Résumés

IMAGES, IMAGINATION : ALGÉRIE

Dossier coordonnée par Mireille Rosello


Carine Bourget - À l'écrit sans images : le foulard islamique dans des œuvres de Leïla Sebbar et Yamina Benguigui

Cet article examine la place faite à l'affaire du foulard et aux jeunes filles françaises voilées dans Journal de mes Algéries en France et Mes Algéries en France, de Leïla Sebbar, et le duo formé par le film et le livre de Yamina Benguigui, Mémoires d'immigrés. Alors que ces œuvres ont pour but de redonner sa juste place à la communauté maghrébine en France dans la mémoire collective française, elles ont également en commun une " omission " visuelle : l'absence de jeunes filles voilées en France aussi bien dans les photos des livres de Sebbar que dans le film de Benguigui. Cette étude tente d'expliquer l'absence d'images de ces jeunes filles et analyse la place faite à d'autres emblèmes musulmans, en situant ces œuvres par rapport au contexte de l'affaire du foulard et du débat sur l'immigration.

Mots-clés : foulard, voile, affaire du foulard, Sebbar, Benguigui, Islam, immigration.


Denise Brahimi - L'espace négatif du cinéma algérien : images d'enfermement

L'idée de départ est que l'un des modes de fonctionnement du cinéma est de transformer les situations politiques en représentations de l'espace. Ce n'est pas à proprement parler une symbolisation mais une " imagination " au sens de mise en valeur du sens par les images. On montre ici les différentes formes d'espace ou de non-espace auxquelles se heurte la société algérienne post-coloniale principalement à partir de trois films :
- Pour le monde traditionnel le plus obscurantiste, La Citadelle de Mohamed Chouikh, monde de la clôture et du renfermement des femmes.
- Pour la modernité des années 70 à 80 : Omar Gatlato de Merzak Allouache, monde où l'encombrement humain ne laisse aucune place ni aucune initiative possible à l'individu.
- Pour la crise des années 90, Rachida de Yamina Chouikh, qui montre le repli obligé des gens et surtout des femmes pour tenter de survivre.

Mots-clés : espace, tradition, routine, conformisme, intégrisme, femmes algériennes.

 

Carla Calargé - Un monde au bord du gouffre : trauma, régression et violence dans Bab el-Oued City de Merzak Allouache

Cette étude se veut une approche du film d'Allouache Bab el-Oued City et s'inspire de la théorie psychanalytique du narcissisme des petites différences. Tout en s'attachant à analyser les manières par lesquelles le film rend compte de la transformation subie par le quartier algérois depuis les émeutes d'octobre 1988, elle montre que, loin d'opter pour une explication simpliste et unidimensionnelle inculpant les islamistes de tous les malheurs qui se sont abattus sur l'Algérie pendant la dernière décennie du XXème siècle, le cinéaste laisse comprendre - bien avant beaucoup d'historiens - que nombreux sont ceux qui, dans le pays et ailleurs, partagent la responsabilité du désastre.

Mots clés : Algérie, images, psychanalyse, narcissisme des petites différences, trauma, régression.

 

Christiane Chaulet Achour - La photographie comme tiers espace chez Aziz Chouaki, Nourredine Saadi et Karima Berger

Cet article se propose, à partir de trois romans algériens récents [A. Chouaki, 1988 ; N. Saadi : 2000 ; K. Berger : 2002] de cerner la place et la fonction des photographies dans trois fictions. Pour éclairer le travail de l'écriture, il propose d'utiliser la notion de " tiers espace " d'Homi Bhabha, c'est-à-dire d'un troisième " lieu " jouant comme espace d'interrogation et de médiation entre les pôles de tensions représentés par l'Algérie et la France. Le dialogue qui s'instaure peut être plus centré sur le discours algérien, sur l'échange du même et de l'autre ou opter pour l'universalisation. Chaque position discursive est révélatrice d'un " discours " du roman.

Mots clés : tiers espace, photographies, Algérie/France, significations parasites.


Patrick Crowley - Images of Algeria : Turning and Turning in the Widening Gyre

Between the early 1960s and the 1980s, the Algerian state endeavored to create an image of Algeria and Algerians. Patriotic, Islamic and socialist, the citizen of the new state would mirror the vision of its ruling élite. As would cinema. The film industry was controlled by the state and, though there were exceptions, produced the kinds of images and allegories largely expected. However, social unrest and demonstrations in the late 1980s and war of terror of the 1990s have led to a rejection of official images of Algeria. Recent films go back to the lives of ordinary people, to ritual and myth and beyond to the cultural heritage of the Mediterranean and the vast array of images beamed into homes via satellite TV. Recent films bring to the fore an Algerian culture that has never not been heterogeneous in form.

Mots clés : Algeria, film, Mediterranean culture, Merzak Allouache, Yamina Bachir-Chouikh, Nadir Moknèche, Rabah Ameur-Zaïmeche.


Sylvie Durmelat - L'Algérie est à réinventer ou Femmes d'Alger hors de leur appartement dans Viva Laldjérie de Nadir Moknèche

Dans Viva Laldjérie (2004), Moknèche fait le portrait de l'Algérie déboussolée de l'après guerre civile et accuse les contrastes et contradictions de ses personnages, filmés en mouvement incessant, dans un Alger gris et froid. S'inspirant de deux réalisateurs, espagnol et italien, revendiquant une méditerranéité que d'aucuns perçoivent comme un avatar colonial, Moknèche bouleverse les images stéréotypiques de " Laldjérie ", en décrivant la libéralisation des mœurs et l'individualisme consumériste, mais aussi la difficulté du quotidien et une solidarité compromise. Toutefois, Moknèche ébauche une renaissance timide par la construction d'images de personnages qui circulent dans un Alger érotisé symbolisant un désir d'être-ensemble et une reprise de possession visuelle des lieux, par des travellings sur des jeunes en groupe jouant ensemble sur fond de restes décatis de l'Algérie socialiste. En esquissant depuis la France un désir de vivre ensemble, et de célébrer Laldjérie en Algérie même, Moknèche ouvre un espace certes utopique et marginal, mais que son film s'entête à faire exister.

Mots clés : Nadir Moknèche, Algérie, cinéma, femmes, images de la nation.


Mark McKinney - La frontière et l'affrontière : La bande dessinée et le dessin algériens de langue française face à la nation

Les dessinateurs algériens et franco-algériens se sont souvent penchés sur le thème de la nation. Cet intérêt artistique leur a posé problème quand ils ont franchi " l'affrontière ", une ligne plus ou moins arbitraire et déterminée surtout par le pouvoir militaire algérien. Certaines dimensions-clés permettent de comprendre comment fonctionne l'affrontière : la politique, la religion, l'espace, l'histoire et les symboles nationaux. À travers quelques exemples parlants de dessinateurs et de leur production (dessins, bandes dessinées), cet article propose une lecture de l'affrontière dans l'Algérie depuis 1962. L'année 1988 fonctionne comme une date charnière dans les positionnements des artistes vis-à-vis de la nation, du pouvoir militaire et de l'affrontière.

Mots clés : affrontière, bande dessinée, Boudjellal, Daïffa, Dilem, frontière, nation, Slim.


Katherine Roberts - " C'est nous aussi, l'Algérie " : nation (im)possible dans Les Suspects de Kamal Dehane

Cet article se propose d'analyser le récent long-métrage du cinéaste algérien Kamal Dehane - Les Suspects (2004) - dans l'optique de la représentation de la " nation imaginée ". Portrait corrosif de l'Algérie des années 90 dominée par la corruption et la perversion des idéaux de la révolution, le film confronte le destin de plusieurs personnages dont une psychiatre qui se donne pour objectif d'écrire un livre sur la mémoire des anciens combattants. Voulant mettre en avant le courage d'une femme professionnelle et critiquer la culture de la " paternité fictive ", Dehane finit par montrer des possibilités de vivre autrement en Algérie, des moments présentés et interrompus aussi abruptement qu'ils apparaissent, comme une vision d'une société paisible, dynamique et saine mais vite confrontée aux rapports de force réels qui la circonscrivent et l'empêchent de se réaliser.

Mots clés : nation, révolution, Algérie, cinéma, Kamal Dehane.


Mireille Rosello - Les tranches circulaires de la grande pastèque : images de l'Algérie

Le rapport entre images, nation et imagination est d'autant plus difficile à formuler que chacun des termes se modifie sans cesse lorsqu'il rentre en relation avec les deux autres. La nation propose et impose ses formes à notre imagination qui apprend à sérier les images de la nation. Avant même de se demander si une image est acceptable ou non, il faut s'être entendu sur les paramètres du national, et peut-être avoir oublié comment ce consensus s'est formé. Pourtant, cet axe imaginaire n'est pas à sens unique puisque la nation est déjà le résultat d'opérations imaginaires, elles-mêmes complexes et contradictoires. Ce texte observe, sans chercher à le délier, l'entrelacs inextricable et chaotique au sein duquel chaque image n'existe que par sa relation avec d'autres. Il privilégie l'intervisualité historique, les mouvements transnationaux des images et l'imbrication entre regard et images qui crée de nouveaux publics ou plutôt une nouvelle définition du public, lui-même inclus dans l'image.

Mots-clés: images, nation, imagination, Anderson, Chouaki, migration, cinéma, paraboles, surveillance.

 

Annica Schjött-Voneche - Les images du passé : la quête identitaire d'une jeune fille pied-noir

Quelle est la responsabilité de l'individu pour les actes commis par des membres de sa communauté culturelle ? Le passé familial joue-t-il un rôle indispensable dans la construction identitaire ou est-il possible de lui tourner le dos afin de s'inventer chaque jour un passé nouveau ? Telles sont les questions que se pose Sagesse LaBasse, personnage principal du roman The Last Life, de Claire Messud. Tiraillée entre deux images représentant des aspects diamétralement opposés du passé pied-noir de sa famille, Sagesse, expatriée, nie tout lien avec le passé accablant des siens jusqu'au jour où elle rencontre un jeune homme algérien avec qui elle ressent une affinité curieuse. Cette analyse met l'accent sur la manière dont cette rencontre incite Sagesse à s'interroger sur l'existence du péché originel ainsi que sur l'impossibilité de se libérer du passé.

Mots-clés: identité, pied-noir, histoire, lieux de mémoire, image, péché originel.

 

VARIA

 

Montserrat Serrano Mañes - Nina Bouraoui : Poupée Bella, secrets d'amour et d'écriture

Il est, parmi les écrivains dits " migrants " un cas à notre avis particulièrement intéressant : celui de Nina Bouraoui. Ce jeune auteur met à jour dans ses récits le paradoxe douloureux d'appartenir à deux races, deux cultures, deux pays. Française en Algérie, Algérienne en France, celle qui a souffert dès le début le drame intérieur de cette double appartenance, a toujours été à la recherche d'une identité stable. Sa volonté de faire le partage des races, des cultures, des sexes devient, au fil de son écriture, un désir profond de se retrouver, de se reconnaître et de s'accepter. Consciente de sa cassure identitaire, Bouraoui cherche un espace où l'entre-deux devienne paisible, où sa dualité, ou plutôt sa multiplicité, puisse cohabiter. Cette dualité et ce besoin d'acceptation passe, dans Poupée Bella, par son option sexuelle particulière. C'est dans l'entre-deux amoureux - idéal lumineux du passé, réalité nocturne du présent - que prend corps un désir fondamental : l'écriture comme besoin vital et comme socle de sa personnalité.

Mots-clés: Bouraoui, transgression, identité, amour et écriture, frontière, quête.