Résumés

HUMOUR(S) ET HUMEUR(S)

Dossier coordonnée par Rosalia Bivona

 

Faouzia Bendjelid - Modalités d'énonciation de l'humour et de la dérision dans Un été de cendres d'Abdelkader Djemaï

Publié en 1995, Un été de cendres s'inscrit dans le contexte historique algérien des années 1990, cette décennie noire qui voit le déferlement apocalyptique de la violence intégriste plonger le pays dans un bain de sang. Le contexte diégétique répercute sur cette période. En effet, sur un fond de violence s'imposent l'humour et la dérision qui sollicitent et forcent le sourire du lecteur et installent une connivence auteur/texte/lecteur. C'est ce croisement permanent du tragique et du comique dans la texture narrative qui a suscité notre questionnement : comment s'énoncent l'humour et la dérision dans le contexte de l'histoire racontée ? Quelles formes énonciatives affichent-ils ? Comment s'imbriquent-ils dans un contexte social en pleine crise ? Pour quelle fonctionnalité ?

Mots-clés : humour, dérision, violence, énonciation, auteur/lecteur.

 

Rosalia Bivona - Apologie du couscous. Petit traité sur les rapports franco-maghrébins selon Fellag

Le couscous est un plat national français ? Voilà un phénomène surprenant. En vertu de quoi le plat national maghrébin jouit-il d'une telle considération ? D'où lui vient cette allure de mets exquis dépourvu de failles ? Peut-être d'une intégration pendant si longtemps souhaitée mais jamais réalisée ? Lorsque le terme " intégration " fait son apparition dans les années 1980, il séduit : contrairement à l'" assimilation ", il semble admettre le respect de la culture, des traditions, de la langue et de la religion des nouveaux citoyens français. Mais, à l'usage, il se révèle piégé, et il n'y a pas d'échappatoire possible. Sur ce piège s'ancre la quête, parfaitement naturelle et humaine, de l'étrange et de l'absurde dans les relations franco-maghrébines. Aujourd'hui plus qu'hier, il est bien facile de faire traverser les frontières à des cultures, à des religions, mais non à la nourriture, du moins, pas tout à fait, malgré la mondialisation. Voilà le miracle. La culture de France remplacée par culture en France, perçue comme un tout, comme quelque chose de beau et de bon dont on ne saurait jamais assez vanter les mérites, et pourtant on ne peut se défaire du sentiment que dans le multiculturalisme seul réside le véritable salut. Dans le texte de Fellag ce constat se conjugue non seulement avec les manières de table, mais aussi avec la pudeur, la politique, les rites sexuels, le sport, les règles de savoir-vivre, les frontières et les passages de la vie privée à la vie publique, et plus généralement ce qui a trait à l'histoire - obligatoirement sociale, culturelle et politique - des relations entre les corps et les esprits, des manières de vivre, de refuser, de craindre ou de rechercher le corps et les esprits des autres.

Mots-clés : Fellag, théâtre, immigration, nourriture, relations franco-maghrébines.

 

Carine Bourget - From Juif-Arabe to JuifsArabes: Jews and Arabs in France in Boudjellal's Comic Books

This article focuses on the geographic displacement of the Arab-Israeli conflict by analyzing the representation of the impact of events taking place in the Middle East on the social and cultural fabric of contemporary France as depicted in Farid Boudjellal's comic book entitled JuifsArabes (2006). JuifsArabes is the latest edition of a compilation of four comic books that Boudjellal, who is known for bringing the issue of Maghrebian immigration to the fore in comic books, published in the early 1990s that form the series then entitled Juif-Arabe. France happens to be home to both the largest Muslim and Jewish communities in Western Europe, and events that take place in the Middle East can have repercussions in the Hexagon. I demonstrate that Boudjellal's work participates in an endeavor to go beyond the ideology of partition and separation that has dominated approaches to the Palestinian-Israeli conflict. I examine the representation of past and future genealogy between both communities, a recurrent issue in the comic book, and how a visual allusion to the Astérix BD series highlights the diversity of France at the turn of the twenty-first century as well as provides a model of coexistence for the French Jewish and Arab communities.

Mots-clés : Boudjellal, Juif-Arabe, JuifsArabes, Juifs and Arabes, comic books, Israel-Palestina conflict.

 

Christiane Chaulet Achour - En ligne de mire : le foulard et la scène. Humeur et humour " maghrébins "

L'humour est rare dans les œuvres littéraires du Maghreb, à quelques exceptions près. Par contre, les générations des enfants ou petits-enfants des émigrés maghrébins en France ont utilisé plus systématiquement cette arme dans le récit comme sur la scène. Notre propos est de visiter deux phénomènes de société, soulignant la synergie plus ou moins visible entre la France et les trois pays du Nord de l'Afrique : la question du voile ou du foulard et celle de la scène où les Maghrébins tiennent une place très visible. Pour le premier phénomène, l'article s'appuie sur Jellabiates d'Hafsa Bekri-Lamrani, (contes illustrés par Nathalie Logié-Manche, Rabat : Marsam, 2001). Pour le second phénomène, l'analyse proposée est celle d'un dossier à la une du mensuel, Le Courrier de l'Atlas - Le magazine du Maghreb en Europe, intitulé " Le grand zapping de l'humour maghrébin - Quand ils rient d'eux-mêmes ! ", (n° 11, janvier 2008, pp. 42-52). L'article montre que même dans la création éditée au Maroc des contes Jellabiates, il y a ce chassé-croisé avec la France : il marque donc fortement l'humour tel qu'il a cours actuellement qu'on le produise en France ou dans un des trois pays du Maghreb. Jean-Marc Defays a rappelé la distinction entre " rire d'accueil " et " rire d'exclusion ", le premier intégrant de nouveaux venus dans le groupe et le second renforçant une ghettoïsation qui est pourtant souvent à l'opposé de ce que veut l'artiste. C'est donc bien sur accueil et exclusion qu'une fois encore l'humour doit nous faire réfléchir à propos des sociétés et cultures maghrébines.

Mots-clés : auto-dérision, rapports France/Maghreb, foulard islamique, scène, intégration.

 

Abdellah Hammouti - De quelques manifestations de l'humour dans la littérature maghrébine d'expression française

Qu'est-ce que l'humour ? Qu'est-ce qui distinguerait grosso modo l'humour maghrébin d'autres formes d'humour(s) ? Quels procédés l'écrivain maghrébin met-il en œuvre dans le texte humoristique contemporain, essentiellement dans le roman d'expression française ? Voilà les principales questions qui s'imposent ici et auxquelles nous tentons de répondre. Nous sommes, par ailleurs, amené à sérier les différentes manifestations de l'humour dans cette littérature (situations, usage de formes discursives et d'images, etc.) pour parvenir, en définitive, à mettre en relief ce qui en fait la spécificité : il ne se limite pas à la dénonciation d'un contexte social et culturel, il traite autrement d'autres questions d'ordre politique, philosophique, éthique et esthétique. Nous concluons que, même lorsqu'il s'agit d'étudier ses représentations dans le texte littéraire maghrébin, une approche pluridisciplinaire est vivement recommandée.

Mots-clés : Texte humoristique maghrébin, fonctions de l'humour, représentation, identité, altérité, Histoire.

Wafae Karzazi - Les mécanismes de l'ironie dans Une enquête au pays de Driss Chraïbi

Cet article se propose d'analyser les formes que peut revêtir l'ironie dans Une enquête au pays de Chraïbi et de démontrer que la pratique ironique a une fonction fondamentalement critique de contestation et de dénonciation. L'ironie étant un jeu fondé sur l'ambiguïté, l'intentionnalité, la mise à distance et l'intersubjectivité, il s'agit de montrer comment l'écrivain use de l'ironie et des procédés comiques afin de mettre en relief le non-sens d'un comportement répressif par la déconstruction critique d'un discours univoque, elle-même réalisée à travers l'utilisation de toutes les ressources verbales, textuelles et contextuelles de la dépréciation.

Mots-clés : Chraïbi, ironie, dénonciation, distanciation, discours, théâtralisation, transgression.

 

Katrien Lievois - La traduction de l'allusion ironique dans La Fin tragique de Philomène Tralala de Fouad Laroui : Quand l'autre n'est pas celui que l'on croit

Cette contribution analyse les possibilités qui s'offrent et les problèmes qui se posent dès que l'on s'attelle à la traduction de l'allusion ironique. Pour ce faire, nous avons utilisé comme point de départ la traduction néerlandaise (2005) de La Fin tragique de Philomène Tralala (2003) de Fouad Laroui. Les exemples que nous avons étudiés et qui concernent essentiellement des allusions culturelles et intertextuelles nous ont permis de dégager trois cas de figure. Premièrement, de nombreuses allusions ironiques survivent relativement bien à la traduction. D'autres exemples nous montrent que, si l'allusion ironique n'est pas reconnue dans le texte cible, il n'est pas toujours dit qu'elle le soit plus facilement dans le texte source. Une dernière série regroupe des cas d'allusions ironiques dont la perception est probable dans le texte source, mais impossible sous la traduction. Ce dernier groupe n'est cependant pas assez important pour que la causticité de la satire, le comique des situations et la drôlerie des allusions ironiques disparaissent lors de la traduction.

Mots-clés : Laroui, allusion, intertextualité, ironie, traduction.

 

Bernard Urbani - Entre humour et dérision : Moha le fou Moha le sage de Tahar Ben Jelloun

Placé sous le signe du tragique et du comique, Moha le fou Moha le sage (1998) est une remise en question des mœurs et une satire de l'organisation religieuse, socio-économique et politique de l'univers maghrébin, et notamment du Maroc. Dans ce récit, Moha, nomade, acteur, jongleur de mots, attire la foule séduite par l'humour grinçant et la folie de ses paroles : vox populi, il dénonce la corruption de la religion, de la politique et de la société en général. Tel un Candide faussement naïf - dont les blagues et les ruses révèlent le caractère bête et tordu du monde - il circule dans un espace placé sous le signe du chaos. Sa parole est une revanche contre le Mal, la libération énergique d'un moi étrange où se mêlent identité et différence. Entre farce, humour et dérision, entre rires et larmes, Moha le fou Moha le sage révèle une image quasi apocalyptique du Maroc et du monde maghrébin mais aussi une volonté de sortir de l'aliénation et de transfigurer ce monde.

Mots-clés : Ben Jelloun, Moha, comique, humour, dérision, tragédie, conteur, folie/sagesse, corruption, fêlures, mort.

 

Mourad Yelles - De la danse des mots au sourire du chat : l'humour dibien entre nûkta et nonsense

Pour les lecteurs algériens d'une certaine génération (celle des années 1950-1960), la simple mention de l'éventualité d'une interprétation autre que strictement " réaliste " et " révolutionnaire " de l'écriture dibienne a longtemps relevé de l'incongruité, voire du blasphème. Dans ces conditions, on peut avancer sans trop de risques d'erreur que l'un des aspects les moins connus de la personnalité et de l'univers littéraire du grand poète-romancier est celui relevant précisément de l'humour. Cette facette de l'homme - grand amateur de jeux de mots insolites, de fables cocasses ou de paraboles absurdes, dans la manière occidentale des théoriciens et praticiens anglo-saxons du célèbre nonsense ou dans celle des créateurs du mouvement surréaliste -, mais aussi de l'œuvre - dans la tradition la nûkta orientale, du folklore comique et de la poésie mystique du Maghreb - demeure encore largement sous-estimée, quand elle n'est pas simplement ignorée. De fait, la présente contribution se propose de soumettre à la critique quelques hypothèses de travail dans la perspective d'une recherche plus approfondie portant sur cette dimension, fondamentale, selon nous, de l'œuvre de Mohammed Dib.

Mots-clés : absurde, Alice, Djeha, mystique, nonsense, nukta, soufisme, transe.

 

VARIA

 

Névine El Nossery - Hybridité textuelle chez Abdelkébir Khatibi et Assia Djebar

Abdelkébir Khatibi et Assia Djebar favorisent, chacun à sa manière, le dépassement des langues et l'ouverture à la multiplicité des pratiques langagières, tout en s'attachant à la langue maternelle, assumant ainsi la dualité des langues qui les traversent. Il semble que chez les deux écrivains la quête de soi passe inévitablement par la quête de la langue. Cet article se propose d'étudier la notion de la " surconscience linguistique " chez les deux et leur rapport ambivalent avec la langue française, tout en récusant la pensée unique et monolingue de toute langue. D'autre part, l'analyse de certaines " stratégies de détour " mettra en relief le brouillage narratif, ainsi que les dédoublements énonciatifs qui en découlent, dans la mesure où les textes en question sont marqués par l'incision et la fragmentation et privilégient la symbolique de l'entre-deux.

Mots-clés : Maghreb, Khatibi, Djebar, hybridité, langue.

Rachid Titouche - De la poésie kabyle ancienne

Jusqu'à récemment encore, la poésie d'expression kabyle baignait dans un milieu d'oralité quasi-primaire. Cet état, conjugué aux préjugés souvent coupables des tenants de l'idéologie colonialiste de " l'Afrique table rase " l'a reléguée au rang d'infra-littérature, assemblages incohérents de discours tout aussi incohérents tout juste bons pour meubler les longues heures d'oisiveté de ces " fainéants d'indigènes ". On comprendra dès lors aisément qu'elle n'ait pas suscité l'intérêt des chercheurs, et qu'elle soit restée un domaine quasiment encore en jachère. Dans le sillage de nos aînés, nous tenterons de lever à notre tour un coin du voile qui recouvre comme une chape de plomb ce legs ô combien précieux de nos aïeux ; notre modeste apport consistera à essayer de démontrer que la poésie orale kabyle, loin de se réduire à du radotage, présente en fait nombre de points communs avec la poésie grecque ancienne, - celle d'Homère, en l'occurrence -, et donc participe quelque peu de la poésie universelle, bien qu'ayant ses spécificités (le mot " poésie " ne dérive-t-il pas déjà du grec, et la Grèce antique n'a-t-elle pas tant donné à la poésie universelle ?). Nous aborderons aussi les aspects formel et structurel de la poésie orale de poètes typiques des XVIème, XVIIIème, XIXème et XXème siècles ; nous regrettons de ne pas disposer de pièces du XVIIème siècle (signalons tout de même que le regretté Mammeri situe la naissance de Yusef-U-Qasi, un des plus grands bardes kabyles, vers 1680, ce qui peut laisser supposer qu'il avait, peut-être, composé alors qu'il était adolescent, c'est-à-dire durant la dernière décennie du XVIIème. Ceci étant, il nous apparaît qu'il n'y a pas eu de rupture dans le continuum.

Mots-clés : poésie kabyle ancienne, oralité, Grèce, Mammeri.