Résumés

EXPRESSIONS TUNISIENNES


Hakim Abderrezak - Halfaouine, l'enfant des terrasses : L'Individu-oiseau face à la communauté

Cet article se propose de remettre en question la thèse de la bipartition de l'espace social maghrébin en analysant le processus de formation de la " para-communauté ", espace que les marginaux élaborent contre la communauté, à côté et à l'abri d'elle. Dans un premier temps, le marginal (ici Noura, le jeune héros du film Halfaouine, l'enfant des terrasses), rejeté par les hommes aussi bien que par les femmes, est relégué à la périphérie de la communauté. Dans un second temps, " le péri-communautaire " qu'est Noura choisit de se marginaliser davantage en se réfugiant sur la terrasse. Il acquiert alors le statut de " para-communautaire ", c'est-à-dire celui d'individu qui s'est libéré de l'obligation d'intégrer la sphère des hommes, de réaliser le destin auquel son sexe semble l'avoir voué.

Mots-clés : Hammam, espace, masculin-féminin, individu, " péri-communauté ", " para-communauté ".


Deborah Barnard - Le meilleur des mondes : Tradition et modernité dans Cristal de Gilbert Naccache"

Témoignage important de la société tunisienne d'après l'indépendance, le récit Cristal de Gilbert Naccache présente une perspective de confrontation entre tradition et modernité et explique comment ce conflit se pose en termes politiques et sociaux. Dans le contexte de Cristal, la tradition comprend la continuation des rôles sociaux imposés par la colonisation, alors que la modernité se trouve dans l'opposition que les personnages du livre y portent. Les personnages principaux du récit sont des femmes et le narrateur, qui est juif ; leur condition de marginaux les pousse à brouiller les lignes de démarcation de classe sociale et d'exigences communautaires. Cette étude montre comment ces personnages assument leur modernité en rompant avec les liens de la tradition, et comment la structure narrative de Cristal reflète cette modernité.

Mots-clés : Naccache, tradition, modernité, femme, juif, Tunisie.


Nadia Ben Hassen - Le texte en mosaïque dans L'Astrolabe de la mer et Les Portiques de la mer de Chams Nadir

Cet article se propose d'étudier le rapport des textes de Chams Nadir avec la langue française et arabe. Approcher les profondeurs de son univers poétique permet de découvrir des textes spécifiques dans leur composition et leur texture linguistique. Son écriture est rythmée par des déplacements multiples entre les deux rives de la Méditerranée. Ainsi, le texte, en apparence écrit en français, accueille aussi l'expression arabe, dans tous ses états. Cette coexistence des deux systèmes langagiers crée une spécificité stylistique et rythmique. Elle nous fait découvrir ce texte en mosaïque.

Mots clés : Chams Nadir, interférence, arabe, français, dialecte, rythme singulier, mosaïque.

 

Rosalia Bivona - " Si vous n'aimez pas le bruit des bottes, portez des babouches ! " Subversion, liberté et modernité dans le film Bedwin hacker de Nadia El Fani.

Le film Bedwin hacker de Nadia El Fani remet en question la définition des rapports nord-sud, France-Tunisie, liberté d'expression-censure. La réalisatrice montre comment, avec l'informatique, l'image prolifère jusqu'à accéder à une sorte de liberté sauvage : le réel peut être construit et manipulé, " synthétisé " artisanalement. L'image - mais aussi la parole véhiculée par elle - peut être à la fois plus véridique et plus mensongère, c'est dans cet entre-deux que se développe la diégèse filmique, tout comme chaque personnage est à la fois capable de dire la vérité ou le mensonge, ni l'un ni l'autre, ou bien un mélange des deux. Le film, comme notre société, tourne aussi sur la notion obscure de lisibilité des médias, voilà pourquoi le " bedwin-dromadaire ", ce personnage qui semble échappé d'une BD et qui trouble les émissions télévisées satellitaires, avec ses messages passe-murailles est un terroriste, d'autant plus dangereux qu'il signe ses messages en arabe, en dialecte tunisien plus précisément. L'information a beau monopoliser les ondes, ce petit personnage suffit à démontrer que l'on peut faire dire ou penser aux gens autre chose, que toute évidence se trafique, les signes se brouillent et tout demande à être lu avec lucidité et sens des nuances.

Mots clés : Tunisie, cinéma, immigration, informatique, piratage.


Denise Brahimi - Cinéma tunisien : quelle évolution ?

Dès le début des années 80, le cinéma est une pratique prédominante dans la vie culturelle tunisienne. Par ailleurs, on sait que la Tunisie a bénéficié d'une politique très favorable à l'émancipation des femmes. Pour cerner une évolution dans ce domaine, l'article analyse deux films, séparés dans le temps et d'une esthétique très différente: La Trace de Néjia Ben Mabrouk est de 1988 ; Satin rouge de Raja Amari est de 2002. Les deux films utilisent l'espace pour signifier leur propos. On y voit que l'expression " l'enfermement des femmes " peut avoir plus d'un sens, et que la situation des femmes peut être bloquée de plus d'une façon.

Mots clés : cinéma, femmes, histoire tunisienne, évolution sociale, esthétique, désir, enfermement.


Dora Carpenter Latiri - " Née à Tunis virgule Tunisie " : Avenue de France de Colette Fellous

Colette Fellous est née en Tunisie dans une famille de la communauté juive de Tunisie. Dans son roman Avenue de France (2001) Colette Fellous fait défiler le siècle et, par le récit familial, s'interroge sur l'identité, la langue et la relation à la terre natale. À Paris, dans le contexte synchronique de la France multiculturelle du XXIème siècle, la narratrice entreprend une quête diachronique vers ses racines enfouies dans l'histoire de la France coloniale. Le texte remonte le temps jusqu'à la fin du XIXème siècle en Tunisie, moment où la France coloniale façonnera l'identité française de la famille de la narratrice. Celle-ci se penche sur le moment de son histoire familiale où l'identité tunisienne se perd et où s'invente une identité française. L'écriture de Fellous est polyphonique et multilingue. Par l'insertion d'images dans le texte, l'auteur mêle le textuel et le visuel. Les alternances codiques - linguistique et visuelle - parcourent le texte. Avenue de France est un récit familial post-moderne qui croise le travail de mémoire avec le travail d'écriture.

Mots clés : Tunisie, autobiographie, récit familial, minorité juive, identité, assimilation, français de Tunisie, textuel/visuel, centre, périphérie.


Jean Fontaine - Intervention de l'auteur tunisien dans son roman

Depuis trois ans, une vingtaine de romanciers tunisiens écrivant en arabe s'introduisent explicitement dans leur livre de fiction. Pourquoi ? N'ont-ils plus d'inspiration ? Sont-ils influencés par la méthode structurale enseignée à l'université ? Craignent-ils la censure en nous prévenant qu'ils ne sont pas le narrateur ? Refusent-ils d'assumer leur responsabilité d'écrivain ? Est-ce cela l'expérimentation en littérature ?

Mots clés : Tunisie, roman, structuralisme, censure.


Kathryn Lay-Chenchabi - Le dehors et le dedans : représentations de l'espace et des femmes dans les films de Moufida Tlatli et de Férid Boughedir

Cet article se propose d'examiner les films de deux cineastes tunisiens, un homme et une femme, par le biais de la notion du dedans et du dehors, comprise dans le sens spatial de l'intérieur et de l'extérieur, dans le sens métaphorique d'appartenance et de non-appartenance et, troisièmement, dans le sens de la perspective du cinéaste, le regard porté sur la vie des femmes de l'intérieur ou de l'extérieur, puisque l'analyse de l'espace dans un pays islamique va de pair avec une réflexion sur la condition féminine. L'originalité de Moufida Tlatli réside précisément en sa capacité de révéler la vie traditionnelle des femmes grâce à sa compréhension de cet univers, sa vision de l'intérieur. Cette optique contraste avec celle de Férid Boughedir qui, évitant les stéréotypes féminins de la société tunisienne, met en scène des personnages qui transgressent les frontières traditionnelles entre espaces masculins et féminins. Malgré leur différence de perspective et d'approche, les deux cinéastes font ressortir le rôle essentiel joué par l'espace dans la construction de l'identité sexuelle dans la société tunisienne.

Mots clés : espace, cinéma tunisien, Moufida Tlatli, Férid Boughedir, intérieur / extérieur.


Alessio Loreti - Terre de refuges et d'abandons : la Tunisie légendaire et ses représentations dans Chronique des morts d'Adrien Salmieri

Cet article examine les représentations de la Tunisie dans l'imaginaire de Salmieri d'après son roman Chronique des morts. Né à Tunis de parents italiens, cet écrivain porte sur son pays natal le regard de la communauté italienne dont il est issu et qu'il met au centre de la narration. La Tunisie de Salmieri correspond à celle qui lui a été léguée par la mémoire des siens et qu'il fait revivre en littérature à l'aide de son propre témoignage. L'écrivain est lié à son pays par des sentiments d'amour filial mais aussi par des rancœurs dérivant de l'iniquité subie au lendemain des bouleversements de l'après-guerre et post-coloniaux. Partant de la mission que Salmieri donne à son écriture, cet article analyse les images de la Tunisie des temps de la jeunesse de l'écrivain jusqu'à la désagrégation de la colonie italienne et à sa séparation du pays natal.

Mots-clés: Salmieri, Tunisie, Italien francophone, colonie, mémoire, immigration.

 

Ahmed Mahfoud - Le récit de voyage à l'aube du nouveau siècle. Vers une poétique postmodernei

Le récit de voyage en Tunisie et au Maghreb en général a souvent servi d'allégorie à la traversée des cultures, traversée qui permettait de comparer la culture d'origine à celle d'accueil, à la recherche d'un idéal du moi. À partir des années 90, le récit de traversée se transforme en carnets de voyageur, improvisant les destinations, favorisant la découverte et ciblant l'émerveillement ou du moins l'étonnement du lecteur. Le roman de Meddeb, Aya dans les villes, est porteur de cette nouvelle attitude qu'il transpose en révolution esthétique : par la primauté du réel aux dépens de l'activité de signification, par la fragmentation de la représentation au moyen d'une narration discontinue, par le déclin de la souveraineté du sujet de l'énonciation qui projette son éclatement sur une réalité à laquelle il ne trouve pas de cohérence significative, le récit meddebien de voyage est significatif de l'avènement du postmoderne en littérature tunisienne, lié sans doute à la dysphorie du sujet qui renvoie à la platitude de l'objet.

Mots-clés: l'œuvre en fragments, Meddeb, postmoderne, sujet, littérature tunisienne, voyage.

 

Florence Martin - Satin rouge de Raja Amari : l'expression féminine sens dessus dessousi

Ce film semble indiquer une voie possible hors des " lieux communs " de l'enfermement des femmes dans la société tunisienne traditionnelle, par l'intermédiaire de la figure de la danseuse en représentation. Cette dernière évolue de la danseuse solitaire dans le lieu intime de la maison à la danseuse qui occupe la scène du cabaret, et propose par là même une forme de résistance féminine à plusieurs niveaux.

Mots-clés: cinéma, Tunisie, femme, Maghreb, danse, espace, résistance.

 

Juan José Perales Gutiérrez - Agar, à la lueur de la pensée de Paul Ricœur

Paul Ricœur croyait fermement aux mots, à la parole, aussi bien à la sienne qu'à celle des autres. Parole pour se penser, pour se comprendre et pour comprendre les autres, pour essayer de se dire les événements qui nous entourent et que notre perception n'arrive pas à percer dans leur sens profond. Les personnages de Agar, d'Albert Memmi, vivent l´échec de leur mariage, un mariage mixte envisagé en principe avec enthousiasme. À qui la faute ? À la contradiction entre nature et progrès, c'est-à-dire, entre le Sud et le Nord ? Le déterminisme géographique l'emporterait-il face à la volonté d'intégration ? À la lueur de la pensée de Paul Ricœur, il n'y aurait qu'un coupable : le manque d´un verbe capable de transgresser les apparences, les points de vue et la subjectivité et de s'approcher d'une certaine objectivité.

Mots-clés: logos, ouverture, point de vue, transgression, échec.

 

VARIA

Michèle Bacholle-Boškovic - La Guerre d'Algérie lue par mon fils : L'Histoire romancée

Cet article fait suite à une étude publiée en 2003 qui montrait les non-dits entourant la guerre d'Algérie dans les manuels d'histoire de 3ème et Terminale. Il se propose d'examiner l'image de cette guerre telle qu'elle est proposée aux adolescents français dans les romans pour la jeunesse. Les œuvres de fiction pallient-elles au traitement lacunaire de ces manuels? Sont étudiés ici six textes d'auteurs majoritairement français, mettant en scène de jeunes adolescents tant français qu'algériens, vivant en Algérie ou en France. De qualité littéraire et historique diverse, plus ou moins empreints de didactisme, tous donnent au conflit un visage humain et montrent le fossé entre les communautés. Deux seulement - La Seine était rouge de Leïla Sebbar et Les Yeux de Moktar de Michel Le Bourhis - opèrent un véritable travail de mémoire, tissent des liens entre passé et présent et misent sur l'amitié.

Mots-clés: guerre d'Algérie, littérature de jeunesse, 17 octobre 1961, Leïla Sebbar, torture, OAS, amitié, mémoire.

 

Cornelia Ruhe - Usurpation et transformation: Rachid Boudjedra, Edward Saïd, Albert Camus

Cette analyse de Timimoun se base sur ce qui est le propre de l'écriture de Rachid Boudjedra, l'inlassable travail intertextuel et intratextuel. Nous proposons de lire Timimoun comme l'appropriation déconstructrice d'un recueil de récits d'Albert Camus (L'Exil et le royaume), pour lesquels Edward Saïd avait déjà présenté une interprétation pertinente. La réécriture de Boudjedra démasque le discours colonial des récits camusiens et mène à une définition négative du sujet post-colonial.

Mots-clés: Boudjedra, Camus, Saïd, intertextualité, usurpation, fantasme.