rationnel et irrationnel, leurs idées sont également opposées comme rationnelle et irrationnelle. Le dilemme, jamais résolu, produit de l’ambiguïté.

La comédie de Denis Diderot Est-il bon? Est-il méchant? est monologique, car l’idée y est représentée par un seul personnage, mais cette idée est litigieuse. Diderot recourt aussi à l’indétermination morale qui le distance du personnage, seul représentant de l’idéologie de l’oeuvre responsable de son problème irrésolu. Le modèle de Diderot, comme celui de Molière produit de l’ambiguïté. Dans les deux cas, l’ambiguïté transmet un dédoublement idéologique de l’auteur devant le problème posé et prouve que son effort est intentionnel. L’intention se fait voir dans le souci de la forme, car les deux modèles exigent des structures appropriées. Le modèle de Molière se base sur l’opposition des idées personnifiées, il est construit selon le régime de l’antithèse, mais à structure inachevée parce qu’aucune des idées ne l’emporte sur l’autre. Le modèle de Diderot est monologique, il est conforme au régime de la synthèse inachevée qui laisse irrésolu le probème litigieux.

Les dissonances idéologiques contredisant l’idée d’auteur dans Le Paradis perdu de John Milton sont produites par l’indetermination morale du personnage de Satan. Prévu par l’auteur comme personnage nettement négatif, il manifeste de temps en temps quelques traits positifs qui embrouillent l’idéologie du poème. En résultat, il est possible de l’interpréter parfois comme un révolutionnaire. Dans Manon Lescaut, l’abbé Prévost n’a pas pu prévoir les conséquences de sa découverte. L’introduction de l’irrationalité qui se manifeste dans la psychologie de ses personnages les a rendu complètement indépendants. Sans se rendre compte, Prévost s’est distancé de ses personnages qui ont perdu la confiance des lecteurs parce qu’ils ne sont pas logiques dans leur comportement et dans leurs idées, tandis que l’idée d’auteur est censée être rationnelle.

A la fin du XIXème siècle, Fiodor Dostoïevski a élaboré le premier modèle du roman dialogique grâce au psychologisme irrationnel découvert par l’abbé Prévost. D’habitude, le psychologisme irrationnel est considéré comme un moyen d’investigation psychologique qui permet d’expliquer l’homme et de le rendre vraisemblable. Dostoïevski s’est servi de la découverte de Prévost comme d’un procédé technique qui lui a permis d’égaliser les personnages, rendus mi-positifs mi-négatifs parce qu’ils sont aliénés, obsédés par les idées qui les torturent, et d’égaliser en même temps leurs idées puisque l’auteur s’est retrouvé distancé de ces idées. L’aliénation est donc introduite par Dostoïevski en tant que prétexte de la création de perspectives narratives qui relativisent et rendent égales les idées opposées en interaction dialogique.

Le XXème siècle est plus riche en découvertes. André Gide applique pour la première fois le modèle monologique à synthèse inachevée de la comédie Est-il bon? Est-il méchant? à un roman. Dans L’Immoraliste, il reprend les structures du modèle de Diderot et démontre sa plus grande rigidité par rapport à la variété de modèles dialogiques. Comme il se fonde toujours sur l’indétermination morale du personnage qui représente une idée litigieuse, cette idée est forcément morale.

La découverte de Marcel Proust a été plus importante parce qu’il a inventé un nouveau principe dialogique qui n’imite pas ceux de Molière et de Dostoïevski. Il a introduit dans son roman, par ironie, une structure temporelle cyclique dont le symbolisme contredit l’idéologie du récit. En résultat, il a créé le dialogisme de type nouveau basé sur l’opposition du contenu direct au contenu indirect. Il a réussi parce qu’il a soutenu cette opposition par une divergence psychologique entre l’irrationnalité du récit exposé du point de vue d’un narrateur aliéné dans un monologue intérieur et la perception du monde rationnelle de l’archinarrateur exprimée dans le symbolisme de la structure temporelle du roman. Selon la tradition, l’idéologie secrète du contenu indirect appartient à l’auteur parce que le contenu direct allégorique est conventionnel et faux, mais le dédoublement idéologique de l’auteur observé dans ce type de dialogisme oblige d’imaginer un archinarrateur qui personnifie les idées du contenu indirect du récit ignorées par le narrateur. Comme le narrateur et l’archinarrateur se trouvent aux niveaux différents du récit et ne se côtoient pas, la possibilité de contact des idées, de leur évolution, mutation ou synthèse est rendue impossible.

Malgré les découvertes importantes de leurs auteurs, les premiers modèles des romans dialogiques sont imparfaits. Dostoïevski était bien soucieux d’installer le dialogisme, mais il paraît flou parce qu’il est éparpillé entre plusieurs personnages et soutenu par l’irrationalité qui n’est pas suffisante pour bien distancer les personnages de l’auteur et pour assurer un bon contraste des idées. Proust ne tenait pas beaucoup au dialogisme qui se révèle, d’ailleurs, tout à  fait à la fin de son roman à sept volumes, mais son modèle offre un très grand contraste dialogique.

Franz Kafka a repris le principe du modèle de Proust parce que ses oeuvres, apparemment simples et transparentes, comportent une opposition dialogique entre le plan de contenu direct et indirect. Mais le dialogisme de Kafka n’est pas une geste distraite, comme chez Proust, car il fait partie de la charpente structurelle du récit. D’abord, Kafka présente le monde diégétique des récits à la façon d’un mythe, en décrivant les relations entre les personnages et les objets vraisemblables et fantastiques comme manifestement “naturelles”. Mais comme cette description  rend absurde le récit qui devient incapable d’exprimer des idées rationnelles, le récit est construit chez Kafka autour d’une image fantastique qui rend le récit mythique lisible parce qu’elle recèle une énigme qui catalyse la narration. L’absurdité est expliquée dans les oeuvres de Kafka par l’aliénation du personnage principal parce que le récit est narré de son point de vue. La perspective narrative, ainsi créée, opère une mise à distance de l’auteur par rapport au narrateur aliéné. La vision du monde subjective et absurde du narrateur est opposée dialogiquement au contenu indirect rationnel déduit des images fantastiques qui s’opposent comme symboles-clés des récits et appartenant à l’archinarrateur dont l’auteur est également distancé grâce à la nature implicite du contenu indirect des symboles. Le dialogisme kafkaïen est surtout évident, si on l’imagine comme interaction de deux lectures: mythologique qui présente le récit mythique comme vrai, quoique bizarre, mais ne tient pas compte du symbolisme, et symbolique qui considère le récit comme faux et accepte comme vrai le message symbolique.

Avec Ulysse, James Joyce a réussi à créer un modèle de roman dialogique prèsque parfait fondé lui-aussi sur le principe de Proust. D’un côté, son “courant de conscience” qui enregistre la pensée humaine comme une suite désordonnée de sensations, de souvenirs, d’obsessions transmet bien l’irrationalité de la psychologie du narrateur qui assure sa différence psychologique indispensable pour sa libération de la domination de l’auteur et la personnification de sa “propre” idéologie.  De l’autre côté, le mythe extratextuel implicite procure une charpente structurelle au récit très fragmenté et hétérogène et le transforme en récit mythique. Comme le récit imite les structures du mythe implicite, mais se diffère par le contenu, il entre en interaction dialogique avec sa conception rationnelle attribuée à l’archinarrateur. La conception exprime une idéologie universelle opposée à une vision du monde subjective de narrateur. Le dialogisme de ce modèle peut aussi être présenté comme une double lecture et comme l’opposition de deux vérités, antique et contemporaine, dont la synthèse est impossible. 

Les maîtres reconnus, Franz Kafka et James Joyce, ont exercé une grande influence sur l’évolution de la littérature contemporaine. Cependant, les écrivains qui suivent leur exemple ne discernent pas le dialogisme dans leurs oeuvres. Virginia Woolf  se concentre sur le monologue intérieur et tient à approfondir l’investigation psychologique. William Faulkner tente le “courant de conscience” dans son roman Le Bruit et la Fureur, mais clôt la narration par une intervention d’auteur qui fournit au roman une idée maîtresse. Thomas Mann recourt au mythe, mais d’une façon tout à fait traditionnelle, car son Joseph et ses Frères ne modifie pas la conception biblique et ressemble à un roman historique. Miguel Angel Asturias et Alejo Carpentier sont très proches du modèle de Joyce parce qu’ils introduisent dans leurs romans deux visions du monde, mythologique et rationnelle, mais les subordonnent à l’expression d’une seule idée d’auteur.


DEUXIÈME  PARTIE:
L’émergence et l’évolution du dialogisme
en Algérie


1. Fondateurs du roman dialogique algérien

1. Quatre récits et la temporalité cyclique rompue. Kateb Yacine

Un modèle dialogique original a été élaboré par Kateb Yacine. Son roman Nedjma (1956) se compose de quatre récits dont l’idéologie se manifeste à l’interaction de leurs structures similaires. Dans cette interaction, la fonction la plus importante est assumée par le récit mythique qui sert de “grille de l’ambivalence” pour les autres. L’idéologie des récits est opposée dialogiquement au symbolisme de la temporalité cyclique rompue du roman.

*

Dans les ouvrages consacrés à l’étude des structures de Nedjma il est facile de relever une contradiction. Les chercheurs observent souvent dans ce roman un récit étriqué et à la fois ordonné. Par exemple, Jacqueline Arnaud écrit: ”Il est inutile de chercher à ce roman une structure impeccablement agencée” et en même temps y remarque “une structure circulaire” qui est, paraît-il, défectueuse parce que Kateb “a radicalisé les procédés de Faulkner” [239]. Elle compare les récits du roman aux “éclats de miroirs brisés”, mais y trouve une symétrie parfaite: six parties de douze chapitres [240]. Sans oublier de préciser que “la chronologie de Kateb n’est pas absolument rigoureuse”, elle donne sa propre chronologie et critique celle de Marc Gontard qui, lui-aussi, ne manque pas de noter que Nedjma est “un récit passablement embrouillé” [241]. Kristine Aurbakken y voit “un ensemble hétéroclite de fragments” et en même temps y perçoit “la cohérence interne” sans expliquer son origine [242].

Une des principales caractéristiques du texte katébien qui le rend difficile est sa fragmentation qui, selon Naget Khadda, correspond “à la structure même” de la pensée de Kateb [243]. Beïda Chikhi la considère comme “l’effet d’une manifestation brillante de l’inconscient” qui fournit en même temps “une grande capacité de simultanéité des effets” [244]. Charles Bonn retrouve dans Nedjma une “dimension mythique” et une “dimension polyphonique”et note que la mythologie personnelle de Kateb est “parfois hallucinée” [245]. Compte tenu de toutes les observations concernant les particularités du texte katébien, on peut présenter le récit de Nedjma comme une mosaïque composée d’éléments hétérogènes provenant du jeu d’écriture privilégié par Kateb et accepter le point de vue de Naget Khadda qui note que “l’écriture de Kateb a la réputation d’être difficile d’accès, opaque par la diversité de ses références culturelles, par la multiplicité des points de vue qu’elle adopte, par la complexité de ses techniques de figuration, par sa poéticité enfin qui tantôt projette de fulgurants éclairages sur le mystère du monde, tantôt augmente ses zones d’ombre et ses muettes interrogations” [246].

Comme un récit fragmenté et subjectif ne tient pas à véhiculer une idéologie rationnelle bien ordonnée et échappe à la domination de l’auteur, les chercheurs essaient de détecter les éléments qui assurent la cohérence du texte katébien. Mansour M’Henni trouve que “des contraintes inhérentes au discours narratif imposent souvent une certaine organisation de l’oeuvre malgré toute la liberté qu’un auteur semble se donner à orchestrer cette organisation” [247]. Jacqueline Arnaud et Marc Gontard attribuent une grande importance à la chronologie du récit et à sa division en deux parties de six chapitres. Charles Bonn souligne l’importance exceptionnelle des structures de Nedjma pour son intégrité et son interprétation en notant que “le fonctionnement structurel du roman souligne essentiellement une signification de la  structure, plus que la chronologie référentielle que cherchent à reconstituer Gontard ou Jacqueline Arnaud” [248]. Il retrouve son contenu idéologique “dans l’interaction des différents récits” et attire l’attention sur leur “similitude structurelle” qui “fait parler” les structures [249]. En effet, la matière touffue du roman de Kateb est maîtrisée avant tout par les structures de ses récits qui imitent les structures d’un mythe introduit dans Nedjma, comme dans Ulysse de James Joyce dont le récit imite les structures d’un mythe implicite.

L’élément de composition le plus important du roman Nedjma qui saute aux yeux est sa temporalité cyclique. Le temps romanesque y recule peu à peu dans le passé, malgré plusieurs passages rapides du passé au présent et vice versa. Ensuite, à partir d’un certain moment, on y remarque un retour graduel du passé au présent, ce qui forme un cercle imaginaire. Galina Djougachvili croit que c’est le principe même du roman de Kateb: ”Pour comprendre le présent il faut reculer lentement et doucement vers le passé, le redécouvrir et l’expliquer avant de retourner au point initial” [250].

Les événements commencent par des rixes de quatre amis, Mourad, Rachid, Mustapha et Lakhdar avec des racistes français. C’est le présent romanesque centré sur le thème de la violence. Lakhdar est arrêté à la suite d’une bagarre avec le contre-maître du chantier où travaillent les quatre amis, mais s’évade de la prison. Mourad est arrêté lorsqu’il attaque un Français qui tyrannise sa bonne algérienne. Alors les amis quittent le chantier et la ville, Rachid va à Constantine, Lakhdar à Bône, Mustapha choisit “un autre chemin”. Après la bagarre avec un “automobiliste” Rachid est aussi arrêté et le récit du présent finit par un crime: dans la prison Rachid blesse Mourad avec son propre couteau. C’est en quelque sorte la fin chronologique du roman puisqu’il n’y a plus d’évolution diégétique en direction du futur. Le recul dans le passé commence par l’arrestation de Lakhdar la veille de son départ du chantier. Dans sa cellule, Lakhdar se souvient de sa première arrestation après la manifestation du 8 mai 1945, c’est encore un pas en arrière. Le pas suivant dans le passé, c’est l’histoire du rapprochement des amis et de leurs tentatives de percevoir les origines de Nedjma dont ils sont amoureux tous les quatre. Sous forme de confessions, fragment par fragment, plusieurs secrets se dévoilent en reculant le récit plus loin dans le passé. A cette étape on découvre l’histoire de la rivalité des pères de quatre amis amoureux d’une Française, histoire qui finit par un meurtre: Si Mokhtar tue le père de Rachid avec son propre fusil. On découvre également que Nedjma est la fille de la Française enlevée tour à tour par les quatre pères. Comme chacun d’eux peut être le père de Nedjma, elle est interdite à jamais aux amis à cause du risque d’inceste.

On remarque facilement une similitude structurelle des deux récits: celui des fils et celui des pères. Dans les deux, il s’agit de la rivalité entre quatre hommes amoureux d’une femme, rivalité qui finit par un crime. Ce parallélisme structurel est significatif, il appelle à comparer les récits et à déceler d’éventuelles différences entre eux. C’est de cette comparaison que l’on déduit l’idée de la culpabilité des pères devant leurs fils parce que la situation de ceux-là est sans issue à cause du risque d’inceste.

Encore un pas dans le passé, c’est le récit légendaire de Si Mokhtar sur la tribu Keblout. Jadis, cette tribu belliqueuse a résisté à l’invasion française, mais a été exterminée par l’armée coloniale, seuls quelques survivants se sont isolés dans les montagnes préférant la mort à la soumission. “La tribu décimée rassembla ses liens, renforça la pratique du mariage consanguin, prit d’autre noms pour échapper aux représailles”, explique Si Mokhtar (p. 126). Il annonce également que les quatre amis et Nedjma sont les derniers descendants de Keblout, mais que la tribu va disparaître parce que Nedjma leur est interdite à cause du risque d’inceste. “Mais jamais tu ne l’épouseras”, répète Si Mokhtar à Rachid (p. 129). En comparant les récits des fils et des pères à celui des ancêtres, on découvre que la légende tribale exprime l’idée de la résistance à la colonisation. Alors, la culpabilité des pères trouve une explication: ils sont coupables parce qu’ils n’ont pas suivi l’exemple des ancêtres, parce qu’ils ont trahi leur union et ont perdu leur liberté ayant été séduits par la beauté de la Française symbolisant la civilisation européenne. Le risque d’inceste prend alors une dimension plus importante parce qu’il provient de la parenté des fils avec Nedjma symbolisant l’assimilation avec la culture européenne qui rend impossible l’acquisition de la liberté. La légende implique en même temps le côté négatif d’une résistance à outrance parce que l’auto-isolement qui exclut tout contact avec l’Autre devient suicidaire. C’est cette idée qui a poussé Si Mokhtar à appeler Rachid et Nedjma d’aller au Nadhor, pays des ancêtres, pour y mourir. Deux attitudes envers le colonialisme surgissent donc dans le roman: la résistance menant à l’auto-destruction et l’assimilation aussi destructrice parce qu’elle signifie la perte de l’identité nationale. Entre les deux attitudes il n’y a pas de contradiction dialogique, car elles aboutissent à l’échec.

Le symbolisme du récit fantastique qui réunit au Nadhor les représentants des trois générations de Keblout, Rachid, un des fils, Si-Mokhtar, un des pères, le Noir énigmatique envoyé par les ancêtres pour veiller sur Nedjma et Nedjma est très significatif. La position de ce récit à la fin du recul dans le passé juste avant le retour vers le présent ne fait que souligner son importance pour l’interprétation du contenu de roman. Le foyer du récit symbolique est le bain que Nedjma prend “en plein maquis”. Dans cette scène, le bain surveillé secrètement par les représentants de la tribu prend l’allure d’un rite d’épuration et Nedjma se transforme d’une fille énigmatique, mais réelle, en symbole. Le bain est suivi de scènes de jalousie entre Rachid, Si Mokhtar et le Noir, le Noir blesse Si Mokhtar qui meurt bientôt. 

On voit bien que le récit symbolique reprend les structures des récits précédents, mais réunit les idées d’auto-isolation et d’assimilation qui accentuent l’expression de l’échec. Si Mokhtar est l’authentique représentant de la génération qui a choisi l’assimilation. C’est lui qui est sorti dans la rue après la manifestation du 8 mai 1945 avec le slogan “Vive la France. Arabes, silence”. Le fait qu’il a décidé d’aller au Nadhor et de ramener avec lui Rachid et Nedjma pour y mourir selon l’idée des ancêtres signifie qu’il a changé d’avis et a renoncé à l’assimilation. Son échec est donc double. La même dualité est observée dans le comportement de Rachid: il tient d’abord à l’assimilation puisqu’il veut s’acquérir de Nedjma et blesse son rival, puis il suit Si Mokhtar dans son retour à la source ancestrale au Nadhor pour y mourir. L’échec de l’envoyé des ancêtres est d’une dualité inverse. Le Noir, porteur de l’idée de résistance et d’auto-isolement, commet une action incompatible avec cette idée, car il blesse Si Mokhtar et disparaît avec Nedjma. Puisque tous les personnages de ce récit changent d’orientation idéologique, le symbolisme de Nedjma est supposé d’être changé aussi, mais sa disparition ne fait que confirmer l’idée de l’échec total.

On peut imaginer l’épisode au Nadhor comme un rêve, ou bien comme une réalité déformée par la perception du narrateur, cela n’a pas beaucoup d’importance. Mansour M’Henni a raison lorsqu’il note: “Mais en fait, qu’importe si l’épisode du Nadhor est un rêve ou une réalité de Rachid puisque le tout se réduit à un artifice, à une création qui se montre du doigt, qui met en scène son fonctionnement en se dé-roulant” [251]. Le récit symbolique que Mansour M’Henni préfère qualifier de mythe personnel “où il est pratiquement impossible de démêler le réel et l’imaginaire” est tout simplement une mise en relief qui fait le bilan de ce que Kateb voulait dire dans son roman et ressemble à un jugement [252]. Le Noir exécute Si Mokhtar, meurtrier du père de Rachid. Il le fait d’ailleurs d’une manière parodique, car le vieux meurt d’une blessure au pouce. Rachid, coupable lui-aussi d’avoir blessé son ami, perd Nedjma pour toujours. Comme Rachid, Si Mokhtar et le Noir représentent tous les trois le double échec, le verdict des ancêtres ne concerne pas l’assimilation et l’auto-isolement, mais l’unité des membres de la tribu. La génération des pères et la génération des fils représentées par Si Mokhtar et Rachid sont punies pour leur mésentente exprimée symboliquement par leur rivalité et leurs crimes, mésentente qui leur a coûté la perte de l’indépendance. D’ailleurs, le Noir annonce lui-même le jugement de la tribu: “Keblout a dit de ne protéger que ses filles. Quant aux mâles vagabonds, dit l’ancêtre Keblout, qu’ils vivent en sauvages, par monts et par vaux, eux qui n’ont pas défendu leur terre” (p. 151).

Après le bain symbolique de Nedjma le temps romanesque retourne peu à peu au présent. Ce sont essentiellement les souvenirs dans lesquels les héros revoient leurs parents, école, copains, puis manifestation du 8 mai, arrestation, libération, travail au chantier, départ du chantier. A la fin du roman Kateb recourt à un procédé particulier: il reprend mot-à-mot le dernier épisode du premier chapitre. Avec cette reproduction du commencement du récit des fils, Kateb fait une brèche dans la composition circulaire du roman et brise le fatalisme de la situation. Si Proust fixe seulement le cycle pour exprimer l’idée de l’itération, Kateb expose une partie déjà connue du texte, mais l’interrompt avant le crime, élément qui clôt la structure itérative du récit. Comme la structure n’est pas fermée, elle appelle à éviter le crime. Jacqueline Arnaud a raison lorsqu’elle note que “le cercle n’est pas irrémédiablement clos” et compare la temporalité de Nedjma à une spirale [253]. La temporalité circulaire rompue du roman met en doute l’idée du double échec en lui opposant l’expression de l’espoir, elle invite les fils à revivre les événements, à ne plus refaire les erreurs des pères et des encêtres, mais à recouvrer leur union. Elle permet également de supposer que la disparition de Nedjma n’est pas définitive: après Nedjma la Métisse, symbole de l’assimilation, viendra la novelle Nedjma, épurée par le bain symbolique du Nadhor et initiée aux origines africaines anciennes par son mariage éventuel avec le Noir. Sans ce procédé, Nedjma resterait “stérile et fatale, Nedjma notre perte, la mauvaise étoile de notre clan”, comme note Mustapha dans son carnet, et ne deviendrait jamais le symbole de la patrie couramment évoqué (p. 188). D’ailleurs, les chercheurs qui négligent le double symbolisme de ce personnage, présentent Nedjma souvent dans une acception positive, comme symbole de la patrie ou de la nation [254]. Parfois dans une acception négative, par exemple, Jacqueline Arnaud évoque “le symbole d’un pays déchiré” [255]. Se rendant compte de l’ambiguïté du symbolisme de Nedjma, Charles Bonn se voit obligé de noter: “Tout l’art de Kateb consistera à nous laisser entrevoir le symbole, sans que jamais celui-ci ne puisse rendre compte totalement de la réalité” [256].

Or, il est possible de percevoir dans Nedjma une structure composée de quatre récits. D’abord, on y observe un récit des fils qui est à la fois politique et lyrique parce que les scènes de violence décrites d’une manière réaliste, les arrestations, l’évocation fréquente de la manifestation du 8 mai se rapportent à ce récit et le remplissent de contestation anticolonialiste, mais en même temps ce récit relate l’histoire d’amour de quatre héros pour Nedjma. Puis on distingue un récit des pères qui décrit une histoire romantique de la rivalité des pères amoureux d’une Française qui éclaircit les origines de Nedjma. Ensuite on y retrouve un récit des ancêtres, une légende tribale sur les ancêtres héroïques exposée sur un ton épique. Enfin, on découvre un récit symbolique qui réunit les représentants des trois générations de Keblout dans une situation fantastique décrite comme un mythe où le vraisemblable côtoie le fantastique. D’ailleurs, il convient de noter qu’il existe une confusion chez les chercheurs sur la notion du “mythe des Keblout”: parfois c’est la légende tribale, parfois le récit symbolique parce qu’il est présenté à la façon d’un mythe, parfois tous les récits ensemble. Dans Nedjma, c’est la légende tribale qui assume la fonction la plus importante, elle éclaircit le contenu du roman tout entier. Cette fonction de la légende est bien expliquée par Charles Bonn: ”La légende tribale donne ainsi “la grille de l’ambivalence”, selon l’expression de Julia Kristéva, qui permettra au roman de fonctionner” [257].

Tous les récits sont présentés par plusieurs narrateurs, de plusieurs points de vue et de plusieurs façons: monologue intérieur, journal, hallucination, délire etc. Mais il est impossible de parler du dialogisme entre tous ces points de vue, car les narrateurs forment un “moi pluriel”, selon l’expression de Kateb et transmettent un point de vue commun. L’éclatement du “moi” lui a permis tout simplement de diversifier l’écriture. Beïda Chikhi a parfaitement raison lorsqu’elle trouve une concordance entre la fragmentation du texte katébien et le “je” dépecé” du narrateur [258]. Le narrateur “pluriel” de Kateb, tous les personnages qui parlent et pensent, sont tous des aliénés. L’aliénation se manifeste dans leurs hallucinations et leurs propos délirants, leurs obséssions et leurs angoisses. La cause de leur aliénation est double: premièrement, il y a une raison politique, et c’est un élément accusateur important, car les amis sont tous des parias, des hors-la-loi dans leur pays colonisé; deuxièmement, ils sont tous “fous” de Nedjma qui leur est interdite. Les idées subjectives des narrateurs, aussi confuses qu’elles soient, expriment l’échec et ne contredisent pas la notion du double échec qui surgit à l’interaction des structures des récits. Ce rapport n’est pas dialogique non plus, tout au contraire, le symbolisme structurel englobe et valorise le contenu embrouillé des récits. Le dialogisme du roman de Kateb s’installe entre l’idée du double échec exprimé dans les récits par le narrateur “pluriel” aliéné et l’idée d’un avenir meilleur déduite du symbolisme de la temporalité cyclique brisée du roman, car cette dernière ne peut pas appartenir au narrateur, mais à un archinarrateur. On dirait que le romancier se dédouble: il se rend compte qu’il n’existe en réalité que deux orientations dans la vie des colonisés menant à l’échec, mais il rêve de trouver une issue de l’impasse.

Marc Gontard et Charles Bonn notent certains indices de ce dialogisme dans leurs études de Nedjma. Par exemple, Marc Gontard découvre dans ce roman “une objectivité quasi scientifique” opposée à “une subjectivité de plus en plus poussée” [259]. Charles Bonn y observe “la suppression du point de vue unique du narrateur omniscient sur un univers univoque, entièrement déchiffrable” [260]. Mais dans leur tentative d’interpréter Nedjma comme un roman dialogique, ils partent du concept de polyphonie bakhtinien appliqué aux romans de Dostoïevski. Marc Gontard croit que la polyphonie s’installe entre “quatre voix autonomes” des narrateurs du roman [261]. Charles Bonn pense que “cette polyphonie se trouve peut-être déjà dans l’alternance entre cinq voix narratives: celle du narrateur, certes, mais aussi celle des quatre personnages principaux” [262]. Cependant les chercheurs ne signalent nulle part une opposition idéologique quelconque entre les points de vue des narrateurs. D’ailleurs, ce serait impossible parce que Kateb lui-même a présenté les narrateurs du roman comme un “moi pluriel”. Marc Gontard note cette particularité de Nedjma: “En effet, les quatre personnages principaux du récit ont vécu des expériences identiques, ils ressentent de la même façon l’oppression du monde extérieur, de sorte que l’évocation de ses univers parallèles donne lieu à un certain nombre de similitudes qui entretiennent une relative confusion” [263]. D’une façon générale, tous les narrateurs expriment l’idée de l’échec que ce soit sur le plan politique centré le thème de violence, que sur le plan lyrique, car leur amour pour Nedjma est interdit.

La présentation de Nedjma comme un roman polyphonique a semblé possible à Marc Gontard et à Charles Bonn à cause de la binarité très profonde de ses structures. On l’observe à partir de sa division en deux parties dont le nombre de chapitres est égal et paire. Les récits des fils et des pères comptent quatre personnages masculins chacun. Le nombre de femmes est double. Le récit des encêtres annonce la mort subite de deux femmes, ensuite de deux filles; la première mort est considérée comme malédiction, la deuxième comme sacrifice. “C’était peut-être le signe que la malédiction s’éloignait, grâce à deux vierges sacrifiées pour le repos de Keblout”, raconte Si Mokhtar (p. 134). Nedjma et sa mère française constituent la troisième paire de femmes. Le récit symbolique compte aussi quatre personnages, c’est dans ce récit que Nedjma devient un personnage qui parle, dans d’autres récits Nedjma et Française sont passives, elles sont dites. L’idée de l’échec est double et le symbolisme de Hedjma est double parce qu’il provient du dialogisme du roman. Enfin, comme témoigne Charles Bonn, “l’écriture de Kateb est toujours double”, d’après lui, “chaque proposition y est toujours accompagnée de la proposition contraire” [264].

Cependant, le dialogisme de Nedjma n’imite pas les structures du roman polyphonique de Dostoïevski, il est plutôt proche du modèle de Marcel Proust qui a esquissé une interaction dialogique entre l’idéologie du récit et la temporalité cyclique du roman. L’analyse du fonctionnement structurel du roman Nedjma démontre que Kateb Yacine a créé un nouveau modèle du roman dialogique. Sa découverte consiste en ce qu’il  a introduit dans le texte du roman une légende nationale et lui a attribué la fonction de “grille de l’ambivalence” qui permet de discerner le contenu symbolique du roman à l’interaction de ses structures avec les structures des autres récits du roman. La temporalité cyclique rompue du roman démystifie le fatalisme de l’idée du double échec des récits et crée un symbolisme nouveau exprimant l’idée de la renaissance qui lui est opposé dialogiquement.

2. Un récit et deux mythes implicites. Mohammed Dib

Mohammed Dib est l’auteur de plusieurs romans dialogiques, mais son modèle le plus original est certainement celui de Habel (1977) où  un récit est opposé à  deux mythes extratextuels implicites qui se substituent.

*

Du point de vue traditionnel, le roman Qui se souvient de la mer (1962) de Mohammed Dib ressemble à une grande allégorie de la guerre d’Algérie. Jean Déjeux, par exemple, note sans ambages qu’il est écrit “sous un mode allégorique” [265]. En effet, dans ce roman le fantastique est nettement séparé du vraisemblable. C’est pour cette raison, peut-être, que Charles Bonn y voit deux récits parallèls: “récit actuel”, celui de l’événement fantastique, et “récit de l’ancien temps” composé de rares moments au milieu du “courant de conscience” hallucinatoire lorsque l’esprit du narrateur est lucide et il se souvient d’une phrase, d’un visage familier, de son enfance etc. [266]. Tout indique donc que le roman est essentiellement fantastique et ressemble à une allégorie. L’allégorie, c’est la mort du dialogisme, car elle exclue l’interaction entre le récit fantastique et son symbolisme. L’allégorie est a priori fausse, sa fonction est conventionnelle: véhiculer un sens indirect, le “vrai”. Pourtant Dib tente de saper la tradition et tâche de rendre le récit allégorique “vraisemblable”. Cette particularité du roman dibien a été notée par Hassan El Nouty qui écrivait: “Toutefois une interprétation littérale serait également possible sans nuire à la cohésion du roman qui paraîtrait alors relever de la science-fiction pure” [267]. Quand Jacqueline Arnaud écrit que “pour exprimer l’horreur de la guerre Dib a choisi le symbolisme”, elle oublie que l’écrivain, dans la célèbre postface du roman, s’est fixé pour objectif l’expression directe de l’horreur, dans les images fantastiques de nature onirique [268]. “J’ai compris,  écrivait Dib,  que la puissance du mal ne se surprend pas dans les entreprises ordinaires, mais ailleurs, dans son vrai domaine: l’homme, - et les songes les délires qu’il nourrit en aveugle et que j’ai essayé d’habiller d’une forme” (p. 190). Dib veut donc que son récit allégorique soit, dans sa fonction, un récit mythique, comme chez Kafka. Et il a dû réussir, si Jacqueline Arnaud retrouve dans son roman “un monde kafkaïen” [269].

Pour transformer l’allégorie en récit mythique Dib recourt à un fort encrage référentiel qui justifie l’aspect fantastique du récit par l’aliénation du narrateur. L’aliénation y est expliquée par le choc psychique qu’il a subi, par la disparition énigmatique de sa femme. L’aliénation est constante, les recherches de la femme perdue, sujet traditionnel, constituent la trame du récit. Il s’agit donc d’une justification rationnelle d’un récit invraisemblable. Le récit fantastique de Qui se souvient de la mer a une structure qui rappelle celle des romans de science-fiction sur l’invasion des extraterrestres. Mais la perspective narrative le transforme en cauchemar ou hallucination. C’est la seule explication rationnelle possible de l’origine de l’aspect fantastique du récit. C’est ainsi que Dib voudrait faire croire que son récit est “vrai”, comme dans un mythe. Plusieurs chercheurs notent cette origine du fantastique chez Dib. Jean Déjeux, par exemple, parle de sa nature onirique [270]. Charles Bonn évoque “son fantastique hallucinant” [271].

Le problème qui se pose ici est celui de l’évaluation de l’atteinte à la tradition. Celui qui tient à la tradition, voit dans Qui se souvient de la mer une allégorie, un récit faux exprimant son idéologie indirectement; celui qui admet que Dib a sapé la tradition, y voit, comme Hassan El Nouty, que “le rêveur est éveillé et le cauchemar est réel”, c’est-à-dire un récit mythique [272]. Le problème du roman dibien rappelle celui de Kafka dont les oeuvres sont souvent considérées par chercheurs comme des fables. Le problème est donc dans l’approche. Mais si le doute existe, il est difficile de dire que Dib a vraiment réussi. La tension du genre est importante, et l’allégorie tient beaucoup de sa spécificité, même quand on fait un grand effort pour lui attribuer d’autres fonctions. C’est surtout évident dans le fait que les chercheurs n’évoquent pas le dialogisme dans leurs études sur Qui se souvient de la mer.

Cependant, si l’on reconnaît l’indépendance du récit fantastique et de son narrateur, on ressent la présence d’un archinarrateur et d’une idéologie différente dans le symbolisme du récit. Le dialogisme est donc tracé entre le contenu indirect provenant de la fonction traditionnelle du récit allégorique et le contenu direct du récit dans sa nouvelle fonction mythique. L’idéologie de l’archinarrateur est présentée implicitement dans le symbolisme du récit fantastique qui imite la conception du mythe biblique d’Apocalypse dont les structures sont visibles dans le roman. La conception mythologique est complétée dans le roman par le symbole de la Mer qui rend cette idéologie optimiste parce que l’eschatologie du mythe y est récusée par l’immortalité du genre humain exprimée dans le retour de la Mer qui symbolise la renaissance. Hassan El Nouty a raison lorsqu’il souligne que chez Dib la catastrophe “n’est pas un événement surnaturel, elle est la loi du mouvement de l’Histoire” [273]. Le dialogisme du roman apparaît donc dans l’opposition entre l’idée optimiste de l’archinarrateur aspirant à la résurrection de la société et la perception du monde pessimiste d’un narrateur aliéné terrorisé par les événements de la guerre et angoissé par la perte de sa femme. Un vrai conflit classiciste entre le social et individuel.

L’expérience de Dib conduit à une conclusion: l’égalité dialogique des narrateurs qui implique l’égalité de leurs points de vue doit être soutenue par deux plans égaux du récit, fantastique et vraisemblable. Les romans dialogiques contemporains font la synthèse du “réalisme” et du “non-réalisme” dans leurs structures en créant un récit mythique qui hérite du mythe cette coexistence du fantastique et du vraisemblable indispensable pour le dialogisme. Mais dans Qui se souvient de la mer le fantastique prédomine, dans Cours sur la rive sauvage (1964) qui lui ressemble beaucoup, le vraisemblable est presque nul. Par conséquent, ces romans paraissent allégoriques.

Dans son roman La Danse du Roi (1968) Dib renonce à l’allégorie excessive, propre à Qui se souvient de la mer. L’invraisemblable est fragmentaire dans le roman. Ce sont des scènes étranges, appelées “farces” dans le roman, qui illustrent certains aspects de la réalité algérienne. Par le reste, la réalité n’est pas fantastique, mais insolite. Cet effet est obtenu par l’extravagance des situations, par l’imprécision des descriptions etc. Le récit de La Danse du Roi est composé de souvenirs et de réflexions de deux narrateurs aliénés, Arfia et Rodwan. Arfia est une ancienne combattante qui se souvient de la guerre et proteste ouvertement contre l’injustice en disant que “la révolution n’est pas finie” (p.194). Elle est hantée par la mort de ses compagnons de guerre et considère comme inutile leur sacrifice. Rodwan est un homme sensible qui préfère l’introspection, il ne dévoile ses souvenirs à personne dans son monologue intérieur et s’adresse à une voix invisible que l’on ne peut pas “assortir à un visage”. Entre les positions idéologiques d’Arfia et Rodwan il n’y a pas de divergence dialogique. Charles Bonn a raison de noter qu’ils représentent “les deux versants complémentaires de l’auteur lui-même”[274]. Arfia doute que la vie puisse changer pour le mieux en Algérie et dit: “Slim voulait savoir si la vie allait changer, et moi je lui répondais: “Tout change, Slim, tout ce qui veut vivre!” A présent, c’est moi qui me pose la question: “Les Babanag changeront-ils jamais?” (p.157-158). Rodwan est déçu lui-aussi, il hésite d’occuper le poste de “l’érudit” Wassem qui amusait ses maîtres juste pour manger et qui est mort finalement sur un tas d’ordures.

Dans le texte de ce roman, Charles Bonn retrouve des structures qui multiplient son ambiguïté, “jeu des retournements”, “opposition entre discours univoque et écriture plurielle”, mais n’évoque pas de dialogisme [275]. Cependant, il est possible d’y constater une divergence dialogique entre le désir d’une vie meilleure en Algérie exprimé par le contenu direct du double récit des narrateurs aliénés et l’idée de l’archinarrateur représentée par l’image symbolique du “portail croulant de vieillesse, mangé de vers et de moisissures, dans sa prétention surannée tirée d’un lointain passé de dignité et attestée par les grosses ferrures qui le bardaient” (p.204). Cette image du portail oriental ancien, mise en relief par le romancier, transmet l’idée que la société contemporaine ne doit pas prendre en exemple le passé “glorieux” de la civilisation arabe. Ce symbole n’est pas fortuit, car une image identique surgit dans Dieu en Barbarie (1970) lié avec Le Maître de chasse (1973) par le même thème et les mêmes personnages. Il s’agit de l’image symbolique représentant une fille de fellah qui traverse sur son bourricot le champ de ruines d’une cité romane devant un arc de triomphe. “Avec quelle indifférence, elle foulait les dalles indestructibles!”, écrivait Dib qui niait ainsi, pour son pays, une voie de développement européenne (p.215). C’est une réponse de l’archinarrateur opposée dialogiquement à une discussion politique déployée sur les pages de ces romans entre les personnages qui rêvent, chacun à sa façon, d’une Algérie prospère. Cette discussion est surtout violente entre Kamal Waëd, représentant des autorités et technocrate, qui est sûr que pour réformer son pays tous les moyens sont bons, même le communisme, et Hakim Madjar qui apprécie beaucoup plus les valeurs spirituelles des paysans que le progrès économique. D’après lui, “la vraie pâte humaine”, “la vraie chaire”, “le vrai sang de l’humanité” se trouvent à la campagne, la civilisation, pour lui, est une “tumeur maligne” (p.201). Le dialogisme des trois romans se manifeste par le fait qu’il est impossible de réduire leur contenu à une seule idée. On ne peut pas quand même accepter l’avis d’André Wurmser que Dib exprime dans Dieu en Barbarie le “tolstoïsme qui rêve du salut par le fellah le plus démuni, comme l’auteur de Résurrection par le moujik” [276]. L’ambiguïté dialogique de ces romans multiplie le nombre de questions posées par le romancier, ainsi que nombre de solutions discutées sans en priviligier aucune. C’est Ghani Mérad qui a raison lorsqu’il présente l’idéalogie de Dieu en Barbarie comme une interrogation: “Faut-il regarder résolument vers l’Orient arabo-musulman, faut-il calquer la civilisation occidentale, faut-il mener parallèlement les deux cultures, les superposer, en faire une synthèse”, et constate que “les solutions envisagées sont multiples, parfois saugrenues, souvent généreuses et utopiques” [277].

C’est certainement avec Habel que Dib a réussi à créer un modèle original du roman dialogique qui se présente comme une variante plus compliquée du modèle de James Joyce. L’écrivain y recourt à la fois à deux mythes implicites, mythe biblique sur Caïn et Abel et légende orientale sur Madjnoun et Laïla.

Dans son étude détaillée de Habel, Charles Bonn s’indigne de la lecture univoque de ce roman offerte par la critique journalistique. Il admet que “l’émigration est bien le cadre diégétique de ce roman”, mais proteste contre “la réduction du texte par la lecture idéologique à un contenu descriptif univoque” [278]. Cependant, Charles Bonn n’évoque pas le terme de dialogisme dans son interprétation de Habel, même s’il l’emploie largement dans son livre sur Nedjma, et présente Habel comme une sorte  de mécanisme dont les structures produisent et multiplient l’ambiguïté du sens. Une telle présentation rappelle la polyphonie des romans de Dostoïevski, mais à une exception près: l’interprétation de Bonn exclut la personnification des idées, car l’ambiguïté qu’il décrit n’apparaît pas entre les idées divergentes des personnages, mais se produit par le dédoublement constant du sens à l’interaction des structures du roman. Dans sa présentation du texte dibien, Charles Bonn constate “ce vertige de l’ambiguïté” qui permet plusieurs lectures contradictoires et qui récuse finalement la possibilité même du sens [279]. Il décrit de nombreux dédoublements de Habel qui s’assimile à plusieurs personnages à la fois. Il note que “son existence même de personnage” est ambiguë et parle de sa “transparence” [280]. Lily se présente comme “absence qui rassemble” et une “ubiquité spatiale”, son ambiguïté, selon Bonn, est “double” [281]. Quant au Vieux, alias Dame de la Merci, alias Eric Merrain, écrivain, son dédoublement est flagrant parce qu’il apparaît devant Habel comme homme et femme. S.V.Projoguina croit même que c’est un androgyne [282]. Charles Bonn note également que l’espace que parcourt Habel est “en quelque sorte double” [283]. Il signale “l’ambiguïté signifiante” de la prostitution de Habel au Vieux et qualifie de “impuissant et ambigu” le meurtre qu’il médite [284]. Au niveau de l’écriture, Bonn découvre une “ambiguïté triple ou quadruple” qui provient d’un “jeu sur deux registres de langage” [285]. Il conclut à la fin que la multiplication du sens observée dans Habel aboutit à la perte “en partie” du sens et note: “Le désir que manifeste Habel est bien celui d’une parole et d’un sens, mais cette parole et ce sens sont essentiellement, comme on l’a déjà vu, leur propre perte, dans leur énonciation même” [286].

Cependant, il convient de noter que malgré le “vertige de l’ambiguïté” observée dans Habel et la multitude de lectures qu’il offre, ce roman possède une “charpente” rigide qui sauvegarde son intégrité structurelle et ne lui permet pas de s’anéantir sémantiquement. Cette “charpente” est fournie par deux mythes implicites: fable biblique sur Abel et Caïn et légende orientale sur Madjnoun et Laïla. Dib imite en quelque sorte l’expérience de James Joyce qui a maîtrisé la narration hétérogène et polysémique du roman Ulysse à l’aide des structures d’un mythe. Gràce aux mythes, Habel se transforme, malgré son ambiguïté et transparence, en personnage central qui constitue le noyau de structure du roman et le foyer de narration. Le mythe biblique se réfère au récit romanesque par la similitude de la prononciation du nom Habel et Abel; la légende orientale, par la ressemblance du nom Habel au mot arabe qui veut dire “fou”. Mohammed Khaïr-Eddine cite deux mots: “Mahboul” et “Habl” [287]. En même temps, le nom Lily rappelle bien Laïla. La première référence se rapporte à l’aspect politique du récit qui présente Habel comme sacrifié, comme un homme expulsé par son Frère Caïn dans l’émigration. Cette référence est en effet politique parce que, comme note Khaïr-Eddine, dans ce roman Caïn “devient vite un frère moral, un frère avec F majuscule, autrement dit un gouvernement, un Etat et un pays” [288]. La deuxième référence concerne l’aspect affectif du récit qui décrit les rapports de Habel avec Sabine (amour charnel), avec Dame de la Merci (prostitution et perversion) et avec Lily (amour parfait). Le parcours initiatique accompli par Habel à travers l’amour charnel et la prostitution aboutit à l’amour parfait, mais comme il est affecté par la folie de Lily, le choix de Habel apparaît comme un sacrifice volontaire au nom de l’amour. Le passage de l’état de sacrifié au sacrifice volontaire et la prédilection de l’affectif devant le politique, motif repris de Cours sur la rive sauvage, imite le passage du mythe biblique au mythe oriental qui rend plus complexe l’interaction du récit avec les mythes.

Comme Habel constitue le foyer de narration, la réalité du roman dibien est présentée de son point de vue, celui d’un homme aliéné, solitaire et angoissé. Mohammed Khaïr-Eddine, par exemple, le qualifie sans ambages de fou: “L’immigré que décrit Mohammed Dib est un schisophrène immuablement assis dans un rêve déliriel” [289]. L’aliénation de Habel se manifeste dans ses visions où le vraisemblable et le fantastique se confondent. Elle est justifiée par son dépaysement qui correspond à la référence au mythe biblique et par la disparition subite de sa Lily bien-aimée qui se réfère à la légende orientale. De nombreux symboles servent à peupler les visions du narrateur et à combler de sens symbolique le vide causé par l’absurdité de ces visions. Mais comme prouve Charles Bonn, dans Habel les symboles se dédoublent et multiplient l’ambiguïté. Alors, comme les structures du récit imitent celles des mythes implicites, l’idéologie du récit se manifeste essentiellement dans ses interactions dialogiques qui s’établissent en deux directions: entre le récit et le mythe biblique et entre le récit et la légende orientale.

Dans le premier rapport, le récit subjectif du narrateur aliéné acquiert un sens politique accusateur et présente le vie de Habel comme typique pour tout émigré. La réalité que Habel observe du fond de son aliénation est une immense ville européenne où il n’y a plus de cataclysmes  ni d’extraterrestres, mais qui est quand même insolite. Dans ses visions d’aliéné, Habel perçoit la ville comme un labyrinthe, image traditionnelle de la littérature européenne. Le labyrinthe est dépeuplé, seules des voitures, pareilles à des monstres, passent en laissant derrière elles les traces de feux rouges et le héros a l’impression que c’est “une vaste et solitaire ruée de méduses; des méduses traçant leur route sanglante et vous mettant le même goût de sang sur la langue” (p. 71). Le labyrinthe est menaçant, cela est illustré par la scène de violence observée par Habel dans les toilettes d’un bar. Il est tellement impressionné par cette scène qu’il s’imagine à la place de l’homme rossé. Lorsque Habel observe une autre scène, celle d’auto-castration qui apparaît comme initiation à une organisation mystique, réplique d’un ordre médiéval, il ne peut non plus se retenir de s’assimiler au castré. Toutes ces scènes et tous les événements qui représentent la vie de l’émigré démontrent que Habel n’arrive pas à se débarrasser de son complexe de sacrifié. Le suicide qu’il médite est une conséquence logique de ce complexe psychique même si l’idée du suicide est incertaine et ambiguë. Il est difficile que Habel a une grande envie de mourir lorsqu’il se rend constamment au carrefour où il a failli être écrasé par une voiture. Cependant, la présentation de l’émigré comme d’un homme sacrifié est l’idée principale de l’aspect politique du récit et elle surgit uniquement à son interaction avec le mythe sur Abel et Caïn. C’est à partir de cette idée que surgit une critique assez sévère qui n’épargne ni la ville occidentale ni le pays anonyme qui expulse ses citoyens en émigration. Seulement l’hostilité de la cité d’émigration est dénoncée directement, tandis la critique de la cité d’origine est discrète parce que le fait que Habel a été chassé du pays natal par son frère se développe en accusation du pays en résultat de l’interaction du récit avec le mythe sur Abel et Caïn. Par rapport à la conception originale de ce mythe le récit de Habel a subi une modification considérable. Dans le Vieux Testament, c’est Caïn, privé des terres comme punition pour le meurtre de son frère Abel, est condamné à la vie nomade. Chez Dib, Caïn ne tue pas son frère, mais l’envoit à l’étranger, dans l’émigration. Abel, sacrifié par son frère, est voué à l’errance et au suicide. L’innocent subit donc le sort du coupable qui fuit la punition. Cette interprétation dibienne se présente comme l’interaction inverse du récit avec le mythe, car le récit démystifie le mythe, le parodie et refuse le fatalisme de sa conception. L’interaction réversible observée constitue le dialogisme du roman et produit de l’ambiguïté.

Dans le deuxième rapport, entre le récit et le mythe sur Madjnoun et Laïla, une idée différente apparaît, celle d’auto-sacrifice au nom de l’amour. Selon Habel, le bonheur n’est jamais parfait et exige toujours un tribut. De rares contacts sentimentaux de Habel avec des humains ressemblent à une série de sacrifices initiatiques. L’amour charnel de Sabine est voulu par Habel, mais pour l’avoir, il se voit obligé de sacrifier son amour pour Lily. Sabine se rend compte de ce sacrifice en disant: “Comme si je n’existais pas. Comme si tu t’attendais à voir quelqu’un d’autre à travers moi, ou derrière moi, plus loin” (p. 11). La prostitution de Habel piégé par le Vieux, alias la Dame de la Merci, se présente comme un autre sacrifice exprimant une grande envie de l’affection. Les deux contacts se terminent par l’échec, Habel oublie vite Sabine qui disparaît, mais ne pardonne pas le Vieux et a envie de l’assassiner. Le meurtre ne se réalise jamais, et Habel ne fait rien pour se venger du Vieux qui se suicide finalement. Visité ensuite par l’ange Azraïl qui lui  donne la capacité de “voir” l’invisible, Habel se débarrasse de tout ce qui l’angoisse, retrouve Lily dans un hôpital psychiatrique et prend la décision de rester avec elle, même s’il risque de perdre la raison. L’élément fantastique observé apporte au roman de Dib une dimension mystique. D’après Mohammed Khaïr-Eddine, “il s’agit d’une mystique de soufi sans doute où la quête de l’Absolu, de Dieu devient une quête amoureuse” [290]. Cette quête de Habel n’est pas décrite comme échec, même s’il sacrifie sa santé mentale pour l’amour de Lily. Or, le récit de Habel se présente également comme une modification de la conception du mythe sur Madjnoun et Laïla. Madjnoun légendaire est malheureux, son amour pour Laïla ne se réalise pas et il perd la raison. C’est un sacrifié de l’amour. Habel est, par contre, heureux parce qu’il retrouve Lily. Il n’est pas malade et considère le risque éventuel de maladie mentale comme son auto-sacrifice volontaire. Cette variante modifiée de la conception de la légende la renie et parodie en formant une interaction dialogique inverse.

A la fin du roman, on peut découvrir la principale particularité du modèle dibien: le passage du mythe biblique décrivant le premier meurtre du monde à la légende orientale qui déplore une histoire d’amour tragique. Au niveau des mythes, ce passage ne fait qu’accentuer l’idée que l’homme est malheureux dans sa vie sociale et sentimentale. Les structures du récit de Habel imitent cette évolution, mais au niveau du récit, le premier mythe est  refusé et le second est priviligié. On l’aperçoit dans la substitution de l’aspect politique du récit par son aspect affectif; de Habel sacrifié par Habel qui se sacrifie; de l’envie de suicide par l’envie de meurtre; de l’échec par la réussite. Tous ces passages structurelles expriment l’idée que les rapports sentimentaux ont une plus grande importance pour les hommes que leurs relations sociales et politiques. Cette contradiction établit une troisième interaction dialogique.

Or, Mohammed Dib a élaboré un modèle très complexe de roman dialogique. Comme le récit de Habel exposé par un narrateur aliéné s’avère très ambigu, son contenu se révèle à son interaction avec deux mythes implicites fonctionnant comme “grilles de l’ambivalence”. Par son aspect politique le contenu du récit se rapporte au mythe biblique sur Caïn et Abel, par l’aspect affectif, à la légende sur Madjnoun et Laïla. La troisième interaction s’établit entre le récit et l’idéologie exprimée par le passage d’un mythe à l’autre. Le dialogisme du roman se manifeste dans les trois interactions parce que les structures du récit sont modifiées par rapport aux conceptions des mythes et créent une opposition dialogique entre l’idéologie du récit et celle des deux mythes et de leur substitution l’un par l’autre qui appartient à un archinarrateur imaginaire parce qu’elle n’est pas exprimée par le narrateur aliéné.

Les Terrasses d’Orsol (1985) est aussi un roman dialogique. Aëd, son narrateur, est un personnage aliéné qui croit qu’il a un cancer. Il est également angoissé par sa découverte à Jarbher, ville étrangère où il habite, d’une fosse répugnante où grouillent des créatures monstrueuses. Il devine que ce sont des hommes transformés en monstres hideux auxquels il commence tout de suite à s’assimiler, mais il est surtout choqué par la réaction des habitants de Jarbher qui ont une peur épouvantable et se taisent lorsqu’il commence à les interroger sur la fosse. Les structures de ce roman sont plus simples que celles de Habel parce que Dib ne recourt plus aux mythes, mais aux symboles. Jarbher, où Aëd reste pour toujours, symbolise un enfer pour lui, mais le désastre est amorti par l’amour d’Aëlle. La ville d’Orsol, cité natale rayonnante de bonheur, lui est inaccessible. Mais seul l’archinarrateur sait que cette ville n’existe pas, qu’elle est “peuplée de spectres” (p.22).

Les trois romans de la série “nordique” de Dib, Le Sommeil d’Eve (1989), Neiges de marbre (1990) et L’Infante maure (1994), ne sont pas dialogiques parce que leurs narrateurs ne sont pas aliénés. Dans les romans dialogiques de Dib, on trouve toujours un personnage typique: faible, souffrant, confus, hypersensible. Il n’arrive jamais à surmonter des difficultés, à l’emporter sur les forces du mal, à commettre un exploit, il ne comprend même pas ce qui lui arrive et ce qu’il faut entreprendre pour se débarrasser de ses problèmes. Dans la série “nordique”, le narrateur ne résoud pas les problèmes non plus, mais il est omniscient, il comprend tout, même s’il ne dit jamais tout, car Dib préfère présenter une grande partie de l’information en forme de rêves, visions, etc. Par exemple, Solh, de Le Sommeil d’Eve, est bien conscient des problèmes de Faïna, il comprend la cause de son aliénation, mais ne peut rien changer. Deux autres romans ont un thème commun et décrivent les relations du narrateur avec sa fille, sa femme, sa belle-mère. On voit bien qu’il y a des problèmes qui les désunissent, et on se rend compte que le narrateur comprend la cause des malentendus, mais ne peut ou ne veut rien entreprendre. Alors, ces romans se distinguent surtout par leur lyrisme et la problématique familiale et non pas par la critique sociale, propre plutôt aux oeuvres dialogiques. 


 

2. Maître du roman dialogique algérien

1. Le Nouveau roman et le dialogisme. Rachid Boudjedra

Rachid Boudjedra se présente comme un vrai maître du dialogisme parce que tous ses romans, à l'exception de Timimoun, sont dialogiques. On y découvre plusieurs éléments qui servent à produire le dialogisme: mythes implicites, symboles-clés, narrateurs aliénés, récits insolites, images fantastiques etc. Mais ses romans se distinguent en même temps par une qualité extraordinaire, car parmi ces éléments on décèle la technique du Nouveau roman.

*

Chez Kateb Yacine et Mohammed Dib, il est possible de relever certains procédés du Nouveau roman. A une certaine époque, Nedjma de Kateb a été même classé comme appartenant à cette tendance de la littérature française. Mais Boudjedra a puisé plus que les autres Algériens à la technique du Nouveau roman. Claude Prévost a signalé notamment plus d’une dizaine d’indices de cette tendance dans La Topographie idéale pour une agression caractérisée (1975) [291]. Boudjedra avouait lui-même d’avoir subi l’influence de Claude Simon. Quoi qu’il en soit, dans ses romans les notions littéraires traditionnelles, telles que héros, événement, narration, temporalité, spatialité qui servaient dans le roman classique à expliquer l’homme et son univers ont subi une transformation considérable et servent à créer un monde irrationnel et imperceptible, tout comme dans le Nouveau roman. Néamoins, Boudjedra n’imite pas les Nouveaux romanciers, mais exploite leurs découvertes à sa guise. Il a ainsi expliqué sa compréhension de la tâche de l’écrivain: “Lire les autres. Approfondir les textes des autres. Comprendre les mécanismes techniques des autres pour en profiter d’une manière personnelle, pour avancer dans sa propre démarche” [292].

Le héros du Nouveau roman ne commet pas d’exploits, tout au contraire, ses efforts sont toujours voués à l’échec. Les Nouveaux romanciers s’intéressent plutôt à la perception de l’événement par le héros en tant que narrateur qu’à l’événement lui-même et prétendent avoir créé un moi collectif qui reflète l’univers et qui s’impose comme un point de vue de tout le monde. Le héros de Boudjedra n’est pas gagnant non plus, et il l’intéresse en tant qu’un point de vue sur le monde, mais particulier, puisque c’est un point de vue aliéné. L’aliénation du narrateur est toujours socialement motivée chez Boudjedra ce qui accentue considérablement la contestation de ses oeuvres. Par exemple, dans La Répudiation (1969), Rachid est psychiquement traumatisé par la tragédie de sa mère répudiée par le père, par la mort du frère et de la soeur; Mehdi, de L’Insolation (1972), prend à coeur les souffrances de sa mère violée par le mari de sa soeur et de son élève Samia toujours enfermée ( le lycée est sa prison de jour, la maison paternelle est la prison de nuit). Il s’agit là d’une accusation proférée contre la société partiarcale traditionnelle que le romancier considère comme survécue et réactionnaire. L’indice formel de l’aliénation est le délire qui apparaît dans le monologue intérieur du narrateur aux moments de grande tension nérveuse quand le mal social est hypertrophié dans sa conscience. Cependant, Boudjedra affiche un doute en ce qui concerne l’aliénation du narrateur et introduit ainsi de l’ambiguïté dans la narration. D’un côté, dit-il, “le délire permet de camoufler en certain nombre d’hérésies, de violences, de remises en question” [293]. De l’autre, “le délire est une forme de la poétique” [294]. Par exemple, le narrateur de La Répudiation est imaginé par Boudjedra comme “un malade mental”, soit comme “un fabulateur”, mais il admet également que “le narrateur simule le délire pour ne pas être torturé. Peut-être aussi la torture l’a-t-elle vraiment rendu fou” [295].

Dans le Nouveau roman la narration est cyclique, les événements y sont entassés sans ordre chronologique en vue de rendre avec plus de précision l’irrégularité de la pensée humaine et de transmettre son état psychique. Boudjedra a emprunté au Nouveau roman sa forme de narration, mais l’a modifiée à sa façon. Il a élaboré deux principaux modes de narration de natures opposées: un monologue intérieur prolixe, embrouillé, avec de nombreuses énumérations et tautologies, nommé loghorrée, qui traduit l’excitation du narrateur aliéné; et un monologue laconique, parfois réduit aux phrases nominatives, qui transmet bien les tentatives du narrateur de raisonner et de maîtriser son aliénation. Les deux modes sont agencés en suivant une structure “tentaculaire”, selon le mot du romancier. Illimitée chronologiquement et spatialement, la narration de ce genre évolue à partir d’un point qui la “catalyse”, puis retourne au même point pour évoluer dans une autre direction et ainsi de suite. Cette forme est plus sophistiquée, plus poétique que celle du Nouveau roman et transmet mieux l’aliénation du narrateur.

En poursuivant l’étude de la narration de Boudjedra, on se rend vite compte que le monologue intérieur du héros aliéné qui constitue l’essentiel de la narration ne lui appartient pas entièrement, on a l’impression qu’il est secondé par quelqu’un d’autre qui sait davantage. Il s’agit sûrement d’un archinarrateur ou bien d’un narrateur omniscient et omniprésent capable de reproduire en détails le monologue intérieur du héros et relater les faits que le héros n’est pas censé savoir, c’est-à-dire de l’auteur. On ne peut pas expliquer autrement d’où on apprend la mort du narrateur annoncée au milieu du récit de La Tographie idéale pour une agression caractérisée (1975); ou bien que le héros de Le Vainqueur de coupe (1980) va se retrouver en prison et sera libéré, si, de toute apparence, il se trouve au stade et se prépare à commettre un acte de vengence. Cette manière vient probablement de Claude Simon, car dans ses romans il est parfois difficile de comprendre à qui appartient telle ou telle énonciation. S.You. Zavadovskaïa évoque à ce propos l’existence de “structures doubles” dans le monologue intérieur de Simon [296]. Quoi qu’il en soit, le doute qui plane au-dessus du narrateur ne fait qu’accentuer l’ambiguïté de la narration. Cette ambiguïté est amplifiée en outre par le fait que Boudjedra brouille les pistes du narrateur, car on ne peut le localiser ni dans le temps, ni dans l’espace. Voilà ce que dit le romancier du narrateur de La Répudiation: “On ne sait pas très bien où se trouve exactement le narrateur. [...] J’incline à penser, personnellement, qu’il croupit dans un cachot, au secret, et qu’il rêve à sa maîtresse. Peut-être qu’il a réellement eu une maîtresse, peut-être ne s’agit-il que d’un rêve?” [297]

Si l’on ne peut pas détecter le narrateur dans l’espace et dans le temps et si l’on ne sait pas à qui attribuer la narration agencée d’une manière sophistiquée, on est obligé de constater que l’ambiguïté si disproportionnée risque d’enfreindre la cohésion du texte. Alors, Boudjedra a dû entreprendre certaines mesures pour sauvegarder cette cohésion. D’ailleurs, il  avoue qu’il est très intéressé “par la manière de ligaturer un texte et de l’organiser” [298]. Dans ses premiers romans, La Répudiation et L’Insolation, les narrateurs ont des allocutrices qui “catalysent” la narration: la Française Céline interroge Rachid, car elle veut tout savoir sur sa famille; l’infirmière Nadia, incrédule, oblige Mehdi à lui fournir des preuves. Dans Le Démantèlement (1982) la narration est agencée selon le principe des “vases communiquants”, si l’on reprend l’expression de l’auteur. Tahar El Gomri et Selma découvrent leurs secrets peu à peu, l’un devant l’autre, en “catalysant” ainsi leurs monologues intérieurs réciproquement. Mais jamais, dans ces oeuvres, la narration ne se transforme en dialogues ou en monologues extérieurs, car une question naïve posée enclenche tout un “courant de conscience” de narrateur qui oublie tout de suite l’existence de son allocuteur. L’allocuteur est un personnage inutile dans un monologue intérieur, mais sa fonction de “catalyseur” permet de structurer la narration, parce que c’est l’allocuteur qui sert d’un point de départ  pour chaque “tentacule” narrative.

Plus tard, Boudjedra a remplacé les allocuteurs par des “catalyseurs”de nature spatiale. Le plus souvent, c’est un espace fermé et dangereux qui incite le narrateur solitaire à produire un monologue intérieur. Dans La Topographie idéale, c’est le métro parisien, dans Le Vainqueur de coupe, le stade, dans Timimoun (1994), le Sahara. Dans La Pluie (1987), c’est l’intempérie qui rend l’espace redoutable. Mais s’étant renoncé aux allocuteurs qui orientent la narration, Boudjedra a dû introduire d’autres repères destinés à sauvegarder la cohésion des textes. Dans La Topographie idéale, exceptionnellement, c’est une structure spatiale rigide, puisque chaque partie du récit est rattachée à une des cinq lignes de métro que prend le héros; mais plus souvent il emploie une structure temporelle, comme dans Le Vainqueur de coupe où le récit est réparti, par doses, sur 90 minutes d’un match de football; ou bien comme dans L’Escargot entêté (1977) dont le texte est divisé en six parties décrivant six jours de vie du héros; dans La Pluie, les six parties correspondent aux six nuits de la narratrice; dans Le Désordre des Choses (1991), les trois parties décrivent trois journées datées.

Le récit de Boudjedra ressemble à un mythe, comme dans le Nouveau roman. Mais le mythe des Nouveaux romanciers représente la doxa, une situation archétypique en tant que produit de l’inconscient collectif parce qu’elle est imaginée par un narrateur transmettant un point de vue de tout le monde, banal et automatique. Chez Boudjedra, le narrateur exprime un point de vue déformant, aliéné, mais particulier, alors son récit mythique est individuel et acquiert des traits particuliers parce qu’il est habité par de nombreux personnages et images insolites, très personnels et en même temps portant une couleur nationale. Plusieurs parmi eux sont devenus traditionnels, voire obsédants. D’un roman à l’autre, en proportions différentes, on rencontre toujours un père autoritaire et voluptieux, une mère répudiée, une belle-mère impubère, un frère pédéraste, un grand-père cheminot et communiste, une grand-mère extravagante qui se fait prendre en photo avant sa mort dans sa plus belle robe, une tante centenaire, un oncle méchant, un homme qui a une déformation corporelle, ainsi que les dix-neuf horloges siciliennes hors usage héritées d’un ancêtre pirate, une tortue et un mûrier séculaires, un chat érotique, la chaleur, le tremblement de terre, des foules de rats et de scorpions et toutes sortes de superstitions prédisant le malheur etc.

Du point de vue de la richesse en images portant la couleur nationale le mythe de Boudjedra rappelle celui de Gabriel Garcia Marquez, surtout si on compare Cent ans de solitude (1967) et Les 1001 années de la nostalgie (1979). Tout comme Garcia Marquez, Boudjedra avait l’intention de dépeindre la réalité maghrébine comme extravagante. Il n’y a qu’à comparer leurs points de vue là-dessus. “Je crois la magie de la vie réelle. Je pense qu’en effet Carpentier traite de “Réalisme magique”  le miracle qui est la réalité, et plus exactement la réalité de l’Amérique Latine en general et la réalité des pays caraïbes en particulier. Elle est magique”, disait Garcia Marquez dans une interview, sans oublier d’évoquer l’influence africaine et arabe sur la culture latino-américaine [299]. “Je crois que la réalité algérienne, arabe, maghrébine, musulmane est réellement, du point de vue des rapports entre les gens, du point de vue psychologique, une réalité hallucinante”, disait Boudjedra [300]. Mais le romancier algérien a soumis tous les procédés de son choix à la réalisation d’une seule tâche, à l’expression de son attitude négative envers la société algérienne traditionnelle, tandis que chez Garcia Marquez a mis l’accent sur la présentation de la perception du monde latino-américain par une conscience mythologique locale.

En ce qui concerne la tautologie observée dans ses oeuvres, puisque Boudjedra reprend sans cesse les mêmes mots et expessions, les mêmes images et motifs d’un roman à l’autre, il s’agit du choix conscient d’une orientation. Boudjedra explique que son oeuvre appartient à une littérature “circulaire”, “concentrique” qui commence avec Bouvard et Pécuchet de Flaubert et qui passe par Faulkner, Joyce, Dos Passos et le Nouveau roman. Il croit que la tautologie propre à cette littérature provient du fait qu’elle est “obsessionnelle” et “fantasmique”. “Le propre du fantasme n’est-ce pas la répétivité qui amène à la tautologie?”, dit-il  [301].

Les particularités des romans de Boudjedra ne sont pas toujours liées avec le Nouveau roman. Par exemple, dans La Répudiation et L’Insolation il y a des scènes que l’on peut qualifier d’ethnographiques. De ce point de vue, on pourrait même considérer Boudjedra comme successeur de la tendance ethnographique dans l’histoire de la littérature algérienne. Mais on se rend vite compte que toutes ces scènes ne sont pas du tout affectives, comme dans Le Fils du pauvre de Feraoun, par exemple. Dans les premiers romans de Boudjedra, on trouve la description du mode de vie de riches commerçants, avec leurs repas copieux et la sieste; le rite de circoncision, le marriage, le divorce et l’enterrement; le carême, l’école coranique et le souk. Mais toutes ces scènes sont nettement critiques parce qu’elles attirent l’attention sur les aspects les plus répugnants: la visite des bordels par des pères de famille “décents”, l’homosexualité à l’école coranique etc. Bref, Boudjedra sait bien transformer des moyens littéraires analytiques en procédés formels qui expriment son attitude envers tel ou tel phénomène et qu’il oriente dans une même direction pour accentuer l’impact de la critique.

Boudjedra a également beaucoup surpris le public par un large emploi de la sexualité, surtout dans ses premiers romans. Il s’est montré un bon connaisseur de la théorie freudienne en exposant au lecteur tout un arsenal de notions psychanalytiques. Pourtant, le romancier s’est permis une expression paradoxale: “ Même lorsque j’intègre la sexualité dans certains de mes textes, il y a derrière une métaphysique et un sens du sacré formidables” [302]. Il a raison de dire cela parce qu’il y a dans ses romans un grand désir de chasteté et la sexualité n’y sert pas à susciter un sentiment érotique ou à expliquer le comportement humain selon la théorie de Freud parce qu’elle est transformée également en procédé auquel l’auteur attribue des fonctions différentes. Par exemple, l’atmosphère érotique qui règne dans la maison paternelle de La Répudiation et de L’Insolation se présente, selon Boudjedra, “comme une sorte de folie” qui sert à exprimer la répulsion de l’auteur envers la société patriarcale [303]. Le plus haut degrès de répulsion est exprimé par l’image du sang qui est liée chez Boudjedra avec la sexualité, la circoncision, l’égorgement du mouton à l’Aïd. En ces moments-là, les pages de ses romans sont inondées de sang, la tension psychique atteint son paroxysme, Rachid et Mehdi commencent à délirer.

Dans L’Escargot entêté, dans La Pluie et d’autres, la sexualité assume une fonction différente. C’est une propriété humaine normale qui provoque la répulsion non plus chez le lecteur, mais chez  les héros aliénés de ces romans qui tentent vainement de supprimer la sexualité de leur vie. A cette fin Boudjedra emploie des images contradictoires: ses personnages préfèrent tout ce qui implique solitude, impassibilité, stérilité et détestent tout ce qui symbolise sex, famille, passion, fécondité. Par exemple, le bureaucrate de L’Escargot entêté  aime le temps sec et ne supporte pas la pluie qui symbolise pour lui la fécondité. La narratrice de La Pluie préfère la nuit au jour, parce que la nuit elle peut rester seule; elle a peur des règles, ne pleure pas etc. Leurs obsessions se présentent comme absurdes, car c’est ainsi que l’auteur exprime sa réprobation.

Enfin, il est possible de noter chez Boudjedra une tendance vers l’universalité. “Tout écrivain tend vers l’universalité. Peu de gens y arrivent”, disait-il dans une interview [304]. Ce désir de l’universalité est observé dans les mythes implicites que le romancier introduit pour transposer son idée à un niveau plus élevé de généralisation. En parlant de son enfance “volé”, Rachid, de La Répudiation, dit que le seul moyen de résistance contre l’ordre établi par les pères sont l’alcool et l’inceste (p. 220). Son frère aîné boit et meurt; lui, séduit sa belle-mère et se retrouve à l’hôpital psychiatrique. C’est ainsi qu’il est puni pour l’inceste consommé présenté comme  tentative de s’élever au-dessus de son père et de venger ainsi sa mère répudiée. Alors, le complexe d’Oedipe, une des principales notions de la théorie freudienne, ne sert pas dans ce roman seulement à motiver le comportement du héros. L’inceste, ce tabou ancestral, assume les fonctions d’un mythe qui symbolise la domination suprême des pères, et la violation du tabou se présente comme une révolte contre la société patriarcale sclérosée.

Dans L’Insolation Boudjedra se lève contre le mythe de virginité profondément enraciné dans la société algérienne traditionnelle. D’après lui, il symbolise la domination masculine et justifie la servitude et l’humiliation de la femme qui n’a même pas le droit de se défendre. Selma est devenue concubine de Siomar contre son gré, et elle n’a jamais pu se libérer de son joug; Samia se décide à la défloration qu’elle considère comme une révolte contre son père qui ne voit en elle qu’une marchandise. Elle disparaît, Mehdi, son complice, est incarcéré à l’hôpital psychiatrique.

Dans La Topographie idéale le métro parisien où se perd et périt un Algérien anonyme se présente comme un labyrinthe dédalien redoutable. Ce labyrithe symbolise chez Boudjedra la civilisation occidentale et la condition humaine au sein de cette civilisation. Mais l’histoire de l’Algérien privé de tout contact communicatif, remontée au niveau généralisant du mythe, signifie la solitude humaine, et la tragédie individuelle se transforme en tragédie universelle.  En outre, Boudjedra amplifie l’expression de son idée par une modification importante de la conception mythologique: si Dédale s’échappe du labyrinthe du Minotaure en se faisant des ailes de plumes et de cire, l’Algérien est tué par des racistes.

Le contenu universel du roman L’Escargot entêté se découvre à la corrélation de son récit avec le mythe d’Hermaphrodite. Le héros misanthrope du roman déteste l’escargot, un animal innocent, parce qu’il est bisexuel et réunit, à ses yeux d’aliéné, deux “vices” à la fois, masculin et féminin. L’interprétation de ce mythe est basée sur deux attitudes différentes envers le fils d’Hermes et d’Aphrodite: vénération dans l’Antiquité et la répulsion des hermaphrodites dans la société contemporaine. Le bureaucrate écrase l’escargot pour la seule raison qu’il échappe à sa compréhension d’une société idéale, celle des rats qu’il préfère. Alors le bureaucrate se transforme au niveau symbolique en personnage redoutable, en dictateur qui réprime tout écart de la norme qu’il s’est imaginée. Il tâche d’adapter la société à sa théorie sans tenir compte des intérêts particuliers de ses membres et lutte contre les dissidents même aussi innocents que l’escargot.

Dans Les 1001 années de la nostalgie Boudjedra emploie en fonction du mythe généralisant les contes Mille et Une Nuits, ou plutôt la légende qui attribue à ces contes une signification symbolique de prospérité de la civilisation arabe. Le romancier décide de “retourner” le mythe, de le démystifier. “J’ai tenté de renversé ce mythe”, disait-il [305]. Il démontre que les peuples arabes n’ont pas été heureux dans le passé, qu’ils ont connu guerres, esclavage, misère, exploitation. Dans son interprétation, Mille et Une Nuits sont utilisés par des exploitateurs pour éterniser les rapports sociaux traditionnels dont ils tirent profit en présentant les contes comme une belle promesse d’une vie meilleure. L’écrivain trouve dans l’histoire du monde arabe un exemple, quand les Abbassides, afin d’acceder au pouvoir, se sont servi de Mille et Une Nuits pour tromper le peuple. Il démontre que la propagation des mythes de ce genre est possible seulement dans des sociétés isolées, privées de contacts avec d’autres peuples et ignorant des idéologies différentes.

Les deux aspects des contes, celui de prospérité et celui de sa négation, sont présentés par Boudjedra dans le cadre du problème du choix de la voie du développement socio-économique par les pays arabes. Doit-on ranimer les vieilles traditions islamiques ou prendre pour exemple la civilisation européenne contemporaine? Ou bien faire la synthèse des deux? Boudjedra ne donne pas de réponse, mais insiste que le retour en arrière et la consolidation des traditions ancestrales ne sont plus possibles. Il présente son idée symboliquement: Mohammed SNP, le héros du roman, trouve qu’il est descendant du grand Ibn Khaldoun, mais il ne peut pas prendre son nom, car il n’est pas plus possible de trouver des témoins qui avaient connu le grand historien.

Après Les 1001 années de la nostalgie Boudjedra remplace les mythes par des images symboliques qui assument la même fonction d’universalité idéologique. Dans Le Vainqueur de coupe, c’est une simple carte postale que le héros envoie à sa mère. L’image d’un athlète étrusque avec une coupe de champion dans la main présenté sur cette carte symbolise, selon l’auteur, l’exploit de Mohammed Ben Sadok qui commet un attentat contre Ali Chekkal, vice-président de l’Assemblée algérienne, considéré par le FLN comme traître de la cause nationale. C’est ainsi que l’auteur a exprimé son point de vue sur le problème de terrorisme discuté à l’époque. La complexité de ce problème réside, d’après Boudjedra, dans une différence  très délicate entre une exécution et un meurtre (p. 189).

Dans Le Démantèlement l’attitude de l’auteur envers le problème de corrélation des facteurs subjectifs et objectifs dans l’évolution historique est présentée dans l’image symbolique des vases communiquants. Selon Boudjedra, la subjectivité et l’objectivité historiques doivent “communiquer” constamment et s’équilibrer pour exclure l’élévation d’un facteur sur l’autre. Cette opinion de l’auteur est exprimée dans les contradictions dont il a muni ses héros. El Gomri exagère l’importance de l’évolution objective, mais il est subjectif dans ses actions: il s’isole et meurt en signe de protestation. Selma qui exagère le facteur subjectif se révolte contre le mode de vie traditionnel, mais elle incapable de changer l’évolution objective de l’histoire.

L’étude des particularités des romans de Boudjedra a permis d’y relever la présence de plusieurs indices dialogiques, et notamment: un narrateur aliéné et son récit mythique peuplé d’images insolites, un archinarrateur qui émerge des structures narratives pour exposer symboliquement une idéologie contraire à celle du narrateur aliéné et transmise par un mythe implicite ou par un symbole-clé généralisant. Le modèle le plus couramment employé par Boudjedra, de La Répudiation à Les 1001 années de la nostalgie, ressemble à celui de Garcia Marquez parce qu’il y introduit des mythes implicites opposés aux récits mythiques. A partir de Le Vainqueur de la coupe il simplifie son modèle en concentrant l’idéologie universelle dans des images symboliques, comme Kafka.

2. Le récit absurde et le mythe implicite. Rachid Boudjedra

Rachid Boudjedra a essayé plusieurs modèles de romans dialogiques, mais le modèle le plus original qu’il a élaboré est certainement celui de Topographie idéale pour une agression caractérisée (1975) dont le récit est entièrement basé sur les procédés du Nouveau roman et opposé à un mythe implicite classique.

*

Après La Répudiation et L’Insolation, Topographie idéale impressionne par son intégrité, car le narrateur n’y expose pas de récits qui ne sont pas directement liés avec l’histoire principale du roman, celle d’un Algérien errant dans le labyrinthe du métro parisien. Il ne décrit plus de scènes répugnantes, ne recourt plus à la sexualité,  exclut de la narration le délire et l’hallucination. Pour raconter cette histoire Boudjedra recourt à “ce style appris à la vieille école du Nouveau Roman”, comme notait Matthieu Galey [306].

La narration de l’Algérien anonyme est un monologue intérieur parfait, le dialogue en est complètement exclu parce que le narrateur ne parle pas du tout français. Le seul moyen de contact qu’il possède, est un morceau de papier avec un mot dessus écrit à la main par un écolier: ”Bastille”, le nom de la station de métro qu’il cherche. De rares phrases de discours direct sont accompagnées de mots: “se dit-il”. La solitude et l’aliénation du narrateur sont extrêmes, son monologue intérieur est le soliloque d’un égaré au milieu d’une foule indifférente. Matthieu Galey écrivait qu’il est “assailli par l’érotisme publicitaire, le bruit, les gens, la peur, l’affolement, la solitude, le vertige” [307]. Il convient de noter cependant que la situation décrite est exceptionnelle et qu’en réalité il est impossible de se perdre dans le métro parisien. Mais l’exagération observée sert à schématiser cette situation pour la présenter comme symbolique et universelle, car il s’agit d’une réduction de l’intrigue à une conception archétypique: n’importe qui peut se retrouver à la place du narrateur et cela peut arriver n’importe où. Le choix du héros et du lieu est manifestement conventionnel. Ce type d’intrigue a été sans doute emprunté au Nouveau roman.

Jadis, Karl-Gustav Jung décrivait le processus de création littéraire comme développement des archétypes en récits complets, les conceptions schématiques étant transformées en histoires avec des personnages munis de caractères et localisés dans le temps et dans l’espace. Les Nouveaux romanciers ont tenté de faire le contraire, de réduire le développement du récit afin qu’il garde son caractère archétypique et universel. Ils voulaient que chaque lecteur fasse le travail de l’écrivain et imagine une ou plusieurs variantes du développement de l’archétype en se mettant à la place du narrateur. C’était leur apport à la tendance à la diversité propre à la littérature du XXème siècle. Le Nouveau roman a poursuivi en quelque sorte la tradition de l’ambiguïté monologique qui prend sa source dans la comédie Est-il bon? Est-il méchant? de Diderot et dans L’Immoraliste d’André Gide. Mais Boudjedra a rendu le modèle archétypique des Nouveaux  romanciers plus compliqué en lui ajoutant du dialogisme, et c’était sa réponse à la diversité.

Le dialogisme se révèle dans ce roman d’abord au niveau de la narration, car on y découvre des structures doubles. L’auteur, ce narrateur omniscient et omniprésent, se dédouble: il pénètre dans la conscience du narrateur aliéné pour exposer ses réflexions, ses souvenirs et ses sentiments sous forme d’un monologue intérieur; et assume les fonctions d’un archinarrateur qui présente un tableau détaillé et impassible du métro. L’auteur est un médiateur entre l’Orient et l’Occident, entre une perception subjective et fausse appartenant au narrateur algérien et la description objectivale et “correcte” faite par un archinarrateur européen. Le narrateur aliéné est un personnage en chaire et en os, l’achinarrateur n’est pas personnifié, mais il accompagne le narrateur durant toute la période de son errance pour expliquer au lecteur tout ce que l’autre ne comprend pas, puis il suit l’inspecteur de police qui mène une enquête après le meurtre de l’Algérien.

Les déplacements du narrateur dans le métro sont présentés d’une manière objective, mais ils n’ont pas beaucoup d’importance pour le récit parce que l’élément aventurier y est absent. Ces déplacements paraissent redondants et rappellent plutôt un rite. C’est une errance dans un labyrinthe sans issue qui mène inévitablement à l’échec, à la mort. La redondance de l’événement observée dans Topographie idéale est typique pour le Nouveau roman qui maintient ainsi le récit au niveau archétypique et centre la narration sur la vision et la réflexion. Mais Boudjedra n’est pas indifférent pour l’événement. Au premier plan de son roman, on observe un thème politique, celui de la vie des émigrés algériens: travail au noir, salaire de misère, bidonvilles, contrôle policier. Le jour même de son arrivée, le narrateur se heurte au plus grand mal qui poursuit les émigrés, au racisme. Pour prouver que le meurtre de son personnage n’est pas une exception, Boudjedra présente des témoignages: la liste des tués publiée par l’Amicale des Algériens en Europe et le communiqué officiel du gouvernement algérien qui prend la décision de suspendre l’émigration en France en signe de protestation contre une nouvelle vague de racisme.

 Boudjedra proteste également contre l’indifférence qui règne, d’après lui, dans la société occidentale. Cette attitude de l’auteur se révèle d’abord dans de petites scènes de tentatives de contact de l’Algérien avec des passants occupés de leurs propres problèmes, futiles du point de vue de l’auteur par rapport au meurtre de l’Algérien, puis, dans leurs témoignages à l’enquêteur. L’attitude de Boudjedra envers les témoins est ironique, vue la futilité des problèmes qui les préoccupent. Mais il n’ironise plus, lorsqu’il décrit le policier. Ce personnage antipathique qui ne cache pas sa haine envers l’Algérien est irrité parce que le crime a été commis dans son quartier et qu’il est obligé de mener l’enquête jusqu’à la fin.

Les monologues des témoins sont agencés au fur et à mesure, ils interrompent la description de l’archinarrateur pour aider l’enquêteur, et en même temps le lecteur, à suivre l’itinéraire de l’Algérien et à rétablir les événements. Ces monologues sont fragmentaires et expriment des points de vue personnifiés différents sur le même problème. Cela donne à penser qu’il y a là du dialogisme, mais dans l’interprétation de Boudjedra ils sont redondants, car il n’y a aucune différence où a été tué le narrateur dont la mort a été annoncée et décrite en détails au beau milieu du roman. Un tel emploi des monologues correspond entièrement aux principes du Nouveau roman. Alors le romancier utilise les monologues des témoins et du policier plutôt pour caractériser leurs auteurs. Ces personnages indifférents, présentés ainsi par Boudjedra, ne sont qu’une partie de l’entourage, une partie de ce métro hostile où a été piégé l’Algérien. Ils ajoutent également une nuance sociale à la justification de l’aliénation du narrateur.

Le monologue intérieur “tentaculaire” du narrateur fonctionne en deux directions: la perception du métro qui est fausse parce que l’Algérien illettré invente constamment ses propres explications aux phénomènes qu’il ne comprend pas, notamment, il a peur de l’escalier roulant et croit que la publicité sert à embellir le métro; et le souvenir du Piton natal, c’est-à-dire du pays qu’il a quitté. Dans ce souvenir il reprend, comme refrain, une accusation proférée contre ses copains qui ont dû le prévenir de tous les problèmes qu’il allait rencontrer.

Le monologue du narrateur aliéné n’évolue pas idéologiquement, son auteur n’apprend rien au cours de son errance dans le labyrinthe du métro jusqu’à sa mort. Ce phénomène fait partie de la technique  du Nouveau roman, car son héros n’entreprend rien et ne prend aucune décision au bout de ses longues réflexions. Mais c’est aussi une des propriétés du dialogisme signalée par Bakhtine. Pour avoir une nette opposition d’idées personnifiées, celles-là ne doivent pas évoluer et se transformer. Leur importance est exagérée dans l’esprit de leurs porteurs et elles se transforment en idées fixes. Si, par contre, le narrateur renonce à son idée initiale, considérée comme fausse, et accepte une idée différente, la “bonne”, le dialogisme n’est plus possible. Prenons en exemple Timimoun (1994) de Boudjedra, son unique roman monologique. Son narrateur s’annonce au début comme un aliéné qui souffre beaucoup dans la vie, mais n’arrive pas à comprendre la cause de tous ses problèmes et malheurs. S’il ignorait cela jusqu’à la fin du récit, et si l’explication était donnée par l’archinarrateur symboliquement, le roman serait dialogique de toute évidence. Mais le narrateur arrive finalement à l’idée qu’il a un penchant pour  l’homosexualité. Cette idée a tout mis sur sa place, lui a expliqué tous ses problèmes. En résultat, son aliénation s’avère fausse, puisqu’il arrive à la “bonne” idée lui-même, et le dialogisme s’évapore. Le narrateur de L’Escargot entêté arrive aussi à une décision, comme il croit, et entreprend une action extravagante à la fin du récit, il écrase l’escargot, son grand ennemi; la narratrice de La Pluie éclate en larmes, malgré sa haine de l’humidité. Mais ces gestes sont toujours absurdes, les narrateurs restent sombrés dans leur aliénation et l’explication objective des problèmes se révèle seulement au niveau symbolique des romans. L’abandon du dialogisme observé dans Timimoun se présente comme écart de la manière que Boudjedra élabore au fil de son oeuvre. Cette décision est probablement liée avec son désir de mettre fin à un cliché très répandu dont il a parlé dans une interview: “Cela commence à devenir une sorte de cliché, dans la littérature du Maghreb. On voit qu’il y a toujours le fou, dans les romans nord-africains!” [308]

La plus grande partie de Topographie idéale est occupée par une description abondante et détaillée du métro parisien appartenant à l’archinarrateur. Claude Prévost y voit “une minutie à la Robbe-Grillet” [309]. Le monologue intérieur désordonné de l’aliéné ne l’interrompt que de temps en temps. L’archinarrateur y décrit stations, passages, trains, escaliers roulants, le schéma de métro; cite toutes sortes de chiffres, de données, de coefficients; transmet toutes les couleurs et toutes les odeurs; souligne partout la structure idéale du métro, son fonctionnement régulier et, comme un indice tout à fait particulier, la symétrie parfaite de la “topographie idéale” du milieu souterrain. De nombreuses énumérations et une quantité de termes techniques mettent en relief l’objectivité et le caractère “scientifique” de la description. Comme l’archinarrateur tâche de ne pas omettre de menus détails en les enregistrant dans de très longues phrases qui sont souvent interrompues par toutes sortes de précisions et d’explications entre parenthèses, la perception de l’espace devient de plus en plus difficile et la réalité se transforme aux yeux du lecteur en quelque chose d’imperceptible, fantastique, absurde et agressif. La structure “tentaculaire” du récit complique, elle-aussi, la perception du milieu “idéal”, même si l’auteur a “ligaturé” le texte en le divisant en cinq parties correspondant à cinq lignes de métro qu’a prises le héros. Dans ce roman, la narration change de direction si souvent qu’il est très difficile d’y suivre la logique de l’agencement des idées. Alors, sous l’impact d’une telle description le métro se transforme peu à peu du “milieu géométrique” en “labyrinthe”, puis en “grotte piège” et en “phantasmagorie spatiale linéaire”.

Dans Topographie idéale, Boudjedra a réussi à élaborer à partir de l’écriture du Nouveau roman une description extraordinaire capable de présenter le métro comme un milieu souterrain angoissant et redoutable, sans recourir au délire, à l’hallucination, ou à d’autres moyens qui déforment la réalité romanesque. Claude Prévost a beaucoup apprécié cette particularité du roman de Boudjedra. “On voit donc, grâce à ce roman peu banal, à quoi peuvent “servir” les recherches de la littérature expérimentale qu’on est tenté si souvent, ici et là, de qualifier de “formalisme”, écrivait-il [310]. Boudjedra démontre qu’une reproduction absolument objective de la réalité peut devenir imperceptible et absurde et il parodie ce genre d’écriture, parce que “la subversion littéraire” l’intéresse toujours. “Elle est toujours là!”, dit-il dans une interview [311]. Cette description a permis à Boudjedra de développer le récit en mythe parce que le métro ainsi présenté rappelle implicitement le labyrinthe dédalien. Modifié par rapport à la conception du mythe, puisque l’Algérien est tué, tandis que Dédale se sauve, le récit s’y oppose et crée une interaction dialogique. Le métro se présente donc comme un espace où se rencontrent en rapport dialogique le récit du narrateur aliéné exprimant une vision naïve de la réalité inconnue et la conception mythologique de l’archinarrateur qui voit la solitude et l’aliénation de l’homme dans ce monde. Le récit de l’aliéné est lu comme une aventure extraordinaire et peu vraisemblable d’un seul individu. L’idée de l’archinarrateur est universelle et concerne tous. Claude Mauriac a noté: “Ce montagnard dans le métro, c’est nous tous dans la vie” [312].


3. Successeurs du dialogisme algérien

1. Le récit politique et une image poétique. Nabile Farès

Le modèle dialogique de Nabile Farès est toujours le même: il oppose au récit politique angoissant une image poétique optimiste.

*

Avant d’entamer son livre sur Farès, Charles Bonn note: “D’une oeuvre aussi paradoxale et pourtant aussi essentielle, il n’était pas question de faire la traditionnelle synthèse thématique ou structurale; encore moins d’en décrire le contenu en rapport avec la biographie de son auteur, et la description de son environnement culturel” [313]. En effet, il est très difficile d’appliquer des approches traditionnelles aux romans de Farès, et cela pour plusieurs raisons.  Premièrement, on n’arrive pas à définir les romans de Farès à cause de leur nature hétérogène. Le critique belge Paul Leclerq dit carrément que Un Passager de l’Occident (1971) “n’est pas un roman” et explique pourquoi: “Il se présente plutôt comme une suite de récits, de réflexions sur le sort que la vie réserve à l’auteur ou que l’auteur s’est fait, de pensée sur l’Occident où il vit en passager, les bagages à la main, sur l’Algérie qui le blesse, sur l’Algérie qui l’émeut, sur l’Algérie qu’il rêve” [314]. L’Algérien M. Haciane ne cache pas son scepticisme: “Un “roman”, si l’on peut dire, puisqu’il se compose de deux poèmes, d’une lettre et de deux nouvelles” [315]. S.V.Projoguina affirme qu’il est impossible de “définir strictement” le genre du roman Le Champ des Oliviers (1972) [316]. Et elle a peut-être raison parce que dans cette oeuvre la narration passe, selon Yves Benot, “à travers des méandres des allers et retours dans le temps, de 71 à 54, de nouveau en 71, à travers des mythes et des contes, à travers aussi des poèmes et des exercices de style, qui parfois semblent parodier comme par dérision la plus récente mode littéraire, mais souvent la détournent pour la remettre à l’heure algérienne” [317]. Il y a eu également des tentatives de définir Mémoire de l’Absent (1974). Yves Benot pense que c’est un “roman-poème”, mais c’est une définition très générale que l’on peut attribuer à tous les romans de Farès [318].  S.V.Projoguina y voit une variante du “modèle biographique” [319]. Elle croit qu’il raconte la vie d’Abdnouar, mais en même temps touche des thèmes historiques, philosophiques et folkloriques présentées souvent en images allégoriques. La Mort de Salah Baye ou la vie obscure d’un Maghrébin (1980) appartient, selon Paul Morelle, à “une littérature orale” d’après son caractère [320]. Bref, Farès a développé à outrance la transgression des limites du genre romanesque, tendance devenue populaire en Algérie depuis Kateb Yacine. Cela a beaucoup compliqué la définition de ses oeuvres. Mais il convient de noter que Farès sait rassembler des éléments hétérogènes harmonieusement et sans contrainte. Yves Benot apprécie beaucoup cette qualité de Farès: “C’est peut-être le trait le plus frappant de la personnalité de Nabile Farès que cette aisance souveraine à parcourir tous les registres pour y faire réentendre sans fin les mêmes questions lancinantes” [321].

Deuxièmement, il faut tenir compte des principes artistiques de Farès qui sont exposés dans Un Passager de l’Occident dans les déclarations de Brandy Fax  à propos de l’oeuvre de Camus. Ces déclarations rappellent un manifeste et, d’après leur contenu, sont proches à celles de Mohammed Dib dans la postface de Qui se souvient de la mer. Farès renonce au Réalisme d’une manière violente en le traitant de “l’idéologie artistique la plus réactionnaire” (p.36). D’après lui, le Réalisme fait croire seulement ce qui évident, tandis que la vérité, pense-t-il, est souvent dissimulée. Ce n’est pas par hasard qu’il cite en épigraphe à ce roman les paroles de Bertold Brecht que la vérité peut devenir une arme entre les mains des amis, si elle “échappe à la vigilence et à la riposte de l’ennemi”. Alors, Farès a préféré dissimuler la “vérité” de ses oeuvres dans de nombreuses images allégoriques de nature variée. On rencontre dans ses romans des allégories de la tradition classique européenne, les plus faciles à interpréter, par exemple, Arlequin, Don Juan; mais Farès introduit souvent des images du folklore berbère, hermétiques pour le lecteur européen, par exemple, l’Ogresse au nom obscur; et celles qu’il invente lui-même, les plus secrètes, Petite Flamme de Briquet, Peau de l’outre et d’autres. A partir de Mémoire de l’Absent Farès devient moins hermétique, car il forme des allégories d’une façon originale: il présente le processus de leur création qui dévoile leurs rapports avec la réalité et facilite leur déchiffrement. D’abord, son narrateur observe un événement réel, y réfléchit, lui trouve une comparaison qui se transforme dans son esprit en image allégorique. Par exemple, dans L’Exil et le Désarroi (1976), l’image d’un arbre fixé sur le mur dans la chambre de Mokrane se transforme à ses yeux en symbole d’un exilé déraciné du sol natal. L’hétérogénéité stylistique et les allégories assez obscures sont intentionnelles chez Farès. D’abord, ce genre d’écriture sert à poétiser ses textes très politisés. D’ailleurs, son alter ego Brandy Fax rêve dans Un Passager de l’Occident d’un pays où “la politique deviendrait poétique” (p.78).  Deuxièmement, elle dissimule la critique violente des textes et permet de dissimuler des idées secrètes selon le conseil de Bertold Brecht.

Etant donné que Farès octroie beaucoup plus d’attention à la vie spirituelle du narrateur présentée dans ses idées, souvenirs, impressions et remplie d’images allégoriques, la diégèse de ses romans est mal prononcée. On y distingue deux principaux sujets: le voyage de l’écrivain Brandy Fax en Espagne et l’histoire d’Abdnouar, un jeune Algérien mort pendant la guerre d’indépendance. Le premier sujet qui se rapporte à l’époque de l’après-guerre prédomine dans Un Passager de l’Occident; le deuxième est mieux présenté dans Mémoire de l’Absent et décrit les années de guerre. Le Champ des Oliviers réunit les deux sujets. L’Exil et le Désarroi et  La Mort de Salah Baye critiquent la vie en Algérie indépendante, leurs sujets sont différents et sont mieux exprimés.

Dans ses premiers romans Farès traite des idées irréalisables, voire utopiques. L’écrivain Brandy Fax est préoccupé par des problèmes politiques ambigus. Vivant en émigration, ce “passager de l’Occident” ne retourne pas au pays natal parce qu’il n’accepte pas la politique d’arabisation de la culture algérienne. Il se lève à la défense de la culture berbère et exige son droit au libre développement dans le cadre de la culture algérienne. Etant Kabyle, il se nomme “émigré culturel”. Farès avait raison de dissimuler l’impact idéologique de ses livres en recourant à l’allégorie, car son héros Brandy Fax se présente comme un vrai extrémiste lorsqu’il se prononce pour la renaissance du paganisme berbère. Il exagère son importance en disant que “la pensée païenne vaincra la bureaucratie et la technocratie actuelles” (p. 74). Il croit même que “après la décolonisation française de l’Algérie viendra la décolonisation islamique de l’Algérie” (p. 75).

L’histoire d’Abdnouar reprend le thème du premier roman de Farès Yahia, pas de chance (1970). Abdnouar arrive en France pendant la guerre de libération avec son père déporté par les autorités coloniales. Il se sent mal à l’aise parce qu’il soutient la lutte anticolonialiste, mais déteste la guerre. Le premier roman finit au moment où le héros prend la décision de s’engager dans la lutte. Abdnouar se rallie au mouvement de libération et meurt pendant une manifestation des Algériens à Paris. Ranimé dans le roman Mémoire de l’Absent, Abdnouar regrette qu’il ne soit pas resté en Algérie parce qu’il a envie de participer dans la lutte armé. Cette idée est aussi impossible que celle de Brandy Fax.

Dans les romans qui suivent, Farès passe aux problèmes politiques actuelles plus concrètes. Il ne change pas beaucoup sa manière, mais quand même on peut remarquer que l’allégorie n’y cache pas trop sa contestation assez violente. Dans L’Exil et le Désarroi, il analyse les causes de l’émigration des Algériens. Son héros, Mokrane, retourne dans son village natal après la guerre de libération. Mais il ne comprend pas ce qui se passe dans le pays. D’abord il voit l’enthousiasme du peuple qui participe dans les réformes et organise des comités d’autogestion. Puis il s’étonne qu’il y a des terres interdites à la nationalisation, s’indigne de l’injustice sociale, de l’emprise de la religion, de la servitude des femmes, des tentatives de faire oublier les martyrs. Il note le désarroi des gens qui se mettent à protester. Mais leurs protestations sont sévèrement réprimées. La répression inspire la terreur qui, selon Farès, pousse les Algériens dans l’exil.

La Mort de Salah Baye rappelle un roman policier parce que Salah est présenté comme victime d’un complot des criminels et des fonctionnaires d’Etat corrompus. Devenu leader syndical, Salah essaie de lutter contre la corruption, mais périt dans une lutte inégale. Ce roman possède une structure complexe parce que l’histoire de Salah est reconstituée peu à peu par un journaliste qui mène l’enquête et qui est tué finalement par les mêmes criminels.

Dans ces oeuvres de Farès, il est possible de relever certains indices du dialogisme. Avant tout, ses narrateurs sont tous des personnages aliénés parce que leurs souffrances portent atteinte à leur santé psychique. Brandy Fax et Abdnouar sont des émigrés, les deux sont insatisfaits de leur situation des marginaux. Brandy Fax est obsédé par son idée fantastique de la renaissance du paganisme berbère, c’est un “passager” qui voyage constamment et ne trouve pas où “mouiller l’ancre”. Mêmes ses rapports avec Concita sont instables et ne se transforment pas en vraie histoire d’amour. Abdnouar est déchiré entre un désir d’engagement dans la lutte et sa haine de la violence. Dans Mémoire de l’Absent, Abdnouar est un narrateur conventionnel extraordinaire, car il est mort depuis longtemps. Farès l’a imaginé comme un narrateur “absent” qui “dit” ce qu’il aurait dit, s’il était vivant. Mokrane, de L’Exil et le Désarroi, est aussi un émigré chassé du pays par la peur. Le narrateur de La Mort de Salah Baye se trouve en situation extrêmement dangereuse puisqu’il a les mains liées et une cagoule sur la tête et doit être noyé d’un instant à l’autre. Son monologue intérieur hallucinant est un soliloque absolu.

L’aliénation des narrateurs est causée donc par des phénomènes sociaux bien précis que l’auteur soumet à la critique. Elle est transmise à travers leurs délires et hallucinations dont le caractère fantastique est présenté dans de nombreuses images allégoriques. Mais là, on arrive à bout des similitudes avec les modèles dialogiques précédents, car chez Farès les allégories et les symboles, dans leur ensemble, ne rappellent aucun mythe implicite et ne se rapportent à aucun symbole généralisant, ce qui, d’ailleurs, porte atteinte à l’intégrité de ses romans et les rend plus hermétiques. En outre, ils ne contredisent pas les idéologies exposées directement dans les réflexions des narrateurs. Comme ils confirment ces idéologies, on ne peut pas attribuer leur contenu indirect à des archinarrateurs et on est obligé de constater que les oeuvres de Farès sont monologiques. Et pourtant, elles sont dialogiques. Tout simplement, le romancier a installé le dialogisme à un niveau différent. Il a divisé toutes les images d’une manière poétique, selon leur appartenance aux forces du bien et aux forces du mal. La vie des héros de Farès est une lutte constante avec le mal, au niveau allégorique elle l’est aussi. Dans cette lutte les héros subissent toujours un échec, et le mal s’avère tout-puissant. Mais au niveau allégorique, au milieu de cette lutte, comme sur un fond noir et blanc, on trouve une belle image de couleur qui symbolise le triomphe du bien. Yves Benot décrit bien le caractère poétique de cette image, même s’il avait en vue seulement Le Champ des Oliviers: “Et une sorte de rêve sans accomplissement, ni possible ni envisagé, domine cette fin d’un roman, qui n’est peut-être pas d’un politique, mais que la poésie hante d’un bout à l’autre” [322].

C’est entre cette image optimiste, dont le sens allégorique peut être attribué à l’archinarrateur, et la triste histoire du narrateur que l’on détecte le dialogisme. Dans Un Passager de l’Occident le rêve est exprimé dans l’image des chevaux au galop; dans Le Champ des Oliviers c’est l’olivier qui promet un meilleur avenir; dans Mémoire de l’Absent l’esclave traverse le fleuve à la nage et retrouve la libérté; dans L’Exil et le Désarroi un garçon dessine “un vrai village”. La Mort de Salah Baye se distingue par une image particulière: Farès y cite quelques chants de l’Odyssée qui dessinent un tableau de l’arrivée des navigateurs à l’île d’Aiaié où ils sont accueillis avec hospitalité par Aurore. Ce tableau est très réconfortant, car les voyageurs sont charmés par la déesse qui leur offre un bon repas et promet sa protection. Toutes ces images ne sont pas mises en relief sur un fond allégorique général et ne s’imposent pas comme des symboles-clés prétendant englober l’ensemble de contenu des romans. Cette particularité les rend très poétiques, incertaines, et elles  expriment vaguement le désir de la vie heureuse.

2. Un double récit mythique et deux symboles-clés. Rachid Mimouni

Le modèle dialogique de Rachid Mimouni est aussi original, car il oppose un double récit mythique qui se compose d’un récit du passé et d’un récit du présent à deux symboles-clés qui correspondent aux récits et qui sont liés entre eux.

*

Le dialogisme apparaît dans les romans de Mimouni  à partir de Le Fleuve détourné (1982). Le récit y est nettement divisé en deux: en récit du présent et en récit du passé. Les deux sont fragmentés et agencés progressivement, un fragment du présent, un autre du passé et ainsi de suite. La temporalité du récit du passé est linéaire malgré sa fragmentation. La spatialité y est considérable, car on se rend bien compte que les événements se déroulent en Algérie, à la campagne et en ville, même si la toponymie n’est pas précisée. Le récit du présent est un prolongement logique du précédent, mais il est intemporel, la suite des événements n’y a aucune importance. Dans le récit du présent, l’espace est réduit aux limites d’un camp de concentration entouré d’un désert. On devine que c’est le Sahara, mais les noms géographiques et historiques sont exclus de ce récit. Le lieu de narration est indiqué, c’est le même camp de concentration, mais l’imprécision de la localisation spatiale et temporelle de la narration la rend ambiguë. Les deux récits sont présentés du point de vue d’un seul narrateur, mais de deux manières: il se souvient de tous les efforts qu’il a entrepris dans le passé pour retrouver son identité et en même temps il observe les événements du présent et n’entreprend rien. Le récit du passé est catalysé par le désir de perfectionner l’exposé de son histoire pour prouver son innocence devant un “Administrateur en Chef” dont la visite éventuelle est attendue par les détenus du camp. Le récit du présent est relaté par un chroniqueur décrivant la réalité d’un petit espace qui l’entoure. Le mode de narration est un monologue intérieur, même si parfois on constate que telle ou telle phrase est adressée à un des personnages. Le narrateur est un aliéné absolu, car c’est un homme sans identité. Il a perdu sa femme, son fils; il n’a pas de papiers, pas de nom; il est privé de droits civiques et se trouve dans un camp de concentration où sont détenus des dissidents ou des paumés, comme lui. En plus, c’est un homme illettré et naïf qui pratique le métier de cordonnier, “le plus méprisable des métiers, qui consiste à toujours rester agenouillé aux pieds des hommes” (p. 18). Le monologue intérieur d’un narrateur aliéné déforme la réalité, mais une perspective narrative pareille permet à Mimouni d’accentuer la critique de son roman et en même temps de se distancer du narrateur. Pour amplifier la contestation, le romancier recourt souvent à l’allégorie qui présente plusieurs phénomènes sociaux négatifs comme fantastiques. Alors, l’histoire du petit cordonnier se transforme en récit mythique, parce que le vraisemblable y coexiste avec le fantastique en relations apparemment naturelles. Le récit du passé et celui du présent possèdent le même taux de critique, mais se distinguent par la tonalité, parce que Mimouni y emploie des procédés différents.

Tout d’abord, le récit du passé contient une pré-histoire qui décrit rapidement l’enfance misérable du héros, son travail de cordonnier, son marriage avec une fille que personne ne voulait. Pendant la guerre de libération, lorsque les gens en kachabias et avec des mitraillettes lui ont dit qu’ils avaient besoin des cordonniers, le héros anonyme les a suivis en laissant sa femme enceinte. Un jour tout son détachement meurt sous un bombardement. Seul survivant, blessé et amnésique, il se retrouve à l’hôpital d’un pays voisin. Comme il ne se rappelle pas son nom et ne sait où aller, il reste à l’hôpital et travaille comme jardinier pendant quelques années. La pré-histoire finit par une catastrophe symbolique: un jour les oiseaux arrachent toutes les belles fleurs qu’il cultive, et le héros retrouve sa mémoire. La fonction de la pré-histoire est importante dans le roman. Elle présente le héros comme un homme borné et explique sa longue absence dans le pays par son amnésie. C’est un subterfuge du romancier qui permet de respecter l’historicité du récit et en même temps de justifier la perspective narrative particulière, puisque la réalité de l’Algérie indépendante y est présentée du point de vue d’un narrateur aliéné, choqué par des changements sociaux inattendus.

La composition du récit du passé est traditionnelle: le narrateur se déplace à travers le pays et ses déplacements permettent à l’auteur de décrire les changements réalisés et de les soumettre à une analyse critique. Dans ce récit la contestation de Mimouni est basée essentiellement sur l’exgération du négatif. Par exemple, arrivé dans le village natal, le narrateur est étonné de voir que les terres ne sont pas cultivées et son père lui explique: “Beaucoup sont morts à la guerre. D’autres nous ont quittés pour devenir des vagabonds, des commerçants, ou des employés dans les administrations. Et, régulièrement, d’étranges maladies viennent éclaircir nos rangs déjà clairsemés” (p.41). Le tableau de l’exode rural ainsi décrit n’a rien d’extraordinaire, mais le narrateur aliéné l’hyperbolise, l’exode se transforme à ses yeux en épidémie étrange et redoutable qu’il prend pour une malédiction. En ville, il voit une neige grise qui tombe et des gens immobiles assis sur l’herbe et transformés en statues, image rappellant celle de la pétrification des citadins dans Qui se souvient de la mer de Mohammed Dib. C’est ainsi que le narrateur exprime son dégoût de la ville. En suivant les pérégrinations du cordonnier, Mimouni dépeint plusieurs problèmes de la société algérienne des années 70-80: toute-puissance de la bureaucratie, corruption, criminalité, pénuries, marché noir, imposture officielle etc. Ce thème devient fréquent dans l’oeuvre de Mimouni après Le Fleuve détourné. Comme Mimouni exagère le mal, la réalité présentée paraît sombre, sinistre. Jacques Cellard y voit même une parenté avec Le Procès et La Colonie pénitentiaire de Kafka, et L’Etranger de Camus et traîte Le Fleuve détourné de “livre noir” [323].

Le cordonnier apprend finalement qu’on lui a volé sa femme et elle se prostitue aux notables du régime, que son fils est un orphelin sans mémoire qui n’a plus besoin de lui, qu’il n’aura jamais ses papiers et même du travail parce que son métier appartient à la catégorie de “petits métiers de misère” interdits par la loi. Pour prouver son identité, on lui propose de présenter trois témoins qui l’ont vu parmi les moudjahids. Mais ce n’est plus possible parce qu’il n’y a pas d’autres survivants de son détachement. L’allusion ironique à une épisode de Les 1001 années de la nostalgie saute aux yeux. Dans le roman de Boudjedra, on a demandé à Mohammed SNP, qui voulait avoir un nom, de trouver des témoins qui ont connu son ancêtre Ibn Khaldoun. Le cordonnier se voit donc répudié par la société et se rend compte que sa quête d’identité aboutit à l’échec. La quête d’identité est l’idée motrice du récit, elle l’organise bien, mais ne constitue pas son objectif, car Mimouni tient à comprendre avant tout la cause de tous ces problèmes sociaux qu’il décrit. Alors, son narrateur interroge tous ceux qu’il rencontre et apprend avec surprise que personne ne comprend. Son père lui dit: “Ces Temps Modernes ont bouleversé bien des choses. Je ne suis qu’un pauvre paysan. Je ne peux pas comprendre. Toi, tu comprendras, peut-être” (p.47). Le cordonnier entreprend alors une action extraordinaire: il se dirige au cimetière et exhume Si-Cherif, le commandant de son détachement, pour lui demander conseil, mais le mort n’en sait rien et lui dit: “J’ai l’impression, mon fils, que tu aurais mieux fait de mourir aussi” (p.82). D’ailleurs, c’est une image allégorique typique du récit du passé qui le rend pareil au mythe parce que Mimouni relie cette image fantastique à une action vraisemblable: le héros est recherché par les gendarmes pour avoir profané la tombe. Un seul personnage essaie de donner une réponse au cordonnier, c’est un Gouverneur et ancien combattant qui croit que “le pays est devenu un vaste champ d’expériences pour des théories venues de l’étranger” (p.197). Ces expériences, d’après lui, sont pernicieux parce qu’elles ne respectent pas les coutumes et la religion de la population. Les paroles du Gouverneur se présentent comme explication de l’image symbolique qui englobe le contenu du récit du passé. Il s’agit de l’image d’un fleuve que des planificateurs étrangers ont détourné dans un autre lit, tandis que dans l’ancien, il n’y a que des tas d’ordures. D’ailleurs, cette dernière image rappelle celle de Mohammed Dib dans La Danse du Roi: un tas d’ordures derrière un portail oriental. Chez Dib cette image symbolique exprime son refus de calquer une voie de développement dans le passé glorieux de la civilisation arabe. L’image du fleuve détourné symbolise chez Mimouni le développement socio-économique de l’Algérie des années 70-80 qui ne suit pas son cours “naturel”, car on lui a imposé un schéma théorique qui ne lui convient pas.

Dans le récit du passé on observe de temps en temps de l’ironie, mais dans le récit du présent la tonalité change radicalement. Plus allégorique que le précédent, il est entièrement fondé sur l’ironie. Jacques Cellard se trompe donc en considérant Le Fleuve détourné comme un “livre noir” [324]. Le récit du présent est carnavalesque et par cet aspect-là il ressemble à Les 1001 années de la nostalgie. Mais si Boudjedra ridiculisait la réalité des pays arabes, Mimouni raille les réformes en Algérie des années 70-80. Sa critique vise certains aspects de la politique officielle et les bureaucrates qui réalisent cette politique. Pour se moquer d’un phénomène qu’il critique, Mimouni ne l’hyperbolise plus, mais le place dans une situation où il est mal à propos. Par exemple, les barbelés autour du camp de concentration sont inutiles parce qu’il se trouve au milieu du désert; les lavabos sont mal à propos parce qu’il n’y a pas d’eau; les frigos, parce qu’il n’y a pas d’électricité; le discours en arabe littéraire est prononcé par un Administrateur devant les gens qui ne le comprennent pas, sa traduction en patois vulgaire ne fait qu’accentuer l’ironie. Le deuxième procédé, fréquent chez Mimouni, est une exlication insolite de l’origine d’un phénomène connu. Par exemple, les detenus du camp sont considérés comme dissidents parce que leurs spermatozoïdes sont subversifs; l’importation des oeufs d’Espagne est expliquée par la grève des poules algériennes. Ces explications sont parfois complétées de détails qui amplifient l’ironie. Par exemple, les oeufs importés sont “plus ronds et plus blancs” que les oeufs nationaux et comme le droit à la grève est reconnu par la Constitution, les poules nationales ne serons pas punies. Toutes ces images présentent la réalité décrite comme absurde, cette impression est mise en relif par le symbolisme sinistre du camp de concentration, image apparue pour la première fois dans Le Polygone étoilé de Kateb Yacine.

Mimouni a créé un modèle dialogique original, on distingue dans son roman deux  récits à la mythe à tonalités différentes: le récit du passé qui est trop noir et le récit du présent carnavalesque. Les deux sont exposés du point de vue d’un narrateur aliéné en quête d’identité qui cherche en même temps à comprendre la cause des conséquences négatives des réformes et n’y arrive pas. Il n’attend plus l’Admistrateur en Chef qui peut résoudre ses problèmes et se trouve devant un dilemme:”Faire comme Vingt-cinq, qui considère qu’il a fini de vivre, accueillant chaque nouveau matin comme un supplément d’existence inespéré”; ou “Faire comme l’Ecrivain, qui n’a pas fini de se colleter avec lui-même dans une impérative quête intérieure” (p.216). Il peut aussi s’évader, comme Rachid le Sahraoui, ou mourir, comme Omar. Mais il ne fait pas son choix parce qu’il ne sait pas la réponse. Il a perdu la foi et ne fait plus la prière, il ne croit plus que la vie peut changer pour le mieux même quand on annonce la mort de Staline (Boumedienne?). Et pourtant, les réponses sont exprimées dans les symboles-clés des deux récits: dans l’image du fleuve détourné, image stylistiquement neutre qui se rapporte au récit du passé angoissant et dans l’image sinistre du camp de concentration du récit du présent carnavalesque. Le premier symbole explique la cause politique de toutes les déformations sociales au cours des réformes; le deuxième en présente les conséquences. Comme le narrateur ignore les réponses, on est obligé de les attribuer à l’archinarrateur, témoin d’un dédoublement idéologique de l’auteur qui renonce de mettre les points sur les i . En effet, Mimouni ne tente plus de camoufler ses idées à ce niveau-là, mais offre une opposition dialogique: d’un côté, l’incertitude et la quête constante de la réponse qui, peut-être, ne sera jamais trouvée; de l’autre, une réponse toute faite. Mimouni a voulu tout simplement exposer les problèmes et donner à réfléchir, ce n’est pas un hasard qu’il a choisi comme épigraphe de son roman les paroles d’Ahmed Ben Badis: “Ce que nous voulons, c’est réveiller nos compatriotes de leur sommeil, leur apprendre à se méfier, à revendiquer leur part de vie en ce monde”.

Dans son roman suivant, Tombéza (1984), Mimouni reprend les principes du précédent. On y distingue un récit du passé qui relate l’enfance et la jeunesse de Tombéza, son mariage et sa carrière, puis, une histoire criminelle précédée par un temps de sécheresse, choléra, typhus, incendies, signes précurseurs de malheur, comme l’attaque des oiseaux dans Le Fleuve détourné; et un récit du présent qui n’est plus carnavalesque parce que Mimouni ne recourt pas à l’ironie en décrivant les atrocités qui se passent à l’hôpital et en-dehors de lui. Les deux récits sont exposés par Tombéza, un seul narrateur qui se trouve à l’hôpital parce qu’il vient de sortir de coma après un accident d’auto. Il est impuissant et ne peut ni parler ni bouger, son récit est donc un monologue intérieur complet d’un paralysé qui sait bien qu’il ne survivra pas. Le récit du passé est un souvenir de la vie dure de Tombéza précédant l’accident, le récit du présent est une observation passive des événements par un homme sans défense. L’idée du récit du passé est concentrée dans l’image de figuier de Barbarie qui représente Tombéza lui-même. “Je ressemblais à ces figuiers de Barbarie. Je grandissais en dépit de tous les pronostiques, chétif et clopinant, mais harneux et tenace”, disait Tombéza (p.35). Le symbolisme de l’hôpital qui englobe le récit du présent est aussi poignant que celui du camp de concentration de Le Fleuve détourné parce qu’il accuse une société malade. Cette image apparaît dans la littérature algérienne avant Mimouni, dans La Répudiation et L’Insolation de Boudjedra.       

Alors, lorsqu’on compare les deux romans de Mimouni, on peut constater que le deuxième reprend grosso modo la composition du premier à l’exception de quelques particularités importantes. Premièrement, Mimouni ne ridiculise plus les aspects négatifs de la vie sociale, car il n’emploie pas d’images hyperboliques et grotesques qui déforment la réalité romanesque pour la rendre absurde. Dans Tombéza Mimouni est sérieux et triste, il dénonce le mal et décrit des faits dégoutants d’une manière réaliste, mais avec une description pareille il arrive à rendre absurde la réalité romanesque et à prouver ainsi que la vie d’une société malade est en effet absurde. Mimouni a probablement suivi l’exemple de Boudjedra qui, avec une simple description détaillée, a réussi à transformer l’espace du métro parisien en labyrinthe redoutable dans son roman Topographie idéale. Deuxièmement, Mimouni a choisi pour son roman un thème nouveau, la violence. Il ne s’agit pas là du despotisme des pères, comme chez Boudjedra, mais de la violence comme un mal global qui a pénétré dans toutes les couches sociales et les a rendu malades. Le héros principal du roman est choisi en fonction du thème, car Tombéza est un handicapé moral qui, depuis son enfance, n’a connu que le mal, l’injustice, la violence. Alors, il imite les autres et terrorise ses adversaires; pour réussir dans la vie, il recourt au chantage. Le dialogue de Tombéza avec Bismillah, un aveugle, démontre à quel point il est ignorant en matière de morale:

-Dis-moi, Bismillah, toi qui est tout le temps fourré à la mosquée à écouter les prêches de l’imam et les commentaires du Coran, dis-moi, pour toi, le mal, qu’est-ce que c’est?

      -C’est ce qui transgresse les enseignements d’Allah.

      -Et pourquoi fait-on le le mal?

      -Parce qu’on ne sait pas. Ou qu’on est méchant.

      -Mais un méchant, qu’est-ce que c’est? C’est comme être laid, ou aveuglé? Dans ce cas, est-ce ta faute si tu dois tatonner pour suivre ton chemin?

      -Non, je crois que c’est différent. Le mal, on est toujours libre de le rejeter.    

                                                                                                           (p.261).

Tombéza n’arrive pas à se débarrasser du mal et meurt finalement sans comprendre sa faute. Ce fait est très important pour le dialogisme: le narrateur ne change pas idéologiquement, même s’il commence à réfléchir. Alors, comme dans Le Fleuve détourné, le contenu symbolique du roman ne peut pas appartenir au narrateur, parce qu’il contredit sa compréhension du monde, et on l’attribue à l’archinarrateur. La violence comme état normal d’une société, idéé du narrateur, est donc opposée diologiquement à l’idée de l’archinarrateur que la violence est une maladie sociale. Un autre handicapé moral, le maréchalissimus de Une Peine à vivre (1991) de Mimouni, arrive avec beaucoup de peine à comprendre sa faute grâce à une jeune fille qu’il aime. Au nom de l’amour, le dictateur fait des réformes démocratiques, même s’il risque de mourir à la suite d’un coup d’Etat. Il est fusillé finalement, mais il meurt heureux parce qu’il a connu, pour la première fois dans la vie, ce que c’est que d’être aimé. Au dernier moment de sa vie il ne regrette rien et pense à sa bien-aimée: “Alors que j’allais abaisser les paupières, je la vois s’élancer follement vers moi” (p.277). L’évolution idéologique subie par le maréchalissimus supprime toute possibilité de dialogisme. D’ailleurs, ce roman n’imite pas entièrement les structures de Le Fleuve détourné ou Tombéza. Son narrateur se trouve en situation de danger extrême, car il est placé devant une rangée de soldats qui vont le fusiller; les confessions sont agencées sous forme d’un monologue intérieur sincère et accusateur. Le soliloque d’un narrateur aliéné est un des éléments du dialogisme, mais, en même temps, le roman se compose d’un seul récit linéaire et ne possède pas de symbole généralisant. Lorsqu’on compare deux citations placées à la préface du roman, celle d’Albert Camus: “Nous portons tous en nous nos bagnes, nos crimes et nos ravages. Mais notre tâche n’est pas de les déchaîner à travers le monde. Elle est de les combattre en nous-mêmes et dans les autres” et celle de Fridrich Nietzsche sur “les hommes forts, les vrais maîtres”, on se rend bien compte que Une Peine à vivre est une oeuvre monologique parce que Mimouni soutient l’idée de Camus sans équivoques.

L’Honneur de la tribu (1989) de Mimouni est son troisième roman dialogique qui possède quelques particularités par rapport aux précédents. D’abord, le narrateur n’est pas personnalisé, c’est un vieux, l’un des quelques survivants d’une tribu qui raconte l’histoire de son village à quelqu’un, au romancier éventuellement. Le récit du vieux n’est pas un monologue intérieur, presque traditionnel dans une oeuvre dialogique, mais l’aliénation du narrateur est bien exprimée parce que c’est un illettré angoissé qui ne peut pas expliquer la cause du mal social qui a ravagé sa tribue. Au début du roman Mimouni tâche d’individualiser le langage du narrateur qui, selon la tradition, évoque souvent Allah, emploie des proverbes et des phrases imagées. Mais bientôt, on a l’impression que le romancier oublie l’existence du vieux et relate l’histoire à sa façon, sans tournures et formules traditionnelles. Ce mode de narration simplifie la perception, mais fait oublier que le récit est exposé par un narrateur aliéné, même si l’exposition des événements à la troisième personne garde un caractère naïf. Cela donne à supposer que Mimouni ne tenait pas beaucoup au dialogisme dans ce roman transitoire entre Tombéza nettement dialogique et Une peine à vivre monologique.

On ne peut pas diviser le récit de L’Honneur de la tribu en deux parties, parce que de nombreuses histoires du passé qui interrompent constamment le récit du présent ne sont pas liées entre elles, même si elles présentent toutes l’histoire du village. L’Honneur de la tribu est consacré entièrement à l’analyse des conséquences des réformes des années 70-80 à la campagne. Pour cette raison ce roman peut être considéré comme une suite de Le Fleuve détourné où ce problème a été entamé. Le récit de L’Honneur de la tribu est basé sur une comparaison: la tribu a survécu lorsqu’elle s’est déplacée, pendant la colonisation, au sud du pays où il n’y avait d’autre végétation que des eucalyptus et des oliviers, mais elle n’a pas pu survivre sous l’impact des réformes réalisées à l’indépendance. Dès que le village devient chef-lieu de préfecture, il est envahi par des gendarmes, policiers, officiers, fonctionnaires du parti, professeurs, medecins, geôliers, imams, caissières des super-marchés, ainsi que par des étrangers qui déracinent les oliviers et construisent des villas. Tous ces gens-là ne vont pas à la mosquée, parlent la langue des roumis et boivent de l’alcool. En résultat, une petite partie seulement s’est adaptée au nouveau mode de vie, plusieurs sont morts, certains se sont dispersés. Le narrateur naïf croit que le mal est causé par Omar, un autre Tombéza de Mimouni, qui est nommé préfet. Il croit également que tout peut s’arranger parce qu’un avocat est prêt à défendre l’honneur de leur tribu et Omar se brûle la cervelle. Mais au niveau symbolique, Zitouna, son village qui rappelle Macondo de Garcia Marquez et Manama de Boudjedra, représente le pays tout entier en proie des réformes. Alors, il est très difficile d’imaginer qu’à ce niveau il est possible de restituer l’honneur de la tribu. Comme cette idée est en contrediction avec l’idée du narrateur, on est tenu à l’attribuer à l’archinarrateur et à constater une opposition dialogique.

Le dernier roman de Mimouni, La Malédiction (1994), est monologique, le romancier y décrit avec affection un groupe de personnages liés d’amitié, déplore la mort insensée de simples gens des  mains des islamistes et imagine une levée de résistance contre le terrorisme qu’il considère comme une malédiction. On peut conclure que Mimouni renonce finalement au dialogisme pour une raison politique. Il s’adresse à son lecteur pour exprimer son aversion envers la violence, il veut apprendre à ses compatriotes à résister au terrorisme et ne craint pas être trop direct et trop didactique, car il se sent responsable du destin de son pays.



4. Conclusions de la Deuxième partie

1. Les influences

C’est étonnant, mais entre Ulysse (1922) et Nedjma (1956) il n’y a pas d’autres romans dialogiques. La nouveauté du roman de Kateb est tellement surprenante que certains chercheurs présentent cet écrivain comme extrêmement exceptionnel et inclassable, comme un phénomène qui ne s’inscrit pas dans l’évolution de la littérature et refusent de reconnaître les racines européennes de sa manière. Par exemple, Naget Khadda croit que “par un tout autre chemin que celui de l’Histoire de la pensée et des arts en Europe, Kateb Yacine interpellé par une toute autre conjoncture historique et motivé par des enjeux fondamentalement différents, rejoint le train de la modernité” [325]. Ce point de vue n’est pas partagé par Charles Bonn qui note: “Tout texte littéraire, et surtout romanesque, ne s’écrit que dans un constant dialogue, dans un frottement ininterrompu avec d’autres textes qui le précèdent, et que les urgences d’une littérature émergente avaient fait un peu oublier jusqu’ici” [326]. Jacqueline Arnaud voit dans Nedjma l’influence de Joyce, Dos Passos, Faulkner [327]. Marc Gontard place ce roman “à l’intérieur de ce courant qui, de Faulkner à Robbe-Grillet, contribue au renouvellement nécessaire des formes romanesques” [328]. Pour conclure, il convient d’admettre que les tentatives d’expliquer le phénomène Kateb Yacine et d’interpréter Nedjma vont se multiplier, mais en dépit de la variété des points de vue, il est difficile de ne pas remarquer l’intuition extraordinaire de Kateb qui lui a permis d’appréhender une multitude de procédés de la modernité littéraire, y compris le dialogisme. Mohammed Dib fait presqu’aussitôt la même découverte, puisque son premier roman dialogique Qui se souvient de la mer paraît en 1962. Ailleurs, le roman dialogique surgit seulement en 1967 lorsque l’écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez publie Cent ans de solitude.

Les romans de Gabriel Garcia Marquez sont classés comme appartenant au Réalisme magique, un courant littéraire latino-américain fondé par Alejo Carpentier et Miguel Angel Asturias. Le modèle proposé par Garcia Marquez dans son roman Cent ans de solitude est synthétique, il réunit à la fois les traits du modèle de Kafka parce qu’il combine des faits réels et fantastiques dans un récit mythique et les traits du modèle de Joyce parce qu’il contient un mythe extratextuel implicite.

Dans ses propos, Garcia Marquez affirme paradoxalement qu’il est un “écrivain réaliste” et que dans ses livres “il n’y a pas de fantastique” [329]. Le romancier croit que l’aspect fantastique et magique de ses livres est calqué sur la vie même: “Je crois à la magie de la vie réelle. Je pense qu’en effet Carpentier traite du “Réalisme magique” le miracle qui est la réalité elle-même, la réalité de l’Amérique Latine surtout, et la réalité des pays caraïbes en particulier. Elle est magique” [330]. Ces paroles de Garcia Marquez expliquent l’origine d’une grande quantité d’images fantastiques dans ses oeuvres, l’origine du fantastique engendré par la mentalité mythologisante superstitieuse qui existe encore en Amérique Latine, ainsi que l’origine du terme même du “Réalisme magique” qui désigne le nouveau courant du roman latino-américain.

Le récit de Cent ans de solitude est construit à la façon d’un mythe latino-américain, mais ses images fantastiques n’appartiennent pas toutes à l’oralité nationale. D’après V.S.Stolbov, “le fantastique du roman provient de sources différentes, parmi lesquelles les mythes bibliques et antiques, les images et les motifs des contes folkloriques” [331]. V.N.Kouteïchtchikova pense que chez Garcia Marquez “la principale source du “merveilleux” n’est pas d’origine indienne, ce sont les légendes et les superstitions créoles” [332]. Mais V.B.Zemskov est peut-être plus précis lorsqu’il note que le monde fantastique de Garcia Marquez ne possède aucun motif “chimiquement pur” parce que tous ses éléments sont métamorphosés et réunis sous la forme du catholicisme populaire [333]. La source du fantastique et du miraculeux des oeuvres de Garcia Marquez est donc ce “cock-tail” de mythes et légendes, de croyances et superstitions venus de tous les coins du monde et adaptés par le catholicisme primitif de l’Amérique Latine. En plus, Garcia Marquez recourt à un procédé purement littéraire: d’après V.B.Zemskov, c’est “l’hyperbolisation d’un phenomène ordinaire par amplification de sa qualité ou de sa quantité” [334]. C’est grâce à l’hyperbolisation que les Buendia possèdent des qualités surnaturelles et la vie à Macondo paraît bizarre et absurde.

Toutes ces images fantastiques hétérogènes ne servent pas qu’à dépeindre la réalité “magique” de l’Amérique Latine, car elles sont symboliques et leur symbolisme constitue le contenu du récit qui transmet son idéologie. V.S.Stolbov a raison quand il note  que “ce sont des moyens artistiques appelées à transférer aux événements ou aux personnages un sens profond et une dimension plus importante, à appliquer aux images un sens ironique supplémentaire. Le merveilleux dont est doté le roman sert soit à présenter la réalité comme satirique et grotesque, soit à la poétiser” [335]. Ces réflexions sont significatives parce qu’elles démontrent la conventionalité des images fantastiques de Garcia Marquez. Mais cette conventionalité est implicite dans son roman parce que le fantastique et le magique y sont justifiés par une perspective narrative particulière. C’est aux yeux d’un narrateur à conscience mythologique que la réalité se présente comme magique. Il s’agit donc d’une aliénation de type nouveau, le narrateur n’étant pas un homme effrayé par l’hostilité du monde, comme chez Kafka, mais un individu superstitieux qui explique l’incompréhensible par la magie. Pour V.N.Kouteïchtchikova, “l’expression de la psychologie des gens qui ont conservé une conscience animiste primitive” et “l’émergence d’un nouveau point de vue sur la réalité sociale objective” est une vraie découverte des écrivains latino-américains [336]. Alors, Garcia Marquez peut être admis comme “Réaliste” seulement parce qu’il décrit la réalité du point de vue d’une mentalité mythologique irrationnelle qui survit encore  en Amérique Latine.

C’est curieux, mais V.B.Zemskov vante beaucoup les qualités de cette conscience collective parce qu’elle reproduit, d’après lui, une magie  “naturelle” et “réelle” de la mythologie populaire, tandis que dans la littérature européenne moderne on trouve toujours une conscience maladive et subjective qui n’est pas capable de produire qu’une magie “artificielle” et “truquée” [337]. Passionné par la corrélation “réaliste” et “naturelle” entre la mentalité mythologique et son imaginaire fantastique, V.B.Zemskov oublie qu’il s’agit finalement d’une  conventionalité, d’une exploitation de cette corrélation par les écrivains puisque les images fantastiques sont chargées de symbolisme. En outre, la conscience mythologique n’est pas unique ou dominante dans le roman de Garcia Marquez, elle se trouve en opposition dialogique avec une conscience rationnelle. Cette opposition, bien qu’elle ne soit pas définie comme dialogique, est signalée par V.N.Kouteïchtchikova: “La perception mythologique est un facteur artistique important, mais pas unique, elle se trouve ici en corrélation avec une conscience socio-critique “ [338].

V.B.Zemskov, qui idéalise toujours la perception mythologique, méprise la conscience rationnelle en la traitant de “dogmatique”, “empirique”, “mécanique”, tandis que la conscience populaire primitive (sic!) signifie pour lui le mouvement, le changement, la nouveauté, la fertilité et l’imagination [339]. Sa position est donc inverse par rapport à l’attitude traditionnelle qui privilégie l’idéologie rationnelle. En se rendant compte peut-être que Cent ans de solitude ne se réduit pas à une mythologie primitive, V.B.Zemskov précise  que Garcia Marquez, d’après lui, ne nie pas “l’intellectualité en général”, mais une “mauvaise intellectualité” (sic!) [340]. Cependant, V.N.Kouteïchtchikova a bien prouvé que dans le “nouveau roman” latino-américain les deux points de vue  sont déterminés par l’existence en Amérique Latine de deux types de conscience, “folklorique primitive” et “rationnelle moderne” [341]. Elle a également souligné le fait que dans la nouvelle littérature latino-américaine la perception mythologique “se marie tout à fait naturellement avec une vision rationnelle contemporaine” parce que ce sont leurs rapports réels. Conformement aux deux perspectives, la réalité est double dans les romans latino-américains, et V.N.Kouteïchtchikova ne manque pas de le noter: “Parmi les oeuvres du “Réalisme magique” latino-américain il n’existe pas de celles qui soient enfermées intégralement dans le cadre mythologique. La description fantastique de la vie y est liée d’une façon ou d’une autre à sa représentation analytique consciente” [342]. Il est bien évident que la dualité de contenu et de perspective constatée par V.N. Kouteïchtchikova constitue le fondement du dialogisme dans Cent ans de solitude, mais elle ne l’évoque pas.

 La conception de dialogisme de Garcia Marquez est proche de celle de Franz Kafka qui, selon l’aveu du romancier lui-même, a exercé une grande influence sur lui [343]. Cependant, V.B.Zemskov qui admet que Garcia Marquez “doit beaucoup à l’expérience de Kafka” croit que les oeuvres de Kafka sont univoques, tandis que les romans de l’écrivain colombien sont dialogiques [344]. Il explique cette différence d’une façon paradoxale: pour lui, le récit fantastique de Kafka est “négatif”. Par exemple, du point de vue de V.B. Zemskov, la métamorphose de Gregor Samsa  “est en même temps l’extermination de l’homme”, car “le point final de la métamorphose chez Kafka est la mort” [345]. Par contre, le récit fantastique de Garcia Marquez est “positif”, d’après V.B.Zemskov, parce que chez lui “la métamorphose peut fonctionner dans “tous les sens”, en direction de la mort, comme en direction de la vie” [346]. Le dialogisme est un procédé important faisant partie de la stratégie d’une oeuvre puisqu’il exige des structures spéciales qui gouvernent son contenu. Si l’on s’abstient de détecter le dialogisme dans une oeuvre, et cela arrive souvent, on l’interprète comme univoque et portant le message de l’auteur seulement. Mais si l’on découvre le dialogisme intuitivement, sans voir dans quelles structures il réside, on aboutit souvent à des interprétations pareilles à celle de V.B.Zemskov. D’abord, il s’exalte devant la perception mythologique qu’il considère comme dominante et plus importante que la voix rationnelle de l’archinarrateur, tandis qu’une telle interprétation contredit le principe même du dialogisme qui exclut toute domination idéologique. Ensuite, il fait cette distinction entre Garcia Marquez et Kafka, fondée sur des indices qui n’ont aucune pertinence pour le dialogisme, sur quelques cas de résurrection décrits dans Cent ans de solitude.

Alors, le roman de Garcia Marquez possède les traits du modèle de Kafka parce que la réalité y est décrite à la façon d’un mythe, le récit se présente comme une compilation de faits réels et surnaturels et l’aspect fantastique du récit est justifié par la perception du monde mythologique du narrateur. Pourtant, Garcia Marquez a dépassé Kafka parce qu’il a doté son roman d’un nombre plus considérable de traits mythologiques. V.B.Zemskov note avec beaucoup d’enthousiasme que “ce n’est pas un roman-mythe tout simplement, c’est le roman-mythe le plus complet, comme s’il était construit d’après les préscriptions littéraires toutes faites, une sorte d’abécédaire du roman-mythe, l’encyclopédie accumulant l’ensemble de clichés mythologiques et freudiens de la tradition artistique et philosophique occidentale du XXème siècle. On trouve ici inceste, complexe d’OEdipe, fatum, archétypes, personnages mythiques...” [347]. Ce n’est pas une mérite que d’employer une quantité de clichés, mais on comprend l’enthousiasme de V.B.Zemskov quand on découvre dans les structures de ce roman plusieurs indices d’un mythe extratextuel implicite qui transmet aux clichés une signification nouvelle, car le récit de Garcia Marquez imite les structures de la légende biblique, de la Genèse à l’Apocalypse. V.B.Zemskov retrouve plusieurs structures bibliques dans Cent ans de solitude: Arbre de vie, Paradis terrestre, Adam et Eve, Démon tentateur, Caïn et Abel et ainsi de suite jusqu’à l’Apocalypse [348].

La Bible, en tant que mythe extratextuel implicite, assume dans ce roman la même fonction de “grille de l’ambivalence”que l’Odyssée chez Joyce: sa conception originale, superposé sur le contenu du récit, produit un contenu indirect important qui transmet la voix rationnelle de l’archinarrateur opposée dialogiquement à l’idéologie irrationnelle du narrateur mythologisant. Le dialogisme de ce roman fonctionne, comme chez Kafka et Joyce: lorsqu’on admet que le récit exposé du point de vue d’un narrateur à perception mythologique est une “histoire vraie”, il se présente comme une épopée familale grotesque et carnavalesque où le magique et le réel se mêlent tout à fait naturellement. Lorsqu’on considère le récit comme une “histoire fausse”, comme une métaphore de la vie réelle présentée par l’auteur, il devient, au niveau du contenu indirect, absurde et sinistre et perd son caractère carnavalesque, car l’histoire des Buendia aboutit à un désastre total.

 Du modèle kafkaïen Garcia Marquez a hérité également une qualité importante, la démystification des mythes. Son récit, comme celui de Kafka, est déjà un mythe en soi dont le dialogisme  fonctionne sur la négation et l’affirmation directes d’une des “vérités”, mythologique ou symbolique. Le symbolisme du roman se forme, par conséquent, sur la démystification du mythe dont la signification est relative à cause de l’ambiguïté dialogique. La forme de la démystification, d’après V.B.Zemskov, est le “rire tragicomique purifiant” qu’il reprend du postulat bakhtinien sur le rire carnavalesque qui n’épargne rien dans le roman [349]. Cette qualité est plus évidente chez Garcia Marquez que chez Kafka dont le rire est plus secret et la fatalité est plus considérable.

Le modèle de Garcia Marquez est donc un “hybride” qui rattache le principe de “littérature comme le mythe” de Kafka au principe de “mythe dans la littérature”de Joyce. D’un côté, Garcia Marquez a créé, comme Kafka, bien qu’avec des moyens différents, un récit mythique pittoresque dont l’aspect fantastique est expliqué par une perception irrationnelle de la réalité par un narrateur à mentalité mythologique. De l’autre, la Bible, en tant que mythe extratextuel implicite, a procuré au récit qui imite ses structures un plan de contenu indirect  significatif. Ce contenu exprime les idées universelles de l’archinarrateur opposées dialogiquement à l’idéologie du récit, comme dans le modèle de James Joyce.

Un autre exemple du roman dialogique a été proposé par l’écrivain kirguiz Tchinguiz Aïtmatov. Son modèle ressemble  beaucoup à celui de Kateb parce que son roman Une Journée plus longue qu’un siècle (1974) se compose de trois récits à structures similaires dont le récit legendaire sert de “grille de l’ambivalence”. Le même principe dialogique est employé dans son roman Les Rêves de la louve (1987) qui se compose de quatre récits à structures similaires.

Les trois récits du roman Une Journée plus longue qu’un siècle sont de nature différente. Le récit central est “réaliste”, il décrit l’histoire d’un homme vivant dans le désert Sary-Ozek qui se trouve au milieu de l’immense steppe kazakhe, à une minuscule station de chemin de fer entretenue par trois familles,  station où les trains avec des voyageurs ne s’arrêtent même pas. Dans cette isolation, la vie extérieure paraît à Yédigueï, personnage principal du roman, incompréhensible et hostile. Il ne comprend pas pourquoi la police politique vient arrêter son voisin Abdoulatip, bon père de famille qui n’a fait mal à personne. Il ne comprend pas pourquoi l’ancien cimetière où il transporte un autre voisin défunt se trouve derrière les barbelés et gardé par les soldats. Il ne devine pas qu’il y a un cosmodrome derrière. Une vraie situation d’aliénation, car la vie extérieure à son petit monde se présente à Yédigueï comme hostile, insolite et irréelle. Un petit épisode qui décrit le passage des trains rapides qui ne s’arrêtent pas en transportant cette vie différente derrière les vitres éclairées est répété dans le roman, comme un refrain. La réaction du personnage aliéné est le repliement, le retour à la source, aux traditons ancêstrales, car Yédigueï commence à collectionner les légendes de son peuple.

Une des légendes, exposée dans le roman, constitue le deuxième récit qui sert de “grille de l’ambivalence” pour les autres, comme le récit tribal dans Nedjma. Cette légende présente l’histoire d’un mankourt. Mankourt, c’était le nom des prisonniers d’une tribu nomade féroce qui subissaient une torture extraordinaire. Leurs maîtres les coiffaient un jour de l’estomac d’un agneau fraîchement égorgé et les chassaient dans la steppe avec les mains liées derrière le dos pour ne pas entendre leurs cris. Au soleil l’estomac séchait et serrait très fort le crâne. La plupart des prisonniers mourraient, mais ceux qui survivaient perdaient la raison et devenaient hommes sans mémoire, bons esclaves et gardiens de troupeaux. Le héros de la légende, barricadé derrière son crâne contre la vie extérieure dans son ultime repliement de mankourt, tue sa propre mère sur l’ordre de son maître.

Le troisième récit est fantastique, représentant une aventure spatiale à la manière des romans de science-fiction. Un cosmonaute soviétique entre en contact avec une civilisation extraterrestre et veut retourner tout de suite sur Terre pour apporter une information d’extrême urgence, il paraît qu’une catastrophe, une érosion quelconque va atteindre le globe terrestre. Les politiciens réagissent d’une façon bizarre à cette nouvelle: le gouvernement soviétique et le gouvernement américain se reconcilient tout d’un coup face au danger, mais au lieu d’accepter l’information extraordinaire, ils préfèrent se replier en créant tout un bouclier de fusées autour de la Terre contre les extraterrestres et le cosmonaute sacrifié.

Le cerveau du mankourt derrière son crâne, la Terre derrière le bouclier de fusées, Yédigueï qui se cache derrière la carapace des traditions ancestrales: la similitude structurelle invite à comparer les récits et à interpréter leur interaction. Mais la critique soviétique qui n’avait pas l’habitude de “lire” les structures a formulé l’idée du roman d’Aïtmatov à peu près ainsi: il ne faut pas oublier ses racines, les traditions de son peuple pour ne pas se transformer en mankourt, homme sans mémoire. Une lecture pareille est possible lorsqu’on imagine Yédigueï comme un personnage positif qui s’intéresse au folklore et aux traditions nationales, et lorsqu’on néglige le fait que le récit de science fiction se marie mal avec cette lecture. Cependant, la superposition de la légende sur le récit produit une idée contraire qui interpréte le comportement de Yédigueï comme une réaction de recul d’un homme aliéné devant l’hostilité du monde. Incapable de comprendre la réalité contemporaine, il cherche un appui moral dans le passé. L’aspect positif de l’idée de retour à la source est donc en contradiction dialogique avec l’aspect négatif de la même idée exprimée par le matricide. Cet aspect négatif  est confirmé également par la superposition de la légende sur le récit fantastique qui met en évidence le danger du repliement parce qu’il peut mener à l’autodestruction. C’est le risque de l’errosion de la planète qui l’indique. Or, dans ce roman d’Aïmatov l’idéologie subjective du narrateur qui privilégie le retour à la source, aux valeurs du patrimoine, se trouve en opposition dialogique avec  la philosophie de l’archinarrateur qui prévient contre les risques que peut causer ce retour.

Le roman Les Rêves de la louve se compose de quatre récits, un récit mythique et trois récits contemporains. Le récit mythique qui sert de “grille de l’ambivalence” est un épisode évangélique qui décrit l’interrogation de Christ par Ponce Pilate. L’interprétation de cet épisode est centrée sur la suspicion envers la bienveillance, sur l’incapabilité de comprendre la miséricorde de Celui qui est venu dans ce monde pour aider les malheureux. Le premier récit contemporain raconte une histoire presqu’incroyable d’Avdi, ancien militant du Komsomol et ancien élève du séminaire théologique. Ayant renoncé à la carrière de fonctionnare politique et de prêtre, Avdi entreprend une initiative extraordinaire : il se rend en Kirguizie pour exhorter les drogués, qui s’y rassemblent au printemps à la récolte des plantes narcotiques, à se débarrasser du vice. Ceux-là ne comprennent pas ses bonnes intentions et le prennent pour policier. Pour faire taire Avdi, ils le rossent de coups et l’attachent à un poteau, geste qui rappelle bien la crucification. Le deuxième récit présente l’histoire d’une louve de steppe nommée Akbara. Traquée partout, elle vient avec son mâle dans une valée isolée visitée seulement par les drogués où elle se fixe pour élever ses louveteaux. Ses bonnes intentions sont prouvées par le fait qu’elle n’attaque pas Avdi qui a eu la bêtise de prendre son louveteau sur ses bras. Elle lui “pardonne” sa faute, et le jeune homme s’en va en paix. Cependant, la vie paisible d‘Akbara n’a pas duré longtemps. Son mâle est bientôt tué par les chasseurs et son louveteau est emporté par Bazarbaï, un personnage méchant. Alors, pour se venger, elle emporte dans la steppe le petit-fils d’un autre personnage, berger nommé Boston. L’histoire de celui-là constitue le troisième récit contemporain. Responsable d’une équipe de bergers, Boston est connu comme bon spécialiste et travailleur. Grâce à sa compétence, les membres de son équipe et lui-même vivent dans une relative aisance. Mais cet homme bienveillant est détesté par Bazarbaï, un fainéant jaloux  qui tâche de nuire à Boston. Or, lorsque Boston apprend que Bazarbaï emporte le louveteau malgré son interdiction et comprend que son petit-fils a été volé par la louve par vengence, il prend son fusil, trouve Bazarbaï et tire sur lui...

Tout comme dans Une Journée, les récits du roman Les Rêves de la louve possèdent leur propre logique et expriment leurs propres idées qui touchent les problèmes de drogues, de protection de l’environnement, de manque de compréhension et d’autres. Mais l’idée secrète commune des récits contemporains qui se révèle à la superposition du récit mythique est ignorée par leur narrateur, car il n’explique jamais où siège le mal. Cette idée universelle et pessimiste qui veut dire que les bonnes intentions sont toujours punies appartient donc à l’archinarrateur et se trouve en interaction dialogique avec les initiatives des personnages des récits qui aspirent à la prospérité sociale et même à l’harmonie de la société avec l’environnement naturel.

Dans la critique soviétique, traditionnellement monologique, on analyse l’idéologie des récits de ce roman l’un après l’autre, on explique, par exemple, le récit biblique par la “quête de Dieu” du romancier, comme si Aïtmatov était chrétien (sic !), mais on ignore l’idée produite de l’interaction structurelle des récits contemporains avec le récit mythique. Exceptionnellement, G.D.Gatchev découvre l’idée secrète du deuxieme roman, mais la présente comme une question rhétorique, ce qui est justifié d’ailleurs par l’ambiguïté du dialogisme : “Et s’il existe dans ce monde une loi selon laquelle la société punit ses fils le plus souvent pour leurs idées et leurs intentions spirituelles les plus honnêtes ?.. ” [350].

Il est évident que le modèle dialogique d’Aïtmatov ressemble beaucoup à celui de Kateb parce qu’il contient un mythe intratextuel d’origine nationale qui sert de “grille de l’ambivalence” pour  deux récits imitant ses structures. Le dialogisme s’établit entre l’idéologie du narrateur aliéné et le symbolisme des récits qui se révèle en résultat de l’interaction des structures du récit mythique avec les autres récits. Mais le modèle de Kateb est plus compliqué parce que son dialogisme se trouve entre le symbolisme de la temporalité cyclique rompue du roman et l’idée du double échec qui surgit de l’interaction du récit mythique avec des récits à structures similaires.

2. Le bilan

Alejo Carpentier écrivait jadis: “Un grand roman peut surgir à n’importe quelle époque et dans n’importe quel pays. Mais cela ne veut pas du tout dire qu’à cette époque et dans ce pays le roman existe comme phénomène” [351]. On peut dire la même chose sur les romans dialogiques qui sont rares et ne forment de tendances nationales ni en Europe, ni en Amérique Latine, ni en ex-URSS. Alors, l’émergence, depuis la fin des années 60,  de toute une vague de romans dialogiques en Algérie surprend énormément. Cependant, le phénomène s’explique facilement: cette tendance doit son existence à l’influence extraordinaire de Kateb Yacine, car c’est grâce au succès inouï de Nedjma que son dialogisme a passé  dans les romans de la nouvelle génération d’écrivains. Plusieurs chercheurs reconnaissent ce rôle de fondateur de Kateb. Charles Bonn présente Nedjma comme “une sorte de mythe de référence” pour ses succésseurs et cite Rachid Boudjedra comme auteur dont l’oeuvre se produit en dialogue intertextuel constant avec celle de Kateb [352]. Anne Roche assure: “L’écrivain algérien a littéralement appris à lire-écrire avec Nedjma[353].

Or, dans la littérature algérienne le dialogisme surgit avec Nedjma de Kateb Yacine en 1956. Kateb a été le premier à introduire dans le texte un mythe d’origine nationale qui sert de “grille de l’ambivalence” pour les récits qui composent le roman et a ainsi créé un modèle original du roman dialogique. Le roman de Kateb se compose de quatre récits à structures similaires: récit des fils, récit des pères, récit des encêtres et récit symbolique. Les idées qui apparaissent en résultat de l’interaction du récit symbolique avec les autres récits constituent le contenu symbolique du roman. Ce contenu exprime deux attitudes envers le colonialisme: auto-isolation ou assimilation. Les deux attitudes mènent à l’échec, car elles sont destructives pour les colonisés. Ces idées sont exprimées dans le roman par quatre narrateurs aliénés qui représentent en effet un “moi pluriel”. A la fin du roman Kateb rompt la temporalité cyclique du roman en reprenant mot-à-mot la fin du premier chapitre qui présente les quatre héros juste au début de leur mésaventure. C’est une façon de proposer aux amis de trouver une solution quelconque pour briser le fatalisme de l’échec. C’est dans cette opposition à l’échec que réside le dialogisme, car la proposition de trouver une issue ne peut provenir du narrateur “pluriel”, mais de l’archinarrateur.

Dans l’oeuvre de Mohammed Dib, le dialogisme apparaît avec ses romans dits allégoriques Qui se souvient de la mer  et Cours sur la rive sauvage où il a essayé de “casser” la tradition en transformant le récit allégorique en récit mythique. Dib justifie l’aspect fantastique du récit par l’aliénation du narrateur, l’aliénation est expliquée par le choc psychique qu’il a subi. En résultat, le récit n’est plus manifestement allégorique, puisqu’il reproduit les visions hallucinantes du narrateur aliéné. Le cauchemar que voit le narrateur se présente comme une perception subjective de la réalité opposée dialogiquement au symbolisme du récit qui rappelle implicitement un mythe connu. Dans Qui se souvient de la mer, par exemple, la perception pessimiste du narrateur terrorisé par la guerre et la perte de sa femme entre en interaction dialogique avec le symbolisme optimiste du récit parce que le mythe d’Apocalypse, visible dans ses structures, est complété par l’image du retour de la Mer qui signifie la renaissance.

Dans les romans qui suivent, Dib renonce à l’allégorie excessive. Les personnages de ces romans se penchent sur un problème politique important: le choix d’une voie de développement du pays. Chacun d’eux insiste sur son point de vue, certaines idées sont présentées allégoriquement, mais une réponse est donnée également par l’archinarrateur dans les symboles-clés des récits. Dans La Danse du Roi, c’est un portail oriental vétuste avec un tas d’ordures derrière, dans Dieu en Barbarie et Le Maître de chasse, liés par le même thème et les mêmes personnages, c’est un arc de triomphe au milieu des ruines romanes et une fille algérienne montée sur un bourricot, indifférente envers les vestiges historiques. Tous ces symboles expriment l’idée que ni la civilisation arabe ni la civilisation européenne ne peuvent pas servir d’exemple pour un pays décolonisé.

C’est avec Habel que Dib a créé un modèle dialogique original. Ce modèle réunit deux mythes implicites, le mythe biblique sur Abel  et Caïn et la légende orientale sur Madjnoun et Laïla et se présente comme une variante plus compliquée du modèle de James Joyce. Le récit romanesque, exposé du point de vue d’un émigré aliéné, est centré sur la critique de la civilisation occidentale, puisque que son existence dans une grande ville européenne est insupportable, et sur l’accusation du  pays qui a expulsé Habel en émigration. Par cet aspect politique le récit se rapporte au mythe biblique. Le dialogisme s’établit entre la conception originale du mythe et le récit dont les structures sont modifiées par rapport à cette conception. Habel trouve finalement un refuge dans l’amour pour Lily même s’il risque de perdre la raison. Par son aspect affectif, le récit se rapporte à la légende sur Madjnoun. Une deuxième interaction apparaît entre la conception de la légende et le contenu du récit modifié par rapport à la légende. Enfin, une troisième interaction dialogique surgit entre l’idée exprimée par le passage du mythe à la légende et l’idée du récit transmise par les structures transformées par rapport à ce passage.

Le modèle dialogique du roman Les Terrasses d’Orsol est plus simple que celui de Habel, parce qu’il est basé sur l’opposition de Jarbher et d’Orsol, deux villes symbolisant deux mondes opposés: celui où on vit et celui que l’on rêve, la souffrance et le bonheur, l’enfer et le paradis. Le narrateur aliéné espère retrouver Orsol; au niveau symbolique cette ville n’existe pas.

Les romans de la série “nordique” ne sont pas dialogiques parce que leurs narrateurs ne sont pas aliénés ou bornés et se rendent bien compte de tous les problèmes, même s’ils sont incapables de les résoudre. Avec ces romans, Dib a réalisé un passage de la critique sociale au lyrisme qui n’exige peut-être pas une opposition dialogique des idées universelles.

Les romans de Rachid Boudjedra contiennent plusieurs éléments dialogiques: un narrateur aliéné et son récit  mythique peuplé d’images insolites, un archinarrateur et son idéologie universelle transmise par des mythes implicites ou par des symboles-clés. Cette idéologie se présente comme une déduction rationnelle qui s’oppose dialogiquement au récit mythique subjectif. De La Répudiation à Les 1001 années de la nostalgie Boudjedra recourt aux mythes implicites, à partir de Le Vainqueur de coupe il préfère les symboles. Timimoun est son premier roman monologique parce que son narrateur n’est pas un “obsédé de l’idée” et arrive lui-même à comprendre la cause de tous ses problèmes.

Le modèle le plus original, créé par Boudjedra, est certainement celui de Topographie idéale pour une agression caractérisée où il emploie plusieurs procédés du Nouveau roman d’une manière personnelle. Son narrateur aliéné est un Algérien anonyme qui se trouve dans un espace limité du métro parisien et qui est complètement isolé parce qu’il ne parle pas français. Son errance dans le métro est redondante, car sa mort des mains des racistes est annoncée au milieu du récit. L’exagération que l’on y observe ne fait que souligner le caractère archétypique de la situation. Le dialogisme se manifeste d’abord dans le dédoublement de la narration, car l’Algérien présente une perception naïve et fausse de l’espace souterrain; l’archinarrateur européen décrit minutieusement une image objective du métro. Au premier plan du roman on découvre un thème politique accusateur concernant la vie des émigrés; au plan symbolique, une idée universelle sur la condition humaine. Cette idée apparaît de la description très détaillée à la façon du Nouveau roman qui transforme le métro en milieu absurde et agressif rappelant le labyrinthe dédalien. Cependant, Dédale se sauve du labyrinthe du Minotaure, tandis que l’Algérien est tué. Cette modification de la matrice mythologique entreprise par Boudjedra dans le récit pose le problème de l’insécurité, mais d’une manière ambiguë qui provient de l’opposition dialogique entre le mythe implicite et sa version modifiée.

Nabile Farès a également élaboré un modèle original du dialogisme. Les narrateurs de ses récits politiques sont des aliénés, des émigrés le plus souvent. Comme exception, le narrateur de La Mort de Salah Baye est un journaliste qui attend son exécution, les mains liées et une cagoule sur la tête. L’aliénation, qui est justifiée objectivement, se manifeste en délires et hallucinations. Toutes les images fantastiques hallucinatoires possèdent un sens allégorique et sont divisées chez Farès d’une manière manichéenne, en forces du bien et forces du mal. Comme le mal s’avère tout-puissant, les héros subissent toujours un échec. Mais parmi les images de Farès il y a toujours une image poétique qui symbolise le triomphe du bien et appartient à l’archinarrateur. L’interaction dialogique s’établit donc entre l’idéologie pessimiste du récit et le symbolisme optimiste de l’image mise en relief. Dans les oeuvres de Farès, c’est l’image des chevaux au galop, un olivier qui promet un avenir heureux, un esclave qui traverse le fleuve à la nage et recouvre la liberté, un garçon qui dessine “un vrai village”. Dans La Mort de Salah Baye, exceptionnellement, quelques chants de l’Odyssée présentant Aurore qui accueille les navigateurs, leur offre un repas et promet sa protection.

Le modèle du roman dialogique de Rachid Mimouni le plus original se distingue par  une interaction entre un double récit mythique qui se compose d’un récit du passé et d’un récit du présent et qui est présenté  par un seul narrateur aliéné et deux symboles-clés répartis entre les récits auxquels ils correspondent. Le premier explique la cause, le deuxième, la conséquence du problème qui tracasse le narrateur aliéné. La réponse est donnée, certainement, par l’archinarrateur.

Dans le roman Le Fleuve détourné, Rachid Mimouni élabore un modèle dialogique original à partir d’un double récit mythique qui se compose d’un récit du passé trop noir et d’un récit du présent carnavalesque. Les deux sont exposés par un seul narrateur aliéné dont la folie est justifiée par des raisons objectives et se manifeste dans l’hyperbolisation du mal dans le récit du passé et dans le grotesque du récit du présent. Le narrateur n’arrive pas à s’expliquer les déformations sociales causées par les réformes, car la réponse secrète appartient à l’archinarrateur. Elle est contenue dans l’image symbolique du fleuve détourné qui se rapporte au récit du passé et dans l’image du camp de concentration du récit du présent. La première explique la cause politique des déformations, et notamment, l’application des théories étrangères incompatibles avec le mode de vie des Algériens, la deuxième en présente les conséquences d’une manière éloquente. Le double récit du roman se trouve donc en rapport dialogique avec deux symboles-clés.

Le roman Tombéza reprend les principes de Le Fleuve détourné, à l’exception du carnavalesque qui en est exclu. Tombéza est un narrateur aliéné parfait, il est paralisé et aphone. L’image du figuier de Barbarie se rapporte au récit du passé et symbolise Tombéza en personne, orphelin qui a survécu dans une atmosphère de violence. L’hôpital, image du récit du présent,  symbolise une société malade.

Dans L’Honneur de la tribu le dialogisme subit quelques transformations par rapport au modèle de base de Mimouni. Le narrateur aliéné n’y est pas personnalisé et son récit n’est pas un monologue intérieur. Alors, comme le narrateur s’efface, la perspective narrative est mal ressentie. Le récit n’est pas divisé en deux, même si des histoires du passé interrompent de temps en temps le récit du présent. Le narrateur espère que tout va s’arranger et que Zitouna, son village, va survivre malgré l’impact des réformes. Mais comme Zitouna incarne le pays tout entier, il est impossible d’imaginer qu’il soit capable de se relever et que son honneur soit sauvé. C’est cette réponse de l’archinarrateur qui est opposée à l’idée du narrateur. Les transformations observées donnent à supposer que Mimouni ne tenait plus beaucoup au dialogisme dans ce roman.

Dans les romans qui suivent, Une peine à vivre et La Malédiction, le romancier renonce au dialogisme complètement. Dans le premier, le narrateur aliéné arrive lui-même à trouver la “bonne” réponse, mais ce type d’évolution idéologique est incompatible avec le dialogisme. Dans le deuxième, Mimouni veut être explicite, voir moralisant, car il proteste contre le terrorisme des islamistes et appelle ses lecteurs à la résistance.


CONCLUSION


     1. A la  suite de l’étude effectuée il est possible de faire la conclusion que la conception de dialogisme proposée à la soutenance présente en effet un intérêt pratique pour la recherche parce qu’elle a prouvé son efficacité fonctionnelle à l’analyse des oeuvres. L’application de cette conception a permis de faire la distinction entre les oeuvres dialogiques et monologiques  et d’expliquer la cause des interprétations contradictoires des oeuvres dialogiques. Elle a également permis de déterminer plusieurs modèles dialogiques, d’étudier la grande variété de solutions structurelles qu’ils offrent, de retrouver les origines théâtrales du dialogisme et de suivre son évolution à travers les siècles et les continents.

*

La première expérience dialogique a été tentée par Molière dans sa comédie Le Misanthrope. Son modèle peut paraître facile au premier coup d’oeil parce que la personnification des idées par des personnages en absence de l’auteur est une particularité théâtrale inhérente. On peut l’imaginer même comme ludique, comme une tentative d’intriguer les spectateurs en leur proposant deux idées au lieu d’une. Cependant, cette expérience étonne par le nombre de découvertes du grand dramaturge. Il a dû inventer le comique de caractère pour adopter le héros intellectuel des tragédies classicistes à la comédie, il a trouvé des procédés qui lui ont permis de se distancer des personnages, de rendre égales leurs idées et de contraster leur divergence. L’expérience de Molière est surtout intéressante parce qu’il a réussi à créer un modèle dialogique parfait, bien réfléchi et bien équilibré. Molière surprend beaucoup lorsqu’on se rend compte qu’entre Le Misanthrope et les romans polyphoniques de Dostoïevski il n’y a pas eu d’autres tentatives de dialogisme.

Les romans dialogiques de Dostoïevski apparaissent à la fin du XIXème siècle. Son modèle se fonde sur le même principe que celui de Molière parce que les interactions dialogiques s’établissent au niveau diégétique, entre les personnages qui représentent les idées divergentes. Mais le “grand” modèle de Dostoïevski ne peut pas être considéré comme une simple multiplication du “petit” modèle de Molière parce qu’il possède quelques particularités. Les romans de Dostoïevski se distinguent avant tout par leur psychologisme irrationnel qui exprime bien l’extravagance des personnages, les rend égaux et les distance de l’auteur. Découvert par l’abbé Prévost et très répandu chez les Réalistes du XIXème siècle, le psychologisme irrationnel de Dostoïevski ne sert pas à étudier et à expliquer la nature humaine, car il est employé comme un procédé qui rend indépendants les personnages qui deviennent les seuls représentants des idées divergentes qui constituent un dialogue imaginaire. Cependant, le modèle de Dostoïevski n’est pas parfait parce que le romancier ne tient pas beaucoup à l’indétermination morale qui rend égaux les personnages et leurs idées. Il est possible de distinguer dans ses romans des héros positifs et négatifs. En outre, l’éparpillement de plusieurs idées parmi plusieurs personnages dont l’indétermination morale est mal exprimée rend opaque le contraste des idées.

Au XXème siècle Marcel Proust crée un nouveau type de dialogisme dont le principe diffère des modèles précédents, car il s’installe entre le plan de contenu direct et indirect. Proust n’a pas renoncé au psychologisme irrationnel et a élaboré un monologue intérieur particulier qui n’est pas guidé par une logique rationnelle, mais par des associations fortuites et pour cette raison transmet bien la subjectivité de la perception du monde. Cependant, Proust n’oppose pas les personnages et leurs idées, comme dans les modèles de Molière et de Dostoïevski, mais installe le dialogisme entre le plan de contenu direct du récit qui présente une vision du monde subjective de narrateur et le symbolisme de sa structure temporelle cyclique qui exprime une idée objective. Comme le dialogisme exprime le dédoublement idéologique de l’auteur, on est tenu d’imaginer un archinarrateur, porteur de l’idée symbolique. Le modèle de Proust n’est pas parfait non plus parce que l’écrivain n’attache pas beaucoup d’importance au dialogisme de son roman qui devient évident seulement à la fin du dernier tome. On a l’impression que l’origine de son dialogisme est aussi ludique, comme chez Molière, que c’est un clin d’oeil ironique à l’idée de narrateur ou plutôt à lui-même.

Les modèles dialogiques plus ou moins parfaits ont été élaborés par les maîtres de la littérature européenne Franz Kafka et James Joyce. Chez Kafka le dialogisme est introduit entre deux plans de contenu, entre le récit fantastique exposé à la façon d’un mythe qui présente bien l’aliénation du narrateur et le distance de l’auteur et le symbole-clé qui transmet une idée universelle divergente de l’archinarrateur. James Joyce exprime l’aliénation du narrateur dans un monologue intérieur particulier nommé “courant de conscience”. A ce monologue très subjectif il  oppose dialogiquement la conception universelle d’un mythe extratextuel implicite appartenant à l’archinarrateur. Les deux écrivains suivent l’exemple de Proust apprécié peut-être par son contraste dialogique efficace. Le modèle de Dostoïevski n’est plus jamais imité.

Kafka et Joyce exercent une grande influence sur l’évolution de la littérature mondiale, mais leurs succésseurs qui recourent à la mythologie et emploient le “courant de conscience” ne remarquent pas le dialogisme de leurs oeuvres, même les romanciers latino-américains qui introduisent dans le récit deux consciences divergentes, mythologique et rationnelle. Après Ulysse, publié en 1922, le dialogisme émerge 1956 dans Nedjma de Kateb Yacine. Le phénomène de Kateb Yacine étonne beaucoup, comme celui de Molière. Kateb surprend surtout par sa perspicacité intuitive qui lui a permis de percevoir le dialogisme dans une multitude de tendances et de procédés du XXème siècle. Il est possible peut-être de trouver d’autres explications de l’émergence du dialogisme chez le romancier algérien, mais “le cas de Kateb Yacine” restera pour toujours un phénomène extraordinaire et miraculeux.

Le modèle dialogique de Kateb Yacine se distingue par plusieurs innovations par rapport aux modèles existants. Tout d’abord, au lieu d’un mythe implicite, il a introduit dans le texte de Nedjma un mythe d’origine nationale accompagné de trois récits à structures similaires. Kateb recourt à l’aliénation comme dans les modèles précédents parce que son narrateur “pluriel” remplit les récits d’hallucinations et d’obsessions et se distance de l’auteur. Comme le narrateur aliéné est incapable d’exprimer une idéologie directement, Kateb la transmet indirectement, par les modifications des structures des récits par rapport au récit mythique employé comme une “grille de l’ambivalence”. L’idée de l’échec ainsi déduite constitue l’idéologie pessimiste des récits que Kateb oppose diologiquement au symbolisme prometteur de la temporalité cyclique rompue du roman. C’est aussi une nouveauté parce que Kateb n’imite pas l’exemple de Proust qui ferme le cercle imaginaire, mais le rompt et avec cela démystifie le fatalisme du mythe.

Le succès inouï de Nedjma a exercé une grande influence sur le développement ultérieur de la littérature algérienne. Il est possible d’observer cette influence même dans de nombreuses références intertextuelles à l’oeuvre de Kateb relevées dans les textes des auteurs algériens. Charles Bonn présente une raison historique qui explique l’émergence dans la littérature algérienne d’une esthétique de dialogue qu’il considère comme un dialogue de cultures:

Or le texte maghrébin se développe en dialogue avec une lecture problématique: l’espace de lecture dans lequel il trouve sa signification est double. Bien souvent le même texte fournit deux significations divergentes selon qu’il est lu dans un contexte maghrébin ou européen, et les meilleurs écrivains savent adroitement jouer de cette rencontre entre deux systhèmes culturels pour développer des jeux sémantiques parfois inattendus [354].

On peut citer, après Rachid Boudjedra, un prétexte politique, car le dialogisme permet à l’auteur de se distancer du narrateur libre d’exprimer une critique sociale très violente, on peut aussi justifier l’extension du dialogisme par un désir esthétique de l’universalité [355]. Il est possible peut-être de trouver d’autres explications, mais l’exemple de Kateb reste le plus influent.

Il est difficile de dire que Mohammed Dib a suivi l’exemple de Kateb parce que ses romans dialogiques, bien que moins parfaits que Nedjma, paraissent presqu’aussitôt après. Mais le modèle dialogique le plus original de Mohammed Dib a été élaboré beaucoup plus tard, dans son roman Habel qui est constitué d’un récit présenté du point de vue d’un narrateur aliéné et de deux mythes implicites qui se substituent. L’interaction dialogique du récit avec les mythes, modifié par rapport à leurs conceptions, ainsi qu’avec l’idée exprimée par la substitution des mythes, amplifie l’ambiguïté sémantique du roman parce que cette interaction est triple.

Rachid Boudjedra se présente comme maître du roman dialogique algérien parce que la plupart de ses oeuvres sont dialogiques.  Son modèle le plus original est élaboré dans Topographie idéale pour une agression caractérisée. Dans ce roman Boudjedra emploie plusieurs procédés du Nouveau roman pour décrire la réalité du métro parisien du point de vue d’un narrateur aliéné. Le recit subjectif de l’aliéné est opposé au mythe implicite qui exprime l’idée universelle de l’archinarrateur. L’interaction dialogique s’installe donc entre le mythe et le récit dont l’idéologie est modifiée par rapport à la conception du mythe.

Les oeuvres dialogiques de Nabile Farès contiennent toujours un récit politique présenté du point de vue d’un narrateur aliéné. Les visions du narrateur se transforment en images allégoriques assez nombreuses qui personnifient les forces du mal. Mais parmi ces images on distingue une image poétique  qui symbolise le triomphe du bien et qui est opposée dialogiquement à l’idéologie du narrateur.

Dans Le Fleuve détourné et Tombéza, Rachid Mimouni a élaboré son propre modèle dialogique constitué d’un récit double qui se compose d’un récit du passé et d’un récit du présent. Ces récits, présentés du point de vue d’un seul narrateur aliéné, sont opposés à deux symboles-clés dont chacun correspond à un des récits. Le premier récit exlique la cause du problème, le deuxième, la conséquence. 

Les romans dialogiques restent rares dans la littérature mondiale et ne constituent pas de tendances. Après Kateb et Dib, on peut citer Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez qui a combiné dans son modèle le récit mythique kafkaïen et le mythe implicite joycéen. Son récit est un véritable mythe latino-américain qui se distingue de celui de Kafka par une grande richesse d’images fantastiques d’origine nationale, le mythe implicite n’est pas indiqué dans les titres, comme chez Joyce, mais se révèle dans les structures du récit. On peut citer également les romans de Tchinguiz Aïtmatov Une Journée plus longue qu’un siècle et Les Rêves de la louve dont le modèle ressemble à celui de Kateb. Le romancier kirguiz a introduit dans le texte du premier roman une légende nationale, dans le deuxième, un mythe biblique. Le récit légendaire et le récit mythique servent de “grille de l’ambivalence” aux autres récits qui possèdent les structures similaires. Cependant, Aïtmatov installe le dialogisme à sa façon, entre l’idéologie des récits et l’idée produite par l’interaction des structures des récits. Dans Une Journée, le récit “réaliste” est présenté du point de vue d’un personnage aliéné, il connaît aussi la légende et l’interprète à sa façon, mais ignore l’histoire de science-fiction racontée par un narrateur omniscient. La légende, comparée à cette histoire fantastique et au récit “réaliste”, exprime une idée qui  contredit celle de narrateur et produit le dialogisme. Dans Les Rêves de la louve l’idée du récit mythique contredit de la même façon l’idéologie des récits contemporains.

2. La conception de dialogisme proposée a contribué à découvrir un modèle monologique ambigu et à déterminer l’inachèvement idéologique comme un trait commun qui rattache le dialogisme et le monologisme ambigu à la tendance à la diversité idéologique qui se développe dans la littérature mondiale depuis la fin du XIXème siècle.

*

La tendance à la diversité est une tendance intellectuelle qui renonce à imposer l’idée d’auteur comme une vérité absolue en admettant le droit à l’existence de plusieurs vérités. Son origine est bien expliquée par Naget Khadda:

[...] la modernité se définirait par la conscience d’une rupture drastique, survenue dans le domaine des arts en Europe depuis le XIX siècle, par rapport à une tradition qui aurait perdu désormais toute valeur normative. Modernité qui se caractérise notamment, par delà l’intérêt porté à l’actualité qui risque de la réduire à un phénomène de mode, par un changement fondamental des formes comme des sujets (thèmes) de l’art. Changement porté par le principe d’une autonomisation radicale du domaine des arts par rapport au réel. Dès lors, l’art moderne, débarrassé du système référentiel et du souci de mimesis de la réalité se concentre sur l’expression de l’expérience d’une perte fondamentale et renonce à livrer un sens cohérent et achevé pour offrir le spectacle de la mise en question du sens par la valorisation du travail transformateur de l’artiste. Celui-ci perd son aura de démiurge inspiré et apparaît désormais comme un démystificateur qui exploite les données du hasard et multiplie les points de vue pour, non plus délivrer une vérité, mais énoncer un questionnement  [356].

L’étude effectuée a démontré que dans cette tendance le dialogisme n’est pas l’unique procédé de la diversité idéologique. A côté du dialogisme, fondé sur l’opposition des idées personnifiées selon le régime de l’antithèse inachevée ( A >< B = ? ), on observe l’existence du monologisme ambigu qui se manifeste dans la représentation par un seul personnage d’une idée litigieuse selon le régime de la synthèse inachevée ( A + B = ? ).

La première tentative de créer la diversité idéologique personnifiée par un seul personnage a été réalisée par Denis Diderot dans sa comédie Est-il bon? Est-il méchant? (1781). Le personnage principal y représente une idée litigieuse parce qu’il rend service à ceux qui s’adressent à lui, mais emploie des moyens malhonnêtes. Comme Diderot s’est distancé de lui par le biais de l’indétermination morale du personnage, l’idée reste irresolue et produit l’ambiguïté. Plus tard, André Gide a appliqué le procédé de Diderot à son roman L’Immoraliste (1902). La diversité voulue par l’auteur  est exprimée dans ce roman en forme d’un problème que le narrateur n’arrive pas à résoudre lui-même et qui appelle le lecteur à lui donner une réponse. Il avoue à ses amis qu’il ne sait s’il est coupable ou non de la mort de sa femme malade qu’il n’a pas bien soigné, tandis qu’elle a fait tout son possible pour le guérir de la tuberculose. Le monologisme ambigu n’offre pas aussi grande liberté du choix de modèles que le dialogisme parce qu’il s’appuie toujours sur l’indétermination morale du personnage qui incarne l’idée litigieuse et pour cette raison il est toujours attaché aux problèmes de morale. Pour réparer probablement  ce défaut du monologisme ambigu, les Nouveaux romanciers ont élaboré un modèle particulier qui enlève cette restriction. Ils ont réduit le récit à une situation archétypique qui incite les lecteurs à inventer plusieurs solutions du problème posé parce que le personnage y réfléchit, mais n’entreprend rien.

Le dénominateur commun du dialogisme et du monologisme ambigu qui les réunit dans la tendance à la diversité idéologique est l’inachèvement de l’intrigue, lorsque les problèmes sont posés, mais restent irrésolus. De ce point de vue, le roman inachevé Le Mystère d’Edwin Drude (1870) de Charles Dickens rappelle un modèle de monologisme ambigu et peut être rattaché à la tendance à la diversité puisque depuis plus de cent ans les chercheurs du monde entier essaient de trouver le meurtrier d’Edwin et proposent plusieurs solutions. Par le mème inachèvement est caractérisé le roman La Femme du lieutenant français (1969) de John Fowles où l’auteur  propose à la fin du récit trois variantes de solution de l’intrigue, comme dans un modèle dialogique.

3. L’application de la conception de dialogisme de la thèse à l’analyse des oeuvres dialogiques a permis d’élaborer un modèle dialogique universel qui confirme l’importance théorique de cette conception parce qu’elle est capable de faire une nette distinction entre le dialogisme et le monologisme, entre le dialogisme et le monologisme ambigu, entre le dialogisme et l’intertextualité.

*

L’étude des modèles dialogiques variés démontre que le dialogisme est un procédé basé sur l’opposition des idées personnifiées et que malgré une grande variété de formes et de structures, tous les modèles dialogiques se basent sur un mécanisme de fonctionnement théorique similaire.

1. La fonction la plus importante est assumée dans ce mécanisme par le personnage. Apparemment, c’est un homme ordinaire qui se trouve dans une situation dangereuse, absurde, grotesque, insolite etc., parce que le mal social y est toujours exagéré. On a d’abord l’impression que ce schéma rapproche celui du roman à thèse du XVIIIème siècle selon lequel le héros ordinaire se trouve dans une situation extraordinaire. Mais dans les romans à thèse le personnage étudie la situation extraordinaire, arrive à l’expliquer et trouve une solution, tandis que dans les romans dialogiques le héros n’arrive jamais à assimiler et à maîtriser la situation. Il  intériorise le mal, en souffre beaucoup et devient extravagant, aliéné. Comme les causes de l’aliénation sont presque toujours expliquées, ou bien on les devine, cet ancrage référentiel empruntée au Réalisme classique sert le plus souvent à accentuer la critique sociale propre oeuvres dialogiques qui sont parmi les plus poignantes dans la littérature du XXème siècle.

2. Le personnage principal assume souvent la fonction de narrateur , même s’il ne le fait pas, il sert toujours d’intermédiaire entre la réalité et la narration, parce que c’est sa perception du monde qui importe dans la narration. C’est lui qui réalise l’ancrage référentiel du récit, et sa position entre la réalité et la narration justifie, du côté de la réalité, son aliénation, et, du côté de la narration, sa vision extravagante de la réalité. Parmi toutes les formes employées, c’est le monologue intérieur qui s’annonce comme la forme la plus adaptée pour cette position du narrateur. D’un côté, il exprime bien l’extravagance de la pensée du narrateur aliéné, de l’autre, cette extravagance s’explique par son aliénation.  

3. Le monologue intérieur ou d’autres procédés qui mettent en évidence une perception du monde particulière créent une perspective narrative qui présente la réalité du point de vue du narrateur aliéné. La création de la perspective narrative permet aux auteurs de se distancer du narrateur et de produire l’impression que la critique émane du narrateur aliéné et non pas des romanciers. Les romanciers parodient, dénoncent, dénigrent certains aspects de la réalité sociale et se cachent derrière la perspective narrative.

    Dostoïevski a élaboré son modèle dialogique à ce niveau-là. Ses personnages, libérés de l’influence de l’idéologie de l’auteur grâce à la perspective narrative, ont été dotés de leurs “propres” idées contradictoires qui se sont trouvées en interaction dialogique comme des idées “personnifiées”. Les romanciers du XXème  siècle sont allés plus loin en créant des modèles dialogiques plus sophistiqués.

      4. Le récit exposé du point de vue du narrateur aliéné rend la réalité décrite étrange, fantastique, absurde, redoutable etc. grâce à l’emploi d’une variété de procédés qui transforment cette réalité en un monde fermé et subjectif qui rappelle parfois une allégorie, une fable ou un mythe. L’idéologie du narrateur est dominante dans ce récit et conforme à sa réalité, puisque c’est lui qui la voit comme subjective et irrationnelle. Dans les modèles des romans dialogiques du XXème siècle, le dialogisme est établi entre deux plans de contenu du récit, entre son contenu direct subjectif et son contenu indirect exprimant une idéologie objective et rationnelle. C’est une idéologie universelle, contenue dans des symboles-clés des récits ou dans des mythes implicites qui se manifestent dans leurs structures. L’idéologie subjective appartient au narrateur aliéné dont l’auteur s’est détaché par le procédé de perspective narrative, l’idéologie objective est attribuée à l’archinarrateur, un narrateur imaginé dont  l’auteur est séparé traditionnellement du contenu indirect implicite.       

    Par rapport à deux principaux modèles monologiques, celui de l’antithèse ( A > B = A) et celui de la synthèse             ( A + B = C ), le modèle dialogique se présente comme modèle de l’antithèse, mais inachevé, ( A >< B = ? ). Le modèle monologique ambigu imite le modèle de la synthèse, mais aussi inachevé, ( A + B = ? ). L’intertextualité se distingue du dialogisme idéologique, personnifié et intratextuel comme une notion linguistique, impersonnelle et intertextuelle.


BIBLIOGRAPHIE des œuvres littéraires et des ouvrages critiques


1. Oeuvres littéraires

1.        Aïtmatov T. Les Rêves de la louve. Paris, Messidor, 1987. - 364 p.

2.        Aïtmatov T. Une journée plus longue qu’un siècle. Paris, Temps actuels, 1982. - 386 p.

3.        Aïtmatov T. Une Journée plus longue qu’un siècle ; Les Rêves de la louve. Moscou, Profizdat, 1989. – 608 p.

4.        Ali-Khodja J. La Mante religieuse. Alger, SNED, 1976. - 120 p.

5.        Asturias M. A. Monsieur le Président. Moscou, Radouga, 1986. – 289 p.

6.        Asturias M.A. Les Hommes de maïs. Moscou, Radouga, 1985. – 351 p.

7.        Boudjedra R. L’Escargot entêté. Paris, Denoël, 1977. - 172 p.

8.        Boudjedra R. L’Insolation. Paris, Denoël, 1972. - 236 p.

9.        Boudjedra R. La Macération. Paris, Denoël, 1985. - 294 p.

10.   Boudjedra R. La Pluie. Paris, Denoël, 1987. - 128 p.

11.   Boudjedra R. La Prise de Gibraltar. Paris, Denoël, 1987. - 311 p.

12.   Boudjedra R. La Répudiation. Paris, Denoël, 1969. - 293 p.

13.   Boudjedra R. Le Démantèlement. Paris, Denoël, 1982. - 307 p.

14.   Boudjedra R. Le Désordre des choses. Paris, Denoël, 1991. - 291 p.

15.   Boudjedra R. Le Vainqueur de coupe. Paris, Denoël, 1980. - 245 p.

16.   Boudjedra R. Les 1001 années de la nostalgie. Paris, Denoël, 1979. - 399 p.

17.   Boudjedra R. Timimoun. Paris, Denoël, 1994. - 160 p.

18.   Boudjedra R. Topographie idéale pour une agression caractérisée. Paris, Denoël, 1975. - 242 p.

19.   Bourboune M. Le Muezzin. Paris, Christian Bourgois, 1968. - 314 p.

20.   Carpentier A. Le Règne de ce monde. Moscou, Radouga, 1988. – 573 p.

21.   Chaïb M. Le Déchirement. Alger, SNED, 1980. - 213 p.

22.   Dib M. Cours sur la rive sauvage. Paris, Seuil, 1964. - 160 p.

23.   Dib M. Dieu en Barbarie. Paris, Seuil, 1970. - 220 p.

24.   Dib M. Habel. Paris, Seuil, 1977. - 190 p.

25.   Dib M. L’Incendie. Paris, Seuil, 1954. - 190 p.

26.   Dib M. L’Infante maure. Paris, Albin Michel, 1994. - 180 p.

27.   Dib M. La Danse du Roi. Paris, Seuil, 1968. - 208 p.

28.   Dib M. La Grande maison. Paris, Seuil, 1952. - 190 p.

29.   Dib M. Le Désert sans détour. Paris, Sindbad, 1992. - 136 p.

30.   Dib M. Le Maître de chasse. Paris, Seuil, 1973. - 205 p.

31.   Dib M. Le Métier à tisser. Paris, Seuil, 1957. - 200 p.

32.   Dib M. Le Sommeil d’Eve. Paris, Sindbad, 1989. - 222 p.

33.   Dib M. Les Terrasses d’Orsol. Paris, Sindbad, 1985. - 214 p.

34.   Dib M. Neiges de marbre. Paris, Sindbad, 1990. - 217 p.

35.   Dib M. Qui se souvient de la mer. Paris, Seuil, 1962. - 191 p.

36.   Dib M. Un Eté africain. Paris, Seuil, 1959. - 191 p.

37.   Diderot D. Oeuvres choisies. Moscou – Léningrad, Goslitizdat, 1951. – 410 p.

38.   Djebar A. L’Amour, la Fantasia. Paris, J.-C. Lattès, 1985. – 260 p.

39.   Djebar A. La Soif. Paris, Julliard, 1957. - 165 p.

40.   Djebar A. Les Alouettes naïves. Paris, Julliard, 1967. - 430 p.

41.   Djebar A. Les Enfants du Nouveau Monde. Paris, Julliard, 1962. - 219 p.

42.   Djebar A. Les Impatients. Paris, Julliard, 1958. - 239 p.

43.   Djebar A. Ombre sultane. Paris, J.-C. Lattès, 1987. - 173 p.

44.   Dostoïevski F. L’Idiot. Moscou, Khoud. lit., 1983. – 607 p.

45.   Dostoïevski F. La douce. Paris, Actes Sud, 1992. - 137 p.

46.   Dostoïevski F. Le Crime et le Châtiment. Moscou, Khoud. lit., 1983. – 527 p.

47.   Dostoïevski F. Les Frères Karamazov. En 2 tomes. Moscou, Pravda, 1991 : tome 1 – 413 p. ; tome 2 – 525 p.

48.   Dostoïevski F. Les Possédés. Moscou, Khoud. lit., 1990. – 669 p.

49.   Farès N. L’Exil et le Désarroi. Paris, Maspéro, 1976. - 117 p.

50.   Farès N. La Mort de Salah Baye ou la vie obscure d’un Maghrébin. Paris, Harmattan, 1980. - 163 p.

51.   Farès N. Le Champ des oliviers. Paris, Seuil, 1972. - 231 p.

52.   Farès N. Mémoire de l’Absent. Paris, Seuil, 1974. - 224 p.

53.   Farès N. Un Passager de l’Occident. Paris, Seuil, 1971. - 158 p.

54.   Farès N. Yahia, pas de chance. Paris, Seuil, 1970. - 160 p.

55.   Faulkner W. Oeuvres. En 6 tomes. Moscou, Khoud. lit., 1985, tome 1 – 687 p.

56.   Feraoun M. La Terre et le Sang. Paris, Seuil, 1953. - 253 p.

57.   Feraoun M. Le Fils du pauvre. Paris, Seuil, 2ème éd., 1954. - 130 p.

58.   Feraoun M. Les Chemins qui montent. P., Seuil, 1957. - 222 p.

59.   Fowles J. La Femme du lieutenant français. Saint-Petersbourg, 1993, - 509 p.

60.   Garcia Marquez G. Cent ans de solitude. Moscou, Progress, 1979. – 587 p.

61.   Gide A. L’Immoraliste. Paris, Mercure de France, 1902. - 186 p.

62.   Haddad M. Je t’offrirai une gazelle. Paris, Julliard, 1959. - 181 p.

63.   Haddad M. L’Elève et la Leçon. Paris, Julliard, 1960. - 158 p.

64.   Haddad M. La Dernière Impression. Paris, Julliard, 1958. - 204 p.

65.   Haddad M. Le Quai aux Fleurs ne répond plus. Paris, Julliard, 1961. - 194p.

66.   Joyce J. Oeuvres. En 3 tomes. Moscou, Znam. Kniga : tome 1, 1993 – 444 p. ; tome 2, 1994 – 605 p. ; tome 3, 1994 – 604 p.

67.   Kafka F. Le Procès, Le Château, Nouvelles. Moscou, Radouga, 1989. – 57 p.

68.   Kateb Y. Le Polygone étoilé. Paris, Seuil, 1966. - 182 p.

69.   Kateb Y. Nedjma. Paris, Seuil, 1956. - 254 p.

70.   Lemsine A. La Chrysalide. Paris, Ed. des Femmes,1976. - 242 p.

71.   Mammeri M. L’Opium et le Bâton. Paris, PLON, 1965. - 290 p.

72.   Mammeri M. La Colline oubliée. Paris, PLON, 1952. - 255 p.

73.   Mammeri M. La Traversée. Paris, PLON, 1982. – 195 p.

74.   Mammeri M. Le Sommeil du juste. Paris, PLON, 1955. - 254 p.

75.   Mann T. Joseph et ses Frères. En 2 tomes. Moscou, Pravda, 1991 : tome 1 – 414 p. ; tome 2 – 418 p.

76.   Mechakra Y. La Grotte éclatée. Alger, SNED, 1979. - 172 p.

77.   Milton J. Le Paradis perdu. Moscou, Khoud. lit., 1982. - 414 p.

78.   Mimouni R. L’Honneur de la tribu. Paris, Robert Laffont, 1989. - 215 p.

79.   Mimouni R. La Malédiction. Paris, Stock, 1993. – 285 p.

80.   Mimouni R. Le Fleuve détourné. Paris, Robert Laffont, 1982. - 218 p.

81.   Mimouni R. Le Printemps n’en sera que plus beau. Alger, SNED, 1978. - 119 p.

82.   Mimouni R. Tombéza. Paris, Robert Laffont, 1984. - 271 p.

83.   Mimouni R. Une Paix à vivre. Alger, ENAL, 1983. - 189 p.

84.   Mimouni R. Une Peine à vivre. Paris, Stock, 1991. - 277 p.

85.   Molière J.-B. Oeuvres complètes. En 3 tomes. Moscou, Iskousstvo : tome 1, 1985 - 670 p. ; tome 2, 1986 – 458 p. ; tome 3, 1987 – 715 p.

86.   Prévost A. F. Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut. Moscou, Pravda, 1989. – 540 p.

87.   Proust M. Du côté de chez Swann. Moscou, Progress, 1976. – 435 p.

88.   Rousseau J.-J. Oeuvres choisies. En 3 tomes. Moscou, Gospolitizdat, 1961, nome 1 – 851 p.

89.   Tolstoï L. Guerre et Paix. En 4 tomes. Moscou, Sov. Rossia, 1991, tome 1, 2 – 730 p.; tome 3, 4 – 729 p.

90.   Voltaire. Romans et contes. Moscou, Radouga, 1985. – 584 p.

91.   Woolf V. Oeuvres choisies. Moscou, Khoud. lit., 1989. – 556 p.

2. Ouvrages critiques

1.        Adam J.-P. Langue et littérature. Paris, Hachette, 1991. - 221 p.

2.        Afrique. Dictionnaire encyclopédique. Tome 1. Réd. An.A.Gromyko. Moscou, Sov. encyclopédia, 1986. - 672 p.

3.        Akimova A.A. Diderot. Moscou, Mol. gvardia, 1963. - 480 p.

4.        Albouy P. Mythes et mythologies dans la littérature française. Paris, A. Colin, 1969. - 340 p.

5.        Alekséev M.P. La critique littéraire comparative. Léningrad, Naouka, 1972. - 447 p.

6.        Alizadé E.A., Assadoulline F.A., Projoguina S.V., Younoussov K.O. Littérature tunisienne. Moscou, Vostotchnaïa litératoura, 1993. - 242 p.

7.        Andréev L.G. Cent ans de la littérature belge. Moscou, Ed. de l’Université de Moscou, 1967. - 464 p.

8.        Andréev L.G. Impressionisme. Moscou, Ed. de l’Université de Moscou, 1980. - 249 p.

9.        Andréev L.G. La littérature contemporaine française: les années 60. Moscou, Ed. de l’Un-té de Moscou, 1977. - 367 p.

10.   Andréev L.G. Marcel Proust. Moscou, Vyschaïa chkola, 1968. - 96 p.

11.   Andréev L.G. Surréalisme. Moscou, Vyschaïa chkola, 1972. - 232 p.

12.   Andréev You. A. Le mouvement du Réalisme. Léningrad, Naouka, 1978. - 208 p.

13.   Anikine G.V. Histoire de la littérature anglaise. Moscou, Vyschaïa chkola, 1985. - 430 p.

14.   Arnaud J. Recherches sur la littérature maghrébine de langue française. Le cas de Kateb Yacine. Paris, Harmattan, 1982. - 1172 p.

15.   Arnaud J., Amacker F. Répertoire mondial des travaux universitaires sur la littérature maghrébine de langue française. Paris, Harmattan, 1984. - 78 p.

16.   Artamonov S.D. Histoire de la littérature étrangère des XVII-XVIIIème siècles. Moscou, Prosvéchtchénié, 1988. - 608 p.

17.   Auerbach E. Mimésis: la représentation de la réalité dans la littérature occidentale. Paris, Gallimard, 1977. - 559 p.

18.   Aurbakken K. L’étoile d’araignée: une lecture de Nedjma de Kateb Yacine. Paris, Publisud, 1986. - 223 p.

19.   Bakhtine M. La poétique de Dostoïevski. Paris, Seuil, 1970. - 347 p.

20.   Bakhtine M.M. L’esthétique de la création verbale. Moscou, Iskousstvo, 1979. - 420 p.

21.   Bakhtine M.M. L’oeuvre de François Rabelais et la culture du peuple du Moyen âge et de la Renaissance. Moscou, Khoud. lit., 1965. - 527 p.

22.   Bakhtine M.M. Questions de littérature et d’esthétique. Moscou, Khoud. lit., 1975. - 500p.

23.   Balachova T.V. L’activité du Réalisme: Discussions littéraires et artistiques à l’Occident. Moscou, Iskousstvo, 1982. - 206 p.

24.   Barthes R. Analyse structurale du récit. Paris, Seuil, 1981. - 178 p.

25.   Barthes R. Le Degrès zéro de l’écriture. Paris, Seuil, 1972. - 187 p.

26.   Barthes R. Le plaisir du texte. Paris, Seuil, 1973. - 105 p.

27.   Barthes R. Mythologies. Paris, Seuil, 1992. - 247 p.

28.   Barthes R. Ouvrages choisis: Sémiotique. Poétique. Moscou, Progress, 1989. - 616 p.

29.   Barthes R. S/Z. Paris, Seuil, 1970. - 277 p.

30.   Bélinski V.G. Oeuvres complètes. Tome 10. Moscou, Naouka, 1956. -440 p.

31.   Bellemin-Noël J. Le texte et l’avant-texte. Paris, Larousse, 1971. - 144 p.

32.   Bencheïkh M., Chami A., Memmes A. et alias. Approches Scientifiques du Texte Maghrébin. Casablanca, Ed. Toubkal, 1987. - 117 p.

33.   Blanchot M. L’Espace littéraire. Paris, Gallimard, 1955. - 294 p.

34.   Bonn Ch. Anthologie de la littérature algérienne (1950-1978). Paris, Hachette, 1990. - 255 p.

35.   Bonn Ch. Kateb Yacine. Nedjma. Paris, PUF, 1990. - 126 p.

36.   Bonn Ch. La littérature algérienne de langue française et ses lectures. Imaginaire et Discours d’idées. Sherbrooke, Naaman, 1974. - 251 p.

37.   Bonn Ch. Le Roman algérien de langue française. Paris, Harmattan, 1985. - 360 p.

38.   Bonn Ch. Lecture présente de Mohammed Dib. Alger, ENAL, 1988. - 273p.

39.   Bonn Ch. Nabile Farès: La Migration et la Marge. Casablanca, Afrique Orient, 1986. - 132 p.

40.   Bonn Ch. Problématiques spatiales du roman algérien. Alger, ENAL, 1986. - 115 p.

41.   Bouchmine A.S. La science de littérature: Discussions. Jugements. Débats. Moscou, Sovremennik, 1980. - 334 p.

42.   Bouchmine A.S. La succession dans l’évolution de la littérature. Léningrad, Khoud. lit., 1978. - 222 p.  

43.   Carpentier A. Nous avons cherché et nous nous sommes trouvés. Moscou, Progress, 1984. - 414 p.

44.   Chablovskaïa I.V. Histoire de la littérature étrangère du XXème siecle. Minsk, Econompress, 1998. - 382 p.

45.   Chikhi B. Maghreb en textes. Ecriture, histoire, savoirs et symboliques. Paris, Harmattan, 1996. - 244 p.

46.   Chikhi B. Problématique de l’écriture dans l’oeuvre romanesque de Mohammed Dib. Alger, OPU, 1989. - 266 p.

47.   Chikhi B. Les Romans d’Assia Djebar. Alger, OPU, 1990. – 131 p.

48.   Chklovski V.B. Sur la théorie de la prose. Moscou, Sov. pisatel, 1983. - 381 p.

49.   Compagnon A. La seconde main, ou le travail de la citation. Paris, Seuil, 1979. - 414 p.

50.   Critique littéraire étrangère contemporaine. Dictionnaire encyclopédique. Réd. I.P.Ilyine et E.A.Tsourganova. Moscou, Intrada, 1996. - 318 p.

51.   Dällenbach L. Le Récit spéculaire: essai sur la mise en abyme. Paris, Seuil, 1977. - 247p.

52.   Daninos G. Dieu en Barbarie de Mohammed Dib ou la recherche d’un nouvel humanisme. Sherbrooke, Naaman, 1985. - 60 p.

53.   Daninos G. Les nouvelles tendances du roman algérien de langue française. Sherbrooke, Naaman, 1979. - 169 p.

54.   Davydov You. N. L’évasion de la liberté. Moscou, Khoud. lit., 1978. - 366 p.

55.   Deguy M. Le Monde de Thomas Mann. Paris, PLON, 1962. - 169 p.

56.   Déjeux J. Assia Djebar, romancière algérienne et cinéaste arabe. Sherbrooke, Naaman, 1984. - 120 p.

57.   Déjeux J. Bibliographie méthodique et critique de la littérature algérienne de langue française, 1945-1977. Alger, SNED, 1981. - 307 p.

58.   Déjeux J. Dictionnaire des auteurs maghrébins de langue française. Paris, Karthala, 1984. - 401 p.

59.   Déjeux J. La littérature algérienne contemporaine. Paris, PUF, coll. Que sais-je?, 1604, 1975. - 128 p.

60.   Déjeux J. La littérature maghrébine d’expression française. Tome 2. Alger, Centre culturel français, 1970, p. 113-240.

61.   Déjeux J. Littérature maghrébine de langue française. Sherbrooke, Naaman, 3ème éd., 1980. - 493 p.

62.   Déjeux J. Maghreb: Littératures de langue française. Paris, Arcantère, 1993. - 658 p.

63.   Déjeux J. Mohammed Dib: Ecrivain algérien. Sherbrooke, Naaman, 1980. - 84 p.

64.   Déjeux J. Situation de la littérature maghrébine de langue française. Alger, OPU, 1982. - 271 p.

65.   Delattre F. Le Roman psychologique de Virginia Woolf. Paris, J. Vrin, 2ème éd., 1967. - 268 p.

66.   Demkina O.N., Projoguina S.V. Littérature algérienne. Moscou, Vostotchnaïa litératoura, 1993. - 334 p.

67.   Derrida J. L’écriture et la différence. Paris, Seuil, 1979. - 436 p.

68.   Dictionnaire des termes de la critique littéraire. Réd. L.I.Timoféev et S.V.Touraév. Moscou, Prosvéchtchénié, 1974. - 509 p.

69.   Dima A. Les principes de la critique littéraire comparative. Moscou, Progress, 1977.- 229p.

70.   Djougachvili G.Ya. Le roman algérien de langue française. Moscou, Naouka, 1976. - 140p.

71.   Dmitriev V.A. Réalisme et la conventionalité artistique. Moscou, Sov. pisatel, 1974. - 279p.

72.   Dneprov V.D. Idées du temps et  formes du temps. Léningrad, Sov. pisatel, 1980. - 596 p.

73.   Dneprov V.D. Traits du roman du XXème siècle. Moscou, Sov. pisatel, 1965. - 548p.

74.   Durand G. Les structures anthropologiques de l’imaginaire. Paris, Bordas, 1969. - 512 p.

75.   Durichine D. La théorie de l’étude comparative de la littérature. Moscou, Progress, 1979. - 320 p.

76.   Ecrits sur l’art et manifestes des écrivains français. Anthologie. Réd. L.G.Andréev et N.P.Kozlova. Moscou, Progress, 1981. - 686 p.

77.   Ecrivains d’Amérique Latine sur la littérature. Réd. V.N.Kouteïchtchikova. Moscou, Radouga, 1982. - 397 p.

78.   Ecrivains d’Angleterre sur la littérature. Moscou, Progress, 1981. - 408 p.

79.   Ecrivains de France sur la littérature. Réd. T.B.Balachova et F.Narkirier. Moscou, Progress, 1978. - 469 p.

80.   Ecrivains des USA sur la littérature. Réd. M.Tougouchtcheva. Moscou, Progress, 1974. - 412 p.

81.   Eigeldinger M. Lumières du mythe. Paris, PUF, 1983. - 222 p.

82.   Eliade M. Aspects du mythe. Paris, Gallimard, 1988. - 250 p.

83.   Ferenczi R. Kafka: Subjectivité, Histoire et Structures. Paris, Klincksieck, 1975.- 216 p.

84.   Gafaïti H. Boudjedra ou la passion de la modernité. Paris, Denoël, 1987. - 152 p.

85.   Gatchev G.D. Le développement accéléré de la littérature. Moscou, Naouka, 1964. - 312p.

86.   Genette G. Introduction à l’architexte. Paris, Seuil, 1979. - 89 p.

87.   Genette G. Palimpsestes: La littérature au second degrès. Paris, Seuil, 1992. - 573 p.

88.   Gilli Y. A propos du texte littéraire et de F. Kafka ou encore: faut-il brûler le structuralisme? Paris, Les Belles Lettres, 1985. - 158 p.

89.   Giovannangeli J.-L. Détours et Retours: Joyce et Ulysses. Presses Universitaires de Lille, 1990. - 352 p.

90.   Gontard M. Le Moi étrange. Littérature marocaine de langue française. Paris, Harmattan, 1993. - 220 p.

91.   Gontard M. Nedjma de Kateb Yacine. Essai sur la structure formelle du roman. Paris, Harmattan, 1985. - 120 p.

92.   Gontard M. Violence du texte. La littérature marocaine de langue française. Paris, Harmattan, 1981. - 167 p.

93.   Goulyga A.V. L’art à l’époque de la science. Moscou, Naouka, 1978. - 182 p.

94.   Greimas A.J. Sémiotique: dictionnaire raisonné de la théorie du langage. Paris, Hachette, 1993. - 454 p.

95.   Grenaud P. La littérature au soleil du Maghreb. De L’Antiquité à nos jours. Paris, Harmattan, 1993. - 335 p.

96.   Grib V.R. Ouvrages choisis. Moscou, Goslit, 1956. - 416 p.

97.   Guichard L. Introduction à la lecture de Proust. Paris, Librairie Nizet, 1969. - 204 p.

98.   Hadjeres S. Culture, Indépendance et Révolution en Algérie. Paris, Temps actuels, 1980. - 101 p.

99.   Histoire de la littérature allemande. Réd. K.Böttcher et H.J.Geerdts. 3 tomes. Traduit de l’allemand. Moscou, Radouga, 1985. Tome I - 350 p.; Tome II - 342 p.; Tome III - 362 p.

100.Histoire de la littérature mondiale. Réd. Gu.P.Berdnikov, You.B.Vipper et alias. Moscou, Naouka: Tome IV, 1987 - 687 p.; Tome V, 1988 - 783 p.; Tome VI, 1989 - 880 p.; Tome VII, 1991 - 830 p.; Tome VIII, 1994 - 848 p.

101.Ilyine I.P. Post-modernisme de l’origine à la fin du siècle: évolution du mythe scientifique. Moscou, Intrada, 1998. - 255 p.

102.Ilyine I.P. Post-structuralisme. Déconstructivisme. Post-modernisme. Moscou, Intrada, 1996. - 253 p.

103.Ivacheva V.V. Littérature de la Grande Bretagne du XXème siècle. Moscou, Vyschaïa chkola, 1984. - 286 p.

104.Jantiéva D.G. James Joyce. Moscou, Vyschaïa chkola, 1967. - 95 p.

105.Jirmounski V.M. Etude comparative: L’Orient et l’Occident. Léningrad, Naouka, 1979. - 493 p.

106.Kachina N.V. Esthétique de F.M.Dostoïevski. 2ème éd. Moscou, Vyschaïa chkola, 1989. - 288 p.

107.Khadda N. Mohammed Dib, romancier: esquisse d’un itinéraire. Alger, OPU, 1986. - 112 p.

108.Khatibi A. Le roman maghrébin. Paris, Maspéro, 1968. - 147 p.

109.Khatibi A. Maghreb pluriel. Paris – Pabat, Denoël – SMEP, 1983. – 258 p.

110.Khovanskaïa Z.I. L’analyse de l’oeuvre littéraire dans la critique française contemporaine. Moscou, Vyschaïa chkola, 1980. - 302 p.

111.Khraptchenko M.B. Horizons de l’image artistique. Moscou, Khoud. lit., 1982. - 333 p.

112.Konrad N.I. L’Occident et l’Orient. Moscou, Naouka, 1972. - 496 p.

113.Kouteïchtchikova V.N., Ospovat L.S. Le nouveau roman latino-américain: les années 50-70. Moscou, Sov. pisatel, 1976. - 424 p.

114.Kristeva J. Sémèiotikè: recherche pour une sémanalyse. Paris, Seuil, 1978. - 318 p.

115.Lacan J. Le séminaire de Jacques Lacan. Livre 8: Le transfert. Paris, Seuil, 1991. - 459p.

116.Lacheraf M. L’Algérie: nation et société. Paris, Maspéro, 1965. - 346 p.

117.Landa R.G. Histoire de la révolution algérienne (1954-1962). Moscou, Naouka, 1983. - 285p.

118.Landa R.G. La crise du régime colonial en Algérie (1931-1954). Moscou, Naouka, 1980. -270 p.

119.Laronde M. Autour du roman beur. Immigration et Identité. Paris, Harmattan, 1993. - 240 p.

120.Laroui A. L’idéologie arabe contemporaine. Paris, Maspéro, 1977. - 224 p.

121.Leibrich L. Thomas Mann: une recherche spirituelle. Paris, Aubier Montaigne, 1974. - 443 p.

122.Lénine V.I. Ecrits sur l’art et la littérature. Moscou, Progress, 1969. - 320 p.

123.Littérature française, 1945-1990. Réd. N.I.Balachov. Moscou, Naslédié, 1995. - 924 p.

124.Lotman You. La structure du texte artistique. Paris, Gallimard, 1988. - 250p.

125.Lotman You.M. Le roman de A.S.Pouchkine Eugène Onéguine. Commentaire. Léningrad, Prosvéchtchénié, 1980. - 416 p.

126.Madelain J. L’Errance et l’itinéraire. Lecture du roman maghrébin de langue française. Paris, Sindbad, 1983. - 194 p.

127.Mazouni A. Culture et enseignement en Algérie et au Maghreb. Paris, Maspéro, 1969. - 248 p.

128.Mélétinski E.M. La poétique du mythe. Moscou, Naouka, 1976. - 407 p.

129.Memmi A. Anthologie des écrivains maghrébins d’expression française. Paris, Présence africaine, 1965. - 300 p.

130.Memmi A. Ecrivains francophones du Maghreb. Paris, Seghers, 1985. - 353 p.

131.Mérad Gh. La littérature algérienne d’expression française. Approches socio-culturelles. Paris, Oswald, 1976. - 202p.

132.Mikhalskaïa N.P., Anikine G.V. Le roman anglais du XXème siècle. Moscou, Vyschaïa chkola, 1982. - 190 p.

133.Motyliova T.L. Le roman étranger aujourd’hui. Moscou, Sov. pisatel, 1966. - 471 p.

134.Motyliova T.L. Roman, une forme libre. Moscou, Sov. pisatel, 1982. - 398 p.

135.Mouliartchik A.S. Le roman réaliste contemporain des USA. 1945-1980. Moscou, Vyschaïa chkola, 1988. - 174 p.

136.Mouton J. Les intermittences du regard chez l’écrivain. Paris, Desclée de Brouwer, 1973. - 250 p.

137.Mouzouni L. Le roman marocain de langue française. Paris, Publisud, 1987. - 204 p.

138.Néfedov N.T. Histoire de la critique littéraire étrangère. Moscou, Vyschaïa chkola, 1984. - 272 p.

139.Néoupokoéva I.G. Histoire de la littérature mondiale: Les problèmes de l’analyse systématique et comparée. Moscou, Naouka, 1976. - 358 p.

140.Nikiforova I.D. Le roman africain. Moscou, Naouka, 1977. - 236 p.

141.Nikiforova I.D. Littérature de la renaissance nationale: Sur l’oeuvre des écrivains contemporains de Maroc, Tunisie, Algérie. Moscou, Naouka, 1968. - 48 p.

142.Nommer les choses par leurs noms. Déclarations des maîtres de la littérature ouest-européenne du XXème siècle. Réd. L.G.Andréev. Moscou, Progress, 1986. - 640 p.

143.Outékhine N.P. Les genres de la prose épique. Leningrad, Naouka, 1982. - 184 p.

144.Palievski P.V. Littérature et théorie. Moscou, Sov. Rossia, 1979. - 288 p.

145.Paris J. Joyce. Paris, Seuil, 1994. - 218 p.

146.Pospélov G.N. Problèmes du style littéraire. Moscou, Ed. de l’Université de Moscou, 1970. - 330 p.

147.Pospélov G.N. Questions de la méthodologie et de la poétique. Moscou, Ed. de l’Université de Moscou, 1983. - 336 p.

148.Projoguina S.V. Frontière des époques et des cultures: Le problème de la typologie des littératures de langue française des pays du Maghreb. Moscou, Naouka, 1984. – 287 p.

149.Projoguina S.V. La littérature francophone des pays du Maghreb. Moscou, Naouka, 1973. - 188 p.

150.Projoguina S.V. Littérature marocaine et tunisienne. Moscou, Vyschaïa chkola, 1968. - 90p.

151.Projoguina S.V. Maghreb: Ecrivains francophones des années 60-70. Moscou, Naouka, 1980. - 272 p.

152.Projoguina S.V. Pour les Rivages de la Patrie lointaine... Moscou, Naouka, 1992. - 360 p.

153.Prosateurs et poètes algériens. Années 1940-70. Dictionnaire bibliographique. Réd. S.V.Projoguina. Moscou, VGBIL, 1981. - 188 p.

154.Rabinovitch Gu.B. Histoire de la littérature frabçaise des XIX-XXèmes siècles. Moscou, Vyschaïa chkola, 1977. - 260 p.

155.Rachid Mimouni : L’Honneur de la Tribu. Lectures algériennes. Dir. N. Khadda. In : Etudes littéraires maghrébines № 4, Paris, Harmattan,1995. – 96 p.

156.Radjabova I.S. La littérature algérienne francophone contemporaine. Douchanbé, Donich, 1974. - 54 p.

157.Raymond M. Le Roman depuis la Révolution. Tome I. New York - St.Louis - San Francisco, McGraw - Hill - Armand Colin, 1967. - 410 p.

158.Répertoire international des thèses sur les littératures maghrébines. Dir. Ch.Bonn. Paris, Harmattan, 1996. - 365 p.

159.Reuter Y. Introduction à l’analyse du Roman. Paris, Bordas, 1991. - 165 p.

160.Revel J.-F. Sur Proust. Paris, Laffont, 1976. - 235 p.

161.Ricardou J. Le nouveau roman. Paris, Seuil, 1973. - 189 p.

162.Ricardou J. Pour une théorie du nouveau roman. Paris, Seuil, 1971. - 264 p.

163.Richard J.-P. Proust et le monde sensible. Paris, Seuil, 1974. - 237 p.

164.Riffaterre M. La production du texte. Paris, Seuil, 1979. - 284 p.

165.Robert M. Seul, comme Franz Kafka. Paris, Calmann-Lévy, 1979. - 257 p.

166.Rousset J. Forme et signification. Essai sur les structures littéraires de Corneille à Clodel. Paris, Corti, 1973. - 194 p.

167.Rousset J. Passages, échanges et transpositions. Paris, Corti, 1990. - 229 p.

168.Sangsue D. La parodie. Paris, Hachette, 1994. - 106 p.

169.Sangsue D. Le récit excentrique. Paris, Corti, 1987. - 442 p.

170.Saraskina L.I. Les Possédés : roman d’avertissement. Moscou, Sov. pisatel, 1990. – 480 p.

171.Schneider M. Voleurs des mots. Paris, Gallimard, 1985. - 392 p.

172.Sémiotique. Réd. You.S.Stépanov. Moscou, Radouga, 1983. - 636 p.

173.Skir A.Ya. L’objectif artistique de l’esthétique de Denis Diderot. Minsk, Naouka i tekhnika, 1979. - 160 p.

174.Smolnikov I.F. Légendes contemporaines: Sur la littérature des petits peuples du Nord et de L’Extrême Orient. Moscou, Sovremennik, 1975. - 174p.

175.Soutchkov B.L. Les faces du temps. Tome I. Moscou, Khoud. lit., 1976. - 416 p.

176.Starobinski J. Les mots sur les mots: les anagrammes de F. De Saussure. Paris, Gallimard, 1978. - 160 p.

177.Stebline-Kamenski M.I. Le monde de la saga. Formation de la littérature. Léningrad, Naouka, 1984. - 245 p.

178.Stebline-Kamenski M.I. Mythe. Léningrad, Naouka, 1976. - 103 p.

179.Suleiman S. R. Le Roman à thèse ou l’Autorité fictive. Paris, PUF, 1983. - 314 p.

180.Tadié J.-Y. Proust et le roman. Paris, Gallimard, 1971. - 461 p.

181.Todorov T. Mikhaïl Bakhtine: Le principe dialogique. Paris, Seuil, 1981. - 315 p.

182.Tougas G. Les écrivains d’expression française et la France. Paris, Denoël, 1973. - 165p.

183.Trousson R. Thèmes et mythes: questions de méthode. Paris, Grasset, 1976. - 364 p.

184.Vassiliev L.S. L’histoire des religions de l’Orient: traditions religieuses et culturelles et la société. Moscou, Vyschaïa chkola, 1983. - 368 p.

185.Vilmont N.N. Grands compagnons. Moscou, Sov. pisatel, 1966. - 591 p.

186.Vlassova O.A., Derbissaliev A.B., Projoguina S.V. Littérature marocaine. Moscou, Vostotchnaïa litératoura, 1993. - 317 p.

187.Volkov I.F. Méthodologie de création et systèmes artistiques. Moscou, Iskousstvo, 1978. - 264 p.

188.Voltz P. La comédie. Paris, A.Colin, 1964. - 471 p.

189.Wellek R., Warren A. La théorie littéraire. Paris, Seuil, 1971. - 399 p.

190.Zassourski Ya.N. Littérature américaine du XXème siècle. Moscou, Ed. de l’Université de Moscou, 1984. - 501 p.

191.Zatonski D.V. A notre époque. Moscou, Sov. pisatel, 1979. - 430 p.

192.Zatonski D.V. Franz Kafka et les problèmes du Modernisme. Moscou, Vyschaïa chkola, 1972. - 136 p.

193.Zatonski D.V. L’art du roman et le XXème siècle. Moscou, Khoud. lit., 1973. - 536 p.

194.Zatonski D.V. Le Réalisme, est-ce un doute? Kiev, Naoukova doumka, 1992. - 278p.

195.Zatonski D.V. Littérature autrichienne au XXème siècle. Moscou, Khoud. lit., 1985. - 442p.

196.Zavadovskaya S.You. Littérature française: Le XXème siècle. Moscou, Vysch. chkola. - 304p.

197.Zemskov V.B. Gabriel Garcia Marquez. Moscou, Khoud. lit., 1986. - 223 p.

3. Articles

1.        Abdelli M. La nouvelle littérature algérienne. In: Lettres françaises, Paris, 1956, 610, pp. 1, 7.

2.        Acs C. Mohammed Dib par Claudine Acs. In: L’Afrique littéraire et artistique, Paris, 1971, 18, p. 10-13.

3.        Allam M. Habel de Mohammed Dib: Le langage de désarroi. In: El-Moudjahid, 25-26 jan.1980, p. 10-13.

4.        Andréev L.G. Antoine-François Prévost. In: L.G.Andréev, N.P.Kozlova, G.K.Kossikov. Histoire de la littérature française. Moscou, Vyschaïa chkola, 1987, p. 219-222.

5.        Aubert F. Topographie d’un exil. In: Les Nouvelles littéraires, Paris, 1976, 2518, p.21.

6.        Bachat Ch. Boudjedra ou le roman électro-choc. In: Europe, Paris, 1976, 567-568, p.62-66.

7.        Barthes R. Texte. In: Encyclopaedia Universalis. Vol.15. Paris, 1973, p. 78.

8.        Belkaïd-Khadda N. Dialectique de l’avènement de la modernité dans le texte katébien. In: Kateb Yacine et la modernité textuelle. Bouzaréah, Université d’Alger, 1989, p. 96-105.

9.        Belleguic T., Thomson C. Dialogical criticism. In: Encyclopedia of Contemporary Literary Theory. Approches, Scholars, Terms. University of Toronto Press, Toronto - Buffalo - London, 1997, p. 31-34.

10.   Benot Y. Nabile Farès: le champ des oliviers. In: La Pensée, Paris, 1973, n 168, p. 142-143.

11.   Benot Y. Trois romans des nations naissantes. In: La Pensée, Paris, 1975, 179, p. 146-151.

12.   Blanchot M. La lecture de Kafka. In: Les critiques de notre temps et Kafka. Paris, Garnier, 1973, p. 50-54.

13.   Blanchot M. La rencontre avec le démon. In: Cahiers de l’Herne. Thomas Mann. Paris, Ed. de l’Herne, 1973, p. 40-51.

14.   Bonn Ch. Déjeux Jean. La littérature d’expression française. Paris, PUF, “Que sais-je?”, 2675, 1992, 127 p. In: Etudes littéraires maghrébines. Université Paris-Nord - Faculté des Lettres 2 Casablanca, !er semestre 1993, Bulletin de liaison 6, p. 30-33.

15.   Bonn Ch. Jean Déjeux. In: Etudes littéraires maghrébines, Université Paris-Nord - Université d’Alger, !er semestre 1994, Bulletin de liaison 8, p. 47-53.

16.   Bonn Ch. Kateb le fondateur, ou le désordre fertile. In: Europe, Paris, avril 1998, 828, p. 110-121.

17.   Bonn Ch. L’Insolation ou l’écriture retrouvée. In: Présence francophone, Paris, printemps, 1977, 14, p. 3-8.

18.   Bonn Ch. La Danse du Roi de Mohammed Dib. In: Présence francophone, Paris, 1972, 5, p. 67-79.

19.   Bonn Ch. La littérature algérienne de langue française. In: Europe, Paris, 1976, 567-568, p. 48-53.      

20.   Borzeix J.-M. Les tourments d’un imbroglio culturel. In: Les Nouvelles littéraires, Paris, 1979, 2518, p. 15-16.

21.   Bosquet A. L’Islam foisonnant de Boudjedra. In: Le Monde, Paris, 5 oct.1979, pp.19, 21.

22.   Bouraoui H.A. La Répudiation ou le nouveau tournant du roman nord-africain. In: Présence francophone, Paris, 1971, 2,  p. 204-207.

23.   Bouraoui H.A. Le récit tentaculaire d’un nouveau roman engagé: Topographie de Rachid Boudjedra. In: L’Afrique littéraire et artistique, Paris, 1976, 39, p. 24-32.

24.   Bouraoui H.A. Politique et poétique dans l’univers romanesque de Boudjedra. In: Présence francophone, Paris, 1977, 14, p.11-29.

25.   Cellard J. Rachid Mimouni ou les illusions perdues. In: Le Monde, Paris, 17 sept.1982, p.13.

26.   Chamir I. L’odyssée de Ulysse russe. In: Inostrannaïa litératoura, Moscou, 1990, 1, p.180.

27.   Chikhi B. Dans la flamme de l’énigme: Mohammed Dib et Edmond Jabès. In: Itinéraires et Contacts de Cultures. Mohammed Dib. Vol. 21-22, Paris, Harmattan, 1er et 2e semestres 1995, p. 139-145.

28.   Chikhi B. De Kateb à Meddeb. Une esthétique de la fragmentation. In: Kateb Yacine et la modernité textuelle. Bouzaréah, Université d’Alger, 1989, p. 15-23.

29.   Dällenbach L. Intertexte et autotexte. In: Poétique, Paris, 1976, 27, p. 282-296.

30.   Dedet Ch. Rachid Boudjedra: Topographie idéale pour une agression caractérisée. In: Esprit, Paris, novembre 1975,  11, p. 737-739.

31.   Déjeux J. La littérature maghrébine de langue française. In: L’Afrique littéraire et artistique, Paris, décembre 1974, 34, p.14-21.

32.   Déjeux J. La ville éblouissante dans la littérature maghrébine de langue française. In: Présence francophone, Paris, printemps 1981, 22, p. 21-46.

33.   Déjeux J. Littérature maghrébine d’expression française. Le regard sur soi-même. Qui suis-je? In: Présence francophone, Paris, printemps 1972,  4, p. 57-77.

34.   Denten M. Le fantastique et l’humour chez Kafka. In: Les critiques de notre temps et Kafka. Paris, Garnier, 1973, p. 153-156.

35.   Djougachvili G.Ya. “Le magique” et la réalité dans le roman algérien contemporain. In: Interactions des littératures africaines avec la littérature mondiale. Moscou, Naouka, 1975, p. 25-47.

36.   Djougachvili G.Ya. Les sources du roman algérien de langue française. In: La genèse du roman dans les littératures d’Asie et d’Afrique. Moscou, Naouka, 1980, p. 277-287.

37.   Djougachvili G.Ya. Littérature algérienne. In: Développement de la littérature dans les pays africains indépendants. Moscou, Naouka, 1980, p. 13-28.

38.   Djougachvili G.Ya. Littérature algérienne: Littérature en français. In: Littératures africaines. Moscou, Naouka, 1979, p. 128-142.

39.   Dneprov V. Kafka, créateur de mythes modernes? In: Les critiques de notre temps et Kafka. Paris, Garnier, 1973, p. 39-42.

40.   Dorochévitch A.I. Mythe dans la littérature du XXème siècle. In: Voprosy litératoury, Moscou, 1970, 2, p. 122-140.

41.   El-Nouty H. Roman et révolution dans Qui se souvient de la mer de Mohammed Dib. In: Présence francophone, Paris, 1971, 2, p. 142-152.

42.   Enckell P. Le tape à l’oeil de Rachid Boudjedra. In: Les Nouvelles littéraires, Paris, 27 septembre - 4 octobre 1979, 2705, p.20.

43.   Fernandez D. Brouillons le soleil. In: L’Express, Paris, 11 septembre 1981, 1574, p.88.

44.   Fradkine I.M. Sur le genre et les structures particulières du roman intellectuel allemand. In: La forme artistique dans les littératures des pays socialistes. Moscou, Naouka, 1969, p. 239-359.

45.   Freustié J. L’Escargot entêté. In: Le Nouvel Observateur, Paris, 24-30 octobre 1977, 676, p.98.

46.   Freustié J. Les mensonges de Schéhérazade. In: Le Nouvel Observateur, Paris, 8-14 octobre 1979, 778, p. 92-93.

47.   Freustié J. Un bougnol dans le métro. In: Le Nouvel Observateur, Paris, 1-7 septembre 1975, 564, p. 52-53.

48.   Fridlender G.M. Dostoïevski. In: Histoire de la littérature mondiale. Tome 7. Moscou, Naouka, 1991, p.105-123.

49.   Gadant M. Vingt ans de la littérature algérienne. In: Les Temps modernes, Paris, 1982, 432-433, p. 348-375.

50.   Galey M. Rachid Boudjedra: le Minotaure du métro. In: L’Express, Paris, 15-21 septembre 1975, 1262, pp.18, 21.

51.   Garcia Marquez G. Interview. In: Ecrivains de l’Amérique Latine sur la littérature. Moscou, Radouga, 1982, p. 269-281.

52.   Garcia Marquez G., Lliosa M.V. Le dialogue sur le roman en Amérique Latine. In: Les écrivains de l’Amérique Latine sur la littérature. Moscou, Radouga, 1982, p. 122-144.

53.   Guéniéva E. Vérité de fait et vérité de vision. In: V.Woolf. Oeuvres choisies. Moscou, Khoud. lit., 1989, p. 3-12.

54.   Haciane M. Un Passager de l’Occident. In: Jeune Afrique, Paris, 1971, 563, p. 44.

55.   Hamon Ph. L’ironie. In: Le grand atlas des littératures. Paris, Encyclopaedia Universalis, 1990, p. 56-57.

56.   Hirschkop K. A Response to the Forum on Mikhail Bakhtin. In: Bakhtin: Essays and Dialogues on His Work. The University of Chicago Press, Chicago and London, 1986, p. 73-79.

57.   Jaquet C. Les plans de Joyce pour Ulysse. In: Ulysses: cinquante ans après. Témoignages franco-anglais sur le chef-d’oeuvre de James Joyce. Paris, Didier, 1974. - 301 p.

58.   Jay S. Habel, roman bouée de Mohammed Dib. In: L’Afrique littéraire et artistique, Paris, 1977, 45. p. 38-39.

59.   Jenny L. La stratégie de la forme. In: Poétique, Paris, 1976, 27,  p. 257-281.

60.   Khadda N. Historicité, ancêstralité, féminité. In: Europe, Paris, avril 1998, 828, p. 68-83.

61.   Khadda N. Le kaléidoscope du vagabond. In: Europe, Paris, avril 1998, 828, p. 3-8.

62.   Khadda N. Nouveau projet social et méthaphore mystique: A propos du diptyque: Dieu en Barbarie et Le Maître de chasse. In: Itinéraires et Contacts de Cultures. Mohammed Dib. Vol. 21-22, Paris, Harmattan, 1er et 2ème semestres 1995, p. 189-205.

63.   Khaïr-Eddine M. Une folie sans nom. In: Les Nouvelles littéraires, Paris, 1977, 2590, p.8.

64.   Kojinov V.V. Roman, épopée des temps nouveaux. In: Théorie de la littérature. Tome 2. Moscou, Naouka, 1964, p. 97-172.

65.   Kouteïchtchikova V.N. Le continent où se rencontrent les époques. In: Voprosy litératoury, Moscou, 1972, 4, p. 74-97.

66.   Kouteïchtchikova V.N. Nouvelles tendances dans le roman latino-américain des années 50-60. In: Les courants néo-avantgardistes dans la littérature des années 50-60. Moscou, Khoud. lit., 1972, p. 358-397.

67.   Kozlova N.P. Molière. In: Histoire de la littérature française. Moscou, Vyschaïa chkola,  1987, p. 179-189.

68.   Kréa H. Préface au Panorama de la Nouvelle littérature maghrébine: la génération de 1954. In : Présence africaine, Paris, 1961, 35, p. 168-179.

69.   Kristeva J. Bakhtine, le mot, le dialogue et le roman. In: Critique, Paris, 1967, p. 438-465.

70.   Kristeva J. Narration et transformation. In: Semiotica, The Hague, 1969, 4, p. 422-448.

71.   Kristeva J. Une poétique ruinée. In: Bakhtine M. La poétique de Dostoïevski. Paris, Seuil, 1970, p. 5-27.

72.   Leclerq P. Le Passager de L’Occident. In: Le Drapeau rouge, Bruxelles, 1 octobre 1971, 40, p. 20.

73.   Leibrich L., Bassen R. Les principaux personnages de Thomas Mann. In: Cahiers de l’Herne. Thomas Mann. Paris, Ed. de l’Herne, 1973, p. 289-300.

74.   M’Henni M. Nedjma et le cercle: Itinéraire d’une poétique. In: Kateb Yacine et la modernité textuelle. Bouzaréah, Université d’Alger, 1989, p. 76-85.

75.   Man P. de.  Diologue and Dialogisme. In: Rethinking Bakhtin: Extensions and Challenges. Northwestern University Press, Evanson, Illinois, 1989, p. 105-114.

76.   Martineau M. Rachid Boudjedra: La Répudiation est une critique de la société algérienne, mais de l’intérieur. In: L’Afrique littéraire et artistique, Paris, 1969, 8, p.13-19.

77.   Mauriac C. Un montagnard dans le métro: Boudjedra. In: Le Figaro, Paris, 20-21 septembre 1975, p.15.

78.   Morelle P. Amertumes algériennes. In: Le Monde, Paris, 10 octobre 1980, p. 17.

79.   Morelle P. La Danse du Roi de Mohammed Dib. In: Le Monde, Paris, 24 août 1968,  p. 11.

80.   Morson G.S. Dialogue, Monologue and the Social: a Reply to Ken Hirschkop. In: Bakhtin: Essays and Dialogues on His Work. The University of Chicago Press, Chicago and London, 1986, p. 81-88.

81.   Néoupokoéva I.G. Sur la notion de la série typologique commune. In: Contexte 1974. Moscou, Naouka, 1975, p. 168-186.

82.   Nikiforova I.D. Le roman algérien contemporain. In: Le Réalisme du XXème siècle et le Modernisme. Moscou, Naouka, 1967, p. 119-158.

83.   Oblomiévski D.D. Le roman des années 10-30. In: Histoire de la littérature mondiale. Tome 5. Moscou, Naouka, 1988, p. 96-100.

84.   Oblomiévski D.D. Molière. In: Histoire de la littérature mondiale. Tome 4. Moscou, Naouka, 1987, p.146-152.

85.   Pendolla M. L’Insolation de Rachid Boudjedra ou le refus de la communication. In: Présence francophone, Paris, printemps 1979, 18, p. 19-27.

86.   Perrone-Moisés L. L’intertextualité critique. In: Poétique, Paris, 1976, 27, p. 372-384.

87.   Poirot-Delpech B. L’espace d’un instant: Le Vainqueur de coupe de Rachid Boudjedra. In: Le Monde, Paris, 27 septembre 1981, pp. 17, 23.

88.   Poirot-Delpech B. Topographie idéale pour une agression caractérisée de Rachid Boudjedra. In: Le Monde, Paris, 3 octobre 1975, p. 13.

89.   Prévost C. Dans le labyrinthe. In: France nouvelle, Paris, 1976, 1577, p. 28-29.

90.   Projoguina S.V. L’homme de l’époque de décolonisation dans les oeuvres des écrivains du Maghreb. In: Narody Asii i Afriki, Moscou, 1984, 6, p. 35-43.

91.   Projoguina S.V. La “société traditionnelle” dans la littérature francophone des pays du Maghreb. In: Narody Asii i Afriki, Moscou, 1976, 4, p. 55-65.

92.   Projoguina S.V. La répudiation du passé: La réalité nouvelle dans l’oeuvre d’un écrivain algérien. In: Litératournoïé obozrénié, Moscou, 1982, 7, p. 28-33.

93.   Projoguina S.V. Le “modèle classique” et la variante nationale: transformation de l’essentiel. In: Procédés et courants artistiques dans les littératures africaines. Moscou, Naouka, 1990, p. 200-218.

94.   Projoguina S.V. Le temps d’espérance et d’inquiétude: Sur certains aspects de l’oeuvre des écrivains francophones des pays du Maghreb. In: Inostrannaïa litératoura, Moscou, 1980, 3, p. 198-205.

95.   Projoguina S.V. Modernisme en tant que problème du style dans la littérature francophone du Maghreb. In: Théorie du style des littératures d’Orient. Moscou, Vostotchnaïa litératoura, 1995, p. 247-294.

96.   Projoguina S.V. Problèmes de la littérature francophone contemporaine des pays du Maghreb. In : Folklore et littérature des pays d’Afrique. Moscou, Naouka, 1970, p. 43-83.

97.   Projoguina S.V. Rapprochant l’avenir: Sur l’oeuvre des écrivains francophones contemporains des pays du Maghreb. In: Littérature des pays étrangers d’Orient des années 70. Moscou, Naouka, 1982, p. 52-76.

98.   Razoumovskaïa M.V. Les comédies de Molière. In: Histoire de la littérature étrangère du XVIIème siècle. Moscou, Vyschaïa chkola, 1987, p. 103-126.

99.   Riffaterre M. La syllepse intertextuelle. In: Poétique, Paris, 1979, 40, p. 446-501.

100.Rjevskaïa N.F. André Gide. In: Histoire de la littérature mondiale. Tome 8. Moscou, Naouka, 1994, p. 229-231.

101.Robert M. Citoyen de l’utopie. In: Les critiques de notre temps et Kafka. Paris, Garnier, 1973, p. 45-50.

102.Roche A. A la faveur d’un équivoque passeport de langue française. In: La Quinzaine littéraire, Paris, août 1990, 560, p. 24-25.

103.Roche A. Kateb, à lire entre les lignes. In: Colloque international Kateb Yacine (Université d’Alger, 28-30 octobre 1990). Alger, OPU, 1992, p. 183-196.

104.Samarine R.M. Milton pendant les années de Restauration. In: Histoire de la littérature mondiale. Tome 4. Moscou, Naouka, 1987, p. 204-209.

105.Sangsue D. L’intertextualité. In: Le grand atlas des littératures. Paris, Encyclopaedia Universalis, 1990. p. 28.

106.Siline V. La littérature algérienne de la “nouvelle vague”. In: Regards russes sur les littératures francophones. Paris, Harmattan, 1997, p. 63-83.

107.Siline V. Les principes artistiques des écrivains algériens de la “nouvelle vague”. In: Procédés et courants artistiques dans les littératures africaines. Moscou, Naouka, 1990, p.175-199.

108.Starobinski J. Le rêve architecte. In: Les critiques de notre temps et Kafka. Paris, Garnier, 1973, p . 131-133.

109.Starobiski J. Kafka et Dostoïevski. In: Les critiques de notre temps et Kafka. Paris, Garnier, 1973, p. 156-160.

110.Stolbov V.S. Quelques mots sur le roman Cent ans de solitude et son auteur. In: Inostrannaïa litératoura, Moscou, 1970, 8, p. 104-105.

111.Tenkoul A. Littérature maghrébine de langue française et discours critique. In: Lamalif, Casablanca, 1983, 148, p. 54-57.

112.Todorov T. Bakhtine et altérité. In : Poétique, Paris, 1979,  40, p. 502-513.

113.Vipper You.B. Jean-Baptiste Molière. In: Cours d’histoire des littératures étrangères du XVIIème siècle. Moscou, Ed. de l’Université de Moscou, 1954, p. 430-527.

114.Wurmser A. Epeler l’envers. In: Lettres françaises, Paris, 23-29 septembre 1970, 1352, p. 8.

115.Zatonski D.V. Où va le XXème siècle? In: Voprosy litératoury, Moscou, 1976, 8, p. 57-110.

116.Zatonski D.V. Qu’est-ce que le Modernisme? In: Contexte 1974. Moscou, Naouka, 1975, p. 135-167.

117.Zavadovskaya S.You. Sur le monologue intérieur. In: Problèmes stylistiques de la littérature française. Léningrad, Naouka, 1974, p. 26-27.

4. Thèses

1.        Belkaïd-Khadda N. Doctorat d’Etat. (En)jeux culturels dans le roman algérien de langue française. Paris 3, Roger Fayolle, 1987.

2.        Belkaïd-Khadda N. Doctorat de 3ème Cycle. Structuration du discours romanesque de Mohammed Dib; Analyse de deux exemples topiques: ‘L’Incendie’ et ‘Qui se souvient de la mer’. Paris 8, Jean-Claude Chevalier, 1978.

3.        Bererhi A. Doctorat de 3ème cycle. L’ambiguïté de l’ironie dans l’oeuvre romanesque de Rachid Boudjedra. Paris 3, Roger Fayolle, 1988.

4.        Bonn Ch. Doctorat d’Etat. Le Roman algérien contemporain de langue française. Espaces de l’énonciation et productivité des récits. Bordeaux 3, Simon Jeune, 1982.

5.        Bonn Ch. Doctorat de 3ème Cycle. Imaginaire et discours d’idées: La littérature algérienne d’expression française à travers ses ‘lectures’. Bordeau 3, Robert Escarpit, 1972.

6.        Boualit F. Doctorat Nouveau Régime. Pour une poétique de la chromatographie: les cinq textes-programmes de Nabile Farès. Paris 8, Claude Duchet, 1993.

7.        Cherif S. Doctorat Nouveau Régime. Le retour du récit dans les années 1980. Oralité, jeu hypertextuel et expression de l’identité chez Tahar Ben Jelloun, Rachid Mimouni, Fawzi Mellah, Venus Khoury-Ghata et A. Cossery. Paris 13, Charles Bonn, 1993.

8.        Chikhi B. Doctorat d’Etat. Conflit des codes et position du sujet dans les nouveaux textes littéraires maghrébins de langue française (1970-1990). Paris 8, Claude Duchet, 1991.

9.        Chikhi B. Doctorat de 3ème Cycle. Problématique de l’écriture dans la littérature algérienne de langue française: l’exemple des romans de Dib. Paris 8, Claude Duchet, 1983.

10.   Ibrahim-Ouali L. Doctorat Nouveau Régime. Ecriture poétique et structures romanesques dans l’oeuvre de Rachid Boudjedra. Clermont-Ferrand, Alain Montandon, 1995.

11.   M’Henni M. Doctorat de 3ème Cycle. La quête du récit dans l’oeuvre de Kateb Yacine. Paris 13, Jaqueline Arnaud, 1986.

12.   Projoguina S. Doctorat d’Etat. Typologie du développement des littératures contemporaines des pays du Maghreb. Moscou, 1980.

13.   Projoguina S. Doctorat de 3ème Cycle. La littérature de langue française des pays du Maghreb. Moscou, 1973.

14.   Salha H. Doctorat d’Etat. Poétique maghrébine et intertextualité. Paris 13, Charles Bonn, 1990.

15.   Salha H. Doctorat de 3ème Cycle. Cohésion et éclatement de la personnalité dans les oeuvres de Mouloud Feraoun, Kateb Yacine, Rachid Boudjedra et Mohammed Khaïr-Eddine. Paris 13, Jaqueline Arnaud, 1981.

16.   Siline V. Doctorat de 3ème Cycle. Principales tendances du développement de la prose francophone algérienne depuis l’Indépendance (1962-1982). Moscou, Youri Denissov, 1986.


 



[1] Jean Déjeux. La littérature algérienne contemporaine. Coll. Que sais-je? 2ème éd., Paris, PUF, 1979, p. 59.

[2] Irina Nikiforova. Le roman africain. Moscou, Naouka, 1977, p. 186.

[3] Jean Déjeux. A l’origine de L’Incendie de Mohammed Dib. In: Présence francophone. Paris, 1975,      № 10, p. 5.

[4] Abdelkébir Khatibi. Le roman maghrébin. Paris,  Maspéro, 1968, p. 28.

[5] Ghani Mérad. La littérature algérienne d’expression française. Paris, Oswald, 1976, p. 40.

[6] Jean Déjeux. Littérature maghrébine de langue française. Sherbrooke, Naaman, 1980, p. 37.

[7] Irina Nikiforova. Id., p. 192.

[8] Irina Nikiforova. Id., p. 187.

[9] Claudine Acs. Mohammed Dib par Claudine Acs. In: L’Afrique littéraire et artistique, Paris, août 1971, № 18, p. 10.

[10] Galina Djougachvili. Le roman algérien de langue  françise. Moscou, Naouka, 1976, p. 52.

[11] Ghani Merad. Id., p. 71.

[12] Galina Djougachvili. Id., p. 53.

[13] Jean Déjeux. Id., p. 26.

[14] Claudine Acs. Id., p. 10.

[15] Charles Bonn. La littérature algérienne de langue française et ses lectures. Sherbrooke, Naaman, 1974,  p. 7.

[16] Jean Déjeux. Id., pp. 148, 171.

[17] Jean Déjeux. Id., p. 381.

[18] Vladimir Siline. Les principes artistiques des écrivains algériens de la “nouvelle vague”. In:   Procédés et courants dans les littératures africaines, Moscou, Naouka, 1990, p. 175-199; Vladimir Siline. La littérature algérienne de la “nouvelle vague”. In: Regards russes sur les littératures francophones, Paris, Harmattan, 1997, p. 63-83.

[19] Charles Bonn. Jean Déjeux. In: Etudes littéraires maghrébines, Université Paris-Nord - Université d’Alger, 1er semestre 1994, Bulletin de liaison 8, p. 49-50.

[20] Charles Bonn. Déjeux Jean. La littérature maghrébine d’expression française. Paris, PUF, “Que sais-je?”, № 2675, 1992, 127 p. In: Etudes littéraires maghrébines. Université Paris-Nord - Faculté des Lettres 2, Casablanca, Bulletin de liaison № 6, 1er semestre 1993, p. 31.

[21] Charles Bonn. Id., p. 53.

[22] Jacqueline Arnaud. Recherches sur la littérature maghrébine de langue française. Le cas de Kateb Yacine. Paris, Harmattan, 1982, p. 728.

[23] Charles Bonn. Kateb Yacine. Nedjma. Paris, PUF, 1990, p. 38.

[24] Abdelkébir Khatibi. Le roman maghrébin. Paris, Maspéro, 1968, p. 103.

[25] Abdelkébir Khatibi. Id., p. 102.

[26] Svetlana Projoguina. “Modernisme” dans la littérature maghrébine de langue française en tant que problème de style. In: Théorie du style des littératures de l’Orient. Moscou, Vostotchnaïa litératoura, 1995, p. 247-291.

[27] Charles Bonn. Id., pp. 60, 64.

[28] Charles Bonn. Le roman algérien de langue française. Paris, Harmattan, 1985, p. 207.

[29] Charles Bonn. Id., p. 247.

[30] Charles Bonn. Problématiques spatiales du roman algérien. Alger, ENAL, 1986, p. 21.

[31] Charles Bonn. Id., p. 21.

[32] Charles Bonn. Id., p. 24.

[33] Charles Bonn. Id., p. 83.

[34] Charles Bonn. Id., p. 84.

[35] Charles Bonn. Id., p. 84.

[36] Charles Bonn. Nabile Farès:La Migration et la Marge. Casablanca, Afrique Orient, 1986, p. 9.

[37] Charles Bonn. Kateb Yacine. Nedjma. Paris, PUF, 1990, p. 13.

[38] Charles Bonn. Id., p. 27.

[39] Charles Bonn. Id., p. 27.

[40] Charles Bonn. Id. P. 43.

[41] Charles Bonn. Id., p. 55.

[42] Marc Gontard. Nedjma de Kateb Yacine. Essai sur la structure formelle du roman. Paris, Harmattan, 1985, p. 48.

[43] Marc Gontard. Id., pp. 53, 56.

[44] Naget Belkaïd-Khadda. Dialectique de l’avènement de la modernité dans le texte katébien. In: Kateb Yacine et la modernité textuelle, Bouzaréah, Université d’Alger, 1989, p. 96.

[45] Naget Khadda. Id., p. 98.

[46] Naget Khadda. Nouveau projet social et métaphore mystique: A propos du diptyque: Dieu en Barbarie et Le Maître de chasse. In: Itinéraires et Contacts de Cultures. Mohammed Dib, Paris - Montréal, Harmattan, 1996, p. 194.

[47] Naget Khadda. Id., p. 194.

[48] Naget Khadda, Id., p. 204.

[49] Beïda Chikhi. De Kateb à Meddeb. Une esthétique de la fragmentation. In: Kateb Yacine et la modernité textuelle, Bouzaréa, Université d’Alger, 1989, pp. 16, 23.

[50] Beïda Chikhi. Dans la flamme de l’énigme: Mohammed Dib et Edmond Jabès. In: Itinéraires  et Contacts de Cultures. Mohammed Dib. Paris - Montréal, Harmattan, 1996, p. 141.

[51] Beïda Chikhi. Id., p. 141.

[52] Anne Roche. A la faveur d’un équivoque passeport de langue française. In: La Quinzaine littéraire, Paris, № 560, août 1990, p. 24-25.

[53] Anne Roche. Kateb, à lire entre les lignes. In: Université d’Alger de Bouzaréa. Colloque international Kateb Yacine (Université d’Alger, 28-30 octobre 1990). Alger, OPU, 1992, p. 195.

[54] Anne Roche. Id., p. 190.

[55] Jean Déjeux. Maghreb: Littératures de langue française. Paris, Arcantère, 1993, p. 239-240.

[56] Mikhaïl Bakhtine. Questions de littérature et d’esthétique. Moscou, Khoud. lit., 1975, p. 6-71.

[57] Mikhaïl Bakhtine. La poétique de Dostoïevski. Paris, Seuil, 1970, p. 127.

[58] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 129.

[59] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 129.

[60] Julia Kristeva. Une poétique ruinée. In: Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 13.

[61] Tzvetan Todorov. Mikhaïl Bakhtine: Le principe dialogique. Paris,  Seuil, 1981, p. 99.

[62] Algirdas Julien Greimas, Joseph Courtès. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage. Paris, Hachette, 1993, p. 194.

[63] Julia Kristéva. Bakhtine, le mot, le dialogue et le roman. In: Critique, Paris, 1967, № 23, p. 438-465.

[64] Rolland Barthes. Texte. In: Encyclopeadia universalis. Paris, 1973, Vol. 15, p. 78.

[65] Leyla Perrone-Moisés. L’intertextualité critique. In: Poétique, Paris, 1976, № 27, p. 383.

[66] Leyla Perrone-Moisés. Id., p. 378-379.

[67] Laurent Jenny. La stratégie de la forme. In: Poétique, Paris, 1976, № 27, p. 257-281.

[68] Lucien Dällenbach. Intertexte et autotexte. In: Poétique, Paris, 1976, 27, p. 282.

[69] Gérard Genette. Palimpsestes: La littérature au second degrès. Paris,  Seuil, 1982.

[70] Daniel Sangsue. Id., p. 29.

[71] Ilya Ilyine. Intertextualité. In: Critique littéraire étrangère contemporaine. Dictionnaire encyclopédique. Moscou, Intrada, 1996, p. 220.

[72] Philippe Hamon. L’ironie. In: Encyclopeadia universalis, Paris, 1990, p. 56.

[73] Daniel Sangsue. La parodie. Paris, Hachette, 1994.

[74] Thierry Belleguic, Clive Thomson. Dialogical criticism. In: Encyclopedia of Contemporary Literary Theory. Approches, Scholars, Terms. Toronto - Buffalo - London, University of Toronto Press, 1997, p. 31.

[75] Lucien Dällenbach. Id., p. 282.

[76] Lucien Dällenbach. Id., p. 283.

[77] Lucien Dällenbach. Le Récit spéculaire: essai sur la mise en abyme. Paris, Seuil, 1977.

[78] Algirdas Julien Greimas et Joseph Courtès. Id., p. 194.

[79] Michael Riffaterre. La syllepse intertextuelle. In: Poétique. Paris, 1979, 40, p. 496.

[80] Daniel Sangsue. Id., p. 28-29.

[81] Michael Riffaterre. Id., p. 497.

[82] Youri Lotman. Le roman de A.S.Pouchkine Eugène Onéguine. Commentaire. Léningrad, Prosvéchtchénié, 1980.

[83] Daniel Sangsue. L’intertextualité. In: Le grand atlas des littératures. Paris, Encyclopeadia universalis, 1990, p. 28.

[84] Ken Hirschkop. A Response to the Forum on Mikhail Bakhtin. In: Bakhtin: Essays and Dialogues on His Work. Chicago - London, University of Chicago Press, 1986, p. 75.

[85] Gary Saul Morson. Dialogue, Monologue and the Social: a Reply to Ken Hirschkop. In: Bakhtin: Essays and Dialogues on His Work. Chicago - London, University of Chicago Press, 1986, p. 83.

[86] Ken Hirschkop. Id., p. 75.

[87] Ken Hirschkop. Id., p. 75.

[88] Gilbert Durand. Les Structures anthropologiques de l’imaginaire. Paris, Bordas, 1969.

[89] Gilbert Durand. Id., p. 207.

[90] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 54.

[91] Mikhaïl Bakhtine. Id., P. 123.

[92] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 123.

[93] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 240.

[94] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 77.

[95] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 77.

[96] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 77.

[97] Tzvetan Todorov. Mikhaïl Bakhtine: Le principe dialogique. Paris, Seuil, 1981, p. 9.

[98] Mikhaïl Bakhtine. Id., pp. 34, 69, 237.

[99] Pierre Voltz. La Comédie. Paris, A.Colin, 1964, p. 80.

[100] You.B.Vipper. Jean-Baptiste Molière. In: Cours d’histoire des littératures étrangères du XVIIème siècle. Moscou, Ed. de l’Université de Moscou, 1954, p. 484;  M.V.Razoumovskaïa. Les comédies de Molière. In: Histoire de la littérature étrangère du XVIIème siècle. Moscou, Vyschaïa chkola, 1987, p. 118.

[101] S.D.Artamonov. Histoire de la littérature étrangère des XVII-XVIIIèmes siècles. Moscou, Prosvechénié, 1988, p. 165.

[102] You.B.Vipper. Id., p. 485.

[103] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 58-59.

[104] You.B.Vipper. Id., p. 492-493.

[105] You.B.Vipper. Id., p. 492.

[106] You.B.Vipper. Id., p. 423.

[107] D.D.Oblomievski. Molière. In: Histoire de la littérature mondiale. Tome 4. Moscou, Naouka, 1987, p. 146-152.

[108] D.D.Oblomievski. Id., p. 147.

[109] Mikhaïl Bakhtine. Id., pp. 58, 86.

[110] R.M.Samarine. Milton pendant les années de Restauration. In: Histoire de la littérature mondiale. Tome 4. Moscou, Naouka, 1987, p. 206.

[111] V.G. Bélinski. Oeuvres complètes. Tome 10. Moscou, Naouka, 1956, p. 305.

[112] V.V.Kojinov. Roman, épopée des temps nouveaux. In: Théorie de la littérature. Tome 2. Moscou, Naouka, 1964, p. 113.

[113] V.V. Kojinov. Id., p. 115.

[114] V.V. Kojinov. Id., p. 112.

[115] V.V. Kojinov. Id., p. 113.

[116] V.V. Kojinov. Id., p. 116.

[117] V.V. Kojinov. Id., p. 115.

[118] L.G.Andréev. Antoine-François Prévost. In: Histoire de la littérature française. Moscou, Vyschaïa chkola, 1987, p. 221-222.

[119] D.D.Oblomievski. Le roman des années 10-30. In: Histoire de la littérature mondiale. Tome 5. Moscou, Naouka, 1988, p. 100.

[120] V.R.Grib. Ouvrages choisis. Moscou, Goslit, 1956, p. 280.

[121] V.R.Grib. Id., p. 282.

[122] V.V.Kojinov. Id., p. 120.

[123] Vladimir Lénine. Léon Tolstoï, miroir de la révolution russe. In: V.I.Lénine. Ecrits sur l’art et la littérature. Moscou, Progress.,1969, p.25-30.

[124] A.A.Akimova. Diderot. Moscou, Mol. gvardia, 1963, p. 297.

[125] Julia Kristeva. Une poétique ruinée. In: Mikhaïl Bakhtine. La poétique de Dostoïevski. Paris, Seuil, 1970, p. 18.

[126] N.V.Kachina. Esthétique de F.M.Dostoïevski, 2ème éd., Moscou, Vyschaïa chkola, 1989, p. 41.

[127] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 92.

[128] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 44.

[129] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 45.

[130] N.P.Kozlova. Molière. In: Histoire de la littérature française. Moscou, Vyschaïa chkola, 1987, p.187.

[131] N.V.Kachina. Id., p.41.

[132] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 86.

[133] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 58.

[134] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 99.

[135] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 101.

[136] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 308.

[137] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 82.

[138] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 102-103.

[139] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 248.

[140] Mikhaïl Bakhtine. Id., p. 48.

[141] G.M.Fridlender. Dostoïevski. In: Histoire de la littérature mondiale. Tome 7.  Moscou, Naouka, 1991, p. 122.

[142] S.You.Zavadovskaya. Littérature française: Le XXème siècle. Moscou, Vyschaïa chkola, 1993, p. 125.

[143] N.F.Rjevskaïa. A.Gide. In: Histoire de la littérature mondiale. Tome 8. Moscou, Naouka, 1994, p. 230.

[144] André Gide. L’Immoraliste. Paris, Mercure de France, 1902, p. 9.

[145] N.F.Rjevskaïa. Id., p. 230.

[146] N.F.Rjevskaïa. Id., p. 230.

[147] L.Tokarev. Préface. In : Les Caves du Vatican, Les Faux-monnayeurs. Moscou, Mos. rabotchi, 1990, p. 10.

[148] V.A.Nikitine. Préface. In : Les Faux-monnayeurs, La Porte étroite. Moscou, Progress, 1991, p. 14.

[149] Léon Guichard. Introduction à la lecture de Proust. Paris, Librairie Nizet, 1969, p. 50.

[150] L.G. Andréev. Marcel Proust. Moscou, Vyschaïa chkola, 1968, p. 57.

[151] Jean-Yves Tadié. Proust et le roman. Paris, Gallimard, 1971, p. 366.

[152] Jean-Yves Tadié. Id., p. 33.

[153] Léon Guichard. Id., p. 46.

[154] Michel Raymond. Le Roman depuis la Révolution. Tome I. New York - St. Louis - San Francisco, Mc Graw - Hill -  Armand Colin, 1967, p. 158.

[155] Michel Raymond. Id., p. 149.

[156] Jean-Pierre Richard. Proust et le monde sensible. Paris, Seuil, 1974, p. 11.

[157] Jean-Yves Tadié. Id., pp. 34, 58.

[158] Jean-Yves Tadié. Id., p. 55.

[159] Jean-Yves Tadié. Id., p. 50-51.

[160] Jean-Yves Tadié. Id., pp. 58, 212.

[161] L.G. Andréev. Id., p. 71.

[162] Susan Rubin Suleiman. Le Roman à thèse ou l’Autorité fictive. Paris, PUF, 1983, p. 59.

[163] Susan Rubin Suleiman. Id., p. 60.

[164] Michel Raymond. Id., p. 153.

[165] Michel Raymond. Id., pp. 156, 162.

[166] L.G. Andréev. Id., p. 55.

[167] L.G. Andréev. Id., p. 58.

[168] L.G. Andréev. Id., p. 95.

[169] E.M. Mélétinski. La poétique du mythe. Moscou, Naouka, 1976, p. 280.

[170] M.I. Stebline-Kamenski. Le mythe.  Léningrad, Naouka, 1976, p. 8.

[171] M.I. Stebline-Kamenski. Id., p. 30.

[172] E.M. Mélétinski. Id., p. 290.

[173] Mircea Eliade. Aspect du mythe. Paris, Gallimard, 1988, p. 11.

[174] You.N. Davydov. L’évasion de la liberté. Moscou, Khoud. lit., 1978, p. 14.

[175] E.M. Mélétinski. Id., p. 280.

[176] N.N. Vilmont. Grands compagnons. Moscou, Sov. pisatel, 1966, p. 568.

[177] B.L. Soutchkov. Les faces du temps. Tome I. Moscou, Khoud. lit., 1976, p. 382.

[178] A.V. Goulyga. L’art à l’époque de la science. Moscou, Naouka, 1978, p. 69.

[179] I.F. Smolnikov. Légendes contemporaines: Sur la littérature des petits peuples du Nord et de l’Extrême Orient. Moscou, Sovremennik, 1975, p. 72.

[180] E.M. Mélétinski. Id., p. 296.

[181] E.M. Mélétinski. Id., p. 296.

[182] A.I. Dorochévitch. Mythe dans la littérature du XXème siècle. In: Voprosy litératoury, Moscou, 1970, 2, p. 122.

[183] Michel Raymond. Le Roman depuis la Révolution. Tome I. New-York - St. Louis - San Francisco, Mc Graw - Hill - Armand Colin, 1967, p. 207.

[184] Marthe Robert. Seul, comme Franz Kafka. Paris, Calmann-Lévy, 1979, p. 216.

[185] V.D. Dnéprov. Kafka, créateur de mythes modernes? In: Les critiques de notre temps et Kafka. Paris, Garnier, 1973, p.40.

[186] Raymond Trousson. Thèmes et mythes: questions de méthode. Paris, Grasset, 1976, p. 17.

[187] A.I. Dorochévitch. Mythe dans la littérature du XXème siècle. In: Voprosy litératoury, Moscou, 1970, 2, p. 123.

[188] A.I. Dorochévitch. Id., p. 140.

[189] Michel Denten. Le fantastique et l’humour chez Kafka. In: Les critiques de notre temps et Kafka. Paris, Garnier, 1973, p.155.

[190] D.V. Zatonski. Franz Kafka et les problèmes du Modernisme. Moscou, Vyschaïa chkola, 1972, p. 97.

[191] V.D. Dnéprov. Id., p. 41.

[192] V.D. Dnéprov. Id., p. 41.

[193] Jean Starobinski. Le rêve architecte. In: Les critiques de notre temps et Kafka. Paris, Garnier, 1973, p. 139.

[194] Michel Raymond. Id. p. 207.

[195] Rosemarie Ferenczi. Kafka: Subjectivité, Histoire et Structures. Paris, Klincksieck, 1975, p. 99.

[196] Michel Denten. Id., p. 155.

[197] Maurice Blanchot. La lecture de Kafka. In: Les critiques de notre temps et Kafka. Paris, Garnier, 1973, p. 53.

[198] Rosemarie Ferenczi. Id., p. 134.

[199] Jean Paris. Joyce. Paris, Seuil, 1994, p. 131.

[200] Jean Paris. Id., p. 130.

[201] Floris Delattre. Le Roman psychologique de Virginia Woolf. Paris, J. Vrin, 1967, p. 159.

[202] Michel Raymond. Le Roman depuis la Révolution. Tome I. New York - St. Louis - San Francisco, Mc Graw - Hill - Armand Colin, 1967,  p. 164.

[203] Floris Delattre. Id., p. 121.

[204] Michel Raymond. Id., p. 164.

[205] Michel Raymond. Id., p. 165.

[206] T.L. Motyliova. Le roman étranger aujourd’hui. Moscou, Sov. pisatel, 1966, p. 32.

[207] I.M. Fradkine. Sur le genre et les structures particulières du roman intellectuel allemand. In: La forme artistique dans les littératures des pays socialistes. Moscou, Naouka, 1969, p. 239.

[208] I.M. Fradkine. Id., p. 239.

[209] Floris Delattre. Id., p. 162.

[210] V.V.Ivacheva. Littérature de la Grande Bretagne du XXème siècle. Moscou, Vyschaïa chkola, 1984, p. 36-37.

[211] V.V.Ivacheva. Id., p. 45.

[212] I.V.Chablovskaïa. Histoire de la littérature étrangère du XXème siècle (1ère moitié). Minsk, Econompress, 1998, p.157.

[213] Claude Jaquet. Les plans de Joyce pour Ulysse. In: Ulysses: cinquante ans après. Paris, Didier, 1974, p. 59.

[214] I. Chamir. L’odysée de Ulysse russe. In: Inostrannaïa litératoura, Moscou, 1990, 1, p. 180.

[215] D.G. Jantiéva. James Joyce. Moscou, Vyschaïa chkola, 1967, p. 55.

[216] Jean-Louis Giovannangeli. Détours et Retours: Joyce et Ulysses. PU de Lille, 1990, pp. 238, 108.

[217] Claude Jaquet. Id., p. 60.

[218] Floris Delattre. Id., p. 160.

[219] Floris Delattre. Id., p. 120.

[220] E.Guéniéva. Vérité de fait et vérité de vision. In: Virginia Woolf. Oeuvres choisies. Moscou, Khoud. lit., 1989, p. 12.

[221] V.V.Ivacheva. Id., p. 63.

[222] V.N.Bogoslovski. W.Faulkner. In: Histoire de la littérature étrangère du XXème siècle. Moscou, Prosvéchtchénié, 1984, p.217.

[223] Ya.N.Zassourski. Littérature américaine du XXème siècle. Moscou, Ed. de l’Université de Moscou, 1984, p. 245.

[224] N.N. Vilmont. Grands compagnons. Moscou, Sov. pisatel, 1966, p. 570.

[225] Louis Leibrich. Thomas Mann: une recherche spirituelle. Paris, Aubier Montaigne, 1974, p. 189.

[226] I.M. Fradkine. Sur le genre et les structures particulières du roman intellectuel allemand. In: La forme artistique dans les littératures des pays socialistes. Moscou, Naouka, 1969, p. 249.

[227] A.V. Goulyga. L’art à l’époque de la science. Moscou, Naouka, 1978, p. 68.

[228] V.N.Kouteïchtchikova, L.S.Ospovat. Le nouveau roman latino-américain. Moscou, Sov. pisatel, 1976, p. 26-27.

[229] V.N.Kouteïchtchikova, L.S.Ospovat. Id., p. 45.

[230] V.N.Kouteïchtchikova, L.S.Ospovat. Id., p. 48.

[231] V.N.Kouteïchtchikova, L.S.Ospovat. Id., p. 50.

[232] V.N.Kouteïchtchikova, L.S.Ospovat. Id., p. 51.

[233] V.N.Kouteïchtchikova, L.S.Ospovat. Id., p. 53.

[234] V.N.Kouteïchtchikova, L.S.Ospovat. Id., p. 55.

[235] V.N.Kouteïchtchikova, L.S.Ospovat. Id., p. 105.

[236] V.N.Kouteïchtchikova, L.S.Ospovat. Id., p. 105.

[237] Alejo Carpentier. Oeuvres choisies. Tome 1. Moscou, Khoud. lit., 1974, p. 23.

[238] Alejo Carpentier. Id., p. 28-29.

[239] Jacqueline Arnaud. Recherches sur la littérature maghrébine de langue française. Le cas de Kateb Yacine. Paris, Harmattan, 1982, pp. 726, 668.

[240] Jacqueline Arnaud. Id., pp. 728, 730.

[241] Marc Gontard. Nedjma de Kateb Yacine. Essai sur la structure formelle du roman. Paris, Harmattan, 1985, p. 35.

[242] Kristine Aurbakken. L’Etoile d’araignée: une lecture de Nedjma de Kateb Yacine. Paris, Publisud, 1986, p. 175.

[243] Naget Khadda. Dialectique de l’avènement de la modernité dans le texte katébien. In: Kateb Yacine et la modernité textuelle. Bouzaréah, Université d’Alger, 1989, p. 98.

[244] Beïda Chikhi. De Kateb à Meddeb. Une esthétique de la fragmentation. In: Kateb Yacine et la modernité textuelle. Bouzaréah, Université d’Alger, 1989, pp. 16, 23.

[245] Charles Bonn. Kateb Yacine. Nedjma. Paris, PUF, 1990, pp. 7, 11.

[246] Naget Khadda. Le kaléidoscope du vagabond. In: Europe, Paris, avril 1998, 828, p. 7.

[247] Mansour M’Henni. Doctorat de 3ème Cycle. La quête du récit dans l’oeuvre de Kateb Yacine. Paris 13, Jacqueline Arnaud, 1986, p. 68.

[248] Charles Bonn. Id.,  p. 45.

[249] Charles Bonn. Id.,  pp. 8, 13.

[250] Galina Djougachvili. Le roman algérien de langue française. Moscou, Naouka, 1976, p. 80.

[251] Mansour M’Henni. Id., p. 100-101.

[252] Mansour M’Henni. Nedjma et le cercle: Itinéraire d’une poétique. In: Kateb Yacine et la modernité textuelle. Bouzaréah, Université d’Alger, 1989, p. 81.

[253] Jacqueline Arnaud. Id., p. 731-732.

[254] Naget Khadda. Historicité, ancestralité, féminité. In: Europe, Paris, avril 1998, 828, p. 79;  Charles Bonn. Id., p. 49.

[255] Jacqueline Arnaud. Id., p. 721.

[256] Charles Bonn. Id., p. 50.

[257] Charles Bonn. Id., p. 82.

[258] Beïda Chikhi. Id., p. 16.

[259] Marc Gontard. Id., p. 53.

[260] Charles Bonn. Id., p. 23.

[261] Marc Gontard. Id., p. 44.

[262] Charles Bonn. Id., p. 27.

[263] Marc Gontard. Id., p. 56.

[264] Charles Bonn. Id., p. 55.

[265] Jean Déjeux. Littérature maghrébine de langue française. Sherbrooke, Naaman, 1980, p. 152.

[266] Charles Bonn. Lecture présente de Mohammed Dib. Alger, ENAL, 1988, p. 53.

[267] Hassan El Nouty. Roman et révolution dans Qui se souvient de la mer de Mohammed Dib. In: Présence francophone, Paris, printemps 1971, 2, p. 146.

[268] Jacqueline Arnaud. Id., p. 204.

[269] Jacqueline Arnaud. Id., p. 208.

[270] Jean Déjeux. Id., p. 152.

[271] Charles Bonn. Id., p. 9.

[272] Hassan El Nouty. Id., p. 145.

[273] Hassan El Nouty. Id., p. 148.

[274] Charles Bonn. Id., p. 103.

[275] Charles Bonn. Id., p. 96-97.

[276] André Wurmser. Epeler l’envers. In: Lettres françaises, Paris, 23-29 septembre 1970, 1352, p. 8.

[277] Ghani Mérad. La littérature algérienne d’expression française. Paris, Oswald, 1976, p. 85.

[278] Charles Bonn. Id., p. 192, 191.

[279] Charles Bonn. Id., p. 204.

[280] Charles Bonn. Id., p. 207.

[281] Charles Bonn. Id., pp. 201, 202, 203.

[282] Svetlana Projoguina. Pour les Rivages de la Patrie lointaine... Moscou, Naouka, 1992, p. 131.

[283] Charles Bonn. Id., p. 195.

[284] Charles Bonn. Id., p. 198.

[285] Charles Bonn. Id., pp. 211, 212.

[286] Charles Bonn. Id., p. 214.

[287] Mohammed Khaïr-Eddine. Une folie sans nom. In: Les Nouvelles littéraires. Paris, 23-30 juin 1977, 2590, p. 8.

[288] Mohammed Khaïr-Eddine. Id., p. 8.

[289] Mohammed Khaïr-Eddine. Id., p. 8.

[290] Mohammed Khaïr-Eddine. Id., p. 8.

[291] Claude Prévost. Dans le labyrinthe. In: France nouvelle, Paris, 2.02.1976, 1577, p. 28.

[292] Hafid Gafaïti. Boudjedra ou la passion de la modernité. Paris, Denoël, 1987, p. 132.

[293] Hafid Gafaïti. Id., p. 83.

[294] Hafid Gafaïti. Id., p. 84.

[295] Monique Martineau. Rachid Boudjedra: La Répudiation est une critique de la société algérienne, mais de l’intérieur... In: L’Afrique littéraire et artistique, Paris, 1969, 8, p. 16.

[296] S.You. Zavadovskaïa. Sur le monologue intérieur. In: Problèmes stylistiques de la littérature française. Léningrad, Naouka, 1974, p. 26-27.

[297] Monique Martineau. Id., p. 15.

[298] Hafid Gafaïti. Id., p. 49.

[299] Gabriel Garcia Marquez. Interview. In: Ecrivains de l’Amérique Latine sur la littérature. Moscou, Radouga, 1982, p. 279-280.

[300] Monique Martineau. Id., p. 16.

[301] Hafid Gafaïti. Id., p. 77.

[302] Hafid Gafaïti. Id., p. 76.

[303] Monique Martineau. Id., p. 16.

[304] Hafid Gafaïti. Id., p. 123.

[305] Hafid Gafaïti. Id., p. 19.

[306] Matthieu Galey. Rachid Boudjedra: le Minotaure du métro. In: L’Express, Paris, 15-21 sept.1975, 1262, p. 21.

[307] Matthieu Galey. Id., p. 20.

[308] Hafid Gafaïti. Id., p. 86.

[309] Claude Prévost. Id., p. 28.

[310] Claude Prévost. Id., p. 27.

[311] Hafid Gafaïti. Id., p. 10.

[312] Claude Mauriac. Un montagnard dans le métro: Boudjedra. In: Le Figaro, P,aris 20-21 sept.1975, p. 15.

[313] Charles Bonn. Nabile Farès: La Migration et la Marge. Casablanca, Afrique Orient, 1986, p. 7.

[314] Paul Leclerq. Le Passager de l’Occident. In: Le Drapeau rouge, Bruxelles, 1er oct. 1971,  40, p. 20.

[315] M. Haciane. Un Passager de l’Occident. In: Jeune Afrique, Alger, 19 oct. 1971, 563, p. 44.

[316] S.V. Projoguina. Maghreb: Ecrivains francophones des années 60-70. Moscou, Naouka, 1980, p. 133.

[317] Yves Benot. Nabile Farès: Le Champ des oliviers. In: La Pensée, Paris, avril 1973, 168, p. 142.

[318] Yves Benot. Trois romans des nations naissantes. In: La Pensée, Paris, janvier-février 1975, 179, p. 147.

[319] S.V. Projoguina. Id., p. 140.

[320] Paul Morelle. Amertumes algériennes. In: Le Monde, Paris, 10 oct. 1980, p. 17.

[321] Yves Benot. Id., p. 148.

[322] Yves Benot. Nabile Farès. Le Champ des oliviers. In: La Pensée, Paris, avril 1973, 168, p. 143.

[323] Jacques Cellard. Rachid Mimouni ou les illusions perdues.In: Le Monde, Paris, 17 septembre 1982, p. 13.

[324] Jacques Cellard. Id., p. 13.

[325] Naget Belkaïd-Khadda. Dialectique de l’avènement de la modernité dans le texte katébien. In: Kateb Yacine et la modernité textuelle, Bouzaréah, Université d’Alger, 1989, p. 97.

[326] Charles Bonn. Anthologie de la littérature algérienne (1950-1987). Paris, Librairie Générale Française, 1990, p. 159.

[327] Jacqueline Arnaud. Id., p. 667-669.

[328] Marc Gontard. Id., p. 108.

[329] Gabriel Garcia Marquez, Mario Vargas Lliosa. Le dialogue sur le roman en Amérique Latine. In: Les écrivains de l’Amérique Latine sur la littérature. Moscou, Radouga, 1982, pp. 128, 266.

[330] Gabriel Garcia Marquez. Id., p. 279-280.

[331] V.S. Stolbov. Quelques mots sur le roman Cent ans de solitude et son auteur. In: Inostrannaä litératoura, Moscou, 1970, n 8, p. 104.

[332] V.N.Kouteïchtchikova, L.S.Ospovat. Le nouveau roman latino-américain. Moscou, Sov. pisatel, 1976, p. 32.

[333] V.B. Zemskov. Gabriel Garcia Marquez. Moscou, Khoud. lit. 1986, p. 110.

[334] V.B. Zemskov. Id., p. 122.

[335] V.S. Stolbov. Id., p. 104.

[336] V.N. Kouteïchtchikova. Id., p. 362.

[337] V.B. Zemskov. Id., p. 23.

[338] V.N. Kouteïchtchikova, Id., p. 6.

[339] V.B. Zemskov. Id., p. 118.

[340] V.B. Zemskov. Id., p. 119.

[341] V.N. Kouteïchtchikova. Le continent où se rencontrent toutes les époques. In: Voprosy litératoury, Moscou, 1972, n 4, p. 79.

[342] V.N. Kouteïchtchikova. Id., p. 79.

[343] Gabriel Garcia Marquez. Id., p. 274.

[344] V.B. Zemskov. Id., p. 114-116.

[345] V.B. Zemskov. Id., p. 115.

[346] V.B. Zemskov. Id., p. 115.

[347] V.B. Zemskov. Id., p. 136.

[348] V.B. Zemskov. Id., p. 134-135.

[349] V.B. Zemskov. Id., p. 222.

[350] G.D.Gatchev. Posteface. In : Tchinguiz Aïtmatov. Une Journée plus longue qu’un siècle ; Les Rêves de la louve. Moscou, Profizdat, 1989, p. 603.

[351] Alejo Carpentier. Nous avons cherché et nous nous sommes trouvés. Moscou, Progrès, 1984, p. 34.

[352] Charles Bonn. Kateb le fondateur, ou le désordre fertile. In: Europe, Paris, avril 1998, 828, p. 110.

[353] Anne Roche. Kateb, à lire entre les lignes. In: Colloque international Kateb Yacine (Université d’Alger, 28-30 octobre 1990). Alger, OPU, 1992, p. 195.

[354] Charles Bonn. Kateb le fondateur, ou le désordre fertile. In: Europe, Paris, avril 1998,  828, p. 115.

[355] Hafid Gafaïti. Boudjedra ou la passion de la modernité. Paris, Denoël, 1987, pp. 83, 123.

[356] Naget Belkaïd-Khadda. Dialectique de l’avènement de la modernité dans le texte katébien. In: Kateb Yacine et la modernité textuelle. Bouzaréah, Université d’Alger, 1989, p. 96.