Résumés

MOHAMMED DIB POÈTE

LECTURES-RÉFLEXIONS-TÉMOIGNAGES-INÉDITS

Dossier coordinée par Regina Keil-Sagawe


Abdellah Hammouti - Ombre gardienne de Mohammed Dib : début d'un long itinéraire poétique et esquisse d'une vision du monde

Si Dib doit sa célébrité au roman, à la nouvelle et au conte, il est d'abord poète. Le nombre important de ses recueils de poésie versifiée et la dimension poétique de son œuvre narrative et de ses essais ne font que confirmer cette thèse que nous défendons ici. Ombre gardienne (1961) peut être considérée à la fois comme une œuvre de jeunesse où il " fait ses classes " et comme " une œuvre programme ", c'est-à-dire, un recueil qui en annonce d'autres et par le contenu et par la forme. Certains thèmes (l'enfance, la guerre, l'amour, le rêve etc.) et motifs (l'ailleurs, l'ombre, la porte, la fenêtre, le pont...) et certains procédés stylistiques (la répétition, le jeu de mots, la parataxe, etc.) reviennent de manière obsessionnelle au point que l'on peut parler réellement de l'existence d'une vision du monde dibienne fondée sur l'inquiétude et l'instabilité et marquée par le retour inconscient des mêmes schèmes malgré la quête constante du nouveau.

Mots-clés : œuvre programme, vision du monde, thèmes, procédés stylistiques, attachement aux origines, quête du nouveau, unicité d'un univers, composition fragmentaire.


Amel Imalhayène - Mohammed Dib et Guillevic, " le mystère de la connivence "

Le recueil de Mohammed Dib intitulé Le Cœur insulaire, publié en 2000 chez La Différence, s'ouvre sur une dédicace : " à Guillevic en mémoire vive ". Cette dédicace à un autre poète est unique dans l'œuvre de Mohammed Dib. À partir de cet hommage, une évidence s'impose alors peu à peu : l'univers poétique de Guillevic et de Mohammed Dib est traversé de quêtes communes, de recherches esthétiques et éthiques qui disent la même interrogation fondamentale. Dès lors cet article se propose d'étudier à travers le prisme des deux textes-hommages que Dib et Guillevic se sont adressés à quelques vingt années d'écart les connivences et les résonances qui habitent leur production poétique. Une telle lecture comparée permet de saisir les enjeux de la poésie de Mohammed Dib, si délaissée par la critique contemporaine, et de rentrer d'une certaine manière au cœur de l'atelier de l'artiste.

Mots-clés : Mohammed Dib, Guillevic, poésie, esthétique, éthique, silence, femme, aventure, cheminement, traversée.


Christine Kossaifi - Les lèvres du cœur. À propos du Sommeil d'Ève de Mohammed Dib.

Dans Le Sommeil d'Ève, Mohammed Dib chante l'amour fou de Faïna et de Solh : leur étrange complicité avive leurs sens face à la défaillance de la parole et les unit dans la séparation, en une relation mystérieusement fusionnelle qui les place en marge de la société mais qui les rend capables de lire les signes du réel et de remonter à l'origine de l'humanité, à l'époque où l'homme et la bête ne se différenciaient pas encore. Cette quête mystique des origines, poétiquement et philosophiquement transcrite dans une perspective tant érotico-orphique que surréaliste, se révèle être également celle de Dib, confronté à l'ambiguïté des mots, capables, par leur puissance cathartique, d'apaiser la souffrance et d'ordonner le cosmos, et pourtant incapables, dans leur finitude matérielle, de dire l'au-delà du miroir. Circé du langage, ils sont à la fois les esclaves et les maîtres de l'écrivain-poète et témoignent de la douceur angélique et de la diabolique duplicité de l'Ève originelle.

Mots clés : animalité, psychisme, cosmos, langage, mots, poésie.

 

Ralima Koucha - Genres et imaginaire dans le roman en vers L.A. Trip.

Cet article propose d'examiner le traitement des images rapportées par Mohammed Dib lors de son voyage aux États-Unis. Le choix de l'autofiction permet à l'auteur d'aborder ce voyage pourtant réel de façon tout à fait imaginaire. Par ailleurs, il oppose l'image poétique à l'image rendue par l'appareil photographique ou télévisuel car il constate qu'à la force poétique de l'image se sont substituées d'autres formes d'images non poétiques, lesquelles, du reste, se donnent pour réelles. L'idée principale est donc de réhabiliter la poésie, véritable mémoire des hommes, et de faire en sorte que le poète moderne puisse se réapproprier l'espace poétique perdu. Ainsi, Mohammed Dib veut redonner des repères au poète moderne submergé par des images qui ne sont qu'une pâle copie de la fulgurance de l'image poétique.

Mots clés : voyage, image poétique, imaginaire, autofiction.


Andrew Paulson - Corps qui repose dans un corps : The Poetics of Erotic Myth in Dib's Omneros

Cet article propose une remise en question de l'œuvre poétique de Dib, en prenant comme point de départ son Omneros (1975), un recueil qui tente de mythologiser l'expérience post-coloniale et de donner un sens à la notion de l'érotisme et du désir colonial, surtout par le biais de l'exploitation de l'espace et du temps. La poésie de Dib suggère certainement tous ces éléments, mais c'est surtout le corps féminin et toutes ses résonances symboliques qui régit la poussée interne dans Omneros.

Mots clés : Maghreb, Dib, mythe, poétique, érotisme, femme.


Adelaida Porras Medrano - La hantise du mot: Feu beau feu de Mohammed Dib

Placé sur la polyvalence sémantique du principe élémentaire qui donne son titre à l'ensemble, ce recueil poétique est conçu comme un itinéraire de quête du pouvoir évocateur du mot. Texte énigmatique, comme toute la poésie dibienne, Feu beau feu est construit sur une double postulation, l'acte d'amour et l'exploration poétique, sur lesquels repose l'organisation du sens, dont l'élucidation constitue la finalité essentielle de cet article. Ce sens hermétique nous paraît être fondé sur deux champs sémantiques - le corps féminin et l'animalité - qui permettent l'émergence de l'isotopie du désir, de sorte que l'évocation du feu devient en même temps prétexte de l'exploration intime, signe de l'érotisme le plus ardent et questionnement de l'écriture.

Mots clés : Mots clés : polyvalence sémantique du feu, isotopie du désir, pouvoir évocateur du mot, érotisme, corps féminin, animalité.


MItsieki Putu Basey - Le chant par-delà le cri ou la quête intérieure d'un " je d'ombre "

La poésie de Dib, différente de son œuvre romanesque par son caractère intimiste, se lit comme une patiente quête intérieure. Dès le tournant décisif d'Ombre gardienne, le sujet lyrique s'appréhende comme un être des tourments qui se sert de l'art poétique comme d'une autoanalyse. Celle-ci, opérant sur le mode du Yin-Yang chinois, révèle dans sa première étape une conscience dont l'endroit porte le sceau de la blessure et l'envers celui de l'énigme. Dans la seconde étape, le Moi artistique travaille à soigner sa blessure dans un processus de libération et de re-création par la magie du chant et la mythisation de l'écriture. Cet aboutissement heureux étant, par ailleurs, facilité par l'amour de la femme, qui apporte à l'être désabusé la sérénité, la complétude et la plénitude de son élan vital.

Mots clés : cri, moi (je), blessure, feu, chant, stèle, amour, louve, apaisement.


Hervé Sanson - L.A Trip : la troisième voie ou D'un rocking-chair

L.A. Trip, l'ultime recueil poétique de Mohammed Dib, est d'une facture singulière : " roman en vers ", il s'inscrit contre les dichotomies qui régissent les grilles de lecture de notre tradition littéraire. Périple initiatique, cette œuvre élabore une troisième voie où l'appel en direction de l'autre se traduit par un travail rythmique que nous appellerons esthétique du rocking-chair. C'est le rapport à l'autre qui se voit ainsi ré-interrogé, de manière magistrale, lequel engendre nombre de mal-entendus, nécessitant une attention affinée de l'oreille. Dans son désir de faire la part de l'autre, Dib nous fait entendre la faille ontologique de tout exil et favorise une véritable hospitalité du texte.

Mots clés : roman en vers, dichotomies, initiatique, rythmique, autre, malentendu, ontologique, exil, hospitalité.


Eric Sellin - Mohammed Dib: A Poet of Profound Resonance

Dib est surtout connu comme romancier. Il a écrit des romans, des nouvelles et des récits brilliants dont la précision - disons l'honnêteté - onirique nous hante. Les romans les plus énigmatiques et difficiles à saisir restent pourtant sans ambiguïté sémantique telle quelle. C'est pour la poésie que Dib garde ses atouts créateurs ; et c'est sa poésie qui nous hante et nous frustre le plus. Sa vocation poétique trahit une dualité qui ne peut qu'éclaircir sa vision créatrice. Dib distingue sa poésie en prose quasi automatique (avec des associations linguistiques et sémantiques qui bousculent la logique) de ce qu'il appelle ses " poèmes-poèmes " (qui amoncellent des images en profondeur plutôt que de suivre un développement linéaire comme on trouve dans certains des poèmes en prose). Le traducteur, voire tout lecteur, se trouve souvent perturbé par la multiplicité du sens dans les deux genres poétiques dibiens. Les " poèmes-poèmes " sont criblés de mots chargés de résonances étymologiques et linguistiques, tandis que les poèmes en prose quasi automatiques nous offrent des pièges en guise d'enchaînements sémantiques avec de multiples décodements logiques possibles.

Mots-clés: dualité, " poèmes-poèmes ", traduction.