Circoncision masculine et féminine
entre la religion et le droit
chez les juifs, les chrétiens et les musulmans

Par

Sami Aldeeb

Conférence donnée à la Facoltà di Giurisprudenza, dipartimento di storia e teoria del diritto, Università di Roma Tor Vergata le 8 mars 2001, et à l'Università degli studi di Bologna le 9 mars 2001

En février 2001, j'ai publié à Paris, chez l'Harmattan, à Paris, un ouvrage intitulé

Circoncision masculine
Circoncision féminine
Débat religieux, médical, social et juridique, 537 pages

Voir la table détaillée des matières dans: http://members.nbci.com/nonviolence/Sami/articles/livre.htm

C'est le fruit de recherches et de réflexions commencées en 1992. Je souhaite ici vous faire part des éléments essentiels de cet ouvrage.

Comme on le constate du titre, il s'agit de la circoncision masculine et féminine et non pas seulement de la circoncision féminine. En effet je rejette la distinction qui est généralement faite entre les deux pratiques. La première question qui se pose est donc de savoir si une telle distinction est justifiable.

 

1. Est-ce que cette distinction est justifiable?

La circoncision masculine et féminine constituent une mutilation d'organes sains sur des personnes sans leur consentement et sans raisons médicales valables. Sur le plan des faits, la distinction est donc injustifiable. D'autre part, une telle distinction est contre-productive. En effet, un musulman égyptien qui a cinq filles et cinq garçons ne comprendra pas pourquoi il peut circoncire ses garçons mais ne peut pas circoncire ses filles alors que les deux opérations portent le même nom: khitan ou tahara. De ce fait, il n'est pas possible de lutter efficacement contre la circoncision féminine sans lutter contre la circoncision masculine. De plus, la distinction entre la circoncision masculine et la circoncision féminine est contraire au principe de la non-discrimination, principe reconnu dans tous les documents internationaux et sur lequel on reviendra plus loin.

 

2. Distinction sur la base de la gravité

On entend souvent que la circoncision féminine est une opération grave alors que la circoncision masculine est une opération bénigne. Mais en fait une telle généralisation n'est pas exacte. Il faut savoir que la circoncision masculine et la circoncision féminine couvrent chacune quatre types d'opérations. Nous commençons par la circoncision masculine

Il existe quatre types de circoncision masculine:

- 1er type: il consiste à couper en partie ou en totalité la peau du pénis qui dépasse le gland. Cette peau est appelée prépuce.

- 2ème type: C'est la forme de circoncision pratiquée par les juifs. Le circonciseur commence par tirer la peau du pénis et coupe la partie qui dépasse le gland. Cette opération est appelée en hébreu milah. Ensuite, il tire la peau en arrière et arrache avec les ongles allongés et aiguisés de son pouce et de son index ou avec des ciseaux la partie de la peau (doublure du prépuce) qui reste entre la coupe et le gland. Cette opération est appelée en hébreu periah.

- 3ème type: il consiste à écorcher complètement la peau du pénis et parfois le scrotum (peau des bourses) et la peau du pubis. Cette forme de circoncision, appelée en arabe salkh, existait (et probablement continue à exister) chez des tribus du sud de l'Arabie et dans certaines tribus d'Afrique noire.

- 4ème type: il consiste à fendre l'urètre, créant de la sorte une ouverture qui ressemble au vagin féminin. Appelé subincision, ce type de circoncision est encore pratiqué par des aborigènes d'Australie.

Face à ces quatre opérations de circoncisions masculines, il existe quatre opérations de circoncisions féminines

- 1er type: excision du prépuce (capuchon du clitoris).

- 2ème type: excision du prépuce et du clitoris totalement ou partiellement.

- 3ème type: excision du prépuce et du clitoris et excision partielle ou totale des petites lèvres.

- 4ème type: excision partielle ou totale des organes sexuels externes et sutures/rétrécissement de l'orifice vaginal (infibulation).

On ne peut donc parler d'une manière générale que la circoncision féminine est plus grave que la circoncision masculine. Tout dépend du type de circoncision.

On ajoutera à cela que la circoncision tant masculine que féminine, quel que soit son degré, comporte des risques d'hémorragie, d'infection, de déformation et de décès. Certaines circoncisions masculines ont si mal tourné que les médecins ont dû changer le garçon en fille en lui enlevant totalement ses organes génitaux et en lui fabriquant un vagin.

 

3) Statistiques et distribution géographique

Les statistiques sont approximatives. Certaines sources disent que chaque année 13.300.000 enfants mâles sont circoncis dans le monde, ce qui fait une moyenne de 25 enfants chaque minute. Une autre source indique que la circoncision masculine touche 23% de la population mondiale, ce qui fait un total de 650 millions d'hommes.

Qui circoncit? Avant tout tous les juifs, tous les musulmans et certains groupes chrétiens. Ainsi tous les coptes d'Égypte, d'Éthiopie et du Soudan circoncisent leurs garçons. De même 60% des enfants mâles des États-Unis, toutes religions confondues, sont circoncis. En Europe, probablement entre 2 et 5% de la population est circoncise. Le taux de circoncision en Australie est de 10%, et au Canada de 25%. Retenons donc pour simplifier qu'environ 13 millions d'enfants sont circoncis annuellement.

Concernant les femmes, les statistiques sont aussi approximatives. Une source dit que chaque année 2.000.000 de filles sont circoncises dans le monde, ce qui fait une moyenne de 3,8 filles chaque minute. Une autre source indique que la circoncision féminine touche 5% de la population mondiale, ce qui fait un total de 100 millions de femmes. L'OMS estime le nombre des femmes circoncises dans le monde en 1998 à 136.797.440. Entre 15 et 20% de ces femmes sont subi le quatrième type de circoncision (infibulation). Les données statistiques de l'OMS concernent 28 pays africains, majoritairement musulmans. Signalons à cet égard qu'environ 97% des femmes égyptiennes sont circoncises. Si la majorité des femmes circoncises dans le monde sont des musulmanes, on rencontre aussi des femmes chrétiennes et juives circoncises en Afrique. C'est le cas par exemple des Falachas en Éthiopie et des Coptes en Égypte, au Soudan et en Éthiopie Mais il faut aussi savoir que la circoncision féminine a été pratiquée en Europe et en Amérique, parmi les blancs, à partir du milieu du 19ème siècle jusqu'aux années 1970. En 1959, un médecin américain nommé Rathmann a inventé un appareil pour circoncire les femmes. Encore aujourd'hui la circoncision féminine continue à être pratiquée parmi les blancs, mais on ne connaît pas bien le pourcentage.

On retiendra de ces chiffres que la circoncision masculine est au moins cinq fois plus répandue que la circoncision féminine.

 

4) Circoncision masculine et féminine et la sexualité

On entend généralement que la circoncision masculine n'a pas d'effet sur la sexualité de l'homme contrairement à la circoncision féminine.

Toute généralisation dans ce domaine est fausse. En effet, tout dépend du type de circoncision dont on parle. Si on se réfère même à la circoncision masculine du premier ou du deuxième type, les auteurs juifs classiques comme Philon ou Maïmonides ainsi que Thomas d'Aquin et des auteurs musulmans classiques affirment que son but est de réduire le plaisir sexuel de l'homme. En effet, le prépuce est considéré comme la partie la plus sensible de l'organe sexuel. En le supprimant, on supprime aussi les glandes qui produisent la matière lubrifiante et on prive le gland de sa protection. Ce qui rend l'organe sexuel moins sensible et moins humide et la relation sexuelle plus pénible. Les circoncis recourent plus souvent à des matières lubrifiantes artificielles pour humecter le pénis, ce qui n'est pas nécessairement bon pour la santé de l'homme et de la femme. D'autre part, la circoncision féminine affecte certainement le plaisir sexuel si elle touche le clitoris. Mais on reconnaît aujourd'hui que même la forme la plus drastique de la circoncision féminine ne prive pas totalement la femme du plaisir sexuel. D'autre part, on recourt parfois à l'excision du capuchon du clitoris pour avoir plus de plaisir sexuel en dégageant le clitoris. De telles opérations ont lieu en Occident parmi les femmes blanches pour remédier à la frigidité et augmenter le plaisir sexuel.

 

5) Circoncision masculine et féminine et avantages médicaux

On entend souvent que la circoncision masculine a des avantages médicaux. En fait, si on examine la littérature médicale occidentale à partir du 19ème siècle, on constate que les médecins ont invoqué une série d'avantages médicaux tant pour la circoncision masculine que féminine. Ainsi la première raison pour laquelle les occidentaux ont circoncis les hommes et les femmes est pour lutter contre la masturbation qui étaient censée provoquer de nombreuses maladies incurables. On a aussi invoqué la raison hygiénique. Cette raison est valable tant pour les hommes que pour les femmes. On a aussi considéré la circoncision masculine et féminine comme moyen pour lutter contre l'épilepsie, les infections urinaires, le cancer. Dernièrement, on a invoqué que la circoncision masculine peut protéger contre le sida. Mais en fait, si cela était vrai, les Américains seraient moins infectés par le sida que les Européens, mais c'est juste le contraire qui arrive. D'autre part, comme la circoncision prive l'organe sexuel d'une partie de sa peau et le rend plus tendu et plus sec, il y a plus de risque de déchirement dans la peau et donc plus de risque d'infection. On estime aussi que les circoncis recourent plus fréquemment aux rapports sexuels bocaux et anaux, ce qui augmente le risque du sida.

En fait, la circoncision n'a que deux avantages médicaux certains: elle réduit le poids de l'enfant et alourdit la poche du médecin. Toutes les autres raisons sont fallacieuses si on excepte des cas rarissimes de déformation et d'infection qui résiste aux antibiotiques. Par conséquent, il ne devrait pas y avoir plus de circoncisions que d'opérations d'amputation du nez ou de la jambe. Une des raisons de la circoncision tant masculine que féminine est le gain matériel. Aux États-Unis, si vous dites à un médecin de ne pas circoncire, il comprendra que vous voulez circoncire son salaire. On a demandé à un médecin propagandiste de la circoncision masculine nommé Wiswell ce qu'il lui fallait pour changer d'avis, il a répondu: un million de dollars.

 

6) Les hommes ne se plaignent pas

On entend souvent qu'on n'entend pas des hommes se plaindre de la circoncision masculine. En fait, si un homme se plaint cela signifie une reconnaissance qu'il a des problèmes de virilité. D'où le peu de plainte des hommes. D'autre part, les hommes circoncis petits n'ont pas le moyen de comparer puisqu'ils ont toujours vécu avec des pénis mutilés. Mais il faut aussi relever qu'aux États-Unis il existe un mouvement grandissant d'hommes et de femmes, tant chrétiens que juifs, opposés à la circoncision masculine considérée comme une atteinte à l'intégrité physique des hommes et au plaisir sexuel. Des hommes circoncis recourent de plus en plus à un système de restauration du prépuce. On tire la peau du pénis pendant des mois jusqu'à ce qu'elle couvre le gland. Ceux qui ont essayé cette méthode, largement décrite sur internet, disent qu'ils ont gagné en plaisir sexuel. Certains disent qu'ils pratiquent désormais l'amour en couleur alors qu'auparavant ils pratiquaient l'amour en noir et blanc. Des études démontrent que la circoncision masculine affecte le psychique de la personne et, partant, la société elle-même. Certains disent qu'il y a un lien entre la violence, le viol et la pédophilie aux États-Unis et la circoncision masculine. Cette théorie est surtout développée par un psychologue juif nommé Ronald Goldman dans une thèse récente de doctorat sur le traumatisme causé par la circoncision masculine aux États-Unis

 

7) Arguments religieux chez les juifs

On entend souvent que la circoncision masculine a des bases religieuses, mais que la circoncision féminine n'en a pas. Est-ce vrai? Et quelle est la valeur de cet argument? Voyons que disent les textes religieux des juifs, des chrétiens et des musulmans.

A) Ancien Testament

L'Ancien Testament ne contient aucune norme concernant la circoncision féminine. Elle constitue par contre la base pour la pratique de la circoncision masculine pour les juifs, les chrétiens intégristes et les musulmans. Deux textes régissent cette pratique. Le premier est le chapitre 17 du livre de la Genèse qui dit que Dieu a apparu à Abraham lorsqu'il avait 99 ans (voyez la précision) et lui a commandé de se circoncire et de circoncire tous ses descendants mâles à l'âge de huit jours, ainsi que ses esclaves. En contre partie, Dieu promet à Abraham et ses descendants de lui octroyer la terre de Canaan en possession à perpétuité. Ainsi la circoncision devient un acte politique.

Le deuxième texte est du chapitre 12 du Lévitique qui dit: "Au huitième jour on circoncira le prépuce de l'enfant"(Lv 12:1-5).

Dans le premier texte, la circoncision est signe d'une d'alliance passée par Dieu avec Abraham et sa progéniture. La circoncision en hébreu se dit: Berit mila, littéralement l'alliance de la coupure. Le deuxième texte, par contre, situe la circoncision dans les normes relatives à la purification de la mère et de son enfant. Dans de nombreux autres textes, l'Ancien Testament utilise le terme "circoncis" par opposition à "incirconcis", ce dernier étant considéré comme impur. D'où l'interdiction faite aux incirconcis de participer aux cérémonies religieuses (voir Ex 12:48), d'entrer dans le sanctuaire (Ez 44:9) ou même dans Jérusalem (Is 52:1).

B. Débat actuel

La circoncision féminine a été pratiquée par les juifs. Elle continue à l'être chez les juifs éthiopiens (les Falachas). Mais, à notre connaissance, il n'y a pas de débat religieux autour de cette pratique. On trouve par contre de nombreux juifs qui luttent contre la circoncision féminine tout en refusant de s'engager contre la circoncision masculine. On citera ici notamment Edmond Kaiser, fondateur de Terre des Hommes et de Sentinelles. Ainsi on prêche la morale aux Africains au lieu de la prêcher aux Américains et aux Juifs. Ceci relève de l'hypocrisie, de la lâcheté et de l'impérialisme culturel.

La circoncision masculine continue encore aujourd'hui à être pratiquée par l'écrasante majorité des juifs bien qu'ils aient abandonné de nombreuses autres normes bibliques: la loi du talion (Dt 19:21); la lapidation de l'adultère (Dt 22:23), etc.. On peut cependant constater qu'elle a connu aussi ses adversaires depuis les anciens temps. Des juifs l'avaient abandonnée et certains ont même refait leur prépuce (I Mac 1:15; voir aussi I Cor 7: 18), raison pour laquelle Dieu aurait rejeté Ésaü, fils de Jacob, selon des récits juifs. Le Livre des Maccabées rapporte que les autorités grecques étaient hostiles à cette pratique et punissaient de mort celui qui la pratiquait. Mais les rabbins n'étaient pas plus tolérants à l'égard des incirconcis. Élie se plaint amèrement de ceux qui ont abandonné la circoncision (I R 19:10). Le livre des Maccabées rapporte que des zélotes juifs "firent une tournée pour... circoncire de force tous les enfants incirconcis qu'ils trouvèrent sur le territoire d'Israël" (I Mac 2:45-46). Encore aujourd'hui, les rabbins montrent une hostilité à l'égard de leurs coreligionnaires qui refusent de se faire circoncire.

Dans les temps modernes, le débat contre la circoncision parmi les juifs a débuté après la révolution française de 1789 dont le but était de créer une société civile où l'appartenance aux communautés religieuses est remplacée par une appartenance nationale. En 1842, un groupe de juifs à Frankfurt a proposé la suppression de la circoncision et son remplacement par une cérémonie religieuse égalitaire pour les garçons et les filles, sans faire couler le sang. En 1866, 66 médecins viennois juifs ont signé une pétition contre la pratique de la circoncision. En 1871, les rabbins ont décidé à Augsbourg qu'un enfant né d'une mère juive resté non circoncis pour une raison quelconque devait être considéré comme juif. On signale à cet égard que le fils d'Herzl, fondateur du sionisme, n'était pas circoncis à sa naissance; il le fut à son adolescence sur insistance des disciples de son père.

Ce courant opposé à la circoncision s'est transféré aux États-Unis avec les immigrés juifs. Dans ce pays, les rabbins réformés ont décidé en 1892 de ne plus imposer la circoncision aux nouveaux convertis. Mais avec l'augmentation des naissances dans les hôpitaux américains et la généralisation de la circoncision masculine, les rabbins se sont vus confrontés à une pratique de la circoncision qui n'est pas conforme aux normes juives, étant faite par des médecins, dans les trois jours qui suivent la naissance et sans le rituel religieux. Ils ont essayé d'y remédier en formant des circonciseurs juifs. Et comme le mariage religieux est reconnu aux États-Unis, les rabbins ont essayé de reprendre le terrain perdu en refusant de marier ceux qui ne sont pas circoncis. Les événements de la deuxième guerre mondiale sont venus renforcer la pratique de la circoncision. En 1979, l'assemblée générale des rabbins a décidé que la circoncision était obligatoire et qu'elle devait être faite selon les normes juives avec le rituel religieux.

Actuellement, on assiste à un renouveau de la critique contre la circoncision dans les milieux juifs américains, critique axée surtout sur ses désavantages médicaux et psychiques. En raison de l'hostilité croissante du corps médical envers la circoncision médicale, les juifs se retrouvent progressivement seuls devant la décision. Leur sentiment religieux devenu faible, ils ne sont plus motivés à pratiquer la circoncision religieuse, soit en refusant de faire circoncire leurs enfants, soit en les faisant circoncire dans les hôpitaux sans rituel. Face à cette situation, certains auteurs juifs demandent d'être plus souple dans la pratique de la circoncision, en privilégiant le rituel à l'amputation du prépuce, en établissant un rituel parallèle aux filles et en permettant la pratique de la circoncision par des femmes. Mais d'autres ont opté pour la suppression de la mutilation tout en maintenant un rituel religieux égalitaire pour les garçons et les filles. Au lieu de couper le prépuce, certains proposent de couper une carotte à titre symbolique. D'autres enfin rejettent aussi bien le rituel que la mutilation.

Cette contestation a gagné Israël où des activistes des droits de l'homme ont créé en 1997 une organisation pour lutter contre les mutilations sexuelles. Des dizaines de parents, malgré l'hostilité de leurs familles, refusent de circoncire leurs enfants, pratique qu'ils considèrent comme contraire à la législation israélienne qui interdit l'abus et les mauvais traitements contre les enfants. Le chanteur et critique littéraire Menachem Ben dit qu'il a circoncis son fils à sa manière, en se référant au texte de la Bible qui parle de la circoncision du cœur. A ceux qui avancent les avantages de la circoncision, ces opposants répliquent qu'il y a plus d'enfants qui meurent à cause de la circoncision que des infections contre lesquelles elle est prétendue protéger, et qu'il suffit de laver le pénis pour le maintenir propre. Invoquant Maïmonides, ils ajoutent que la circoncision réduit le plaisir sexuel.

Le Grand Rabbin d'Israël Eliahu Bakshi Doron dit qu'à son grand chagrin il savait que cela finira par arriver: La haine de soi-même a pris le peuple; l'idée que tout ce qui est juif est abominable s'est étendue à la circoncision. Il ajoute que les prétentions que la circoncision pourrait causer un dommage ne justifient pas de douter de cette coutume ancienne. Et même si la circoncision lèse le plaisir sexuel, cela n'est pas une tragédie.


8) Arguments religieux chez les chrétiens

A) Nouveau Testament

Jésus attaqua fortement les autorités religieuses de son temps. Il dénonça la loi du talion (Mt 5:38-39) et la lapidation de l'adultère (Jn 8:3-11). Mais nous ne trouvons aucune position concrète de Jésus concernant la circoncision. Des quatre évangiles, seul l'évangile de Luc nous rapporte que Jésus a été circoncis "lorsque furent accomplis les huit jours" (Lc 2:21). On trouve une autre référence à la circoncision dans l'évangile de Jean:

Pourquoi cherchez-vous à me tuer? La foule répondit: Tu es un démon. Qui cherche à te tuer? Jésus leur répondit: Pour une seule oeuvre que j'ai faite, vous voilà tous étonnés. Moïse vous sa donné la circoncision - non qu'elle vienne de Moïse mais des patriarches - et, le jour du sabbat, vous la pratiquez sur un homme. Alors, un homme reçoit la circoncision, le jour du sabbat, pour que ne soit pas enfreinte la loi de Moïse, et vous vous indignez contre moi parce que j'ai guéri un homme tout entier le jour du Sabbat. Cessez de juger sur l'apparence; jugez selon la justice (Jn 7:19-24).

Lorsque des non-juifs ont commencé à devenir chrétiens, il y a eu un grand débat sur la circoncision rapporté par les Actes des apôtres. Après que Pierre ait répondu à l'invitation d'un centurion romain incirconcis et l'ait converti, les chrétiens circoncis d'origine juive l'ont pris à partie, lui reprochant d'être entré chez des incirconcis et d'avoir mangé avec eux (11:2-3). Pierre a justifié son geste par une vision dans laquelle il a entendu une voix lui dire à trois reprises: "Ce que Dieu a purifié, toi, ne le dis pas souillé" (10:15-16 et 11:8-10). Mais les circoncis ne l'entendaient pas de cette oreille; "certains gens descendus de Judée enseignaient aux frères: Si vous ne vous faites pas circoncire suivant l'usage qui vient de Moïse, vous ne pouvez être sauvés" (15:1). La question fut traitée dans une réunion des apôtres et des anciens qui se tint à Jérusalem (15:2). Jacques arbitra le débat en décidant "qu'il ne faut pas tracasser ceux des païens qui se convertissent à Dieu. Qu'on leur demande seulement de s'abstenir de ce qui a été souillé par les idoles, des unions illégitimes, des chairs étouffés et du sang" (15:19-20).

Paul, chargé de convertir les païens, est revenu à plusieurs reprises sur cette question. Deux passages résument sa position:

- Que chacun continue de vivre dans la condition que lui a départie le Seigneur, tel que l'a trouvé l'appel de Dieu. C'est la règle que j'établis dans toutes les Églises. Quelqu'un était-il circoncis lors de son appel? qu'il ne se fasse pas de prépuce. L'appel l'a-t-il trouvé incirconcis? qu'il ne se fasse pas circoncire. La circoncision n'est rien, et l'incirconcision n'est rien; ce qui compte, c'est de garder les commandements de Dieu (I Cor 7: 17-20).

- Vous vous êtes dépouillés du vieil homme avec ses agissements, et vous avez revêtu le nouveau, celui qui s'achemine vers la vraie connaissance en se renouvelant à l'image de son Créateur. Là, il n'est plus question de Grecs ou de Juifs, de circoncision ou d'incirconcision, de Barbare, de Scythe, d'esclave, d'homme libre; il n'y a que le Christ, qui est tout et en tout (Col 3:10-11).

D'obligatoire, la circoncision est devenue ainsi facultative, pour des raisons théologiques et tactiques. On remarquera ici qu'on ne trouve aucune référence dans les textes de l'Ancien ou du Nouveau Testament évoquant l'inviolabilité de l'intégrité physique d'une personne non consentante ou une justification médicale pour la circoncision, principaux arguments utilisés aujourd'hui dans la discussion de la circoncision masculine et féminine.

B. Débat actuel

Le débat sur la circoncision masculine a continué dans les premiers siècles parmi les chrétiens. Origène (185-254) présente la circoncision charnelle d'Abraham comme "une figure de la circoncision spirituelle": "beaucoup de choses se produisaient en figure et en image de la réalité à venir" (1 Cor 10:11). Il ajoute que la circoncision qui est demandée par Dieu est celle du cœur (dite spirituelle) et non pas du prépuce (dite charnelle). Pour lui, l'homme doit circoncire non seulement le prépuce, mais tous ses membres en s'abstenant de les utiliser pour commettre le péché. Il traite la circoncision charnelle de pratique "honteuse, répugnante, hideuse, et que, rien que par son mode et son aspect extérieur, elle fait obscène".

Cette interprétation allégorique de la circoncision se retrouve chez Cyrille, Patriarche d'Alexandrie (v. 376/380-444) lequel reproche aux juifs d'avoir pris la Bible à la lettre. Citant Paul (I Cor 7:19), il écrit: "Le sens de la circoncision véritable atteint sa plénitude non pas dans ce que subit la chair, mais dans la volonté de faire ce que Dieu prescrit. A cet argument religieux, Cyrille ajoute celui de la perfection de la nature humaine:

... le Dieu qui est au-dessus de toutes choses a créé des milliers de races d'êtres vivants dépourvus de raison. Or il apparaît qu'il n'y a dans leur constitution orientée vers la beauté la plus exacte, rien qui soit imparfait ni superflu. Elles sont tout à fait affranchies de ces deux calomnies et ont échappé à cette double accusation. Comment donc Dieu, l'artiste par excellence, lui qui a eu une telle attention dans les plus petites choses, aura-t-il fait une erreur dans la plus précieuse de toutes? Et lorsqu'il y introduit dans le monde celui qui est à son image, l'aura-t-il fait paraître plus laid que les êtres dépourvus de raison, s'il est vrai qu'en eux il n'y a aucune erreur, alors qu'en lui il en est une?

Saint Thomas d'Aquin dit clairement que le chrétien qui se fait circoncire commet un péché mortel. Malgré cette opposition, la circoncision a continué dans certaines communautés chrétiennes au Proche-Orient en contact avec les musulmans. C'est notamment le cas des Coptes Égypte, du Soudan et Éthiopie qui pratiquent tant la circoncision masculine que féminine. Dans mes discussions avec les Coptes d'Égypte, j'ai constaté qu'ils utilisent les mêmes arguments que les musulmans: la circoncision d'Abraham et de Jésus. Ils ne sont pas au courant de la position des Actes des apôtres ou des lettres de Saint Paul. Quant aux responsables religieux coptes, ils disent que le baptême a remplacé la circoncision pour le chrétien. Se référant à Saint Paul, Anba Gregorius répète que la circoncision n'est rien. Il n'y voit que coutume et mesure hygiénique facultative. Le chrétien qui veut se faire circoncire doit cependant le faire avant le baptême. S'il le fait après, il commet un péché mortel.

Dans notre siècle, le débat religieux autour de la circoncision masculine a repris de plus belle parmi les chrétiens, notamment parmi les fondamentalistes protestants des Etats-Unis. Dans ce pays, la justification scientifique sert à réhabiliter l'Ancien Testament. Et cela ne se limite pas au domaine de la circoncision.

Publié en 1963, actuellement dans son 15ème tirage, le livre "Non of these diseases" du médecin chrétien McMillen a été vendu à plus d'un million d'exemplaires. Le titre de ce livre provient d'une citation d'Exode mentionnée dans la préface:

Si tu écoutes bien la voix de Yahvé ton Dieu et fais ce qui est droit à ses yeux, si tu prêtes l'oreille à ses commandements et observes toutes ses lois, tous les maux que j'ai infligés à l'Égypte, je ne te les infligerai pas, car je suis Yahvé, celui qui te guérit (Ex 15:26).

Cet ouvrage dit que la promesse contenue dans ce verset reste pertinente même au vingtième siècle. Il consacre un chapitre à la sagesse derrière la circoncision. Rapportant un cas de décès par cancer, il prétend que les juifs ne souffrent que rarement du cancer du pénis, à cause de la circoncision instituée par Dieu. La circoncision doit se faire comme prescrite par Dieu au huitième jour... pour des raisons médicales: la vitamine K se développe le plus au huitième jour. Faire l'opération avant donne lieu à plus d'hémorragie; la faire plus tard traumatise l'enfant. Il oublie cependant que la circoncision à cet âge est la plus dangereuse du fait que le prépuce est souvent collé au gland, ce qui augmente le risque d'hémorragie.

Le Pasteur Dan Gayman a écrit un pamphlet: Lo, children... our heritage from God, titre inspiré du Psaume 127:3: "C'est l'héritage de Yahvé que des fils récompense". Il y présente la circoncision comme une directive non seulement pour la santé du mâle, mais aussi pour sa moralité et sa spiritualité. Elle a été donnée à Abraham et doit être pratiquée par tous ses descendants au huitième jour, y compris les chrétiens. Elle aide à maintenir la pureté en réduisant la sexualité et à prévenir de nombreuses maladies. Ceux qui désobéissent aux ordres divins doivent s'attendre à subir les conséquences néfastes.

L'évangéliste de la télévision Pat Roberston qui s'était présenté à la présidence des États-Unis en 1988 dit: "Si Dieu a donné des instructions à son peuple d'être circoncis, ceci est certainement pour une bonne raison puisque Dieu est parfait dans sa sagesse et sa connaissance".

Le Pasteur Jim Bigelow conteste cette utilisation de la Bible. S'il est vrai que la circoncision prescrite par Dieu aux juifs est bonne, alors il faut aussi considérer comme bonnes toutes les prescriptions bibliques comme les normes relatives à la purification des femmes, aux normes de la nourriture kasher, etc. La Bible dit: "Vous ne pourrez manger aucune bête crevée. Tu la donneras à l'étranger qui réside chez toi pour qu'il la mange, ou bien vends-la à un étranger du dehors. Tu es en effet un peuple consacré à Yahvé ton Dieu" (Dt 14:21). Comment Dieu peut-il interdire aux uns et permettre aux autres de manger une bête crevée?

Bigelow ajoute que la circoncision pratiquée aujourd'hui diffère de la circoncision symbolique prévue dans la Bible. On ne saurait donc lui attribuer tous les bienfaits que les "scientifiques" lui attribuent. Et si Dieu voyait que la circoncision était nécessaire au huitième jour, pourquoi alors a-t-il laissé errer son peuple dans le désert pendant 40 ans sans circoncision?. Si la circoncision était nécessaire, il serait inconcevable que le nouveau Testament la considère comme "rien" (I Cor 7:19). Dieu peut-il exposer ses croyants pendant deux milles ans aux dangers si la circoncision était véritablement utile pour la santé? Or, les textes du Nouveau Testament sont inspirés par le Saint Esprit.

Romberg, infirmière chrétienne mariée à un juif, et auteur d'un grand ouvrage contre la circoncision, explique que des parents chrétiens, tout en sachant que la circoncision n'a pas de raison d'être sur le plan médical, estiment que la circoncision est bonne étant prescrite par l'Ancien Testament. De ce fait, elle a écrit un petit document de six pages pour les en dissuader. Sa position peut être résumée comme suit:

- Certaines pratiques prévues par la Bible ne sont plus acceptées aujourd'hui, comme brûler des oiseaux et des animaux.

- Pour les chrétiens, la question de la circoncision a été tranchée par le Nouveau Testament qui la considère comme "rien".

- La Bible n'a pas prescrit la circoncision pour des raisons hygiéniques. En outre, elle en parle d'une manière métaphorique: circoncision du coeur, des oreilles.

- Jésus était circoncis, mais Marie et Joseph étaient juifs et n'avaient pas le choix dans ce temps-là. St Ambroise explique: "Puisque le prix a été payé pour tous par le Christ par sa souffrance, il n'y a plus besoin de faire couler le sang de chacun par la circoncision".

- En faisant souffrir les enfants, la circoncision va contre les deux principes du Nouveau Testament: "Le fruit de l'Esprit est charité, joie, paix, longanimité serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi" (Ga 5:22-23) et "Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous mêmes pour eux" (Mt 7:12).


9) Arguments religieux chez les musulmans

A. Le Coran et la Sunnah

Le Coran, la première source du droit musulman, ne mentionne ni la circoncision masculine ni la circoncision féminine. Des auteurs musulmans trouvent cependant une justification de la circoncision masculine dans le verset 2:124: "Lorsque son Seigneur éprouva Abraham par certains ordres et que celui-ci les eut accomplis, Dieu dit: "Je vais faire de toi un guide pour les hommes".

Recourant à certains récits de Mahomet, les auteurs musulmans classiques et modernes interprètent le terme "ordres" comme se référant à la circoncision d'Abraham. Or, comme Abraham est un modèle pour les musulmans, ceux-ci doivent agir comme il a agi: "Nous t'avons ensuite révélé: Suis la Religion d'Abraham, un vrai croyant" (16:123).

A défaut de texte coranique clair, les auteurs musulmans classiques et modernes recourent à des récits de Mahomet.

- Mahomet a demandé à une circonciseuse si elle continue à pratiquer son métier. Elle a répondu par l'affirmative en ajoutant: "à moins que cela ne soit interdit et que tu ne me commandes de cesser cette pratique". Mahomet lui a répliqué: "Mais si, c'est permis. Approche-toi de moi pour que je puisse t'enseigner: Si tu coupes, n'exagère pas car cela rend plus rayonnant le visage et c'est plus agréable pour le mari". Selon d'autres rapporteurs, il lui aurait dit: "Coupe légèrement et n'exagère pas car c'est plus agréable pour la femme et meilleur pour le mari".

- Mahomet dit: "La circoncision est une sunnah pour les hommes et makrumah pour les femmes". Le terme sunnah ici signifie qu'elle est conforme à la tradition de Mahomet, ou tout simplement une coutume du temps de Mahomet. Le terme makrumah signifie "action méritoire". Ce qui implique qu'il est préférable de pratiquer la circoncision féminine. Les chi'ites citent l'Imam Al-Sadiq: "la circoncision féminine est une makrumah, et que y a-t-il de meilleur qu'une makrumah?".

- Mahomet dit: "Celui qui devient musulman qu'il se circoncise même s'il est âgé".

- On demanda à Mahomet si un incirconcis pouvait faire le pèlerinage. Il répondit: "Non, tant qu'il n'est pas circoncis".

- Mahomet dit: "Cinq [normes] appartiennent à la fitrah: le rasage du pubis, la circoncision, la coupe des moustaches, l'épilation des aisselles et la taille des ongles". Le terme fitrah désignerait les pratiques que Dieu a enseignées à sa créature. Celui qui recherche la perfection doit se conformer à ces pratiques. Il ne s'agit pas de pratiques obligatoires, mais simplement conseillées.

- Mahomet dit: "La terre devient impure pendant quarante jours par l'urine d'une personne incirconcise". Ce récit est rapporté dans les ouvrages chi'ites.

Les auteurs musulmans classiques rapportent aussi que Sarah, jalouse de Hagar, s'est disputé avec elle et a juré de la mutiler. Abraham a protesté. Sarah a répondu qu'elle ne pouvait parjurer. Alors Abraham a indiqué à Sarah de la circoncire "pour que la circoncision devienne une norme parmi les femmes". Ils citent aussi l'évangile apocryphe de Barnabé selon lequel le Christ aurait confirmé l'obligation de la circoncision masculine.

B. Débat actuel autour de la circoncision masculine

La circoncision ne semble pas avoir été toujours prescrite parmi les musulmans. Les auteurs classiques ne sont pas unanimes concernant la circoncision de Mahomet. Certains pensent qu'il est né circoncis et d'autres, qu'il a été circoncis par un ange ou par son grand-père. Ayant appris le décès de vieillards auxquels un gouverneur avait commandé de se circoncire après leur conversion, Hasan Al-Basri, compagnon de Mahomet, s'indigna et dit que beaucoup de gens appartenant à différentes races sont devenus musulmans du temps de Mahomet et personne n'a cherché sous leurs habits pour voir s'ils étaient circoncis, et ils ne furent pas circoncis.

Plus proche de nous, certains ont rejeté l'interprétation qui est faite du verset 2:124, interprétation que Muhammad Abdu attribue aux juifs pour ridiculiser la religion musulmane. L'Imam Mahmud Shaltut dit aussi que cette interprétation est excessive. Ce dernier, se basant sur l'autorité de l'Imam Al-Shawkani, dit que les récits concernant la circoncision masculine et féminine ne sont ni clairs ni authentiques. Malgré cela, l'écrasante majorité des auteurs musulmans modernes soutient que la circoncision masculine est obligatoire.

Nous avons cependant trouvé cinq auteurs musulmans modernes qui contestent la pratique de la circoncision masculine:

- Le penseur égyptien Isam-al-Din Hafni Nasif a traduit en 1971 l'ouvrage de Joseph Lewis: In the name of humanity, sous le titre: "La circoncision est une erreur israélite nuisible". Dans sa préface, plus longue que l'ouvrage lui-même, Nasif demande de mettre fin à la circoncision masculine qu'il considère comme une pratique barbare introduite par les juifs dans la société musulmane.

- Le journaliste sarcastique Muhammad Afifi a publié dans la revue cairote Al-Hilal, avril 1971, un long compte-rendu de l'ouvrage susmentionné traduit par Nasif. Il n'y cache pas son hostilité à la circoncision masculine.

- Le juge libyen Mustafa Kamal Al-Mahdawi estime que la circoncision masculine est une coutume juive. Les juifs croient que Dieu ne les voit que s'ils portent la marque de la circoncision ou s'ils marquent de sang leurs portes. Il se réfère ici au commandement de Dieu donné aux juifs pour qu'ils mettent le sang de l'animal sacrifié sur les deux montants et le linteau des maisons parce qu'il entendait frapper tous les premiers-nés en Égypte (Ex 12:7-13). Al-Mahdawi ajoute que le Coran ne mentionne pas une telle "logique spécieuse". Dieu ne s'adonne pas à de tels badinages tout comme il n'a pas créé le prépuce comme objet superficiel destiné uniquement à être coupé. Il cite le verset: "Notre Seigneur, tu n'as pas créé tout ceci en vain! Gloire à toi! Préserve-nous du châtiment du feu" (3:191).

- Jamal Al-Banna, frère cadet de l'Imam Hassan Al-Banna (fondateur du mouvement des Frères musulmans), invoquant le verset "Oui, nous avons créé l'homme dans la forme la plus parfaite" (95:4), dit que la circoncision masculine et féminine ne font pas partie de la religion musulmane puisqu'elles ne figurent pas dans le Coran.

- Edip Yuksel, auteur turc, représentant d'un groupe musulman aux États-Unis fondé par l'Égyptien Rashad Khalifa qui rejette toute référence aux récits de Mahomet, dit dans un communiqué sur internet: "On doit se demander comment un Dieu miséricordieux pourrait prôner un mal et une injustice pareils envers les enfants.... Pour tous les vrais savants du Coran, la réponse est claire. Dieu, dans sa pitié infinie, ne peut pas agréer un tel rituel cruel. Cet acte n'est nullement mentionné dans le Coran. Ce n'est que dans les innovations (hadiths), oeuvres de l'homme, qu'on peut trouver de tels lois et rituels cruels... Mettons fin à ce vieux crime datant de nombreux siècles contre nos enfants". Ce communiqué renvoie à mon article sur internet "To mutilate in the name of Jehovah or Allah". Contacté par e-mail, Yuksel m'a confié que l'article en question a ouvert ses yeux et les yeux de ses amis.

Signalons à cet égard que le Coran parle de la perfection de la nature humaine dans dix versets. D'autre part, on y lit le verset suivant: "[Le démon dit]: "Oui, je prendrai un nombre déterminé de tes serviteurs; je les égarerai et je leur inspirerai de vains désirs; je leur donnerai un ordre, et ils fendront les oreilles des bestiaux; je leur donnerai un ordre, et ils changeront la création de Dieu" (4:119). Ce verset considère l'altération de la création de Dieu comme une obéissance au démon. Par conséquent, le silence du Coran en matière de circoncision masculine doit être interprété comme une opposition à cette pratique.

C. Débat actuel autour de la circoncision féminine

Bien que l'on trouve beaucoup d'auteurs musulmans qui condamnent la circoncision féminine, la majorité de ces auteurs, y compris dans les pays qui ne connaissent pas cette pratique, soutient qu'elle est une makrumah, acte méritoire, en se basent sur les récits de Mahomet. Le débat fait surtout rage en Égypte où 97% des femmes sont excisées. Dans ce pays, la Commission de fatwa a rendu plusieurs fatwas:

- La fatwa du 28 mai 1949 a déclaré que l'abandon de la circoncision féminine ne constitue pas un péché.

- La fatwa du 23 juin 1951 considère qu'il est souhaitable de pratiquer la circoncision féminine parce qu'elle modère la nature. Elle ne permet pas de prendre en considération les avis des médecins sur ses méfaits

- La fatwa du 29 janvier 1981, dont l'auteur est Jad-al-Haq, devenu par la suite le Cheikh de l'Azhar, affirme qu'il n'est pas possible d'abandonner les enseignements de Mahomet en faveur de l'enseignement d'autrui, fut-il un médecin, parce que la médecine évolue et n'est pas constante. La responsabilité de la circoncision des filles incombe aux parents et à ceux qui en ont la charge. Il ajoute: "Si les gens d'une contrée refusent de pratiquer la circoncision masculine et féminine, le chef de État peut leur déclarer la guerre".

- Jad-al-Haq a réitéré sa position dans une autre fatwa d'octobre 1994, dans laquelle il répéta trois fois la phrase relative à la déclaration de la guerre contre ceux qui abandonnent la circoncision masculine et féminine.

Tous les musulmans qui pratiquent la circoncision féminine pensent qu'elle fait partie de la religion. L'incirconcision a des conséquences graves sur le plan social. Dans certains pays, la fille incirconcise ne se marie pas et les gens commencent à parler d'elle comme de personne de mauvaise conduite, possédée par le diable. Dans la campagne égyptienne, la matrone qui pratique la circoncision féminine délivre un certificat qui sert pour le mariage. El-Masry rapporte les dires d'une sage-femme égyptienne qui avait circoncis plus de 1000 filles. Selon elle, "on devait lyncher les pères qui s'opposeraient à l'excision de leurs filles, parce que ces pères acceptaient en somme que leurs filles deviennent des prostituées".

De nombreuses organisations des pays musulmans où la circoncision féminine est pratiquée essaient de s'y opposer. Elles rappellent que le Coran affirme la perfection de la créature de Dieu. Les adversaires de la circoncision féminine ajoutent que les récits attribués à Mahomet sont peu crédibles. C'est l'avis de l'Imam Shaltut et du Cheikh Muhammad Al-Tantawi qui estiment qu'à défaut de base certaine dans le Coran et les récits de Mahomet, il faut se référer à l'opinion des médecins.

Mais quelle est la valeur de l'argument religieux? Est-ce que parce que la loi du talion est inscrite dans la Bible il faut l'appliquer? Est-ce que parce que la Bible condamne à mort celui qui travaille le jour du sabbat il faut l'appliquer dans notre société? Est-ce que parce que la Bible prive les femmes de la succession il faut les priver aujourd'hui de la succession? Passons maintenant au débat juridique. Si aujourd'hui on se met à appliquer tout ce que la Bible dit, la société retomberait dans la barbarie.


10) Interdiction de la circoncision masculine dans l'histoire

Les écrits juifs présentent généralement l'abolition de la circoncision masculine dans l'histoire comme faisant partie d'un complot visant à les exterminer. Mais cela relève de l'exagération.

La 1ère interdiction connue de la circoncision masculine a été l'œuvre du roi d'Israël Achab (qui a régné de 875 à 853 av. J.-C.) et sa femme Jézabel. Elle est déduite d'une parole d'Élie: "Je suis rempli d'un zèle jaloux pour Yahvé Sabaot, parce que les Israélites ont abandonné ton alliance, qu'ils ont abattu tes autels et tué tes prophètes par l'épée. Je suis resté moi seul et ils cherchent à m'enlever la vie" (I R 19:9-10). L'expression ont abandonné ton alliance se référerait à l'abandon de la circoncision. Et c'est en commémoration de ce zèle d'Élie que les juifs installent encore aujourd'hui une chaise dite chaise d'Élie lors de la cérémonie de la circoncision. Tout ce qu'on peut déduire du texte biblique est que la circoncision faisait l'objet de conflit à l'intérieur de la communauté juive elle-même. Une partie, représentée par le pouvoir politique, était opposée à cette pratique, et l'autre partie, représentée par le pouvoir religieux, lui était favorable.

La 2ème interdiction date du temps du roi grec de Syrie Antiochus Épiphane (d. 164 av. J.-C.). Sous son règne, nous dit le livre des Maccabées, "surgit d'Israël une génération de vauriens qui séduisirent beaucoup de personnes". Ceux-ci désiraient fusionner avec les autres nations. Ils ont réussi à convaincre plusieurs parmi le peuple d'aller trouver le roi. Ils ont demandé et obtenu "l'autorisation d'observer les coutumes païennes". "Ils construisirent donc un gymnase à Jérusalem, selon les usages des nations, [et] se refirent des prépuces". Probablement encouragé par l'initiative de ces juifs, "le roi publia ensuite dans tout son royaume l'ordre de n'avoir à former tous qu'un seul peuple et de renoncer chacun à ses coutumes: toutes les nations se conformèrent aux prescriptions royales". Beaucoup de juifs ont fait bon accueil à ses mesures. Le roi a envoyé aussi, par messagers, à Jérusalem et aux villes de Juda, des édits leur enjoignant de laisser leurs fils incirconcis. Les femmes qui avaient fait circoncire leurs enfants, ils les mettaient à mort, suivant l'édit, avec leurs nourrissons pendus à leur cou, exécutant aussi leurs proches et ceux qui avaient opéré la circoncision (I M 1:11-64). "Deux femmes furent déférées en justice pour avoir circoncis leurs enfants. On les produisit en public à travers la ville, leurs enfants suspendus à leurs mamelles, avant de les précipiter ainsi du haut des remparts" (II M 6:10). Ces mesures drastiques ont irrité les rabbins. Un prêtre nommé Mattathias, ses cinq fils et les Assidéens "firent une tournée pour détruire les autels et circoncire de force tous les enfants incirconcis qu'ils trouvèrent sur le territoire d'Israël" (I M 2:42-46).

Nous nous trouvons ici aussi devant un conflit opposant des juifs et les autorités politiques d'une part, et des rabbins d'autre part. Ces derniers n'étaient d'ailleurs pas d'accord de laisser aux gens la liberté du choix puisqu'ils ont circoncis "de force tous les enfants incirconcis qu'ils trouvèrent sur le territoire d'Israël". Par conséquent, il nous semble excessif de parler d'une volonté d'exterminer les juifs.

Les écrits juifs se réfèrent aussi à l'empereur Hadrien (d. 138), pourtant un judéophile, qui aurait interdit la circoncision des juifs. Mais en fait les textes invoqués dans cette affaire sont peu clairs pour pouvoir les comprendre. Ce qui est certain par contre est que les juifs ont continué à pratiquer la circoncision masculine sur leurs enfants, y compris à Rome, mais qu'ils étaient punis, tout comme les chrétiens ou les païens, de confiscation de leurs biens, de mort ou d'exile lorsque la circoncision avait lieu sur des non-juifs. L'esclave que le juif circoncisait avait le droit à la liberté s'il dénonçait son maître. Les lois romaines visaient en fait à protéger la personne humaine contre les attentes à l'intégrité physique, mais en même temps laissaient aux juifs le droit de pratiquer leurs normes bien que cela soit contraire au droit à l'intégrité physique.


11) Interdiction de la circoncision masculine dans les temps modernes

Nous avons vu dans le débat religieux que des juifs réformés allemands ont tenté au 19ème siècle de se libérer de la circoncision. Ils se sont adressés aux autorités politiques, notamment à Francfort, pour qu'elles réglementent la circoncision de manière à laisser aux parents la liberté de circoncire ou de ne pas circoncire leurs enfants. Ces autorités étaient aussi intéressées à rendre l'opération moins risquée pour la santé en prévoyant des qualifications pour le circonciseur. Ce dernier problème a été aussi soulevé en France en 1843 où on a interdit au circonciseur juif de sucer le pénis de l'enfant, comme le veut la coutume juive, afin de ne pas l'infecter et l'exposer à la mort. Ces deux mesures qui relèvent de la liberté des parents et de l'hygiène ont provoqué une vive réaction de la part des rabbins, lesquels se croyaient en droit de régir la communauté juive sans restriction.

En Russie, il n'y a jamais eu de loi interdisant expressément la circoncision, pratiquée aussi bien par les juifs que les musulmans. Les juifs qui vivaient dans des milieux musulmans la pratiquaient normalement. Mais chez ceux des autres régions, la circoncision a connu une baisse à des degrés divers pour trois raisons:

- Il y avait avant tout la position hostile des juifs laïcs à l'égard de la circoncision. Des périodiques juifs communistes en yiddish menaient des campagnes virulentes contre les membres du parti communiste qui pratiquaient la circoncision.

- En 2ème lieu, il n'existe pas en Russie de culture en faveur de la circoncision, comme c'est par exemple le cas aux États-Unis. La position des organisations médicales officielles en Russie était hostile à cette pratique sur le plan médical, considérée comme une opération nocive à la santé des enfants, faite par des personnes incompétentes, dans des conditions non hygiéniques. A ces arguments médicaux, s'ajoutait l'argument idéologique: la circoncision était perçue comme un rituel relevant des civilisations primitives et nocif aux citoyens comme tout autre rituel religieux, et comme une marque de distinction nationaliste chauviniste créant un sentiment de supériorité à l'égard des autres.

- En dernier lieu, il y avait la position des autorités politiques, elles-mêmes opposées à la circoncision en tant que marque imposée aux enfants violant le droit constitutionnel de ne pas adhérer à une religion. La circoncision était aussi considérée comme contraire à l'article 227 du code pénal qui interdit les pratiques religieuses portant atteinte à la santé des citoyens. En cas de complications, le circonciseur était considéré comme ayant violé les normes interdisant la pratique de la médecine aux non-médecins. Les parents de l'enfant pouvaient aussi s'exposer à des pertes de privilèges et à des tracasseries. On signalera ici que les autorités tsaristes et soviétiques ont poursuivi de manière encore plus sévère la secte des castrats composée majoritairement de chrétiens du fait qu'elle mutilait les organes sexuels des citoyens.

En ce qui concerne la période nazie, la circoncision a été considérée comme marque d'identification des juifs. Certains juifs laissaient leurs enfants incirconcis ou recouraient à la restauration chirurgicale du prépuce pour échapper à la persécution. Étant objectivement et indirectement alliée aux desseins de Hitler, elle n'a jamais été interdite en Allemagne nazie.

Pour conclure ce point, on constate que la circoncision a été rarement interdite alors qu'elle aurait dû l'être en tant qu'atteinte flagrante à l'intégrité physique. Lorsqu'elle a été interdite, cette mesure ne visait pas à exterminer les juifs, contrairement à ce que certains prétendent. D'ailleurs les femmes juives étaient et restent incirconcises sans pour autant cesser d'être juives. Au lieu de rechercher les tentatives des ennemis des juifs à interdire la circoncision pour les exterminer, il nous semble plus judicieux et plus digne de respect d'honorer les opposants juifs ou non-juifs qui ont fait face aux autorités religieuses juives ou musulmanes. Ces autorités, comme nous l'avons vu dans le débat religieux, veulent s'imposer aussi bien aux vivants qu'aux morts en les marquant physiquement.

Signalons enfin qu'au lieu de rester limitée aux juifs et aux musulmans, la circoncision s'est étendue à de nombreux chrétiens qui suivent aveuglement les médecins et les religieux. Et aujourd'hui aucun pays au monde interdit cette pratique alors qu'elle viole les normes les plus élémentaires de la déontologie médicale et deux des principaux droits de l'homme, à savoir le droit à l'intégrité physique et à la vie.


12) Condamnation internationale de la circoncision féminine

Contrairement à la circoncision masculine, la circoncision féminine n'a pas retenu l'attention du législateur jusqu'à ces dernières décennies. Cette circoncision a été pratiquée (et continue à l'être) en Occident à partir du 19ème siècle par des médecins, soutenus par les religieux, pour combattre la masturbation et les maladies attribuées à cette dernière. Mais comme elle n'a pas de base religieuse dans la Bible, et en raison de la montée en puissance des mouvements féministes occidentaux, les pays occidentaux ont commencé à s'y opposer dans la période coloniale et après, par voie législative, judiciaire et médiatique. Ces pays ont réussi à se joindre des ONG dans les pays qui pratiquent la circoncision féminine à large échelle. La venue des immigrés africains en Occident a rendu cette campagne encore plus combative afin de les empêcher de pratiquer leurs coutumes en violation des lois occidentales.

Si nous analysons la position du législateur international, on constate qu'il a commencé à s'intéresser de la circoncision féminine à partir de 1931 dans un symposium tenu à Genève pour la sauvegarde de l'enfance. On a alors demandé aux pays coloniaux de lutter contre cette pratique. Mais la majorité des délégués ne partageait pas cette façon de voir; l'opinion générale maintenait qu'il valait mieux développer l'enseignement de façon à rendre les gens capables de conserver ou de rejeter telle ou telle coutume, comme ils l'entendaient.

En 1958, l'ONU a demandé à l'OMS à entreprendre une étude sur la persistance des coutumes qui consistent à soumettre les filles à des opérations rituelles, et sur les mesures prises ou projetées pour mettre fin à ces pratiques. Mais l'OMS a répondu que "les opérations rituelles ... résultant de conceptions sociales et culturelles" ne relèvent pas de sa compétence. La 1ère réponse de l'OMS aux demandes de l'ONU était la publication le 30 septembre 1976 d'un rapport du Dr américain Robert Cook, expert auprès du bureau régional pour la Méditerranée orientale de l'OMS. Ce rapport distingue entre trois types de circoncision féminine mais ne s'intéresse que de la circoncision la plus grave, considérant la première forme comme bénéfique puisqu'elle se pratique aussi aux États-Unis On ne commença à s'intéresser sérieusement de la circoncision féminine qu'à partir de 1979 avec un colloque tenu au Soudan. Depuis cette date, il ne se passe pas une année sans qu'il y ait un rapport, une déclaration ou un colloque contre la circoncision féminine de la part de l'ONU ou des ses organisations affiliées. On peut résumer leur position dans les points suivants:

- Condamnation de la circoncision féminine sous toutes ses formes, effectuée pour des raisons non thérapeutiques, en tant que violation du droit à l'intégrité corporelle et à la santé physique et psychique, et en tant que discrimination et violence envers les femmes.

- Refus de la médicalisation de la circoncision féminine non thérapeutique.

- Nécessité d'établir des lois interdisant la circoncision féminine et punissant ceux qui la pratiquent.

- Ces organisations ne disent pas s'il faut aussi interdire la circoncision féminine non-thérapeutique pratiquée par des femmes majeures.

Ces organisations gardent totalement le silence sur la circoncision masculine. Afin de distinguer entre la circoncision masculine et la circoncision féminine, elles ont procédé au changement du nom de la circoncision féminine, appelée désormais mutilation sexuelle féminine.

Le même phénomène est constaté avec le Conseil de l'Europe. En 1988, un parlementaire européen s'est indigné du fait que des hôpitaux italiens pratiquent l'infibulation et l'excision de fillettes de parents immigrés en provenance de pays en voie de développement. La Commission du CE lui a répondu que ce problème ne relève pas de sa compétence, tout en indiquant que des projets de santé publique et d'amélioration du statut de la femme dans ces pays peuvent sensibiliser les populations concernées sur les conséquences de ces pratiques. Mais le vent a commencé à tourner. La 3ème conférence ministérielle européenne sur l'égalité entre les femmes et les hommes du CE du 22-22 octobre 1993 a considéré la circoncision féminine comme une violence, et l'a classifiée parmi les mauvais traitements, l'inceste, la traite des femmes et le viol. Depuis cette date, le Conseil de l'Europe se penche périodiquement contre la circoncision féminine pour la condamner et demander à ses membres et aux pays qui la pratiquent de prendre toutes les mesures nécessaires pour l'abolir.


13) Condamnation nationale de la circoncision féminine

Les pays occidentaux et africains ont négligé la circoncision masculine alors qu'un certain nombre de ces pays ont édicté des lois contre la circoncision féminine. Certains de ces pays ont adopté des lois expresses qui interdisent et punissent la circoncision féminine, et d'autres se réfèrent à leurs codes pénaux pour condamner la circoncision féminine en tant qu'atteinte à l'intégrité physique de la personne sans son consentement et sans raison médicale. Parmi les pays occidentaux qui ont fait des lois, on citera les États-Unis, l'Angleterre, la Suède, et parmi les pays qui invoquent les normes du code pénal, on citera la Suisse, la France et l'Italie.

On citera parmi les pays africains, notamment le cas de Égypte. Ce pays avait adopté un décret en 1959 qui affirme que la circoncision féminine partielle fait partie des rituels de l'islam, contrairement à la circoncision féminine totale. Elle ne peut être pratiquée que par des médecins hors des établissements étatiques à condition d'être partielle. Les sages-femmes sont interdites de pratiquer la circoncision féminine. Ce texte est rarement cité dans les ouvrages juridiques égyptiens et ne figure pas dans les recueils des lois relatives à la santé. De plus, il n'a jamais été invoqué par les tribunaux égyptiens alors que le taux de circoncision féminine en Égypte est estimé à 97%. Cette opération est faite principalement par des dayas ou des barbiers, et parfois par des médecins.

Telle a été la situation juridique en Égypte jusqu'en 1994. Le 7 septembre 1994, la CNN a diffusé un film sur la circoncision d'une fille nommée Najla par un barbier dans un quartier populaire du Caire. C'était en pleine conférence internationale sur la population qui se tenait justement dans cette ville. La violence des scènes de l'opération a provoqué un tollé général sur le plan national et international. Le Ministre de la santé a essayé d'interdire la circoncire féminine, et a voulu rallier le cheikh de l'Azhar, Jad-al-Haq. Celui-ci lui a remis une fatwa dans laquelle il affirme que le chef de l'État peut déclarer la guerre contre la région qui ne pratique pas la circoncision masculine ou féminine. Ayant pris peur, le Ministre a issu le 19 octobre des instructions aux directeurs des affaires sanitaires dans lesquelles il interdit la circoncision tant masculine que féminine hors des hôpitaux et prévoit pour ces deux opérations des jours pour les pratiquer, à condition que les hôpitaux tentent de convaincre les familles de ne pas pratiquer la circoncision féminine.

Ceci signifie la médicalisation et la légalisation de la circoncision féminine. Les milieux opposés à cette dernière ont tiré à boulet rouge contre le ministre. Les États-Unis ont même menacé de couper toute aide économique à l'Égypte si le ministre ne revenait pas sur sa décision. De nombreuses déclarations ont été faites aussi en Égypte contre le décret ministériel. Le ministre de la santé a fini par céder. Le 17 octobre 1995, il a envoyé aux directeurs des affaires sanitaires dans les arrondissements les instructions selon lesquelles il interdit de faire la circoncision féminine dans les hôpitaux. Le 8 juillet 1996, il a promulgué le décret 261 suivant:

1) Interdiction de pratiquer la circoncision féminine dans les hôpitaux ou cliniques publics ou privés hormis les cas de maladie décidés par le directeur de la section de gynécologie et d'obstétrique à l'hôpital et sur proposition du médecin traitant.

2) La pratique de cette opération par les non-médecins sera considérée comme un délit punissable selon les lois et les règlements.

Cette 2ème clause est en fait une application de l'article 1er de la loi relative à l'exercice de la profession médicale no 415 de 1954 qui interdit aux non-médecins d'exercer ce métier sous une forme quelconque.

Le décret ministériel a satisfait les opposants, mais a enragé les défenseurs de la circoncision féminine. Le Dr Munir Fawzi et le cheikh Yusef Al-Badri ont porté plainte devant le tribunal administratif lui demandant de déclarer le décret en question contraire à l'islam et à la constitution, cette dernière considérant les principes du droit musulman comme la source principale du droit. Le tribunal leur a donné raison du fait que le parlement était le seul habilité à adopter une norme comportant une sanction pénale. Le ministre de la santé a fait appel. Le 1er ministre, le président du syndical des médecins et des ONG se sont joints à son action. Le 28 décembre 1997, la cour administrative suprême a décidé que le ministre a agi dans les limites de ses compétences. Elle a ajouté que le code pénal s'applique à la violation de l'intégrité physique des filles par la circoncision du fait que cette dernière n'a pas de fondement chirurgical ou religieux.


14) Position des ONG

Les ONG jouent un rôle important dans la société et contribuent à la formulation du système social et de la philosophie morale sur le plan national et international. C'est ainsi que le Comité international de la croix rouge a été à la base des quatre Conventions de Genève relatives au droit international humanitaire. De nombreux pays accordent une grande importance aux prises de position d'organisations telles qu'AI et Green Peace. Sans la pression des ONG, le législateur international n'aurait probablement jamais osé aborder un sujet aussi sensible que celui de la circoncision féminine, et la position du législateur national et international n'est souvent que le reflet des positions des ONG.

Il n'existe pas aujourd'hui de pays au monde qui n'ait pas une ONG luttant, directement ou indirectement, contre la circoncision féminine. Certaines de ces organisations sont spécialisées dans la lutte contre cette pratique, d'autres l'ont incluse dans leurs activités. On citera ici le Comité inter-africain, Rainbo, l'Association égyptienne pour la prévention des pratiques traditionnelles, l'Association médicale mondiale, le Conseil international des infirmières, Amnesty international et la Commission internationale des juristes.

Malgré le caractère humaniste de la campagne menée par les ONG susmentionnées contre la circoncision féminine, cette campagne viole le principe de la non-discrimination du fait qu'elle néglige la circoncision masculine. Pour combler cette lacune, plusieurs ONG ont vu le jour aux États-Unis visant à lutter contre la circoncision tant masculine que féminine. Mais comme ce pays est plus concerné par la circoncision masculine (avec un taux de 60% de circoncis), ces ONG concentrent leurs activités sur celle-ci. Nous citons ici notamment NOCIRC, Infirmières pour les droits de l'enfant, Médecins opposés à la circoncision, Avocats pour les droits de l'enfant, Circumcision resource center, Mothers against circumcision, NOHARMM, NORM, etc. Pour d'autres organisations, recherchez dans Internet sous circumcision.


15) Silence du législateur en matière de circoncision masculine

L'ONU et ses organisations spécialisées ont toujours établi une nette distinction entre la circoncision féminine qu'elles condamnent, et la circoncision masculine sur laquelle elles se taisent sans jamais faire une étude scientifique qui pourraient justifier cette distinction et ce silence.

Cette distinction est déjà faite au niveau des termes utilisés. Ces organisations ont utilisé au début le terme circoncision féminine, mais à partir de 1990 le terme adopté a été celui de mutilation sexuelle féminine, gardant le terme circoncision pour la seule circoncision masculine. Celle-ci n'a jamais été qualifiée dans les documents internationaux comme une mutilation. Lors du Séminaire de l'ONU tenu à Ouagadougou (Burkina Faso) en 1991, les participants ont demandé de dissocier dans l'esprit des gens entre la circoncision masculine et la circoncision féminine. Trois raisons sont invoquées contre la circoncision féminine: elle est basée sur des superstitions, elle n'est pas mentionnée dans la Bible ou le Coran, et elle est nuisible à la santé de la femme. Quant à la circoncision masculine, elle est considérée comme ayant une fonction hygiénique.

Les opposants, dont je fais partie, commencent à interroger les Nations Unies sur cette position discriminatoire. Le rapporteur spécial de l'ONU sur les pratiques traditionnelles, une marocaine, a fait état de cette situation dans son rapport de 1997 ainsi que dans son rapport de 2000. Dans ce dernier, elle indique qu'elle a reçu un certain nombre de lettres d'opposants à la circoncision masculine critiquant sa position unilatérale, mais elle insiste sur le fait que son mandat se limite à la circoncision féminine. Elle prétend que "les conséquences néfastes que génère la circoncision masculine ne peuvent en aucune façon être comparées ou assimilées aux violences, dangers et risques auxquels sont confrontées les fillettes et les femmes". Elle prétend aussi que "la circoncision masculine est associée à une réduction de la transmission du VIH de la femme à l'homme".

La vraie raison du silence de l'ONU et de ses organisations est d'ordre politique. Ceci m'a été expressément confirmé par Mme le Dr Leila Mehra de l'OMS lors d'une rencontre du 12 janvier 1992 dans son bureau à Genève. A la question de savoir pourquoi l'OMS s'occupe de la circoncision féminine et délaisse la circoncision masculine, elle m'a répondu: "La circoncision masculine est mentionnée dans la Bible. Est-ce que vous cherchez à nous créer des problèmes avec les juifs?" Le même jour, j'ai rencontré à Genève la présidente du Comité inter-africain, Mme Berhane Ras-Work. Je lui ai posé la même question. Étrangement, elle m'a donné la même réponse.

De toute évidence une telle distinction, si elle n'est pas justifiée, constitue une violation du principe de la non-discrimination qui est inscrit dans tous les documents des Nations Unies, les constitutions de tous les pays et dans les statuts des organisations non gouvernementales comme par exemple Amnesty international. C'est la raison pour laquelle certains membres d'Amnesty demandent à cette dernière de respecter ses statuts et d'étendre son opposition aussi à la circoncision masculine. Mais pour le moment en vain. On citera ici notamment la Convention de l'enfant dont l'art. 2 chiffre 1 dit: "Les États parties s'engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou autre de l'enfant ou de ses parents ou représentants légaux, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation".

Il n'est pas difficile, dans cette situation, de conclure que si le silence en matière de circoncision masculine est dicté par la politique, la campagne contre la circoncision féminine est aussi dictée par la politique. Ainsi l'Oman connaît un taux très élevé de circoncision féminine. Pourtant ce pays n'est jamais tracassé par l'ONU, l'OMS et autres organismes, contrairement à ce qui se passe avec l'Égypte. La présidente de l'Association des femmes omanaises m'a expliqué l'oubli de son pays par le fait qu'il n'est pas visé politiquement, contrairement à l'Égypte. Pour elle, la campagne contre la circoncision féminine est avant tout une campagne politique.

Certes, nous ne pouvons pas demander que cesse la campagne contre la circoncision féminine, même si elle n'est qu'un prétexte pour attaquer des pays particuliers. "Faites du bien et on vous fait grâce de vos raisons". Si on peut sauver des filles de la mutilation, il faut rendre hommage à la campagne contre cette pratique, même si elle cache des visées politiques. Mais ce qui est véritablement scandaleux, c'est de se taire devant la mutilation de millions d'enfants pour des raisons politiques. Cette attitude de deux poids deux mesures pervertit les actes humains les plus dignes et peut avoir des effets contre-productifs. Même des femmes engagées contre la circoncision féminine peuvent se sentir flouées et utilisées à des fins politiques. Le Dr Amal Shafiq, une femme égyptienne de religion musulmane, travaillant dans le cadre de l'UNICEF au Caire, a participé en 1998 à un colloque organisé par l'UNICEF à Genève. Elle s'est présentée lors du colloque comme activiste luttant contre la circoncision féminine et masculine. Crime suprême aux yeux de l'UNICEF. La responsable du colloque, une Suissesse de religion chrétienne, s'est approchée de l'Égyptienne et lui a dit: "Madame, vous faites bien de lutter contre la circoncision féminine, mais la circoncision masculine vous n'avez pas à vous en occuper. Elle ne fait pas partie de notre activité". Scandalisée, la femme égyptienne m'a téléphoné: "Pourquoi la Suissesse chrétienne défend-elle la circoncision masculine, alors que la collègue juive israélienne assise à côté de moi n'a pas réagi? Est-ce que l'Église joue un si grand rôle néfaste en Suisse?"


16) Circoncision et droits religieux et culturels

Vu l'importance des normes religieuses et culturelles, le législateur, de tout temps, a essayé de reconnaître aux communautés le droit de vivre selon leurs normes religieuses et de pratiquer leur culture. Ceci est vrai du temps des Romains dans leurs rapports avec les juifs et les autres communautés qui composaient l'empire. C'est aussi vrai de notre temps, ce droit figurant dans de nombreux documents internationaux et nationaux. Or, le droit des communautés ne peut être accepté lorsqu'il s'agit de violation de principes fondamentaux comme le droit à l'intégrité physique ou le droit à la vie. Si on doit reconnaître par exemple aux juifs ou aux musulmans de pratiquer la circoncision masculine au nom de la religion, on doit aussi permettre aux africains et aux musulmans la circoncision féminine au nom de la religion et de la culture.

La position du législateur international et national cependant établit une distinction nette entre la circoncision masculine qui reste tolérée sans raison valable, et la circoncision féminine qui est interdite. Lors du séminaire relatif aux pratiques traditionnelles à Ouagadougou en 1991, séminaire organisé par la Commission des droits de l'homme, la majorité des participants était d'avis qu' "aussi bien les explications tirées de la cosmogonie que celles issues de la religion doivent être assimilées à la superstition et dénoncées comme telles. Ni la Bible, ni le Coran ne prescrivent aux femmes d'être excisées". Ainsi, on dévalorise les conceptions religieuses qui ne figurent ni dans la Bible ni dans le Coran, conceptions considérées comme relevant de la superstition.

On retrouve cette distinction dans les législations et les positions des organisations médicales des pays occidentaux. Dans ces pays, on continue à tolérer la circoncision masculine, considérée comme pratique religieuse et culturelle, mais on rejette la circoncision féminine malgré le fait qu'elle est considérée par ceux qui la pratiquent comme faisant partie de leur culture et de leur religion. Ces pays ne permettent pas qu'on invoque la culture et la religion comme justification pour cette pratique.

Mais cette situation n'est pas correcte. Il est intéressant d'exposer sommairement le cheminement intellectuel du professeur Margaret Somerville de la Faculté de droit de McGill, à Montréal. Elle explique comment elle avait commencé par s'attaquer à la circoncision féminine avant de découvrir que la circoncision masculine aussi était injustifiée sur le plan médical, éthique et juridique. Malgré sa découverte, elle a gardé le silence pendant sept ans avant d'exprimer ouvertement son opinion: "La raison principale pour laquelle j'ai pris un si long temps avant de parler publiquement contre la circoncision masculine routinière ... était ma grande crainte de soutenir en quelque sorte les sentiments antisémites et anti-musulmans".

Somerville estime qu'on peut permettre la circoncision masculine si la communauté croit vraiment qu'elle fait partie de sa religion, mais à condition d'utiliser les moyens nécessaires pour réduire la souffrance et que seule la forme prévue originairement par la religion soit appliquée. Elle a exposé ses idées lors du 5ème colloque international qui a eu lieu à Oxford en 1998 auquel j'ai participé. A peine a-t-elle fini son intervention, un médecin juif d'Israël s'est lancé vers elle plein de colère et lui a dit: "De quel droit autorisez-vous mes parents à disposer de mes organes sexuels? Mes organes sexuels m'appartiennent exclusivement et mes parents n'ont aucun droit d'en disposer au nom de la religion". De nombreux participants ont exprimé aussi leur mécontentement face à cette position mi-figue mi-raisin qui cherche à ne pas fâcher la communauté juive et musulmane. Ils ont estimé que si on commence à ouvrir la porte à la circoncision masculine pour ne pas blesser les sentiments de ces deux communautés, on finira par l'ouvrir à la circoncision féminine pour cette même raison. Et qui sait, on devra aussi céder devant la loi du talion (œil pour œil, dent pour dent), l'amputation de la main du voleur, la lapidation de l'adultère et la mise à mort de l'apostasie du moment que ces normes sont des normes religieuses communautaires sans aucun doute.


17) Circoncision et droit à l'intégrité physique et à la vie

La circoncision, tant masculine que féminine, est une atteinte à l'intégrité physique qui réduit les fonctions naturelles et conduit à des complications physiques, psychiques et sexuelles, et parfois à la mort. De ce fait, elle est une violation du droit à l'intégrité physique et du droit à la vie.

Ces deux droits sont parmi les droits les plus importants de l'homme. Les lois de tous les pays du monde en font mention, prévoient des sanctions pénales et donnent droit à des actions civiles de réparation contre ceux qui les violent. Il aurait été donc évident que le législateur international les mette explicitement en tête des droits qu'il garantit. Ceci est le cas en ce qui concerne le droit à la vie.

Il ne fait pas de doute que la circoncision masculine et féminine non justifiées médicalement, en exposant l'enfant au risque de décès, violent arbitrairement son droit à la vie. Ces deux pratiques violent aussi arbitrairement son droit à l'intégrité physique. Mais, très étrangement, ni la déclaration universelle des droits de l'homme, ni la convention des droits de l'enfant, ni le pacte civil, ni la convention européenne des droits de l'homme ne mentionne le droit à l'intégrité physique. Les deux seuls documents internationaux qui en font mention sont la Convention américaine et la Charte africaine des droits de l'homme:

On est à cet égard légitimé à se demander pourquoi l'ONU et l'Europe ont oublié le droit à l'intégrité physique. C'est un mystère.


18) La circoncision, mauvais traitement et torture

Le mauvais traitement et la torture sont interdits par différents documents internationaux. Ainsi la Déclaration universelle dit:

Art. 5 - Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

La Déclaration de Tokyo de l'AMM de 1975 dit:

- Le médecin ne devra jamais assister, participer ou admettre les actes de torture ou autres formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants, quels que soient la faute commise, l'accusation, les croyances ou motifs de la victime, dans toutes situations, ainsi qu'en cas de conflit civil ou armé.

- Le médecin ne devra jamais fournir les locaux, instruments, substances, ou faire état de ses connaissances pour faciliter l'emploi de la torture ou autre procédé cruel, inhumain ou dégradant ou affaiblir la résistance de la victime à ces traitements.

Les opposants de la circoncision féminine, y compris les Nations Unies et le Conseil de l'Europe considèrent la circoncision féminine comme une forme de torture, sans faire de distinction entre les différents types de cette opération. Par contre, on garde entièrement le silence concernant la circoncision masculine même lorsqu'elle est faite selon la forme la plus sévère. Les opposants de la circoncision masculine disent que la circoncision masculine est une torture. Rappelons ici que dans la guerre de Yougoslavie, des chrétiens ont subi des opérations de circoncision de la part de groupes musulmans. Ceci figure dans les rapports de l'ONU qui considèrent l'atteinte aux organes sexuels comme un crime de guerre. Ce qui fait dire aux organismes opposés à la circoncision masculine qu'elle doit être traitée comme une torture.


19) Circoncision et droit à la pudeur

Les lois de tous les pays du monde sanctionnent les atteintes à la pudeur. Le respect de la pudeur de l'enfant est prévu par la Convention de l'enfant:

Article 16 al. 1 - Nul enfant ne fera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.

Article 34 - Les États parties s'engagent à protéger l'enfant contre toutes les formes d'exploitation sexuelle et de violence sexuelle

Le respect de la pudeur est affirmé aussi dans les normes déontologiques médicales. Dans le Serment d'Hippocrate (d. 377 av. J.-C.), il est dit:

Dans quelque maison que j'entre, j'y entrerai pour l'utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur et surtout de la séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves.

La Déclaration des droits du patient de l'AMM dit:

La dignité et le droit à la vie privée du patient, en matière de soins comme d'enseignement, seront à tout moment respectés.

Celui ou celle qui circoncit déshabille sa victime, manipule ses organes sexuels et les mutile. Et lorsqu'il s'agit de circoncision juive, la règle religieuse veut que le circonciseur mette le pénis de l'enfant dans sa bouche et le suce. Il ne fait pas de doute que de tels comportements tombent sous le coup des normes pénales relatives à la pudeur et à la pédophilie du moment que la circoncision n'est pas justifiée médicalement.

Les opposants à la circoncision féminine en Égypte n'hésitent pas à recourir à ces normes. Ainsi, le vice-président de la cour de cassation égyptienne écrit que le médecin qui touche le sein d'une femme commet une atteinte à la pudeur sauf s'il existe une raison médicale. Il en est de même de celui qui touche les organes sexuels de la fille. Des tribunaux égyptiens ont considéré tant la circoncision masculine que féminine, lorsqu'elle n'est pas justifiée médicalement, comme une atteinte à la pudeur.


20) Circoncision et respect des morts

Le respect du cadavre humain s'est imposé à l'humanité depuis des temps immémoriaux. S'y attaquer constitue un acte de profanation.

Nous avons vu dans le débat religieux chez les juifs que le fœtus est circoncis avant d'être enterré. De même, on pratique la circoncision sur des juifs qui sont morts incirconcis. Ceci constitue une condition pour enterrer le mort dans un cimetière juif. Cette dernière question a fait l'objet d'un débat houleux à la Knesset. La circoncision des morts est prônée par certains juristes musulmans classiques.

Il ne fait pas de doute qu'une telle pratique tombe sous le coup des normes pénales contre la profanation des morts. D'autre part, le refus d'enterrer un mort dans un cimetière parce qu'il n'est pas circoncis constitue une discrimination sur la base de l'appartenance religieuse. Même si de tels actes répugnants ne sont pas réglés par la législation internationale ou nationale, il est du devoir des intellectuels de les dénoncer publiquement en tant qu'actes contraires aux bonnes mœurs et à la morale.


21) Circoncision et dispense médicale

Des médecins en Occident et dans les pays musulmans ont essayé de justifier la circoncision masculine et féminine sur le plan médical. Elle entrerait donc dans le cadre des opérations autorisées par le législateur au même titre que toute autre opération médicale. Or, pour avoir une telle dispense, il faut la réunion de trois conditions:

1) L'opération doit être justifiée médicalement. Or ceci n'est pas le cas. La partie coupée est une partie saine. On ne peut à cet égard invoquer la circoncision comme opération esthétique. On ne peut prétendre qu'autant d'enfants sont nés déformés au point qu'ils nécessitent des opérations esthétiques. Les organes génitaux sont des organes normaux et l'opération esthétique vise à supprimer une difformité et non pas à déformer un organe normal.

2) L'opération doit être consentie. Certes les parents donnent leur consentement. Mais les parents ne peuvent consentir que pour les opérations qui sont dans l'intérêt de l'enfant. Ce qui n'est pas le cas de l'opération de la circoncision. Les parents ne peuvent pas consentir à couper le doigt sain d'un enfant. Il y a des limites au pouvoir des parents. Le médecin qui exécute tout ordre des parents devient un criminel.

3) L'opération doit être faite par un médecin autorisé selon les règles de l'art et de la déontologie. Or, la plus part des opérations de la circoncision sont faites par des non-médecins. D'autre part, un médecin qui coupe un organe sain ne respecte pas les règles déontologiques. Le médecin est là pour soigner, et non pas pour altérer la fonction naturelle des organes sexuels.

Si le législateur international et national interdit aux médecins et aux non-médecins de pratiquer la circoncision féminine, même la plus bénigne, il laisse la circoncision masculine sans règlement. Des milliers de médecins dans le monde occidental pratiquent la circoncision masculine sans que le législateur lève le petit doigt. Cette opération est faite même par des non-médecins alors que les opérations chirurgicales sont des actes réservés aux médecins. La profession de circonciseur est laissée sans réglementation. Ainsi le législateur est complice du crime contre les enfants mâles.

Une des questions que se posent les opposants est de savoir si on peut autoriser à une femme ou à un homme majeur de se faire circoncire. Oui, s'il le fait lui-même. Mais le médecin n'a pas le droit de toucher à des organes sains, même avec le consentement de l'adulte. Un médecin qui coupe le bras sain d'un adulte, même consentant, commet un crime. Il doit en être de même de la circoncision des majeurs. Mais des opposants disent qu'ils préfèrent axer leur lutte contre la circoncision des mineurs. Ceux-ci, lorsqu'ils deviennent majeurs, ils pourront décider d'eux-mêmes, avec l'espoir qu'ils seront plus sages et refuseront une telle intervention. Et si malgré cela, ils veulent se faire circoncire, c'est après tout leur affaire. La loi américaine interdit la circoncision féminine uniquement sur des femmes de moins de 18 ans.

 

22) Interdiction de la circoncision entre idéal et faisabilité

Si nous voulons suivre les lois et respecter les droits de l'homme en tout point, il faut traiter la circoncision, tant masculine que féminine, comme toute autre opération médicale, sans distinction sur la base du sexe ou de la religion. Ceci signifie qu'il ne faut l'autoriser que s'il y a une nécessité médicale pour la faire, que si l'intéressé ou son représentant légal y consent et que si elle est faite par un médecin autorisé selon les règles de la profession médicale. Toute circoncision qui ne remplit pas ces trois conditions doit être poursuivie d'office sans égard au sexe ou à la religion de la victime, de ses parents ou du circonciseur.

Tel est l'idéal, mais la réalité est autre. La réalité est que les autorités législatives, judiciaires et exécutives ainsi que les organisations médicales sont réticentes à prendre des mesures efficaces contre la circoncision, notamment la circoncision masculine. Chaque année quinze millions d'enfants, dont treize millions de garçons et deux millions de filles, sont victimes de cette pratique sans que les trois conditions susmentionnées soient remplies, sauf dans des cas rarissimes. Sans risque de se tromper, on peut dire qu'au moins 99,9% des circoncisions sont contraires à la morale. Dès lors, il est légitime de se poser la question de savoir pourquoi la réalité ne correspond pas à l'idéal et comment on peut atteindre ce dernier.

Avant tout on avance le fait que la loi ne peut pas combattre efficacement des pratiques largement diffusées. Même en Europe, les États occidentaux sont réticents à interdire la circoncision masculine ou féminine alors que leur taux ne dépasse pas le 5%. Il y a les contraintes politiques qu'on connaît.

D'autre part, on craint que l'interdiction stricte conduise à des opérations de circoncision masculine et féminine dans la clandestinité avec les risques que cela représente. C'est le même problème qui s'est posé avec l'avortement.

Enfin, on ne sait pas qui poursuivre. Faut-il poursuivre les parents? Les médecins? Les responsables politiques? Les autorités religieuses qui prônent cette pratique? Le législateur qui laisse faire?

Les opposants pensent que la loi seule ne suffit pas pour mettre fin à la circoncision masculine et féminine et qu'il faut recourir à différents moyens socio-culturels pour convaincre le peuple d'abandonner la pratique. Un des problèmes qui se pose est la force religieuse qui est derrière ces pratiques. Or rien n'est plus difficile que d'éduquer des religieux. Demandez au pape de Rome de prendre une position contre la circoncision masculine ou féminine. Il ne le fera pas. Le cardinal Lustiger et le grand rabbin de Paris ont refusé de prendre position contre la circoncision féminine de peur que cela ne conduise à ouvrir le débat contre la circoncision masculine. Et se heurter à la circoncision masculine comporte des difficultés d'interprétation des textes religieux, en plus du problème politique. Je vous signale à cet égard que les facultés de théologie n'enseignent pas la circoncision masculine et refusent de le faire. J'ai pensé présenter mon livre comme thèse de doctorat en sciences des religions à la faculté de théologie protestante de Lausanne, on m'a clairement dit qu'elle ne sera pas acceptée parce qu'elle risque de détruire la faculté de théologie. Si la faculté de théologie risque d'être détruite par mon livre, il faut reconnaître que cette faculté est bien faible. Je ne crois pas qu'il y ait une faculté de théologie en Occident qui pourrait accepter mon livre pour la même raison, mais si je me trompe j'accepte le défi.


23) Circoncision et asile politique

Le Haut commissariat pour les réfugiés et Amnesty international demandent qu'on accorde l'asile politique à des femmes qui échappent de leurs pays par peur de subir, elles ou leurs filles, la circoncision féminine. Or peu de femmes ont obtenu l'asile politique pour cette raison. Par exemple aux États-Unis, il n'y a eu que deux femmes, et en Allemagne une seule femme.

Pour obtenir l'asile politique, il faut que la personne prouve qu'elle craint d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Or la circoncision féminine n'a pas lieu pour une de ces raisons. On ajoute que la persécution n'est pas le fait de État, mais de la famille. On a résolu ces deux problèmes en disant que les femmes appartiennent à un groupe spécial, celui des femmes qui refusent de se faire circoncire, et la circoncision est imputable à État du moment qu'il refuse ou est incapable de prendre des mesures pour protéger les femmes contre cette pratique. Des États refusent cependant d'accorder l'asile politique à des femmes provenant de pays qui ont des lois interdisant la circoncision féminine.

Si les États refusent d'accorder l'asile politique à ces femmes, certains cependant permettent à ces femmes de rester dans le pays pour des raisons humanitaires en vertu de l'article 4 de la convention contre la torture qui demande à tout État partie de veiller "à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal" et qu'il rende "ces infractions passibles de peines appropriées qui prennent en considération leur gravité". L'alinéa 1er de l'article 3 de cette convention ajoute:

Aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.

Signalons ici que les opposants à la circoncision féminine demandent l'octroi de l'asile politique quelle que soit la forme de la circoncision, de la plus légère à la plus sévère.

Les opposants de la circoncision masculine demandent, au nom du principe de la réciprocité que les hommes et les enfants menacés de circoncision masculine puissent aussi obtenir l'asile politique. Et effectivement l'Allemagne a accordé le 5 novembre 1991 l'asile politique à un jeune turc de religion chrétienne. S'il était refoulé en Turquie, ce jeune devait servir dans l'armée turque. Or, les incirconcis font l'objet de violence de la part de leurs collègues musulmans contre leurs organes sexuels et sont parfois circoncis de force par les médecins de l'armée. Les jeunes chrétiens n'ont pas de possibilité d'être protégés par l'État contre ces violences. Le tribunal a indiqué de nombreux cas allant dans ce sens. Il a considéré cette pratique comme une persécution politique au sens de l'article 16 de la constitution allemande. En tant que membre de la communauté chrétienne qui ne pratique pas la circoncision, le jeune en question avait donc le droit à l'asile politique en Allemagne.