Comptes-rendus de thèses

Fatima-Zohra IMALAYENE : Le roman maghrébin francophone. Entre les langues et les cultures. Quarante ans d'un parcours : Assia Djebar, 1957-1997. 29

Salwa IDRISSI-MOUJIB : Das historische Wandel des literarischen Marokkobildes im deutschen Sprachraum. 29

Myriem ESSAKALLI : Situation de la langue anglaise et de la culture américaine au Maroc. Conséquences pour la Francophonie. 29

Isaac-Célestin TCHÉHO : Les paradigmes de l'écriture dans dix œuvres romanesques maghrébines de langue française des années 70 et 80. 29

Leïla MALLEM : La folie féminine et ses représentations romanesques dans quelques œuvres algériennes et libanaise. 29

Vladimir SILINE : Le dialogisme dans le roman algérien de langue française. 29

Assia KHELASSI, ép. MASSRALI : Evolution du style et stratégies d’écriture chez Azouz Begag, de « Le Gone du Chaâba » (1986) à « Les Chiens aussi » (1995). 29

Fouzia BOUGUEBINA : Réception critique de la littérature maghrébine de langue française dans le milieu universitaire constantinois. Description et analyse des discours critiques. 29

Touria AJAKAN : Le roman féminin algérien de langue française 1947-1998. 29

 

 

Fatima-Zohra IMALAYENE : Le roman maghrébin francophone. Entre les langues et les cultures. Quarante ans d'un parcours : Assia Djebar, 1957-1997.

Université Paul Valéry-Montpellier 3, mars 1999. Directrice de recherches : Jeanne-Marie Clerc

La thèse de Fatima-Zohra Imalayene porte sur son propre itinéraire scriptural d'auteur écrivant sous le nom de plume Assia Djebar. Une thèse dont le sujet et l'objet se font face, se mesurent, s'entrecroisent et souvent se superposent nous entraînant dans leur confrontation. Une sorte de mélange des genres que l'on pourrait dire "thèse autobiographique", qui se revendique comme telle et qu' il s' agit de questionner dans son originalité de parole à la fois réflexive (autoréflexive) et narrative.

Il nous faut donc aller au-delà des conventions du genre normé de la thèse pour appréhender ce travail qui, en sa démarche, n' obéit ni à une structure ni à un discours canoniques. Certes, le mémoire progresse assez méthodiquement pour tenter d'élucider un rapport à l'écriture, à la langue, aux genres et formes mis en oeuvre par l'auteur ; certes, il se subdivise bien en parties (au nombre de six) et en sous parties traitant chacune d'un aspect ou d'une période particulière de l'oeuvre ; certes, son projet est nettement défini, d'entrée de jeu, comme visant à éclairer pas à pas l'aventure de l'écriture djébarienne à la lumière des expériences et des conflits idéologiques ou existentiels que la femme, la citoyenne, l'écrivaine a eu à résoudre au cours des quarante années de son parcours. Mais la logique de la démarche qu' adopte la thésarde, plutôt que de souscrire aux règles du discours argumentatif habituel, procède par enchaînements, tantôt chronologiques, tantôt thématiques, impulsés par une sorte de courant alternatif se propageant entre passé et présent, entre réflexion et remémoration, entre confession et critique. Démarche qui tient à la fois du genre "mémoires" et du genre "essais", sécrétant un texte qui oscille entre introspection et méditation lyrique, entre analyse et pétitions polémiques. De sorte que, le discours de la thèse produit bien un développement réflexif mais il ne dédaigne pas les échappées métaphoriques et procède aussi bien par raisonnement déductif que par analogie illustrative.

Il en résulte un texte qui avance selon un mouvement en spirale tout en produisant une structure étoilée. Structure étoilée dont les six branches (les six parties de la thèse) avec leurs ramifications (les différents chapitres et sous-chapitres) poursuivent l'exploration du travail de l'écrivaine, pistant tout particulièrement une définition de la francophonie djebarienne. Structure étoilée dont les éléments sont connectés entre eux grâce au mouvement en spirale qui résulte du retour incessant de la réflexion sur le problème nodal des langues pratiquées et/ou mises en spectacle par le sujet de l'écriture. Par différents angles d'attaque se trouve remise sur le gril la question de la parole : question de ses pouvoirs et de ses impuissances ; question de sa confiscation par la domination coloniale et par l'arbitraire du pouvoir masculin ; question de sa sauvegarde et des chemins clandestins de sa propagation ; question des hiérarchies imposées et de leur subversion par la pratique populaire et/ou par le travail des créateurs..

Le mouvement général s' enroule autour des périodes de silence de l'auteur, autour des tentations plus ou moins illusoires, plus ou moins bien surmontées qui ont jalonné son itinéraire, autour de la réflexion sur la vertu (voire, la nécessité) de l'écriture autobiographique, autour du détour par le reportage journalistique puis le cinéma pour expérimenter l'efficacité d'autres modes du dire, pour en tester les techniques et les confronter à celles de l'écriture, pour, les y transporter, le cas échéant. Mouvement qui revient sans cesse sur les questions obsédantes du pourquoi écrire ? Pourquoi écrire en langue française ? Comment écrire en langue française quand on est natif d'une constellation linguistique où se relaient et se concurrencent déjà les langues du terroir : arabe savant du texte sacré et de la grande littérature, arabe parlé avec les traits de la communication propre au code du gynécée, berbère ancestral oublié et pourtant toujours vivace dans la mémoire obérée ? Autant de questions qui butent immanquablement sur la question majeure de toute pratique littéraire : quelle langue ? Question qui taraude tout écrivain en quête de sa langue propre. Question qui se double, ici, de la question subsidiaire : quelle langue française ? Questions qui débouchent sur d'autres questions : écrire pour qui ? Pour quoi dire ? La violence répétée de l'Histoire ? Le vécu féminin (arabe) infiniment refoulé ?

La spirale du discours de la thèse tout en revenant obsessionnellement sur les mêmes questions, déplace chaque fois sensiblement leur orientation. En fait, la diffraction et le tournoiement qui caractérisent l'évolution de ce travail sont le résultat d'un montage. Car cette thèse réside dans l'agencement de textes d'articles ou communications – élaborés à l'occasion d'interventions publiques d'Assia. Djebar où l'auteur explicite sa recherche, dessine le tracé de son parcours d'écriture, s'exprime sur des oeuvres de confrères, esquisse une anthropologie de la culture féminine algérienne, tout en précisant, chaque fois, son rapport à la langue française. Pour les besoins du travail de la thèse, ces fragments réflexifs sont ordonnés et classés, mais surtout reliés et mis en perspective par un texte italique qui les coud entre eux en un patchwork offert à la lecture, à la fois, dans sa fragmentation et dans sa cohésion. Ce texte italique, tissu conjonctif qui appartient au présent de la candidate, constitue alors une sorte d'étoupe logique et chronologique qui donne toute sa cohérence au discours de la thèse comme au discours littéraire de l'auteur Djebar. Car les hasards des interventions premières, une fois ordonnés et éclairés par le regard rétrospectif, prennent place sur la courbe d'une évolution qui revêt l'allure d'une nécessité fermement soulignée par la candidate, en dépit de piétinements et de ressassements qui ralentissent parfois l'avancée de la thèse.

Un tel montage fait ressortir, a posteriori, la logique d'une évolution tout en sauvegardant la multiplicité des points de vue qu'implique la diversité des temps et des lieux d'énonciation qui spécifient les différentes interventions de l'auteur rassemblées et revisitées. Le procès argumentatif et la construction narrative surimposent la linéarité de leurs développements au feuilletage des communications ponctuelles, matériau de base de cette thèse. En définitive, le double mouvement (étoilé, spiralé) dont il a été question ci-dessus, servi par le travail conjonctif du texte italique permet d'embrasser les lieux cardinaux de la pensée de l'auteur aussi bien que les circuits de leurs connexions. Le tout concourant à la mise en exergue de la double détermination (historique et personnelle) qui a présidé à la prise de parole djébarienne et qui donne à lire cette oeuvre dans sa dimension universelle autant que dans sa quête individuelle, tout à fait singulière, alors même qu'elle apparaît comme éminemment marquée au sceau de l'histoire de colonisation et de décolonisation.

A l'issue de ce travail, nous sommes en possession d'une exploration de l'oeuvre de A. Djebar éclairée à la fois du dehors et du dedans. Cette posture « d'extranéité interne », pour reprendre la belle formule de Valéry, permet de percevoir à quel point l'identité est, à chaque étape du développement historique et individuel pensée en fonction des crises qui la bouleversent.

On peut regretter que les remarques sur le bilinguisme (je préfère, pour ma part le concept de colinguisme de Renée Balibar), sur la diglossie, sur l'inter-langue qui spécifient le champ linguistique algérien (et, plus largement, maghrébin) soient un peu sommaires et n'apportent rien de neuf après les analyses décisives d'auteurs comme Khatibi, Farès ou Meddeb. Mais on note toutefois l'attention particulière apportée par A. Djebar au langage féminin et à ses formes particulières de manifestation dans un monde où seule la parole masculine est patentée. On déplore, surtout, que dans une thèse qui s'attache à élucider une trajectoire et réussit, en général, avec bonheur à le faire, que les deux premiers romans soient passés quasiment sous silence alors que dans ces oeuvres d'apprentissage l'attention de l'auteur apparaît déjà comme sollicitée par le langage du corps, les problèmes du couple, l'atmosphère feutrée et violente du gynécée : autant de thèmes qui distingueront l'univers djebarien de ceux de ses confrères masculins. Cependant, malgré ces réserves qui prêtent à débat, cette thèse est digne du plus grand intérêt.

En prenant le parti de s'éloigner d'un propos trop nettement inscrit dans le code universitaire courant, F.-Z. Imalhayène produit un travail qui brille par son originalité et par l'implication passionnée de son auteur. Il fournira assurément aux chercheurs une entrée privilégiée dans l'oeuvre djebarienne.

Naget Khadda.

 

Salwa IDRISSI-MOUJIB : Das historische Wandel des literarischen Marokkobildes im deutschen Sprachraum.

Université Stendhal Grenoble 3, 19 avril 1999. Directeur de recherches : M. François Genton

Cette thèse se caractérise d’abord par l’intérêt de son sujet, qui à ma connaissance n'avait jamais été traité, ne serait-ce que du fait de la difficulté qu'il suppose pour la constitution d'un corpus cohérent et représentatif. Non seulement Mlle Idrissi vient à bout de ce pari, mais elle le fait avec une très grande rigueur et sans rechigner à la tâche, car son corpus est très étendu, tout comme la tranche historique qu'elle balaie. De ce point de vue on la félicite aussi d'avoir apporté à son approche cette mise en perspective historique qui manque à la plupart des études d'image développées dans le domaine comparatiste. Rares sont en effet celles qui reposent sur un lien aussi précis avec l'histoire.

De la même manière Mlle Idrissi a réussi le pari difficile de convoquer des textes de nature différente. En ceci le littéraire francophone appréciera particulièrement que les textes littéraires marocains dont les traductions allemandes sont décrites, soient mis en parallèle avec des corpus non-littéraires, permettant ainsi une approche de la réception très solide. Le comparatiste apprécie aussi le va-et-vient de Mlle Idrissi entre des corpus de langues différentes ou entre des textes critiques de langues différentes, tout comme le fait qu'elle ait jugé bon d'accompagner son imposante thèse en langue allemande d'un volume en français dans lequel le lecteur non germaniste pourra en retrouver l'essentiel. Le volume de documents joint est également très riche et très utile, et certains des documents qu'il contient permettent au lecteur de sourire, ce qui n'est jamais superflu ! Par ailleurs la présentation matérielle du travail va de pair avec la qualité de son contenu.

En approfondissant la lecture de la thèse on s’aperçoit cependant qu’elle n’est pas sans défauts : ces derniers sont cependant inhérents, pour la plupart, au parti-pris global de couvrir un corpus trop vaste, ce qui fait que sur tous les textes ou sur tous les points abordés, le lecteur reste sur sa faim : tout n’est qu’abordé, pour ne pas dire que tout n’est qu’effleuré, dans un ensemble qui reste essentiellement descriptif et ne livre jamais la théorisation qu’un tel sujet appellerait. La thèse est-elle d’histoire ou de littérature ? Il est souvent bien difficile de trancher, et l’historien comme le littéraire, s’ils y trouveront sans nul doute une information précieuse, n’y trouveront que peu de mise en perspective de cette information. Les conclusions hâtives que tire Mlle Idrissi des différents textes qu’elle évoque sont ainsi très répétitives et bien trop générales. On cherche alors l’originalité de son approche derrière l’incontestable quantité d’infomations fournies, et l’on s’aperçoit un peu trop souvent qu’il s’agit plus d’une respctable compilation que d’une analyse originale et personnelle des textes, lesquels ne se distinguent que peu les uns des autres.

La thèse contient pourtant des ébauches de tous les thèmes qu’il aurait été intéressant de développer, quitte à alléger un peu l’appareil documentaire : Ainsi, ce sujet entraine nécessairement une réflexion théorique sur l’exotisme et sur l’orientalisme. Ou encore sur le rapport entre les différentes postures de réception signalées et l’histoire. Ou bien, comme l’a aussi souligné M. Lüsebrink, sur le paratexte des traductions. Surtout, la thèse signale très souvent avec raison la place essentielle de la médiation (essentiellement francophone, mais aussi autre : on pense au rôle de Paul Bowles par exemple) dans ces postures de réception ou de lecture, mais ne synthétise jamais ces observations pour en tirer un angle d’approche systématique et diversifié dans ses modalités : faute d’une reflexion de fond sur ce point les mêmes observations souvent très superficielles sont répétées sans que le lecteur puisse les modaliser en fonction des contextes différents face auxquels elles apparaissent.

L’aspect de seconde main de l’approche se conjugue parfois avec la reproduction sans recul de clichés très éculés d’un certain discours critique marocain. L’exemple le plus scandaleux en est le jugement plus que hâtif sur Ben Jelloun repris de Boughali seulement, alors qu’il y a tant d’excellentes thèses sur cet auteur (près de deux cents !), que Mlle Idrissi semble ignorer tout autant qu’elle ignore parfois les œuvres mêmes dont elle parle : elle commet ainsi une très grosse erreur sur Désert de JMG Le Clezio, qu’elle ne semble donc pas avoir lu elle-même.

Enfin, Mlle Idrissi a arrêté son corpus à 1996, ce qui est dommage, car depuis trois ans la traduction allemande de textes maghrébins connaît un développement sans précédent, particulièrement chez une éditrice essentielle comme Donata Kinzelbach, à qui la thèse ne reconnaît pas suffisamment son importance.

Mais ces reproches soulignent en fait le revers de la qualité essentielle du travail : l’importance de son corpus et la vaste perspective historique choisie. Ils étaient donc en quelque sorte inévitables, et l’apport de cette thèse à l’avancement de la recherche n’en reste pas moins certain.

Charles Bonn.

 

Myriem ESSAKALLI : Situation de la langue anglaise et de la culture américaine au Maroc. Conséquences pour la Francophonie.

Université Paris 13, 16 juin 1999. Directeur : Hubert Perrier

Cette thèse est une synthèse descriptive des différentes questions que pose le rapport entre anglophonie et francophonie au Maroc. Cette synthèse est bien présentée, bien classée et assez complète, établie à partir de sources bien connues mais dispersées. En ce sens ce travail sera très utile aux chercheurs dont la question traitée n’est pas l’essentiel de leur préoccupation, mais qui auront besoin d’un point rapide et efficace. Il s’agit donc d’un excellent manuel. S’agit-il pour autant d’une thèse ? On se demande en effet trop souvent quelles sont les positions personnelles de la candidate, et surtout quel est le renouvellement de la question qu’elle propose. Une synthèse, si bien faite soit-elle, de questions bien connues, n’est pas nécessairement une thèse, qui doit démontrer quelque chose et comporter à ce titre un apport personnel, un renouvellement de la question.

Ce travail cependant ne manque pas de qualités, et d’abord celle, évidente, de sa présentation presque parfaite, de son écriture très agréable, du parfait équilibre de son plan comme de l’importance accordée aux différentes questions les unes par rapport aux autres. On apprécie que la thèse ne se limite pas aux questions institutionnelles, mais en examine aussi la dimension économique. La mise en perspective historique de chaque question est également très utile, d’autant plus qu’elle ne déséquilibre jamais l’exposé, mais permet au lecteur néophyte de bien situer les questions. Des tableaux complètent utilement cet exposé, et les enquêtes réalisées par la candidate lui donnent une assise indéniable.

On aurait aimé cependant que les rappels historiques, comme par exemple celui des différentes étapes contradictoires de l’arabisation, pp. 69-70, dépassent la simple énumération des faits pour déboucher sur une analyse politique des contradictions que le lecteur découvre : une analyse de discours aurait été ici très utile. De même la thèse ne débouche sur aucune synthèse théorique, et ne définit pas sa problématique, ce qu’elle aurait pu faire en se démarquant des travaux antérieurs, qu’elle signale certes, mais sans les analyser.

Par ailleurs, même si la thèse se réclame des études anglaises et américaines, on peut se demander si le noyau central n’en est pas plutôt la francophonie et sa défense. Plus encore : si le compte-rendu fort intéressant que fait Mlle Essakalli de son stage au Haut Conseil de la Francophonie (pp. 150-160) est très intéressant et instructif, il semble oublier purement et simplement que l’objet de la thèse et le Maroc, et non la politique française de la Francophonie en général : à aucun moment il n’est fait allusion au Maroc dans ce compte-rendu, qui apparaît dès lors davantage comme une compilation des rapports internes du HCF qu’un travail personnel. Cette observation rejoint d’ailleurs celle de M. Guerlain sur certains exemples d’annonces en anglais qui laissent apparaître qu’elles sont purement et simplement traduites du français. Certaines formulations trahissent d’ailleurs les présupposés implicites non mis à distance par la candidate. Ainsi p. 65 elle oppose les investissements « français » au Maroc aux investissements « étrangers » : les français ne seraient-ils pas des étrangers eux aussi, au Maroc ? Dès lors il conviendrait peut-être de prendre acte dans le titre de la thèse de cette dimension plus francophone qu’anglophone.

La thèse enfin véhicule nombre de clichés souvent inexacts. Ainsi le spécialiste de littérature maghrébine ne peut-il que sursauter en lisant qu’ « il existe même une littérature marocaine de langue française » (p. 44), mais que celle-ci est très peu lue au Maroc. Elle est certes très peu lue par la candidate, qui n’en parle que de seconde main, à travers des études aussi dépassées actuellement que celles de Jean Déjeux, et en ignorant totalement la prodigieuse vitalité dont l’édition littéraire marocaine fait preuve depuis quelques années, et dont l’année du Maroc dans laquelle nous nous trouvons encore a produit avec la Caravane du Livre une illustration parlante, mais ignorée par la thèse.

Ces reproches nécessaires étant faits, on ne peut cependant que se réjouir de trouver là une sorte de manuel de synthèse sur la dimmension essentiellement institutionnelle de la Francophonie et de l’anglophonie au Maroc, qui rendra de grands services aux chercheurs.

Charles Bonn.

 

Isaac-Célestin TCHÉHO : Les paradigmes de l'écriture dans dix œuvres romanesques maghrébines de langue française des années 70 et 80.

Université Paris-13, 12 février 1999. Directeur de recherches : Charles BONN

Je me félicite d'abord de voir cette thèse enfin terminée, malgré les nombreuses difficultés qu'a connues le candidat. Car il faut souligner d'emblée l'originalité et l'apport théorique évidents du travail, qui utilise pour une approche de l'autoreprésentation du travail d'écriture, dimension essentielle des textes maghrébins, les réflexions d'Anne Roche sur l'atelier d'écriture, et celles d'Abdelkebir Khatibi. Cette approche qui s'avère pertinente et minutieuse, se montre particulièrement féconde dans la deuxième partie de cette thèse volumineuse, deuxième partie qui aurait fort bien pu constituer une thèse à elle toute seule, même si les deux autres parties, la première surtout, sont d'un grand intérêt.

Tout ce que le candidat développe dans la première partie sur le débat autour des textes au Maghreb et particulièrement sur l'hospitalité ou l'inhospitalité des discours en présence est très stimulant et renouvelle ce qui avait déjà été dit sur la réception par exemple, ou encore le rapport de cette littérature avec l'idéologie. Par ailleurs je suis heureux de voir ses propres approches de la spatialité du texte littéraire, non seulement citées, mais approfondies et développées avec bonheur.

L'originalité majeure de cette thèse réside cependant dans cette excellente deuxième partie, dont l'approche est fondamentalement neuve et riche. Contrairement à d'autres travaux sur la représentation du travail d'écriture dans le texte, cette partie ne se réduit jamais à un simple catalogue (ce qu'est malheureusement un peu la troisième partie, la moins originale de la thèse). Elle examine au contraire avec précision et conviction l'articulation de chaque élément relevé avec la mécanique globale de chacun des textes étudiés. Ceci est d'autant plus remarquable que M. Tchého a évité la facilité des monographies successives pour se situer toujours dans une approche synthétique à la progresion rigoureuse et justifiée.

D'ailleurs même la troisième partie, la plus faible (relativement : elle n'aurait pas déparé, en effet, une thèse plus banale que celle-ci !) mais heureusement la plus courte, si elle retombe quelque peu dans un thématisme contre lequel M. Tchého avait été mis en garde par son directeur, et qu'il a bien évité dans les deux autres parties, articule fort bien cette approche avec un travail approfondi sur l'écriture, la métaphore et les procédés stylistiques, aspects formels autour desquels cette partie est fort judicieusement construite.

Je suggèrerais quelques prolongements, particulièrement à la première partie, dans laquelle j'aurais aimé voir une mise en perspective du débat décrit avec celui du "tout idéologique" qui dominait le débat intellectuel de cette époque, même ailleurs qu'au Maghreb. Une confrontation rapide de cette époque avec le "postmodernisme" de l'époque actuelle aurait pu être stimulante. Bien entendu dans cette première partie toujours, concerné dans ma propre pratique, j'apprécie beaucoup que ce soit un africain qui fasse cette judicieuse analyse des "passerelles de l'exclusion".

Je regrette, cependant, l'aspect un peu déséquilibré du corpus, et particulièrement l'absence d'un texte de Mohammed Dib, à qui M. Tchého a pourtant consacré des travaux intéressants en-dehors de cette thèse. Je regrette surtout le déséquilibre du plan d'ensemble. La troisième partie de cette thèse volumineuse aurait aisément pu être supprimée, et remplacée par une conclusion plus synthétique de l'apport théorique fondamental de la deuxième partie. Ce déséquilibre se retrouve d'ailleurs au niveau du titre d'ensemble de la thèse, qui ne rend pas compte suffisamment de son originalité. Originalité dont il semble que M. Tchého n'a totalement pris conscience qu'en rédigeant son excellent exposé de présentation de soutenance : il serait judicieux peut-être d'en utiliser le texte pour étoffer la conclusion un peu squelettique de la thèse. Enfin, cette originalité serait apparue davantage encore si M. Tchého avait procédé dans sa thèse à un examen des thèses déjà soutenues dont l'approche pouvait préfigurer la sienne.

Cette thèse sera de toute évidence une référence incontournable, particulièrement sur le plan théorique, pour les chercheurs futurs.

Charles Bonn.

 

Leïla MALLEM : La folie féminine et ses représentations romanesques dans quelques œuvres algériennes et libanaise.

Université Paris 13, septembre 1999. Directrice de recherches : Beïda Chikhi

Par quelques aspects de sa personnalité, Leïla Malem est l’incarnation positive de la magicienne Circé. Quand on repense à toutes les métamorphoses qu’elle a fait subir à cette thèse, on est impressionné par l’équilibre qu’elle a finalement trouvé entre la tentation du traité de psychologie et celle de la reproduction à peine décalée du discours des narrateurs, un discours totalisant, autoritaire, qui expose la pathologie, l’interprète, et prétend parfois la « traiter ».

Fascinée par la complexité des œuvres et submergée par la masse des informations sur la pathologie, Mme Mallem a dû affronter de nombreuses difficultés, dont la principale a été, comme pour tous ceux qui se sont intéressés aux rapports écriture-folie, de différencier entre les textes sur la folie, les textes de la folie et les textes fous. Ce qui explique une certaine lenteur dans la mise en place de la problématique et dans la mise en valeur de l’originalité de son propos. La seconde difficulté a été d’instaurer une certaine cohérence en distinguant, d’une part, les notions rhétoriques maîtrisables, qui vont dans le sens de la sublimation et de la thérapie comme « parler de la folie » ou « la folie qui parle », d’autre part, les notions rhétoriques non maîtrisables, inarticulables, qui brouillent les savoirs.

Dans le chapitre consacré à ces dernières notions, la candidate montre que cette folie ne peut trouver sa place dans l’étiologie des névroses, mais qu’en revanche, par le fait même qu’elle affiche un résistance farouche à l’interprétation clinique, permet à la littérature de lui fabriquer un statut purement métaphorique. L’un des mérites de la thèse a été de s’engager, contrairement a ce qui a été entrepris globalement par exemple sur Aurélia ou sur Les Mémoires d’un fou, ou encore sur l’œuvre d’Artaud, dans l’interrogation sérieuse, mais prudente, de ces différentes rhétoriques.

On aurait sans doute voulu voir figurer dans le corpus un texte « encore plus fou » que ceux qui ont été choisis, un texte qui amènerait dans ce contexte la question du statut de l’illisibilité comme folie dans la littérature.

En s’engageant dans cette thèse d’une manière qui lui est personnelle, en essayant d’en finaliser quelques-unes de ses hypothèses, Mme Mallem montre qu’elle s’inscrit pleinement dans son temps et qu’au lieu de subir les effets de l’inflation du discours actuel sur la folie, elle exprime surtout sa solidarité avec les écrivains qui se donnent pour tache historique de briser le silence d’un langage étouffé.

La folie a toujours été considérée comme absence de langage, absence d’œuvre, parole inaudible, métaphore de tout ce qui est réprimé et qui attend que la littérature lui restitue une part de langage. Et justement, dans le prolongement de cette restitution, éclairant le parti pris langagier de ce travail, on s’attendait à une exploitation plus exhaustive de ce qui rend aisé la fabrication de cette rhétorique folle chez les écrivains bilingues, et qui aurait à voir avec leur aisance (relative) à passer entre les langues (Freud définissait l’essence du refoulement comme un défaut de traduction entre le familier et l’étrange.).

Par ailleurs, on saisit nettement à travers la thèse et les références à la littérature universelle qui la jalonnent comment, à certaines époques de l’histoire, la folie en littérature est une folie de substitution, qu’elle devient folle à notre place (cf. Bataille à propos de Nietzsche).) D’entrée de jeu, nous est rappelé le lien que les philosophes établissent entre pensée et folie : à la suite de Pascal et de Rousseau, Hegel, cité en exergue. Très parlante aussi l’utilisation de la citation de Nietzsche : « Homme signifie penseur ; c’est là qu’est la démence » (Le Livre du philosophe). En ce sens le projet de Mme Mallem a été surtout de contribuer à la démarche des écrivains, en insistant sur les enjeux socioculturels et politiques que l’éclairage réciproque entre folie, pensée, et littérature peut révéler à des degrés divers de lecture. On comprend en définitive que les rhétoriques sont à lire comme des forces et non seulement comme des formes (interaction des forces dans la langue). Autour de l’action rhétorique du signe folie en tant que force et pas seulement en tant que sens, on aurait souhaité une synthèse plus forte que celle qui nous a été proposée.

Pour des exigences de lisibilité, la thèse a organisé, en les traitant séparant, des actes textuels que les œuvres ont étroitement mêlés : ceux qui relèvent des lieux communs et qui donnent forme au topos, ceux qui relèvent du pathos, et enfin, ceux qui nourrissent le logos. Et là encore on pourrait déplorer l’absence d’une synthèse plus insistante sur les effets multiples de ces trois forces en interaction, effets de lecture et, par conséquent, effets de transfert à penser en termes de rhétorique. On aurait bien vu une partie consacrée explicitement à l’effet de ce transfert du lecteur en tant que participant au drame transférentiel, en tant qu’acteur « textuel inconscient ou interprétant dynamique ». Ce travail était à sa portée, on en perçoit ça et là autant les contours que la direction.

On peut conseiller à la candidate d’inscrire dans ses projets, et tout en continuant de s’appuyer sur les travaux de Shoshana Felman, un travail qui donnerait encore plus de hauteur au paradigme essentiel de son travail : Femme, folie, écriture ; en devenant métaphore de l’exclusion, de l’innommable, la folie devient par contiguïté culturelle celle de la femme. La femme, comme la folie, est l’indicible du discours, l’invisible, et comme telle, elle n’a été pendant longtemps évoquée que par rapport à une seule pathologie : l’hystérie (pathologie de ce qui ne peut se dire).

La thèse montre en tout cas en quoi la folie des femmes, qui parle ou se laisse parler, déplace véritablement quelque chose dans le monde des idées. Donc, Mme Mallem a fait bien plus que de jeter les bases d’une réflexion sur la folie des femmes dans la littérature algérienne ; par les rapprochements opérés avec l’histoire et la culture occidentales, elle a stimulé une réflexion sur une autre manière d’aborder l’exclusion dans le monde arabo-musulman.

Pour rendre hommage à son travail, et surtout à son parcours personnel, qui l’a conduite jusqu’à nous par des chemins tortueux, je terminerai en évoquant pour elle un fragment poétique d’Arthur Rimbaud, « illuminé » entre tous : Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle {…} elle sera poète, elle aussi. Plus loin, le poète se pose l’inquiétante, la redoutable question : Ses mondes d’idées différeront-ils des nôtres ?

Beïda Chikhi.

 

Vladimir SILINE : Le dialogisme dans le roman algérien de langue française.

Université Paris-13, 28 septembre 1999. Directeur de recherches : Charles BONN

Cette thèse a un petit air « rétro » fort sympathique, par ailleurs perçu dans 2 ou 3 thèses récemment soutenues ; et comme ces thèses, celle de Vladimir Siline donne l’impression de militer en faveur d’une fonction plus didactique de la critique. Cet air « rétro » est d’abord perceptible dans l’énoncé simple et nu du sujet, dans le sujet lui-même, qui a été traité à des degrés divers dans une recherche plus ancienne que celle qui a été utilisée et abondamment citée ; enfin dans la démarche qui nous propose à chaque étape une petite révision générale sous forme d’aperçu historique.

L’organisation du discours en blocs autonomes renforce cette dominante rétrospective : tous les éléments du corpus dialogique, que d’autres auraient mêlés dans une analyse comparatiste, sont ici séparés et prudemment tenus à distance. En installant le familier, cet air « rétro » contribue à la qualité didactique de la thèse, et de ce point de vue on ne peut qu’en féliciter le candidat, d’autant qu’il élabore avec vivacité un foyer pédagogique autour de ce qui lui paraît être fondamental : le dialogisme selon Bakhtine. Ce concept, dépoussiéré, astiqué, nous est restitué tout neuf, tout flambant, dans une synthèse magistrale en page 20. Pour ce faire, le candidat a pris appui sur des commentaires théoriques des auteurs parmi les « plus connus », Barthes, Kristeva, Genette, Ricardou, mais aussi sur des études de spécialistes de littérature algérienne, que M. Siline cite et recite, mais seulement après en avoir arrondi les aspérités et écarté les effets parasites. De ce fait, les notes elles-mêmes ne répondent guère plus qu’à un usage strictement bibliographique.

L’un des mérites de la thèse a été de remonter à la surface la structure basique littéraire, celle-là même qui a suscité l’intérêt de Bakhtine pour le dialogisme ; structure basique, que nous avons, nous autres critiques cités à comparaître dans la thèse, complètement ensevelie dans nos approches de la modernité, avec le sentiment avoué ou non qu’elle ne pouvait plus rendre compte de nos préoccupations et surtout de notre conception de la modernité ; mais une conception qui ne peut se résumer dans ce qui est désigné dans le présent travail en termes de «création de modèles dialogiques plus sophistiqués ». D’ailleurs, en didacticien expérimenté, le candidat a eu tendance à globaliser, à procéder tantôt par catégoriasation (la critique traditionaliste, le courant moderniste etc…). Le recours parfois à l’exclusion va dans le sens de l’aplanissement des difficultés par schématisation.

L’objectif didactique a été de retrouver, en pratiquant l’art du raccourci, l’originalité théâtrale du concept bakhtinien (référence est faite à la première expérience tentée par Molière) et d’aboutir à l’idée « d’efficacité théorique et pratique » de ce concept dans la littérature mondiale de la fin du 19e et de tout le 20e siècles (en partant du grand modèle Dostoïevskien, jusqu’aux nouveaux romanciers). Une fois retrouvée, cette originalité est mise à l’épreuve du roman algérien. Là, conformément à ses objectifs et sa démarche théorique, la thèse progresse rapidement et livre des résultats dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne sont pas faux.

On trouve particulièrement intéressants les rapprochements faits entre les littératures française, algérienne, russe, et latino-américaine, même s’ils ne l’ont été que de façon allusive, parfois évasive. Pourtant, en dépit de ces aspects très positifs, la thèse pose un problème d’appréciation et ne laisse qu’une alternative : soit de considérer ce travail comme un beau programme pédagogique, qui attend d’être développé, soit de le prendre comme une recherche avec ses apports et ses limites, d’entrer dans le détail de la rédaction et d’axer la critique sur toutes les ellipses que la démarche nous a imposées là précisément où l’on attendait des analyses plus fouillées, des démonstrations, des commentaires musclés.

Par ailleurs, on ne peut que déplorer l’oubli de certains travaux des années 70 sur la littérature algérienne, dans lesquels le dialogisme, tel qu’il a été réinitialisé par M. Siline, a été plus largement indexé. L’argumentation en vue de la réinitialisation du concept est parfois balbutiante car émaillée de contradictions. Ainsi, la notion de personnification, si elle paraît clairement définie en page 20, subit une altération dès qu’elle est utilisée pour critiquer ceux qui, selon le candidat, n’y ont pas eu recours. Là où l’on attendait une consolidation du concept, on en trouve une déflation.

Les pages sur Molière sont discutables. Toutes les études sur l’un des plus grands dramaturges du 17e siècle français sont, d’un revers de main, expédiées au rebut. On sait pourtant que la notion que recouvre le dialogisme nous vient des études sur le théâtre et notamment de Naissance de la tragédie de Nietzsche.

En conclusion, je dirai que cette thèse a le mérite de remettre en chantier des questions fondamentales de la critique littéraire, qui bien souvent, dans son désir d’aller plus vite, piétine ses propres fondements. Revenir à l’origine est sans doute une initiative parfois salutaire : Bakhtine a progressé du simple vers le complexe sans jamais perdre de vue ce qui a constitué le point de départ de sa théorie. Ses remises en question se sont faites sur le mode de la rétrospective, mais on ne peut pour autant et au nom d’une telle philosophie minimiser les recherches de ceux qui ont cherché à évoluer et à passer à un au delà du dialogisme.

Beïda Chikhi.

 

Assia KHELASSI, ép. MASSRALI : Evolution du style et stratégies d’écriture chez Azouz Begag, de « Le Gone du Chaâba » (1986) à « Les Chiens aussi » (1995).

Université de Constantine, juin 1999 Directeurs de recherches : Charles BONN et Nedjma BENACHOUR

La thèse de Mme Massrali se caractérise d’abord par l’originalité de son sujet : jusqu’ici les littératures issues de l’émigration, globalement peu étudiées encore, l’étaient de plus surtout en Europe, les chercheurs maghrébins ou français semblant connaître davantage de difficultés à les aborder.

De plus, à l’originalité du domaine étudié, Mme Massrali joint celle de la perspective d’approche : les « défrichements » de corpus nouveaux commencent en général par des relevés thématiques nécessaires, mais peu innovants sur le plan de la méthode. Tel n’est pas le cas de Mme Massrali qui choisit d’emblée une approche stylistique, considérant de ce fait son objet comme déjà balisé, et il l’est certes déjà hors d’Algérie.

Par ailleurs son travail porte essentiellement sur l’un des derniers et des plus complexes parmi les romans d’Azouz Begag, Les Chiens aussi (1995), même si elle annonce une comparaison avec le roman de début le plus connu de cet auteur, Le Gone du Chaâba (1986). C’est là une des marques de la dimension profondément personnelle de ce travail. Et il est vrai que même si elle se sert judicieusement d’un solide bagage théorique en stylistique, la chercheuse part essentiellement d’une lecture toute personnelle des œuvres étudiées. Plus : d’une sorte d’enthousiasme de lectrice qui lui fait tout naturellement privilégier le meilleur, littérairement parlant, des deux romans qu’elle a choisis. Le bagage théorique ne vient donc qu’apporter sa solidité à des intuitions dues au plaisir de la lecture, au lieu de se substituer comme on le voit souvent, à ce plaisir, et finalement aux œuvres elles-mêmes. Ainsi Mme Massrali ne s’enferme pas dans une méthode, mais les utilise parfois de façon surprenante par la fraîcheur et la vérité des intuitions.

On n’est pas habitués par exemple dans le champ clos de la critique sur la littérature maghrébine à des comparaisons avec un patrimoine littéraire « classique », ou avec des genres peu connus dans ce contexte, comme le mélodrame. Or cette thèse appuie son analyse stylistique sur ces rapprochements inattendus, lui donnant de ce fait des ouvertures tout à fait justifiées et fécondes. Ceci donne à la thèse une dimension très tonique, renforcée par le fait que Mme Massrali écrit avec une grande aisance, malgré de petites fautes de langue sur lesquelles on reviendra. Et l’on sort aussi avec plaisir, grâce à ces rapprochements, d’une clôture culturelle fréquente dans le domaine critique maghrébin. Dès lors la définition donnée du style comme conditionné par les structures mentales et par les conditions de l’énonciation, sur laquelle la thèse s’appuie d’emblée et avec bonheur, acquiert une pertinence justifiée par toute une démarche de la chercheuse. Cette méthode plus intuitive que pesante amène certes de temps en temps à des approximations, comme par exemple à la p. 99 l’utilisation du terme de « littérature mineure » avec référence à Deleuze et Guattari dans un sens qui n’est pas vraiment celui développé par ces philosophes si importants pour l’approche littéraire contemporaine. Mais encore une fois l’intérêt de l’approche est de servir les textes et de communiquer le plaisir de lecture qu’ils ont suscité, et en ce sens le contrat est rempli.

Le chapitre 1, « Véracité et diversité » est assez bien structuré sur une opposition judicieuse entre Langue et Ecriture, où l’on s’étonne cependant de ne pas voir Roland Barthes cité davantage. Le chapitre 2, « Les Chiens aussi : l’autre écriture », est un des plus innovants, particulièrement par ce rapprochement avec une esthétique du mélodrame, avec références précises à l’histoire de ce genre, dont j’ai déjà souligné combien je le trouve innovant. Je suis moins séduit par le chapitre 3, « Figures », parce qu’il est peut-être trop technique pour moi, et que j’ai toujours tendance à trouver barbares des termes comme « anadiplose » ou « homéothéleute ». Pourtant je conviens que ce chapitre était nécessaire pour appuyer l’approche sur une solidité stylistique. Et d’ailleurs Mme Massrali y évite judicieusement le catalogue « sec », par exemple en montrant comme tel procédé au nom barbare sert judicieusement la production de l’humour par Begag. De la même façon le chapitre 4, « Les mots de Begag », dépasse lui aussi le simple catalogue, par exemple lorsqu’il étudie fort bien p. 82 la stratégie du sous-entendu. On regrette que ce chapitre soit un peu trop rapide. Est encore plus rapide le dernier chapitre sur l’intertextualité, dimension essentielle sur laquelle la thèse aurait dû s’appuyer davantage pour asseoir la solidité de sa démarche principale. Cette rapidité d’un chapitre un peu bâclé alors que la chercheuse avait tous les éléments en mains pour écrire des pages plus développées se remarque dès son survol, puisqu’on a un premier sous-chapitre « Intertexte » numéroté 1, et qu’on cherche toujours le sous-chapitre numéroté 2, passé apparemment à la trappe des bonnes intentions dont l’enfer, paraît-il, est pavé. Ce chapitre manque aussi d’une conclusion qui en aurait souligné l’apport. C’est dommage : ç’aurait été peu de chose !

L’enthousiasme et la rapidité conjuguées peuvent parfois produire des formulations hâtives qui sorties de leur contexte deviennent des erreurs. Ainsi il n’est pas vrai que Georgette ait « connu un franc succès », comme il est dit p. 1, ou que Mehdi Charef « remporte un formidable succès » (p. 4). Ou que Begag ait « conçu Le Gone du Chaâba » en 1986, comme le laisse entendre à tort la parenthèse avec cette date. Ou encore, sauf si le non-arabisant que je suis se trompe, que « le bassaine » pour le bassin, « le moufisa » pour le mauvais sang, « grache-blache » pour Grange Blanche (p. 15-16), soient des mots arabes, même si ce sont des déformations arabes de mots français.

La maîtrise toute relative de l’ordinateur conduit par ailleurs à des erreurs de présentation, comme par exemple l’irrégularité des retraits de 1° ligne des paragraphes. Les espaces ou absences d’espaces avant et après les ponctuations ne sont souvent pas respectés : l’ordinateur permettait de corriger ceci automatiquement en cours de frappe. Par ailleurs la présentation de la bibliographie laisse encore beaucoup à désirer. Beaucoup de références sont incomplètes (il manque souvent l’année de publication) ou inexactes : les références à Balzac ou Zola par exemple, indiquent une réédition et non l’édition originale. Pour ce qui est de la bibliographie on aurait aimé aussi que d’autres thèses que celle de Jamila Boulal soient citées et commentées.

Il y a enfin des fautes de langue, dues à une écriture encore très proche de l’oral.

Charles Bonn.

 

Fouzia BOUGUEBINA : Réception critique de la littérature maghrébine de langue française dans le milieu universitaire constantinois. Description et analyse des discours critiques.

Université de Constantine, juin 1999. Directeurs de recherches : Charles BONN et Nedjma BENACHOUR

Mlle Bouguebina n’a pas choisi la facilité : analyser la réception en général est déjà difficile. Analyser la réception universitaire l’est davantage, et analyser celle des enseignants sous la férule desquels on a fait ses études universitaires est la quadrature du cercle, car c’est un peu quelque part mettre la charrue avant les boeufs, commencer par où il faudrait terminer, en ayant fait ses preuves auparavant sur un autre sujet… Mais le sujet qu’elle m’a proposé m’a d’emblée séduit, d’abord sur le plan méthodologique : les études de réception sont encore rares, et la littérature maghrébine pose probablement plus qu’une autre la question de sa réception, d’où dépend celle, jamais résolue, de son statut. Ensuite sur le plan de ma propre implication affective : plusieurs des enseignants de l’Université de Constantine dont les travaux sont décrits ici sont mes anciens étudiants, et j’allais donc retrouver à travers cette thèse un espace qu’on ne visite pas impunément… On ne pouvait pas résister à un programme aussi nostalgique !

Je crois cependant que tout à ma nostalgie je ne mesurais pas dans quelles difficultés j’allais engager cette jeune chercheuse : maitriser un tel sujet est quasiment impossible, surtout pour un chercheur débutant. La thèse se ressent de ce projet mal évalué par moi au départ, malgré les corrections successives somme toute assez nombreuses de chapitres envoyés ou soumis à ma lecture au fur et à mesure. Le principal défaut reste, même s’il y a eu beaucoup d’améliorations sur ce plan en cours de travail, l’harmonisation difficile entre une théorisation souvent intéressante de la réception, et le corpus étudié, tout simplement parce que ce corpus n’est pas composé d’œuvres littéraires, mais de lectures : il faut cependant noter que d’une correction à l’autre, la chercheuse a pratiquement éliminé la tendance qu’elle avait parfois à se tromper d’objet, et à parler du texte littéraire traité par les critiques qu’elle décrit, au lieu de parler de cette description critique qu’elle annonce comme son objet, et qui finit par l’être pleinement, surtout dans la 2° partie de la thèse.

Il faut souligner que toutes les observations que j’ai faites à Mlle Bouguebina au fur et à mesure qu’elle me montrait des chapitres de son travail ont été scrupuleusement suivies, ce qui nous donne à l’arrivée une thèse dans laquelle on sent que la chercheuse s’est investie, et qui a été également l’occasion pour elle d’approfondir l’étude des différentes théories de la réception. Mais la lecture successive de ces chapitres isolés ne me permettait pas d’évaluer l’ensemble de la thèse. Et rien ne laissait prévoir que Mlle Bouguebina alourdirait au dernier moment son introduction, ainsi que plusieurs autres endroits de son travail, par des développements de généralités très vagues, qui sont aussi les passages où sa langue est la plus fautive. Cette thèse une fois terminée aurait dû être élaguée et relue : elle est beaucoup trop volumineuse pour ce qui est de la première partie, laquelle est aussi très souvent répétitive, et trop souvent incorrecte. De plus, si les développements théoriques sont nombreux et souvent mal articulés avec l’étude du corpus proprement dit, l’introduction générale ne situe que très légèrement la perspective méthodologique du travail proprement dit, dans ses deux dernières pages, alors que l’accumulation de généralités très imprécises du début de cette introduction lui donne un volume indigeste. L’inflation de généralités se retrouve dans le premier chapitre de la première partie. Ce chapitre devient cependant plus précis que l’introduction, et même s’il ne traite pas précisément du sujet, lui donne un arrière-fond qu’il était nécessaire de mettre en place. Le débat sur la réception universitaire de la littérature maghrébine est inséparable du débat plus général sur la réception de cette littérature. Ce n’est cependant que dans le 3° chapitre de cette première partie que le sujet est véritablement abordé, à partir d’une grille (choix du corpus/Choix du sujet/Choix de la méthode) qui, si elle ne brille pas par l’originalité, a du moins le mérite d’être sûre.

La thèse devient véritablement intéressante en 2° partie, lorsqu’elle analyse son corpus à proprement parler, ce qui m’amène à redire qu’il aurait fallu énormément élaguer la premièe partie. Elle opère alors un travail de classement intéressant par méthode critique entre les différents travaux décrits. Et ce clasement a le mérite de ne pas être réducteur : plusieurs de ces travaux apparaissent ainsi dans plusieurs de ces rubriques, éclairés chaque fois, de ce fait, sous un angle différent, ce qui permet d’en respecter la complexité. Et par ailleurs à la fin de chacun de ces chapitres successifs la chercheuse s’autorise à un jugement, parfois timide, on la comprend, parfois un peu naïf aussi, mais toujours intéressant. On comprend qu’elle n’ait pas pu développer davantage ces conclusions critiques, mais on le regrette, car elles sont souvent très pertinentes, même si elles ne font pas nécessairement plaisir à tout le monde ! Pourtant l’expression en est mesurée et respectueuse, et un tel sujet serait insipide si la chercheuse s’y interdisait le jugement. De plus cette seconde partie comporte infiniment moins de fautes de langue que la première : est-ce parce qu’elle a été plus souvent relue ? On apprécie beaucoup aussi que cette 2° partie ne se contente pas d’un classement des travaux à partir des grandes tendances de la critique universitaire, mais développe ensuite trois chapitres sur l’attitude globale de la critique universitaire constantinoise face à ces défis majeurs que sont l’écriture, l’intertextualité et l’oralité. Il aurait été judicieux de procéder de même avec l’autobiographie : le titre du 5e chapitre, « La critique autobiographique », ne veut rien dire : l’autobiographie n’est pas une méthode critique, mais un objet d’étude. Pourquoi alors ne pas avoir intitulé ce chapitre d’une manière comparable à celle des chapitres 7, 8 et 9 : « La critique universitaire et l’autobiographie » ?

La troisième partie, « Horizon d’attente et critique universitaire », est une sorte d’aboutissement normal de cette deuxième partie, qui permet des synthèses souvent heureuses. On regrette seulement qu’elle soit si brève, comme est brève la conclusion générale : globalement on pourra dire de cette thèse que si les préalables (théories critiques, généralités) y sont beaucoup trop foisonnants, dans une langue dont l’incorrection est alors à la mesure de ce foisonnement parasitaire, les synthèses et conclusions auraient dû être développés davantage, même si l’essentiel de ce qui devait y être dit est suggéré, parfois un peu trop timidement.

Je dirai donc que voici une thèse pour le moins originale, et le moindre mérite de la candidate n’est pas de ne s’être pas laissée décourager par la difficulté de son projet, et par les observations parfois peu encourageantes de son directeur français. Cette thèse aurait certes gagné à être élaguée et relue, et ses synthèses à être davantage appuyées.

Charles Bonn.

 

Touria AJAKAN : Le roman féminin algérien de langue française 1947-1998.

Université Paris-13, 1 juin 1999. Directeur de recherches : Bernard Lecherbonnier

J'avais en 1996 refusé de diriger la thèse de Mlle Ajakan, parce que malgré plusieurs versions de ce projet, sa faiblesse et ses incorrections étaient trop évidentes. Je m’étonne donc que malgré ce handicap de départ, cette thèse ait pu néanmoins être achevée en un temps si bref, puisque les trois années minimum du temps de préparation prévu ne sont même pas encore écoulées.

Je suis cependant moins étonné de la rapidité d’exécution de ce travail en m’apercevant dès son titre (et encore plus dans le détail…), qu’il ne s’agit pas là véritablement d’une thèse. Le titre déjà, en effet, signale la compilation sans aucune problématique, sans aucun projet, bref sans aucun apport à la recherche. La quasi-totalité de la thèse n’est qu’une maladroite reprise des essais de Jean Déjeux et de Christiane Achour, dont les références ne sont données cependant qu’avec parcimonie. Et les rares lectures personnelles de quelques uns des romans du corpus se résument à des alignements de citations à peine introduites par une phrase-lien souvent plus courte que la citation elle-même, et pauvrement paraphrastique. D’ailleurs malgré ce travail de seconde main, le corpus est indigent, et se limite significativement aux textes déjà les plus étudiés par les critiques. Il n’y a bien entendu aucune démonstration de quoi que ce soit dans la thèse, et de la même manière aucune mise en perspective du travail par rapport aux nombreux travaux déjà effectués sur le sujet. Il est vrai que Mlle Ajakan prétend avec applomb dès la première page qu’aucune étude d’ensemble n’avait encore été consacrée à la littérature dont elle parle, ce qui est évidemment une contre-vérité grossière ! Sur le plan méthodologique, Mlle Ajakan ne se réclame que de Goldmann, mais c’est pour le récuser dans sa présentation orale en disant que son approche ne s’applique pas aux femmes... D’ailleurs la lecture de la thèse montre aussi que cette référence est purement gratuite et que les apports de Goldmann à la critique sont totalement ignorés par la candidate. Et de plus dans sa prestation orale pour le moins surprenante Mlle Ajakan affirme aussi qu’elle ne croit pas à l’écriture féminine ! Et qu’elle a volontairement évité toute appréciation qualitative des textes qu’elle aborde, ce qui lui fait effectivement dans sa thèse mettre rigoureusement sur le même plan « littéraire » Assia Djebar et Aïcha Lemsine ! On croit rêver, tant la situation est stupéfiante !

Il y aurait bien dans cette thèse des allusions à quelques problématiques qu’on aurait aimé y voir développées, comme celle du recours au pseudonyme par exemple : mais outre que cette observation n’est guère développée, on s’aperçoit qu’elle avait déjà été faite, et développée, dans les études préalables que Mlle Ajakan ne fait que (mal) reproduire, et particulièrement celles de l’équipe qu’avait animée Christiane Achour. Par contre Mlle Ajakan reproduit sans aucun recul critique les clichés les plus éculés et les plus inexacts du discours idéologique algérien officiel, entre autres celui qui affirme que la libération de la femme en Algérie a commencé avec l’indépendance (p. 170), ou celui selon lequel la problématique centrale de la production littéraire « beur » serait celle de la perte d’identité. Il est vrai que ce dernier cliché a peut-être été repris d’une autre thèse que j'avais également refusée quelques années plus tôt parce que trop mauvaise, et néanmoins soutenue sans problèmes à l’université Paris 4 l’année qui suivit !

La bibliographie de la thèse est à l’image de son indigence et de sa non-maîtrise : non seulement elle est squelettique, mais souvent on ne perçoit guère en quoi certaines de ces rares références peuvent avoir un rapport quelconque avec la thèse. Par ailleurs les erreurs sur les noms propres y foisonnent, comme dans toute la thèse : Beaucoup d’interversions entre le prénom et le patronyme, mais aussi des erreurs systématiques dans toute la thèse sur l’orthographe de certains noms, y-compris celle des auteurs du corpus « étudié », ou encore dans le libellé des titres. Or la répétition systématique des mêmes erreurs signale qu’il ne s’agit pas là d’erreurs de frappe, mais de méconnaissance de l’objet même de l’étude. Il y a aussi des contre-sens sur l’histoire racontée par les romans, par exemple lorsque p. 202 il est dit que l’héroïne du roman de Farida Belghoul s’approprie un prénom français alors que précisément elle refuse de toutes ses forces ce prénom dont la vieille dame rencontrée au parc veut l’affubler. On en arrive donc parfois à se demander si la candidate a effectivement lu elle-même certains des textes dont elle parle.

Cette thèse qui n’en est pas une n’est pas de celles qui honorent la Formation doctorale dont j'ai quitté la direction pour aller enseigner à l'Université Lyon 2. Je réaffirme en tout cas que si j'en avais été le directeur je ne l’aurais jamais proposée à soutenance.

Charles Bonn.