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Une photo pour mémoire (2/5) La romancière Nina Bouraoui et elle-même, vingt ans avant.
Double exemplaire
Par Luc LE VAILLANT

mercredi 14 août 2002

 
 


Nina Bouraoui
en 8 dates.

31 juillet 1967
Naissance à Rennes.

Septembre 1967
Arrivée à Alger.

Eté 1981
Départ d'Alger.

1982-1985
Lycée français à Zurich.

Eté 1983
Photo à Saint-Malo.

1991
«La Voyeuse interdite» (Gallimard) prix du Livre Inter.

2000
«Garçon manqué» (Stock).

2002
«La Vie heureuse» (Stock).

 

 

 

e la pareille à la même. Presque vingt ans. Aucun bougé. Sur la photo, Nina Bouraoui a 17 ans, c'est l'été à Saint-Malo. Maintenant, 35 ans déjà, chez elle, à Paris. Elle n'est pas mécontente de cet inchangé, de cet impassé. Elle voulait déjà écrire, elle publie son septième livre, ne fait que ça, avec intensité, avec brio. Elle sort à peine d'une double dualité qu'elle résumait ainsi : «J'ai quatre problèmes. Française ? Algérienne ? Fille ? Garçon ?» La même et les autres, la sans-pareille et ses semblables. Elle dit : «On ne vieillit pas, on n'a pas de cheveux blancs. C'est de famille.» D'autres pourraient croire que c'est le destin de ceux qui sont nés un 31 juillet, date solaire, vacance centrale, trou noir de l'été.

La photo. C'est le soir, après le barbecue, avant de faire le mur pour aller en boîte avec les cousins. Il y a des mimosas pour se protéger du voisinage. C'est la Bretagne des grands-parents maternels, chirurgiens-dentistes catholiques, qui ont vu leur fille épouser un Algérien très premier de la classe, au coeur de la guerre d'indépendance. C'est comme tous les ans, sauf que Yasmina devient de plus en plus Nina, prénom plus passe-partout, moins connoté. Qu'elle s'acharne à oublier le pays de son père, devenu trop violent, trop étouffant et qu'elle a quitté, s'en voulant et écrivant : «Je m'adapte à tout. Très vite. C'est comme une folie cette faculté d'adaptation. C'est plusieurs vies à la fois. C'est une multitude de petites trahisons.» C'est comme tous les ans, la plage, l'eau froide, l'iode qui avive les vitalités adolescentes, mais c'est aussi l'été où une de ses jeunes tantes va mourir d'un cancer, l'été d'après sa première passion amoureuse pour une fille. Elle le raconte dans son dernier roman mais ne veut pas qu'on prenne tout pour argent comptant. Elle reste dans le classique distinguo fiction/réel, elle se refuse aux sèches cruautés à la Hervé Guibert, à la folie du tout-dire - et surtout le pire - de Christine Angot. Nina Bouraoui explique : «Je n'ai pas envie de m'exposer. Je préfère rester dans l'ambiguïté, dans l'ambivalence.» Elle dit : «Je ne veux pas être enfermée dans une définition médicale. J'aime qu'il y ait du fantasme sur moi. Je suis une amoureuse, je crois aux rencontres.» Elle revient à ses 17 ans : «Je ne savais pas où me positionner. C'est toujours vrai. Tout ne se classifie pas. Je n'ai pas beaucoup changé.» Elle afficherait bien comme devise : «J'ai plein de secrets dans ma tête et vous ne les saurez jamais.» Tout en ne cessant de les raconter...

La photo. Elle y a pensé tout de suite. A refait faire un tirage, le négatif était corné. Pas d'album de famille, classement dans des enveloppes. 17 ans, elle s'aime bien ainsi, à ce moment-là, saisie par un ami : «Ce côté espiègle et "tout est possible". Ce moment où on est grave et léger. Pour la première fois, je me sentais belle et féminine.» Elle s'était longtemps crue garçon. Un revolver, un sifflet, des pantalons tel ces jeans 501 que lui rapportait son père, docteur en économie, banquier central, délégué de l'Algérie FLN dans les instances mondiales. Marcher les pieds écartés, les mains dans les poches, plonger des rochers, se prendre pour Steve McQueen. Et puis, le corps qui se transforme. Et, elle qui se retrouve «joyeuse et étonnée du regard des hommes». Il y a les filles aussi, l'amie-miroir comme un marqueur du temps qui passe. Celle qu'on éloigne quand vient l'amie-amante, celle qui dévaste, qui a un «côté diva, vamp», une robe rouge, une séduction multicarte, l'envie de faire mal, l'inverse de soi. Avec un appareil jetable, Nina B. a pris des photos de celle qui s'appelait peut-être D. Elle les a déchirées, «de rage». Dans le réel, elle s'admet «possessive, exclusive, jalouse». Dans la fiction, elle raconte ainsi cet amour d'alors qui avait affolé sa mère : «Diane ne remplace pas ma mère. Ce n'est pas ça l'histoire des filles. C'est autre chose. Ce n'est pas le souvenir de l'enfance, l'odeur de la peau et du lait, la petite voix qui endort, les mains qui soignent. Ce n'est pas cela aimer une fille. Ça ne remplace rien. Ce n'est pas nostalgique. Ce n'est pas détester les hommes non plus. C'est plus dangereux, une fille.» Les photos. Elle est souvent dessus, souvent déçue. Même si elle est l'une de ces écrivains-filles qui tirent l'oeil du lecteur par leur prestance. Elle ne dit pas non à ce genre de mise en scène, OK pour être vue, trop envie d'être lue. «Nina fait toujours ce qu'on lui demande», la taquine un proche, quand elle s'inventerait plutôt rebelle comme sa mère, militante années 60, en rupture familiale. Sur papier glacé, elle ne se reconnaît pas. Toujours cette séparation en elle, cette scission dont elle a fait une ligne mélodique dans son écriture, binaire, double. Ce qui passe à l'extérieur jurerait forcément avec ce qu'elle ressent à l'intérieur.

Ses photos. Elle en prend peu. Elle aimait bien les Polaroïd, leur côté instantané. Elle en regarde peu, ne s'en sert pas pour son travail, a des souvenirs hypertrophiés, encombrants, «une mémoire photographique et qui cultive le traumatisme».

Depuis la photo des 17 ans, quoi? Elle a vécu à Zurich, à Abou Dhabi, à Paris. Ne retourne pas en Algérie. Son père, à la retraite, continue à faire la navette. Sa mère est iconographe dans l'édition, à Paris. Yasmina-Nina garde la double nationalité. Elle dit : «Je suis occidentale avec des traversées orientales. Je me sens très française, mais je n'ai pas le droit de trahir mon père.» Elle comprend et partage «son désarroi, sa stupeur et aussi son silence» devant les événements qui écorchent le pays qu'il a voulu reconstruire. En France, elle reste en marge de la politique. Elle est anti-Le Pen, bien sûr. Elle vote mais se dit «ni de droite ni de gauche». Question de génération, question d'attitude («je suis trop insérée dans ma bulle, je n'ai pas de pensée de la cité»), question d'origines («je n'arrive pas à me dire que je fais partie de la société française»). Reste qu'elle veut préserver «les libertés d'un pays libre» où elle se sent bien.

Sinon, depuis ses 17 ans, elle est beaucoup sortie, aux Bains Douches, au Boy, sur l'île Saint-Louis. Elle a renoncé à faire carrière au tennis, à en remontrer aux soeurs Williams, ses préférées. Elle s'est allongée sur un divan, évidemment. Elle a conquis un public, atteint des tirages réguliers de 20 000, 30 000 exemplaires. Mais elle aimerait avoir de l'argent, «pour ne plus y penser, ne plus s'angoisser», même si elle n'est pas dans la dépense compulsive, même si ses parents lui ont transmis «un rapport sain avec ça».

Sur la photo, elle porte un polo en coton gris, un coupe-vent bleu, un short en jean. Là, elle est en pantalon et chemisier noir. Elégante, sobre. La même ? «Je suis restée très ado. Je n'ai pas d'enfant, je ne suis responsable que de moi-même. Il est peut-être temps de devenir une femme.» Visage algérien, voix très française. Autour du cou, un brillant, seul indice très voyant. Marqué «baby».

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