Résumés

AU-DELÀ DE LA LITTÉRATURE « BEUR » ?

NOUVEAUX ÉCRITS, NOUVELLES APPROCHES CRITIQUES

Dossier coordonnée par Alec C. Hargreaves et Anne Marie Gans-Guinoune

 

Michèle Bacholle-BoškovićEt les enfants, alors ? Une littérature beure de jeunesse ?

Depuis son émergence dans les années 1980, la littérature beure s’est imposée comme une littérature à part entière. Mais cette littérature vise principalement un public général. Et les enfants alors ? Existe-t-il une littérature beure de jeunesse ? Tout en indiquant un manque certain d’auteurs et d’illustrateurs d’origine franco-maghrébine, cet article examine la production « beure » de certains de ces auteurs et souligne leur appartenance au canon littéraire français de jeunesse.

Mots-clés : littérature de jeunesse, Azouz Begag, Jeanne Benameur, biculturalisme, racisme, banlieue.

 

Sylvie Durmelat – The Algerian War and its Afterlives. Painted Noir in Sérail Killers by Lakhdar Belaïd

This article examines the intersection of roman noir and Maghrebi-French fictions through an analysis of Sérail Killers, Lakhdar Belaïd’s first novel. This novel marks a turning point in the way the Algerian war is being retold, both in Maghrebi-French fictions and within the sub-genre of the historical roman noir. Belaïd depicts Maghrebi-French characters who have become productive adults and have some degree of power over their destinies. They are not the vulnerable children described in the first Maghrebi-French novels of the 1980s. Likewise, making one’s voice heard in a well established sub-genre such as the roman noir is part of the progressive achievement of control by individual authors, who are now able to build on the common cultural capital provided by previous Maghrebi-French novels.

Mots-clés : Sérail Killers, Lakhdar Belaïd, roman noir, Algerian war.

 

Patricia Geesey – Global Pop Culture in Faïza Guène’s Kiffe Kiffe demain

This essay examines how Faïza Guène’s best selling novel marks a new direction for fiction from France’s banlieue. Considered to be something of a « literary phenomenon » by the French media establishment, Faïza Guène has enchanted the reading public as well as the critics, through the novel’s young heroine who observes her neighbors and her environment in the housing estates with a sense of humor that is both penetrating and caustic. Mixing verlan slang and numerous global, pop culture references, this first novel by Guène presents a realistic, comic, and informed discourse on contemporary life for young people living on France’s urban margins.

Keywords : immigration in France, housing projects, banlieue, beurs, verlan slang, popular culture.

 

Myriam Geiser – La « littérature beur » comme écriture de la post-migration et forme de « littérature-monde »

Peut-on considérer la « littérature beur » comme un courant, un genre ou un corpus à part ? En 2004, Charles Bonn fait remarquer que « la conscience d’une littérature de cette ‘deuxième géné­ra­tion’ comme ensemble d’œuvres, comparable à celle qui se fit trente ans plus tôt de la littérature algérienne ou maghrébine francophone, ne semble pas encore s’être faite ». L’absence d’un corpus bien défini d’auteurs issus de l’immigration nous semble être l’indicateur d’une évolution esthétique transgressant les catégories ethniques et sociales des systèmes littéraires. Afin d’éviter les connotations extra-littéraires de l’appellation « beur », nous proposons le terme « littérature de la post-migration ». Ce concept permet de délier la perception esthétique du classement ethnique, et de percevoir les œuvres tout d’abord dans le contexte linguistique auquel elles appartiennent. Au moment où l’on observe la naissance d’une « littérature-monde » en français, on peut constater que les littératures de la post-migration font partie des phénomènes littéraires transnationaux portant l’expérience du métissage culturel. Nous plaidons ainsi pour la réception de la littérature dite « beur » en dehors d’une logique d’appartenance à une littérature nationale.

Mots-clés : système littéraire, littérature nationale, post-migration, littérature-monde, littératures transnationales, métissage, hybridité, corpus, réception.

 

Alec Hargreaves – La littérature issue de l'immigration maghrébine en France : recensement et évolution du corpus narratif

Un recensement systématique des ouvrages narratifs publiés par les auteurs d'expression française nés d'immigrés maghrébins arabo-berbéro-musulmans et socialisés en France permet de mesurer le rythme des parutions. Quel que soit le critère utilisé - nombre total d'ouvrages narratifs, nombre de nouveaux auteurs, inclusion ou exclusion de " cas limite " (c'est-à-dire auteurs ayant un seul parent arabo-berbéro-musulman, livres signés par des collaborateurs ou co-auteurs " franco-français ", et/ou textes narratifs sans véritable caractère littéraire) - il ressort clairement de ce recensement bibliographique que le taux de production est depuis plus d'un quart de siècle en constante progression. Entre 1981 - date de parution du premier roman signé par un auteur issu de l'immigration maghrébine (L'Amour quand même de Hocine Touabti) - et 1989, paraissent un total de 27 ouvrages (24 en laissant de côté les " cas limite "). La production pendant les années 1990 est deux fois plus forte : 62 ouvrages narratifs au total, soit 50 en écartant les " cas limite ". Entre 2000 et 2007 paraissent 86 nouveaux ouvrages (76 sans " cas limite "). Le taux de parution annuel (en excluant les " cas limite ") progresse ainsi d'environ 3 ouvrages par an pendant les années 1980 à 5 par an aux années 1990 pour atteindre environ 10 par an aux années 2000.

Mots-clés : littérature issue de l'immigration maghrébine ; littérature " beur " ; immigrés maghrébins arabo-berbéro-musulmans ; bibliographie ; Hocine Touabti ; rythme de parutions.

Farid Laroussi – La littérature « beur » et le paradoxe de l’authenticité

Il est clair que le primat que la littérature accorde au discours identitaire « beur » renvoie à une question d’authenticité. Après plus de vingt années de production, l’identité, le genre, ou même le style du roman « beur » en sont arrivé à la nécessité de se réinventer, pour éviter le risque de s’enfermer dans des schèmes de réception et de perception non pas canonisés mais bel et bien obsolètes. On peut ainsi poser l’hypothèse que l’authenticité, en se situant face à la différence, se dépasse dans la rupture. La mise en demeure identitaire, instituée par les modes de production et de consommation de la littérature « beur », court le risque de devenir une nouvelle orthodoxie (le bon « beur » gratifié d’une éducation à la française). L’authenticité fait exister une nouvelle position en introduisant intersubjectivité et reconnaissance. Reste à avoir conscience de cette marque distincte littéraire.

Mots-clés : beur, littérature, authenticité, antériorité, génération, différence.

 

Kenneth Olsson – L’effet beur. La littérature beure face à la réception journalistique

Selon certains auteurs et chercheurs qui ont commenté la réception de la littérature beure, celle-ci aurait subi une critique négligente et biaisée par des facteurs non littéraires. Mais cette idée que la littérature beure ne serait pas jugée selon ses mérites, est-elle toujours valable ? Les auteurs beurs, sont-ils toujours condamnés « à occuper les banlieues ou les ZUP de la littérature » (Begag et Chaouite) pour se faire publier ? Cet article propose un parcours de la réception journalistique de quinze romans et récits de vie beurs publiés entre 2005 et 2006. L’analyse porte sur la perspective adoptée par les commentateurs dans leur critique. L’article aborde la question de l’influence des événements sociaux sur la critique en la mettant en relief contre la grande vague d’émeutes dans les banlieues en novembre 2005.

Mots-clés : littérature beure, réception, fonction sociale, réel, banlieue.

 

Crystel Pinçonnat – Passé oublié, passé regagné : de l’émergence d’une génération d’héritiers

La banlieue, la vie de « galère », l’univers des « cousins », telles sont les thématiques auxquelles semblait condamnée la « littérature ‘beur’ ». Comme pour s’en démarquer, une autre tendance s’est progressivement affirmée au sein des œuvres produites par les écrivains issus de l’immigration maghrébine. Après la phase d’émergence caractérisée par le choc frontal avec la réalité du pays d’accueil, le conflit entre parents et enfants, et l’oubli du monde des ancêtres, on perçoit désormais dans de nombreux textes le souci de retisser une filiation brisée par l’émigration. Dès 1989, le travail mené par la narratrice d’Une fille sans histoire de T. Imache consistait à se reconnaître l’héritière de deux histoires conflictuelles. Aujourd’hui des titres comme Mon père, ce harki (2003) de D. Kerchouche – mais aussi moins explicitement Moze (2003) de Z. Rahmani ou Little big bougnoule (2005) de N. E. Boudjedia – choisissent d’inscrire une mémoire jusqu’alors tenue dans l’oubli. C’est cette « suite » de la « littérature ‘beur’ » – habitée par la question « de qui suis-je le fils ou la fille ? » – que cet article a choisi d’étudier, une suite qui ne peut se bâtir qu’en revenant sur le passé familial et en entreprenant un travail de ravaudage, de remmaillage.

Mots-clés : beur, immigration, minorités, héritier, filiation, histoire familiale.

 

Laura K. Reeck – Mohamed Razane : The Re-generation of Beur Literature

In this article, I aim to situate Mohamed Razane as a key author and thinker behind a new wave of second-generation authors who have emerged since the 2005 riots in France. Razane has led the way in creating an association of writers from the banlieues. Through the collectif Qui fait la France?, whose first collective publication was released in the fall of 2007, Razane and his counterparts are theorizing a committed literature for the contemporary context, particularly in the French banlieues. In his début novel, Dit violent (2006), Razane explores the origins, consequences, and legitimacy of violence. He shows the cyclical nature of violence as well as the suffering it engenders in the case of his protagonist, Mehdi, who takes up writing as a means of reflecting back on his life before committing a final, definitive act.

Keywords : Beur, literature, Razane, violence, authorship.

 

Anissa Talahite-Moodley – Deux romans de la rupture et du renouvellement : Le Marteau pique-cœur de Azouz Begag et Le Dromadaire de Bonaparte de Tassadit Imache

Si les écrivains dits « beurs » ont longtemps été définis par leur origine et par leur vécu plutôt que par leur valeur d’écrivains, leurs écrits démentent de plus en plus une telle interprétation. Cet article présente l’étude de deux romans qui expriment une critique de ce déterminisme identitaire : Le Marteau pique-cœur d’Azouz Begag et Le Dromadaire de Bonaparte de Tassadit Imache. L’immobilisme qui menace le personnage-narrateur du roman de Begag et la rupture des liens sociaux et familiaux que décrit Imache mettent en scène ce refus d’une identité préconstruite et irrévocable. À travers ces deux textes, on découvre une volonté de montrer le pouvoir des mots dans un questionnement du réel allant jusqu’à remettre en cause sa valeur référentielle. Plus que les caractéristiques liées au groupe, ces romans représentent les errances d’individus en quête d’eux-mêmes et la nécessité d’une écriture nouvelle. L’étude conclut en soulignant l’importance de la dimension esthétique dans ces deux textes, élément essentiel qui leur permet de se dégager des définitions réductrices prétendument liées au vécu « beur ».

Mots-clés : littérature beur, Begag, Imache, littérature migrante, déterminisme identitaire, pouvoir des mots, générations, définitions réductrices, dimension esthétique.

 

Dominic Thomas – New Writing for New Times: Faïza Guène, banlieue writing, and the post-Beur generation

This essay assesses the emergence of banlieue writing as a post-Beur aesthetic and sociological phenomenon, introduced as a result of the shifting cultural, political, and social circumstances of ethnic minorities in France. Banlieue literature is conscious of its pluri-ethnicity, marginality, and of the imperative for social engagement as highlighted by the manisfesto published by the collective Qui fait la France in 2007. These questions are explored with relation to the work of novelist Faïza Guène. 

Keywords : banlieue writing, Faïza Guène, citizenship, literary manifestos, immigration.

 

VARIA

 

Nabil El Jabbar – Abdelkébir Khatibi : désir d’oubli, désir de mémoire

Avec Pèlerinage d’un artiste amoureux (2003), l’œuvre d’Abdelkébir Khatibi dessine à trois décennies d’intervalle du premier roman autobiographique La Mémoire tatouée (1971) un mouvement de réconciliation avec la référence paternelle et avec tout ce que celle-ci représente, religion et mémoire collective. Cet article se propose de décrire ce mouvement en confrontant ces deux textes et en citant d’autres romans de l’auteur. L’interrogation de l’origine et de la filiation apparaîtra au fil de l’analyse au centre de tous ces textes, avec à chaque fois une manière différente de répondre à l’interrogation.

Mots-clés : Khatibi, oubli, mémoire, arrachement, filiation, étranger professionnel.