Le Dernier été de la raison est le roman
posthume de Tahar Djaout, romancier-poète et journaliste algérien assassiné en 1993.
Cette œuvre romanesque baigne d’ailleurs entièrement dans le contexte de
l’Algérie des années 1990 et plus précisément dans celui de l’année 1991, au
moment de la victoire du Front Islamique du Salut ( FIS) aux élections
législatives. Les repères historiques sont en effet aisément identifiables tant
l’écriture confine à la chronique-témoignage d’une ville assiégée et terrorisée
depuis que « les prêtres-légistes se sont
emparés du pouvoir » (p.110).
Le
point de vue adopté est celui du personnage principal, Boualem Yekker, figure
emblématique de la résistance car « tout
le monde n’avait pas abdiqué. On pouvait encore résister pour peu qu’on en ait
le courage et qu’on en accepte les conséquences » (p.27). Pour son
refus de suivre « l’ordre nouveau,
implacable et castrateur » (p.39), Boualem Yekker va subir des
épreuves douloureuses qui constituent la trame narrative du roman. Il voit
partir sa famille parce qu’il est rejeté de sa femme – désormais
« habillée de noir de la tête aux pieds »-, rejeté de son fils – «
travaillé au corps par le milieu scolaire et le quartier » et devenu imam
–, et surtout rejeté de sa fille .
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« Electre vêtue de noir, vierge intransigeante et farouche, bardée de morale et
d’anathèmes » – ; sa fille qui « lui
avait asséné quelques jours avant son
départ, qu’elle avait honte d’avoir un père comme lui, sourd à la voix de
Dieu » (p.71).
La
destruction de sa vie de famille plonge Boualem Yekker dans une solitude qu’il
tente de peupler par le souvenir car, depuis ce qu’il appelle « le dernier été de la raison »,ou
encore « le dernier été de
l’histoire », celui après lequel « le pays est sorti de l’histoire », la mémoire est « un
jardin d’Eden qui irradie les ténèbres ». .
Dans
ce monde des ténèbres, Boualem Yekker affronte également la violence
physique : les jets de pierres d’enfants du quartier qui le traitent de
« mécréant », les menaces de mort proférées par téléphone,
l’agression par « Les Frères Vigiles » dont son propre fils au visage
dissimulé sous une cagoule, etc.
Ainsi,
pour des gens comme Boualem Yekker, « l’avenir est une porte close ».
Vers la fin du roman, le pessimisme de cette conviction est renforcé chez ce
personnage, par la fermeture de sa librairie. Il reçoit à ce moment-là le coup
de grâce car libraire de son état, il concevait son activité comme un des
derniers remparts contre l’obscurantisme et trouvait lui-même refuge et
réconfort dans les livres : « Comment
Boualem continuera-t-il à vivre maintenant qu’on l’a séparé des livres, sa plus
revigorante substance ? »(p.110).
La
tristesse et la désolation qui le submerge ne laisse pas de place à l’espoir
qui tout de même se profile comme par devoir à travers la question qui clôt le
roman : « Le printemps reviendra-t-il ? ».
Farida Boualit, Alger juin 1999.