Résumés

QU’EST-CE QU’UN AUTEUR MAGHRÉBIN ?


Marc Gontard (Université de Rennes 2) – Auteur maghrébin : La définition introuvable

La définition de l'écrivain maghrébin n'est pas simple car le passé colonial du Maghreb et l'émigration maghrébine vers l'Occident ont contribué à brouiller les frontières d'un champ littéraire désormais très diversifié. Après avoir évoqué les principaux problèmes que pose une telle détermination, cet article propose quelques critères qui, à partir du problème de la nationalité (et de la double nationalité) pour aller vers les pratiques linguistiques (monolingues ou bilingues: arabe, berbère, français) permettent d'éclairer la question dans toute sa complexité.

Mots-clés : littérature, Maghreb, colonisation, immigration, arabe, français.


Christiane Chaulet-Achour (Université de Cergy-Pontoise) – Les masques de la périphérie : Eléments pour un débat

Cet article se propose de remettre en cause l'appellation d'"auteur maghrébin" utilisée quelle que soit l'origine nationale de l'écrivain. Si l'expression de "littérature maghrébine" peut trouver une certaine justification pour laquelle quelques arguments sont avancés, celle de maghrébin qualifiant un auteur est un "masque" pour ne pas avoir à nommer, comme on le fait pour les écrivains des autres pays non périphériques (d'un "centre" implicite...), un espace littéraire autonome. S'appuyant sur une mini-enquête auprès de cinq écrivains algériens et sur des écrits critiques ou de fictions, cette contribution voudrait attirer l'attention sur l'importance de l'acte de création pour dégager le discours critique sur les littératures francophones -et précisément ici  sur la littérature algérienne-, d'un enlisement dans la question identitaire qui est, en dernière analyse, la question de toute littérature.

Mots-clés : Algérie, littérature nationale, centre, périphérie, masque, création.

Guy Dugas (Université Paul Valéry-Montpellier III – CIEF Paris IV) – Et si la littérature maghrébine n’existait pas ?

Désireux de démontrer que le concept de "littérature maghrébine" est problématique à de multiples niveaux : parce qu'il renvoie au concept de littérature nationale, lui-même insuffisamment établi, parce que réduit à un singulier il obère les variétés ethniques de la société maghrébine, parce que, dans le temps le Maghrébin – l'Algérien surtout – a recouvert des idéntités différentes, parfois même sous pseudonymes, etc... – cet article part d'une anecdote significative pour nous conduire à une déconstruction/reconstruction de cette notion, en diachronie (de la littérature coloniale à la littérature "beur") comme en synchronie (expressions minorées, littérature judéo-maghrébine, cas d'Albert Camus ou Jean Pierre Millecam) à la seule littérature maghrébine vraiment reconnue - celle des arabo-berbères.

Mots clés : Maghreb, colonie, minorités, critique, histoire littéraire, réception.


Valérie Lotodé (Université Paris IV) – La Réception virtuelle comme révélateur de la maghrébinité d’un auteur

Rachid Boudjedra met en place différentes stratégies textuelles afin que certains de ses romans, bien qu’écrits en français, postulent un « lecteur implicite » (Wolfgang Iser) de culture maghrébine. L’insertion de la langue arabe par exemple exige du narrataire extradiégétique certaines compétences linguistiques, tandis que les références et modèles littéraires sous-jacents l’invitent subtilement à se replonger aux sources de la littérature arabo-musulmane et à relire les œuvres fondatrices de la littérature maghrébine de langue française. Ce dialogue intertextuel sollicite la part de maghrébinité du lecteur et confère par conséquent à Rachid Boudjedra un véritable statut d’auteur maghrébin de langue française. C’est donc moins l’appartenance nationale et culturelle de l’écrivain que la réception virtuelle de son œuvre qui permet de définir sa maghrébinité.

Mots clés : réception, lecteur, Boudjedra, maghrébinité, auteur francophone.


Richard Watts (Tulane University) – « Qu’est-ce qu’un auteur indigène ? » : De la littérature coloniale à la littérature maghrébine

Entre la littérature coloniale de l'Afrique du nord et la littérature maghrébine contemporaine, on assiste entre les années 1920 et les années 1940 à l’émergence de ce que l’on appelle à l’époque la littérature indigène. Cette littérature a bénéficié du soutien d’écrivains coloniaux tels que Robert Randau, Louis Bertrand et Georges Hardy qui, dans des anthologies, des préfaces, et des ouvrages critiques, l’ont présentée comme le signe le l’hybridation réussie entre la culture coloniale et la culture indigène. Mais ces textes de parrainage montrent aussi la nature complètement fantasmatique de ce métissage qui ferait du colon un indigène et de l’indigène un colon. Ce souci de récupération provient du fait, reconnu par la critique coloniale, que l’écrivain indigène créera toujours la représentation de la colonie « la plus proche de la terre », l’authenticité terrienne étant la condition sine qua non de la littérature coloniale. A travers ces  textes de soutien dans lesquels le « double bind » de la littérature coloniale est toujours visible, les écrivains coloniaux anticipent, malgré eux, la fin de la littérature coloniale et la naissance de la littérature maghrébine.

Mots clés : littérature coloniale ; littérature indigène ; exotisme ; métissage ; hybridation ; paratexte.


Christa Stevens (Université d’Utrecht) – Hélène Cixous, auteur en « algériance »

Depuis quelques années, la critique post-coloniale aussi bien que maghrébine s’intéresse à l’oeuvre d’Hélène Cixous, incitée par des publications récentes (par exemple, Les Rêveries de la femme sauvage, 2000), où l’auteur explore ses racines judéo-algériennes. Dès les premiers textes, des signes d’une certaine algérianité traversent l’oeuvre cixousienne, mais ils ne sauraient suffire pour faire d’Hélène Cixous un auteur algérien ou encore maghrébin. Ceci devient clair quand on pose la problématique de l’auteur franco-maghrébin, telle que Derrida l’a analysée dans son Monolinguisme de l’autre (1996), c’est-à-dire en abordant la question de l’appartenance maghrébine d’Hélène Cixous dans son rapport avec la naissance, la nationalité, la citoyenneté et la langue. Car il se peut très bien que cette appartenance s’affirme le plus résolument dans son impossibilité même. Ainsi l’auteur, « juifemme » qui s’avoue « inséparabe », le donne à entendre.

Mots clés : Cixous, Derrida, Algérie, autobiographie, Judaïsme, réception


Kebir
M. Ammi – Ecrivain maghrébin, dites-vous ?

Un écrivain maghrébin, c’est un écrivain pour qui les mots, quoi qu’on dise, n’ont pas de nationalité ni d’origine et sont donc des êtres libres, des nomades d’un type non identifiable, rétifs à tout embrigadement, heureux de leur vie d’errances, libres d’aller où bon leur semble sans devoir rendre quel que compte que ce soit, changer de camp comme ils veulent quand ils veulent. C’est un écrivain qui n’a que faire des étiquettes, qui les refuse toutes, qu’elles soient maghrébines ou autre. C’est un être de chair et de sang, de solitude, de larmes, de rire, de bonheur aussi qui veut partager avec les autres un peu de ce qui le constitue. C’est d’abord et avant tout un écrivain. Un écrivain pour qui la seule équation acceptable serait celle-là : écrivain maghrébin = écrivain tout court.

Mots clés : écriture, langage, ouverture, dialogue, incertitude, Maghreb


VARIA

Farid Laroussi (Yale University) – Le principe d’incertitude chez Kateb Yacine

Les sinuosités narratives katébiennes condamnent le sujet à demeurer enfermé dans l’incertitude d’une histoire qui, bien que riche de faits, demeure vide de sens. L’auteur s’essaie à faire jaillir les lois générales de l’ajustement à la vie et de l’action toujours nécessaires dans un système prêt à détruire le sujet. La mémoire sera pour Kateb d’autant plus pertinente qu’elle ne sera pas une copie. Elle doit être détachée de tout discours du réel et surtout des structures de l’imaginaire consacré, tels que la prétention poétique orientaliste, ou le réalisme tiers-mondiste.  Le principe d’incertitude apparaît dans l’œuvre de Kateb comme un point de départ, il n’est pas une conséquence. Son ambition est d’élargir sans cesse la sphère du doute, et partant de créer une certaine idée de délivrance du confort des idées reçues.

Mots clés : Kateb Yacine, Algérie, littérature, incertitude, révolution, langue


Yolande
Helm (Ohio University) – Malika Mokeddem: Le grain de l’image

L'oeuvre de Malika Mokeddem s'inscrit dans un univers de signes picturaux. Les tableaux, les fresques et les tatouages forment un système signifiant qui soutient la trame narrative. Le discours pictural apporte un élément magistral à l'intelligence des textes mokéddemiens. La femme est ainsi représentée dans une iconographie de la transgression et de la transcendance.

Mots clés : Algérie, femme, arts, corps, sémiotique, transgression.


Hélène Bacquet (
École Normale Supérieure de Lyon) – Composition, énonciation dans Le Maboul de Fouad Laroui : La mise en forme de la double appartenance

Le recueil de Fouad Laroui s'ouvre sur un piège: il semble poser l'existence d'un personnage éponyme que le lecteur s'attend à retrouver dans l'oeuvre. Or, le "Maboul" est bien plus une figure incarnée par une série de personnages, voire par le narrateur de certaines nouvelles. Il s'avère qu'au-delà d'un certain seuil, matérialisé dans le recueil par une nouvelle mettant en abyme la rupture de l'illusion référentielle, la perception du "Maboul" et la réception du lecteur se superposent. Le traitement d'une "folie" reliée au choc culturel, mais sans cesse distanciée, s'accompagne ainsi d'une déconstruction de l'intrigue, qui pousse le lecteur à se défaire de ses présupposés littéraires. La narration prend ainsi en charge le renversement de la logique du réel, mais évoque aussi la possibilité de points de contact entre les deux cultures qui s'entrechoquent dans la conscience du "Maboul".

Mots-clés: Laroui, énonciation, allégorie, absurde, mise en abyme, intertextualité.