CHAPITRE 3 :
ESPACES DE LECTURES

S'interroger comme on vient de le faire sur la nature d'une parole et la correspondance de son énonciation avec l'espace qu'elle décrit, revient donc à poser le problème de sa lecture. Les textes sont écrits pour une lecture en tel ou tel lieu, culturel, so­ciologique, géographique. Ils sont également reçus, lus, interpré­tés dans une diversité de lieux et d'espaces tout aussi grande, et parfois imprévue. Ils entrent, enfin, dans un contexte où lis ne sont pas le seul discours proposé au public : ils ne sont en fait qu'un élément dans un concert plus vaste où chaque voix répond à l'au­tre et l'informe. On ne peut donc pas s'interroger sur une parole littéraire sans décrire les conditions dans lesquelles elle est pro­duite : les espaces de lectures par lesquels et dans lesquels elle acquiert une signification.

UN CONTEXTE DE PRODUCTION PARTICULIER

Les conditions extérieures de la production romanesque algé­rienne de langue française sont relativement faciles à résumer. Et cette situation n'est pas propre à l'Algérie, puisque sur bien des points elle est comparable dans les pays voisins..

Cette production se fait dans un contexte particulièrement perturbé, puisqu'elle utilise la langue française dans des pays ara­bo-berbères qui revendiquent et mettent en oeuvre leur arabisation. De plus, cette production littéraire ne prolonge aucune tradition nationale du genre romanesque. Elle se sert par ailleurs de l'écrit dans des pays où la scolarisation, si massive soit-elle, n'a pas en­core résorbé l'analphabétisme. Elle se fait souvent le reflet de préoccupation et d'exigences de vie qui sont celles d'une mino­rité, alors même que cette minorité la considère souvent comme un vestige du passé : à la fois sous-produit de la culture coloniale et moyen de lutte à présent dépassé contre le colonialisme. Au­tant de paradoxes que l'enquête auprès du public potentiel permet seule de mettre en perspective.

Je me permets donc de renvoyer ici à l'enquête déjà ancienne (1972) qui formait la 3e partie d'un ouvrage que j'ai publié en 1974 [1]. A ma connaissance, aucune enquête aussi systématique et globale n'a été faite depuis. II convient donc d'en considérer les résultats avec un certain recul. Il serait intéressant de la refaire ¼ de siècle plus tard pour mesurer le changement bien réel qu'a subi et produit le fonctionnement culturel algérien.

En 1972, donc, cette enquête permettait d'abord de vérifier combien en Algérie, malgré les progrès réels de l'arabisation, le français restait encore pour beaucoup la langue privilégiée de tout ce qui s'écrit, l'arabe, même littéraire, se disant davantage. Surtout, le français permettait d'aborder certains sujets, comme la situation de la femme, avec moins de pudeur que lorsqu'on le fait en arabe. Le français était la langue de la Différence, qui per­met une plus grande attitude critique devant des sujets difficiles parce que touchant au vécu quotidien : le recul est plus facile, et donc une relative objectivité. Or, le roman n'est-il pas un genre dont l'une des vocations peut être la compréhension de la quoti­dienneté ? Cependant le français, langue de la Différence, l'est aussi de la dépersonnalisation : n'oublions pas qu'il fut la langue du colon et qu'il reste un véhicule de présence culturelle et éco­nomique française [2]. Le choix de la langue n'est donc jamais neutre, même s'il est plus complexe qu'on le penserait d'abord. Il est prise de position culturelle, et partant, politique. C'est là une ambiguïté qui paralyse certains écrivains, comme elle le fit selon lui pour Malek Haddad. A l'égard d'une production littéraire de langue française se manifeste donc parfois une certaine gêne, plus en Algérie qu'au Maroc ou qu’en Tunisie. Et cependant, on a vu que cette produc­tion bénéficie du label de la consécration internationale, les livres édités par la S.N.E.D. étant presque introuvables hors d'Algérie. De plus, cette production répond en partie à la demande très forte d'un public qui réclame un regard critique sur soi depuis l'exté­rieur, comme une sorte de garantie contre la clôture qui guette une définition de l'identité culturelle par le repli sur soi. La diffé­rence, ici fonctionne souvent comme un gage de crédibilité.

On se trouve donc, du moins dans la frange de la population algérienne que cette enquête a pu toucher, dans une curieuse situation : si le public potentiel a une habitude de la lecture encore plus faible, à niveau scolaire égal, que ce qu'on peut relever en Europe, s'il ne connaît de sa littérature nationale qu'une image stéréotypée correspondant peu à la réalité, il valorise par contre énormément le livre, et réclame le discours critique sur soi, qui est justement la caractéristique essentielle des romans maghré­bins de langue française publiés à l'étranger. Seule la diffusion d'une littérature nationale, de langue arabe ou de langue française, qui entraînerait un développement progressif de la production en arabe, par émulation, pourrait installer dans ces pays des habitudes de lecture. L'interpellation de l'écrivain national par une demande forte de la part de ses lecteurs potentiels est un atout qu'une poli­tique culturelle véritable devrait avoir le courage d'exploiter. Le fait de créer en français, à cause d'un contexte historique qui se résorbe peu à peu, est paradoxalement dans cette phase provisoire un aspect qui peut être utilisé. Objectivement, cette langue n'est plus tant celle du colon que celle de la Différence, qui permet parfois l'émergence de thèmes qu'il aurait peut-être été plus dif­ficile d'aborder pour la première fois en arabe. Thèmes qui devien­nent ensuite familiers au jeune roman de langue arabe qui se cons­titue en même temps.

Avec les progrès da l'arabisation, on voit en effet s'imposer en Algérie des romanciers de langue arabe comme Abdelhamid Benhadouga, et surtout Tahar Ouettar. Un public bilingue à l'image de celui que l'on trouve déjà dans les milieux intellectuels maro­cain et tunisien émerge. Pourtant, dans ces deux derniers pays, le dialogue des deux cultures profite paradoxalement à un déve­loppement de la création en langue française publiée sur place, alors que l'édition algérienne, pourtant dotée de moyens financiers bien plus importants, boude toujours son roman national de langue française. II est certes, trop tôt encore pour affirmer comme cer­tains le font que la production marocaine va bientôt prendre le relais de la production algérienne qui avait toujours été, en langue française, la première au Maghreb. II convient cependant de se demander si une politique culturelle pourra continuer à ignorer longtemps encore sa production littéraire nationale la plus recon­nue, sous prétexte qu'elle ne répond pas à des slogans un peu hâtifs.

L'incohérence des politiques culturelles maghrébines face aux romans nationaux édités à l'étranger (il y a rarement interdiction mais les périodes où l'on trouve facilement certains textes, et parfois ceux que l'on jugerait les plus « subversifs », alternent avec de longues années pendant lesquelles les importations de litté­rature nationale sont quasi taries, ce qui n'empêche pas la presse de consacrer des articles à des ouvrages introuvables en librairie) est peut-être aussi le signe d'une attitude ambivalente vis-à-vis de ces oeuvres. Car celui-là même qui freine leur diffusion, qui craint leur effraction dans son univers protégé, sent confusément la né­cessité de faire évoluer ce que l'absence béante de toute parole critique aura tendance à figer, c'est-à-dire à laisser mourir. Et l'écri­ture de langue française est seule à pouvoir intervenir comme pa­role interdite et néanmoins nécessaire, utile et néanmoins facile à désamorcer quand il le faut, du fait même de l'ambiguïté de son statut. Tout le monde appelle le dire de l'indicible, que seule la Différence de cette écriture peut réaliser, et en même temps cha­cun cherche à contrôler cette parole sauvage appelée et crainte.

Car l’œuvre littéraire aux répercussions les plus profondes est justement celle qui donne voix à l'indicible. Pour qui connaît un peu le Maghreb, le plus important, surtout dans l'actuelle crise de civilisation du monde arabe, est souvent ce qui ne peut se dire. Et on a vu que cette parole difficile était ce que les lecteurs atten­dent de ces écrivains. Le roman de langue française, triplement symbole de différence à cause de la langue qu'il emploie, de l'écrit comme de la forme romanesque qui lui donnent son corps, et des éditeurs qui le diffusent, peut répercuter l'indicible par sa diffé­rence même, et en même temps lui garantir une reconnaissance par ce regard extérieur détesté et appelé à la fois. Ce roman est une sorte de lieu privilégié où se dit l'essentiel.

Aussi on s'en défendra plus de manière diffuse que par une politique concertée d'interdictions ou de censure qui ne ferait que favoriser sa diffusion en lui donnant un statut clair, qui l'inscrirait sans ambages dans le jeu politique, et lui donnerait droit de Cité. C'est ici que va intervenir la « doxa », en diffusant de manière la­tente cette « image collective » de la littérature maghrébine dont il a déjà été question. Il ne saurait être question ici d'incriminer une quelconque entreprise consciente ou systématique de « sabo­tage ». Je dirai simplement que l'image collective de la littérature nationale qu'elle diffuse, à des degrés divers, dans les trois pays du Maghreb, constitue de la part de la « doxa » une sorte de résis­tance passive, une sorte d'écran, beaucoup plus facilement assi­milable à l'idéologie commune (et même à une idéologie d'oppo­sition), que l'énigme que constitue fondamentalement le texte lui­-même, en sa dimension irréductible mais inquiétante.

Il conviendrait ici d'entreprendre une étude systématique de la manière dont la « doxa » [3] diffuse cette image-écran entre le roman maghrébin et son lecteur potentiel, de décrire la presse cul­turelle et le système éducatif dans leur rapport à une certaine image de la littérature nationale et de son rapport au réel. Je l'ai à peine ébauchée à propos des manuels d'enseignement du français [4]. Même si ces manuels sont moins utilisés main­tenant, ils sont cependant révélateurs, en ce qu'ils sont les pre­miers manuels de fabrication et de conception nationale en usage dans le premier cycle secondaire pendant des années, et les der­niers à se préoccuper de littérature, puisque celle-ci est bannie des nouveaux programmes d'enseignement du français ( !). L'image de la littérature maghrébine qu'y donnent les extraits retenus est d'abord celle d'une description ethnologique de l'univers tradition­nel des campagnes, puis celle d'une exaltation de la guerre d'In­dépendance : 41 sur 78 textes maghrébins retenus vont dans le premier sens, 19 dans le second. Or, l'enquête l'a montré, s'ils sont assez jaloux et fiers de leur Indépendance nationale, les ly­céens algériens se désintéressent plus ou moins de la description de l'univers traditionnel, car ils aspirent surtout à s'approprier la modernité : technique d'une part, libération sexuelle de l'autre. Et si le sexe est comme partout ailleurs banni de l'institution sco­laire, le domaine de la technique est réservé, dans ces manuels, aux extraits d'écrivains étrangers.

La littérature maghrébine de langue française est donc pri­sonnière, dans sa conception scolaire et plus tard dans la vie acti­ve, d'une image selon laquelle elle serait coupée des réalités ac­tuelles : c'est donc bien le pouvoir de dire, la puissance d'effrac­tion, que le discours de l'institution scolaire, un des aspects les plus importants dans ce domaine de ce que j'ai appelé le discours social, lui dénie. Or, aucune lecture n'est naïve : quel que soit notre contexte, nous abordons le plus souvent un livre à partir d'une pré-lecture implicite par le discours culturel du ou des grou­pes dont nous participons, consciemment ou non. Ou, plus généra­lement, de cet « horizon d'attente » que toute oeuvre rencontre, et sur lequel l'esthétique de la réception voudrait fonder une his­toire littéraire véritable [5]. Dans les pays du Tiers-Monde où les médias véhiculent en grande partie des programmes (et donc des discours) importés, le discours scolaire est encore l'une des lec­tures collectives les plus puissantes de la littérature, et principa­lement de la littérature nationale.

La « doxa » forme une sorte de consensus d'idées reçues mais aussi de directives idéologiques. Différents discours s'y rencon­trent, sans toujours percevoir leurs contradictions réciproques. Le discours du pouvoir est souvent le reflet simultané de sous-dis­cours contradictoires, lesquels convergent cependant pour donner du roman national de langue française une image bien rétrécie, mais aussi pour lui dicter ses thèmes. Il serait excessif de parler au niveau des pouvoirs en place, de jdanovisme, même en Algérie où j'ai souligné pourtant la présence sporadique d'une littérature « officielle », particulièrement dans la revue Promesses. Cette revue s'est éteinte, semble-t-il, faute de manuscrits, et faute aussi d'une véritable continuité dans sa direction. Par contre, la tenta­tion, l'appel même à une subordination de la création à des direc­tives idéologiques sont plutôt le fait, dans les trois pays du Magh­reb, d'intellectuels plus ou moins progressistes, dont l'opposition personnelle aux pouvoirs en place est parfois courageuse, mais dont le discours oscille souvent dans une sphère relativement pro­che, au niveau du langage et des schémas utilisés, de la sphère de discours du pouvoir, même si ses buts politiques concrets ou pro­clamés apparaissent comme différents à qui n'en étudie que le contenu explicite [6].

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On peut donc affirmer que le roman maghrébin de langue fran­çaise est constamment interpellé par des discours idéologiques tout comme par un ensemble d'idées reçues. Or, quels que soient son écriture, son style propre, et même s'il le transforme, le ro­man rend compte d'un réel qui se trouve être le même que celui qu'appréhendent ces différents discours. Et, comme le roman peut être assimilé lui-même à un discours, de par la prise de possession radicale du réel qui est le propre de son écriture, il fonctionnera en partie par rapport à ces différents discours qui l'entourent, qui cherchent à l'englober et qu'il cherche à englober. Il est donc nécessaire d'entreprendre la définition de la spécificité du dis­cours romanesque par rapport aux divers discours d'idées à la confrontation desquels il est condamné, mais sans la confronta­tion desquels il ne saurait vivre en tant que genre romanesque. Le roman se nourrit de l'idéologie, et doit constamment se défen­dre de s'y laisser englober, de n'en être que l'illustration sans vie. Et en même temps, il vit de ce risque constant où il est de se perdre.

Pour ne pas se perdre, il dispose heureusement de cette différence essentielle entre lui et les discours univoques qui l'entourent et qui est, non seulement sa plurivocalité, mais encore la multiplicité des lectures individuelles qu'il permet : comme toute littérature, il sait laisser lire au lecteur, au-delà de ses lignes, ce que nulle parole univoque ne saurait dire en clair. Un roman dont la lecture autant que la parole ne serait pas plurielle n'est plus, dans le meilleur des cas, qu'un essai.

UNE PRODUCTION MODELEE PAR SES LECTURES.

Peu de littératures, en effet, sont autant tributaires de leurs lectures. Du moins à un niveau collectif : celui de ce discours social dont j'ai déjà souligné l'importance. J'entends ici « discours social » comme l'ensemble des représentations, normes et clichés, sur lesquels nous bâtissons notre vie quotidienne, et à travers lesquelles nous raisonnons à l'unisson du groupe dont nous faisons partie. Or, ce discours social, essentiellement mouvant, donc his­torique à sa manière, constitue en partie l'« horizon d'attente », aussi bien de la littérature que du discours idéologique, qui reçoi­vent leur historicité de leur rencontre avec lui, et à travers lui. Le discours social ne se confond pas, comme pouvait le laisser entendre ma première approche, avec l'idéologie officielle, dont il serait le simple reflet mécanique, reflet dont j'ai rendu compte plus haut grâce au concept emprunté à Barthes de « doxa ». Il est au contraire le lieu même de la confrontation des discours, aussi bien idéologiques que littéraires, avec la réalité, telle du moins qu'elle est vécue dans les représentations quotidiennes et mou­vantes de la population.

Ce discours collectif s'interroge, comme c'est normal en pé­riode de décolonisation, sur sa propre identité, et sur le rapport de cette identité collective avec celle de l'Autre, celle, au-delà de l'ancien colon, de cet Occident qui reste détenteur du pouvoir de nommer, comme de celui de poser les questions. Abdallah Laroui, analysant L'idéologie arabe contemporaine, ne commence-t-il pas son étude en affirmant : « Depuis trois quarts de siècle, les Arabes se posent une seule et même question : ‘Qui est l'autre et qui est moi ?’ » [7] ?

Or, la littérature maghrébine de langue française peut appa­raître comme une sorte de produit hybride, de monstre inclassable, dont l'existence en tant qu'entité socio-culturelle gêne, détourne d'elle bien des lecteurs. Ceux-ci aiment en effet savoir à qui ils ont affaire. Au moins, d'autres écrivains du Tiers-Monde, comme les Latino-Américains par exemple, se servent de la langue utilisée dans leurs pays. Mais qu'est-ce que ces bâtards qui n'emploient une langue que pour dire qu'elle n'est pas la leur et dont on ne sait pas à quels lecteurs ils s'adressent ? Alors, plutôt que des lec­teurs, au sens habituel du terme (qu'il conviendrait cependant de préciser...), ces écrivains intéresseront des sociologues, attirés par leur ambivalence culturelle, ou des politiciens, pour qui leur « message » sera un témoignage, un document. Et surtout des uni­versitaires, de plus en plus nombreux, en quête bien illusoire de sujets pas trop « encombrés », ou trop heureux parfois de flatter par leurs recherches un rapport personnel souvent complexe avec l'Afrique du Nord.

On se trouve donc devant des textes littéraires qui semblent n'être produits en grande partie que pour des lecteurs spécialisés, ne fonctionner que pour l'institution universitaire et grâce à elle, et cependant cette institution n'en retient pas tant ce qu'ils sont, que ce qu'ils désignent, c'est-à-dire une réalité socio-culturelle, géographique ou politique, leur écriture passant au second plan dans la plupart des descriptions. La littérature maghrébine, ou algérienne, de langue française n'existerait-elle donc que dans la clôture d'une institution universitaire qui ne lui donne pas seule­ment le statut de littérature ?

Il conviendrait d'abord de s'interroger ici sur l'élaboration du concept même de littérature maghrébine de langue française. Car, après tout, cette littérature n'existait pas avant d'être nommée. Il y avait des écrivains, au Maghreb comme ailleurs. Camus, Jean Amrouche et d'autres. Le concept de littérature maghrébine d'expression, puis de graphie, puis de langue française, a éclos et s'est développé dans les années 50, en même temps que les nationa­lismes se sont fait connaître par les armes. C'est-à-dire que les écrivains ont été soudain englobés dans une interrogation collec­tive sur l'identité qui n'était pas toujours (même si elle était pré­sente) leur préoccupation centrale, l'axe en tout cas de leur écri­ture. L'interview de Dib Les Nouvelles littéraires du 22 octobre 1953 montre qu'il n'était pas évident alors pour un écrivain maghré­bin de se faire reconnaître comme tel, et la controverse autour de la publication par Albert Memmi en 1964 de l'Anthologie des écri­vains maghrébins d'expression française [8] prouve que le concept était loin d'être évident encore. Il est intéressant de noter que le premier bilan à grande diffusion de cette littérature date peut-­être du Portrait du colonisé, dans lequel Albert Memmi la liait explicitement, en 1957, au contexte socio-politique de la-décolo­nisation, et la condamnait de ce fait à « mourir jeune » [9]. De noter aussi que la discussion sur le choix des termes « expres­sion » ou « graphie » (plus tard, « langue », moins « connoté » poli­tiquement, du moins en théorie) a été menée surtout par Jean Sé­nac, qui se situait lui-même à la fois dans ce courant et en-dehors, position particulièrement inconfortable...

Mais le concept de littérature maghrébine de langue française a également permis, globalement, d'en faire connaître et diffuser les oeuvres. D'ailleurs, il est vrai que ces textes étaient liés de près à l'événement, à l'actualité géo-politique. D'où bien des malen­tendus. Dans les années 50, décrire comme Feraoun à des lecteurs français la vie quotidienne en Kabylie pouvait servir la cause de l'Algérie devant l'opinion publique internationale, qui ne s'émeut pas pour ce qu'elle ne connaît pas. Prouver aux autres qu'on exis­tait était une manière de battre en brèche la répression, la néga­tion coloniales. Et je ne parlerai pas ici de textes plus engagés, comme L'Incendie de Dib, ou Nedjma de Kateb, dont le rôle est évident. Mais faut-il continuer, dix-sept ans après l'Indépendance, à témoigner de son identité devant les Autres, comme si on en doutait soi-même ?

Or, la littérature maghrébine continue souvent à jouer le rôle d'une vitrine pour la consommation extérieure, et ce à plusieurs niveaux, dont le premier, le plus maladroit, est celui d'un relais généreux d'idéologie anti-impérialiste. Toute une sous-production maghrébine (pas, seulement de langue française) semble ainsi dic­tée par une certaine lecture naïve de l’œuvre, lecture pour laquelle la littérature n'existe qu'en fonction du contenu plus ou moins « progressiste » qu'elle véhicule. Il semble naturel de dicter à l'écrivain le contenu, et même la forme de son texte. On reproche­ra volontiers aux écritures quelque peu novatrices d'être « antipo­pulaires », de relever d'un « narcissisme bourgeois », etc... [10]. L'enthousiasme révolutionnaire exclut souvent la révolution dans l'écriture.

On demande à l'écrivain de répéter le discours idéologique, de lui servir de caution et de miroir, et ce, plus encore dans les pays du Tiers-Monde que dans les pays industrialisés, où pourtant le « ciment de l'idéologie », selon l'expression de Gramsci, ne man­que pas de sévir. L'écriture en Afrique du Nord, du fait entre au­tres de l'analphabétisme et de la dépréciation qu'y subissent l'ora­lité et l’univers traditionnel considérés comme rétrogrades, est vécue au même titre que le discours idéologique comme un phé­nomène extérieur, certes, mais auquel on cherche à s'assimiler car tous deux sont signes de progrès. On ne fera donc pas de dif­férence entre eux, puisque c'est ensemble qu'ils représentent l'al­térité ouverte par rapport à la clôture contestée de la tradition ou des pouvoirs en place. Mais ils sont aussi l'altérité ouverte par rapport à une autre clôture, scrupuleusement préservée en secret, qui est celle de la famille et de la mère. Et cette clôture secrète, même pour qui pratique le mieux les codes étrangers, reste sou­vent l'ultime recours, le point fixe, même non-avoué, de l'être pro­fond [11]. Je dirai que l'écriture et l'idéologie sont confondues, parce qu'elles représentent conjointement l'ailleurs désiré, mais non habité, car le lieu d'origine de la parole reste la maison mater­nelle, caverne de l'oralité. La coupure ne peut pas se situer entre l'écriture et l'idéologie tant que l'une ou l'autre ne sont pas le lieu d'un vécu, tant qu'elles ne sont conjointement que la vitrine qui cache un vécu plus profond, d'avec lequel le silence qui l'en­toure est la véritable rupture.

La situation devient plus complexe lorsque ce lieu secret est jeté en pâture à la lecture étrangère, lorsque la mère est livrée au voyeurisme de l'occidental, à qui la destinent de surcroît une lan­gue autre qui n'est pas la sienne, et une écriture qu'elle n'a jamais pratiquée. J'ai parlé ailleurs [12] de l'espace tragique que devenait pour la mère ainsi exposée l'espace même du livre, scène urbaine du supplice des anciens dieux, selon la définition de la tragédie par Duvignaud. Ce fut le scandale majeur de La Répudiation de Boudjedra en 1969. L'« Entretien avec la mère » du marocain Ben Jelloun ne choque plus, en 1973, dans Harrouda, même s'il se dit « prise de la parole », « manifeste politique, réelle contestation de l'immuable» [13]. Pourquoi les deux écrivains maghrébins ac­tuels les plus connus du public ont-ils si vite perdu la nouveauté qui semblait caractériser leur première oeuvre romanesque ?

C'est que la suture (j'emprunte l'expression à Anne Roche, dans Histoire, littérature [14], pour désigner une écriture qui se fond à un discours élaboré en-dehors d'elle, perdant ainsi cette intransitivité radicale de la littérature soulignée entre autres par Michel Foucault dans Les mots et les choses) s'est déplacée. Alors que la sous-littérature de Promesses se contente de repro­duire les thèmes-clés d'un discours idéologique, n'apportant de ce fait à ses lecteurs que ce qu'ils possèdent déjà, Boudjedra a cho­qué, certes, davantage, mais n'a fait qu'alimenter en grande partie une lecture de contenu occultant le phénomène global de l'écri­ture. Il a violé, certes, la démarcation entre l'écrit et le vécu. Mais son effraction, du moins si l'on en croit ce qui a retenu l'attention de la plupart des travaux qui lui ont été consacrés jusqu'ici, s'est limitée à un simple transfert de contenu. Transfert de contenu qui constitue une rupture de contenu du roman d'avec le discours offi­ciel, mais qui ne signifie pas que le roman soit égaiement perçu par son public dans la césure que peut apporter sa forme, ou du moins l'inscription historique de cette dernière. C'est par son contenu que La Répudiation est connue, c'est sur lui que portent la plupart des mémoires suscités par le roman. Et l'on oublie qu'il s'agit d'un roman, dont l'écriture proprement dite n'attire que fort peu l'attention.

C'est pourquoi ce roman et les suivants ont pu être très vite assimilés par un discours idéologique d'opposition, et « récupé­rés » avec la frange de ce discours qui le fut. L'auteur n'a-t-il pas plus ou moins conscience de cette faiblesse lorsque dans Topo­graphie idéale pour une agression caractérisée [15], il dissocie en­core plus naïvement « forme » et « contenu » en « traitant » un sujet d'actualité dans un « style » qui démarque celui du Nouveau Roman [16]? Ce faisant, comme on l'a vu en fin de deuxième cha­pitre, il perd la violence parfois complaisante de ses textes pré­cédents, pour essayer d'établir une nouvelle « suture », au niveau du matériau stylistique cette fois, avec une écriture « reconnue », mais qui se vide de sa signification jusqu’à être réduite en recettes sans vie. La composition du roman se fait donc à partir de lectures pré­existantes, à un niveau plus complexe qu'à celui de la sous-littéra­ture semi-officielle publiée en Algérie, mais selon un principe com­parable de reproduction de modèles, de « répétition », au sens où Deleuze oppose ce terme à « différence ».

Semblable énonciation romanesque procède à la fois d'une lecture idéologique préétablie, extérieure, de son référent, et d'une lecture formelle de son pro­pre énoncé. Ces lectures précèdent l'énonciation, qui en devient tributaire, comme elle le devient d'un discours politique élaboré ailleurs, et d'une théorie de l'écriture également préexistante. Discours politique sur le référent (l'immigration) et théorie de l'écriture sont ici deux sys­tèmes de lecture auxquels le texte est adressé, et qui produisent, à proprement parler, le roman. Celui-ci n'est plus alors qu'une oeuvre répétitive par projection de la lecture dans l'énonciation, et il perd sa nécessité propre au profit d'un double postulat de lecture.

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Plus qu'un autre, le roman algérien de langue française est donc en grande partie dialogue avec différents discours idéologi­ques et universitaires, qui peuvent parfois paraître le secréter à leur propre usage. Mais la critique aussi à qui il s'adresse si étroi­tement entretient ce double malentendu. Cette critique est née en partie sous la férule d'un sociologue, Albert Memmi, dans le cadre de la sixième section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (devenue depuis EHESS) : « Sciences économiques et sociales ». Elle a longtemps considéré son objet avant tout com­me le reflet, le révélateur d'une situation socio-politique particu­lière. Le critique se réclame souvent, depuis, de la sociologie de la littérature, mais sans préciser ce qu'il entend par ce terme, qu'il traduit le plus souvent par un simple relevé de contenu. D'ailleurs, en dehors de celles produites autour d'Albert Memmi, essentiellement par Jean Déjeux, Jacqueline Arnaud et Abdelkebir Khatibi, les premières études sur la littérature qui nous préoccupe sont des travaux de juristes, d'économistes ou de science-politi­ciens : « La guerre d'Algérie à travers la littérature algérienne » [17], « Le roman algérien pendant la guerre d'Algérie, essai de sociologie politique » [18], pour n'en citer que deux. Plus rigoureux dans sa méthode que Jean Déjeux, Abdelkebir Khatibi dans son Roman Maghrébin [19] « vise simplement », selon ses propres ter­mes, « à préciser quelques aspects des conditions sociales et po­litiques du roman maghrébin ». Dans leur double sillage, mais avec souvent moins d'exigence, les études de tel ou tel thème « dans » le roman maghrébin (rarement la poésie, qui se prête moins à ces démarquages parfois simplistes) fleurissent : « Le thème de l'alié­nation dans le roman maghrébin d'expression française, 1952-56 » [20], « L'inspiration algérienne et les influences françaises dans l’œuvre de Mouloud Feraoun » [21], pour ne citer que deux travaux parmi les plus intéressants dans cette optique, car combien peut-on rencontrer de « La femme dans les romans de Rachid Boudjedra » (sujet le plus rebattu, avec des variantes de formulation), sans parler de sujets aussi naïfs que « La littérature maghrébine de lan­gue française », sans autre précision, acceptés par des directeurs de recherches bien distraits ou fort peu renseignés…

Face à cette inflation d'études de contenu, on s'attache heu­reusement depuis les années 70 à l'écriture de telle ou telle oeuvre. Les textes choisis dans ce cas sont souvent ceux réputés « diffi­ciles ». Mais là encore, le danger du discours préétabli, extérieur à l’œuvre littéraire, guette.

Le louable désir de dépasser la critique thématique peut conduire à chercher le discours critique miracle, affichant à la fois sa modernité et sa scientificité, et à l'appliquer comme une recette à des textes dont les créateurs de ce discours ne soupçonnaient pas l'existence, encore moins le contexte particulier de production. Bien des travaux se présentent ainsi comme l'application mécani­que un peu courte de tel ou tel modèle de lecture élaboré ailleurs, à un « corpus » finalement interchangeable, et de ce fait aussi ano­din que celui d'une lecture thématique. La sémiotique, le structu­ralisme génétique, la psychanalyse et leurs divers dérivés, au lieu d'outils de travail au service d'une meilleure compréhension des textes, deviennent des buts en eux-mêmes. Une sorte de label de « scientificité » de dire de la reconnaissance : une consécration emblématique du chercheur. Et l’œuvre qui lui a servi de « corpus » y est parfois fort peu respectée, quand elle n'est pas purement et simplement tronquée. Non seulement l’œuvre, mais le discours critique lui-même, car réduite ainsi à une recette appliquée méca­niquement, la théorie perd sa fonction première d'incitation, de stimulant, pour se transformer en dogme, en « doxa ». Et cette nouvelle « doxa », puisque dans ce système universitaire comme dans d'autres les places se font rares, pourra comme toute «doxa» devenir un outil d'éliminations [22].

On peut donc considérer la lecture universitaire comme un nouveau phénomène de lecture collective de cette littérature. Mais cette lecture collective ne peut être séparée de l'image collective de la littérature nationale qui se constitue en Algérie au point de rencontre entre discours idéologique et discours social sur cette littérature. J'ai montré ailleurs [23] combien cette image collective est tributaire de sa constitution par le discours de l'institution scolaire. Or, l'institution scolaire voit de plus en plus le remplace­ment des enseignants de la génération des anciens élèves de l'Ecole Normale de Bouzaréah par les étudiants mêmes dont le discours sur la littérature se retrouve dans cette bipolarisation de leurs recherches, quand ces recherches ne sont pas le fait d'en­seignants coopérants plus préoccupés par la définition de leur propre langage critique que par la description de la littérature du pays qui les accueille. Et inversement, le choix des sujets de mé­moires est beaucoup plus tributaire dans les universités algérien­nes qu'ailleurs des directives implicites du discours idéologique comme du discours social. Quoi qu'il en soit, le roman algérien se développe dans le contexte d'une attente de lecture surdéterminée par l'image collective et les sollicitations du discours social, com­me par un discours universitaire, tant en Algérie qu'hors des fron­tières. L'écrivain ne peut que difficilement passer outre à cette interpellation particulière par les lectures.

Pour en finir avec la lecture universitaire, la description de cette double mise en tutelle de l'écriture par des discours théo­riques ou critiques opposés, de cette double subordination de la production du texte à une lecture préexistante, permet cepen­dant de s'apercevoir, en simplifiant quelque peu, que les textes choisis, et parfois indirectement suscités par les deux écoles ne sont pas les mêmes. Les « sociologues » et « idéologues » éviteront des textes dont l'écriture réputée « difficile » indique trop qu'on ne peut les réduire à un simple contenu, souvent indéchiffrable à qui se contente de relevés, imperméable à une lecture « plate ». Pour eux, Cours sur la rive sauvage est, par excellence, le texte qui gêne, le défi autour duquel se tresse un lourd silence plein d'admiration muette. Heureusement, Habel, du même auteur, s'il est d'une veine comparable, nous présente un émigré. On se hâtera donc d'en faire un roman de l'émigration... et on détruira le texte en toute bonne conscience doctrinale. Ces textes « difficiles » sont ceux au contraire que retient l'analyse structurale, qui se mé­fie peut-être des sens trop explicites. L'analyse structurale aura du moins le mérite d'opérer le plus souvent un choix qualitatif, de ne s'attacher qu'aux oeuvres les plus marquantes ou les plus nova­trices. Mais quel intérêt si elle substitue ses catégories discur­sives propres à l'écriture elle-même ? Peut-être celui de camou­fler l'inquiétude fondamentale, le vertige inhérent à la qualité mê­me de ces textes, et qui échappera toujours à toute mise en caté­gories rassurantes ? Le discours critique a aussi une fonction d'exclusion subreptice du désordre que constitue la création. L'ana­lyse structurale me semble cependant intéressante, est-il besoin de le rappeler, parce qu'elle nous parle du texte, et qu'elle peut plus qu'une autre nous amener au plus près du gouffre, du trou béant, de la bouche d'ombre que dit l’œuvre. Mais arrivée là, elle doit nous abandonner à notre vertige, ne pas colmater artificielle­ment la césure.

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Car l'écriture véritablement révolutionnaire est en partie celle de la césure, c'est-à-dire celle qui s'inscrit en rupture avec tout discours établi, si progressiste soit-il. Dès les débuts de la révo­lution algérienne, Kateb Yacine ne se disait-il pas « au sein de la perturbation l'éternel perturbateur » [24] ? Si la littérature maghré­bine de langue française a été présentée ici comme un concept en grande partie forgé à leur propre usage par des discours idéolo­giques ou universitaires, ses oeuvres les plus authentiques sont aussi celles qui produisent la césure d'avec tout discours, qui « habitent une cicatrice » comme Le Muezzin de Mourad Bour­boune, qui corrodent de l'intérieur tous les discours établis et po­sent à la critique un éternel et malicieux défi comme tous les tex­tes de Dib depuis Qui se souvient de la mer, ou qui éclatent ces discours avec la triple violence de la farce, d'une poésie infinie et d'un profond désespoir comme les romans de Nabile Farès. La césure est donc l'inscription de différence (souvent fécondante) du texte par rapport à la forme du discours idéologique. Je nomme­rai écart, cependant, mais on y reviendra, cette même inscription de différence lorsqu'elle s'effectue non seulement par rapport au champ limité du discours idéologique en sa matérialité, mais par rapport à l'ensemble complexe d'un « horizon d'attente ».

Mais « il n'y a aucun lieu en ce monde », dit Nabile Farès dans Le Champ des oliviers, cependant que l'écriture de Dib désigne sans cesse le tragique de son propre espace, dilue elle-même son propre lieu, et que le muezzin de Bourboune va se perdre dans les sables du grand Erg. Pratiquer la césure, c'est accepter de sortir de tous les cadres pré-établis, comme celui-là même de littérature maghrébine de langue française, lieu bien illusoire pour qui vit dans « l'exil et le désarroi » du dernier roman de Farès, où tout lieu, même et surtout langagier, est détruit, ou pour celui-là encore qui comme Habel chez Dib, est déjà passé au-delà de la folie de toute écriture qui n'a point peur d'elle-même.

On en arrive alors à s'interroger sur le concept même de litté­rature maghrébine de langue française : quelle est encore son utilité pour qui veut aborder honnêtement des textes comme ceux que je viens de citer – et quelques autres ! – ? N'est-il pas un de ces serviables parapets grâce auxquels nous nous protégeons du vertige inhérent à toute écriture créatrice ? Face à l'impossi­bilité absolue de classer de telles oeuvres, le classement lui-même ne paraît-il pas dérisoire ? La littérature maghrébine de langue française est une étiquette sociologique commode, mais que signi­fie l'opposition philistine entre « maghrébine » et « de langue », ou « d'expression », ou « de graphie française » pour celui qui, bien au-delà de toutes ces étiquettes, de tous ces simulacres d'une réalité qui les dépasse. est ailleurs, face comme Rodwan dans La Danse du roi de Dib à ce « visage d'ombre d'où s'écoulait le discours » (p. 51) ? Celui-là ne peut être inscrit dans « aucun lieu en ce monde », car le grand portail que pousse Wassem au petit matin n'ouvre que sur le vide.

DE LA SUTURE A L'ECART.

Cependant, même si plusieurs parmi les romanciers algériens contestent à juste titre cette irritante étiquette d'écrivain algérien ou maghrébin de langue française dont on les affuble, ils n’écrivent pas plus qu'aucun autre écrivain, dans un espace littéraire vierge. Toute écriture, si originale, si personnelle soit-elle. signifie d'abord par rapport à l'horizon littéraire et idéologique dans lequel, que son énonciateur l'accepte ou non, elle s'inscrit de fait. Une littérature n'existe que par des lecteurs qui lui permettent de fonc­tionner. Et le lecteur « vierge » n'existe pas. En quelque pays que ce soit, d'ailleurs, et pas seulement dans des pays dont la défini­tion d’une culture nationale, parallèlement à celle d'une identité nationale, est, comme en Algérie, la question d'actualité. De ce fait, toute lecture est double. Le lecteur a, certes, un rapport direct, personnel avec l’œuvre si celle-ci lui « parle », et à ce titre, toute oeuvre, dans le fait même de « parler », ne serait-ce qu'à un seul lecteur, est singulière, unique et irremplaçable. Mais le rapport de tout lecteur avec l’œuvre passe nécessairement par son expé­rience d'autres oeuvres. Le texte que je lis est un événement, pour moi, par ce qu'il me dit d'unique, mais aussi par ce qu'il est. Et un texte n'est texte que par son rapport implicite ou explicite avec d'autres textes, qui le consacrent comme texte. Or, ce rapport, l'écrivain peut le suggérer, mais il n'en est pas maître, car c'est, en dernier ressort, le lecteur qui l'établit dans l'acte même par lequel il don­ne sens et statut à la fois au texte.

La lecture de quelque texte que ce soit d'écrivain maghrébin ou algérien de langue française est donc en partie tributaire d'une image collective de sa littérature nationale à travers laquelle le lecteur donne un statut au texte par assimilation ou différencia­tion : cette image collective médiatise toujours plus ou moins la lecture, comme elle a déjà médiatisé le choix de lire ce texte plu­tôt qu'un autre. Or, cette image collective est inséparable de l'idéo­logie qui, en partie, l'informe, et la fait fonctionner en partie comme un mythe. Lisant tel roman maghrébin, le lecteur ne peut pas ne pas être plus ou moins tributaire du mythe idéologique de la lit­térature algérienne de langue française.

Ce mythe fonctionne en partie comme un emblème, comme un jalon identifiant. Quel que soit le contenu d'un roman algérien, le seul fait qu'il existe sous cette étiquette permet de faire de cette existence même une sorte de garant d'identité, d'acceptabi­lité culturelle. Aussi n'est-il pas indifférent que ce roman soit écrit en français : l'identité s'affirme d'abord contre la dépersonnalisa­tion opérée par l'Autre. Elle est d'abord réponse à cette déperson­nalisation, qui doit pour cela se faire dans la langue même de cette dépersonnalisation. Et ceci d'autant plus que les critères d'accep­tabilité culturelle sont dans le camp de l'Autre. Même si l'on milite contre ce monopole de la reconnaissance de l'être culturel par l'Autre, faut-il encore faire valider cette parole militante par l’écoute de l'Autre. Car toute dépendance culturelle mise à part, l'Identi­té, quelle qu'elle soit, ne peut s'affirmer que par rapport à la Dif­férence. Le regard ou l'écoute de l'Autre me sont indispensables, même si je ne suis pas objectivement dépendant de lui, pour que la parole de mon identité ait un sens.

Ainsi, un roman algérien de langue française, dans la mesure où il émerge dans un contexte de lecture où le dire idéologique de l'identité accapare, sous sa forme mythique, l'espace même de la communication littéraire, est-il encore bien plus tributaire que les romans européens ou américains, dont se sont préoccupés essentiellement jusqu'ici les sémiologues de cette communication littéraire, de ce que j'ai appelé jusqu'ici son image collective. « Sa­voir ce qu'est un livre », dit Robert Escarpit, « c'est d'abord savoir comment il a été lu » [25] : cette lecture, cependant, qui fait le livre, ou qui en produit du moins la signification, est elle-même produite par un mouvement collectif de ralliement qui donne sens à cette « littérature » dans l'espace idéologique dont elle consti­tuera un maillon indispensable. Et l'important, alors, ne sera plus tant comment le livre a été lu, mais comment il est vu avant même que d'être lu. C'est-à-dire dans quel horizon d'attente il va s'inscrire. La littérature est ici ce dialogue réel ou postulé entre un texte et un lecteur, qui affirme d'abord l'être des deux interlocuteurs. « Le sujet de la narration, par l'acte même de cette narration, s'adresse à un autre, et c'est par rapport à cet Autre que la nar­ration se structure, nous dit Julia Kristeva [26]. Or, cet Autre qui informe nécessairement le texte littéraire à son surgissement, Jauss le nomme « horizon d'attente ».

Pour lui, « l'horizon d'attente de son premier public, c'est le système de référence objectivement formulable, qui pour chaque oeuvre au moment de l'Histoire où elle apparaît, résulte de trois facteurs principaux : l'expérience préalable que le public a du genre dont elle relève, la forme et la thématique d’œuvres antérieures dont elle présuppose la connaissance, et l'opposition entre langage poétique et langage pratique, monde imaginaire et réalité quotidienne » [27]. C'est à ce troisième niveau, on l'a deviné, qu'in­tervient le plus massivement l'idéologie, par sa production mythi­que évoquée plus haut. Mais, dans la mesure où le roman, en lan­gue française de surcroît, est en Algérie un genre importé dont l'intérêt réside justement dans cette double altérité, l'idéologie aura tendance à se substituer à l'expérience comme à la connais­sance du genre que Jauss présuppose.

Elle ne s'y substitue cependant pas totalement. L'idéologie n'est à tout prendre qu'une lecture du réel. Même sa production mythique, dont on verra qu'elle peut être créatrice, a besoin d'un matériau de départ. Aussi l'image collective par l'intermédiaire de laquelle l'idéologie façonne un horizon d'attente du récit algérien de langue française, si elle est constituée en grande partie d'a-prio­ris de non-lectures, repose néanmoins aussi sur des textes réels, qui ont contribué à la façonner.

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Pourtant, de même qu'on avait vu avec Anne Roche que la créativité, l'intransitivité radicale du texte littéraire, selon l'expres­sion de Foucault, se situait dans la césure d'avec l'idéologie, Jauss situe la productivité véritable du texte dans son écart. Notion plus positive que celle de césure, laquelle se réduit en fin de compte à la non-suture, et, à la limite, à toute marginalité. L'écart suppose certes une rupture, une distance, mais avant tout un remodelage de l'horizon d'attente à partir de cette distance même que l'écart constitue. L'écart, c'est en fin de compte l'historicité assumée d'une forme, contre la négation de l'histoire par ce que Jauss ap­pelle un « art culinaire », lequel « n'exige aucun changement d'hori­zon, mais comble au contraire parfaitement l'attente suscitée par le goût régnant ». « Le caractère proprement artistique d'une oeu­vre », c'est-à-dire sa créativité, se mesure au contraire pour Jauss « à l'écart esthétique qui la sépare, à son apparition, de l'attente de son premier public ». Aussi s'ensuit-il « que cet écart, qui, en impliquant une nouvelle manière de voir, est éprouvé d'abord com­me source de plaisir ou d'étonnement et de perplexité, peut s'effa­cer pour les lecteurs ultérieurs à mesure que la négativité origi­nelle de l’œuvre s'est changée en évidence et, devenue objet fami­lier de l'attente, s'est intégrée à son tour à l'horizon de l'expé­rience esthétique à venir » [28].

L'écart du Polygone étoilé, du Muezzin, ou des deux premiers romans de Boudjedra se situe en grande partie dans l'articulation parodique, carnavalesque de leurs textes, tant aux textes littéraires qu'au discours idéologique par rapport auxquels ces romans prennent tout leur sens. Jeu subtil d'une intertextualité décapante, cepen­dant toujours en péril de devenir texte à son tour, et d'être natu­ralisée dans l'horizon d'attente, tant par sa description par la cri­tique, que par sa propre évidence textuelle. La Répudiation et L'Insolation, beaucoup plus que Le Polygone étoilé et Le Muezzin, sont d'ores et déjà devenus des monuments, des modèles récupé­rés par l'idéologie, et quelque effort que fasse leur auteur pour marquer de la nouveauté de leur projet chacun de ses textes ulté­rieurs, il ne peut plus que consolider, au moyen même de la « nouveauté » de leur projet, la suture de son énonciation avec les idéologies dominantes. On verra au contraire comment l'écart que manifestaient de façon beaucoup plus insidieuse Le Polygone étoilé et Le Muezzin en se récusant eux-mêmes comme textes, ou Qui se souvient de la mer et Yahia, pas de chance en brisant tout dire constitué de la guerre, risque beaucoup moins son absorption par une norme nouvelle, du moins par une norme idéologique dominante.

Mais avant de traquer cet écart dans lequel on voit l'un des critères de la littérarité, peut-être convient-il de se demander s'il existe un récit de la norme ? Ce que Jauss, évacuant prudemment la dimension idéologique à leur tour des concepts qu'il propose, nomme curieusement « art culinaire », alors que le réalisme socia­liste guette la scène idéologique où on a vu le roman algérien de langue française engagé. Existe-t-il en Algérie une littérature répon­dant aux modèles normatifs imposés par l'idéologie culturelle dominante ? La question semble d'autant plus pertinente que cette idéologie y dispose de l'essentiel des moyens de l'édition et de la diffusion, par la Société Nationale d'Edition et de Diffusion (SNED), par la revue Promesses (actuellement décédée), et même par la presse nationale, qui publie assez volontiers des textes littéraires.

J'ai consacré à cette question deux chapitres d'un ouvrage récent [29]. J'ai dû cependant y constater que malgré leurs mala­dresses (ou à cause d'elles ?), ces textes sont loin cependant d'un « réalisme socialiste ». Certes, les clichés et conformismes abon­dent. Mais peut-on faire de la médiocrité le critère d'une littérature de la norme ? Ce serait procéder comme certains l'ont fait selon un paternalisme condescendant auquel cette médiocrité se prête­rait, certes, mais qui ne s'en tromperait pas moins d'objet. Une littérature de la norme n'est concevable qu'à partir d'un niveau minimal de cohérence entre ses différentes manifestations. Ce ne me semble pas être encore le cas ici, et l'on est bien obligé de se rendre à l'évidence d'une faillite du projet implicite même d'élabo­ration de cette norme. Faut-il le regretter ?

 

 



[1] BONN (Charles). La Littérature algérienne de langue française et ses lectures. Imaginaire et Discours d'idées. Sherbrooke (Canada), Naaman, 1974, pp. 169-215.

[2] Sur le statut et la situation du français au Maghreb, l'un des dossiers les plus récents se trouve dans la revue Französisch  heute, juin 1984. Francfort, Diesterweg, 292 p., sous la direction d'Ahmed MOATASSIME. J'avais moi-même publié en 1977 une petite étude sur la question : • Situation du français et de l'expression culturelle de langue française au Maghreb •, Guide culturel, civi­lisation et littératures d'expression française. Ouvrage collectif publié par l'AUPELF. Paris, Hachette, 1977, pp. 206-241.

[3] « Je subis donc trois arrogances : celle de la Science, celle de la Doxa, celle du Militant. La Doxa, c'est l'Opinion publique, l'Esprit majoritaire, le Consensus petit-bourgeois, la Voix du Naturel, la Violence du Préjugé ». BARTHES (Roland), Roland Barthes par Roland Barthes. Paris, le Seuil, coll. « Microcosmes •, 1975, 192 p., p. 51. Ce concept emprunté à Barthes me sert à établir la liaison entre mes concepts de « discours idéologique. et de « discours social ». Il désigne les « évidences. non formulées qui dans le « dis­cours social » sont produites par une répétition dégradée du discours idéolo­gique. Dans La Littérature algérienne (op. cit.), je définissais le « discours so­cial » comme une norme créée par l'idéologie pour sa propre célébration. C'était refuser au discours social, même s'il reproduit souvent les poncifs d'un discours idéologique disposant de tout le secteur moderne de diffusion des idées (mass-­media, institution scolaire, organisations de masses, etc.), sa propre créativité, qui va souvent à l'encontre de ces normes, les parodie, y introduit un humour qui n'a pas forcément le sens d'une opposition politique, mais qui répudie le dialogue politique même, au nom d'une savoureuse revanche du réel.

[4] BONN, La Littérature algérienne, op. cit., pp. 100 à 105.

[5] « L'historicité de la littérature ne consiste pas dans un rapport de cohé­rence établi a posteriori entre des « faits littéraires » mais repose sur l'expé­rience que les lecteurs font d'abord des œuvres. (...) L'horizon d'attente, c'est à­ dire le système de références objectivement formulable qui, pour chaque œuvre au moment de l'Histoire où elle apparaît, résulte de trois facteurs principaux l'expérience préalable que le public a du genre dont elle relève, la forme et la thématique d'œuvres antérieures dont elle présuppose la connaissance, et l'op­position entre langage poétique et langage pratique, monde imaginaire et vie quotidienne ». (JAUSS (Hans Robert), Pour une esthétique de la réception. Paris, Gallimard, 1978, pp. 46 et 49).

[6] J'ai amorcé une description de ces discours et de leur incidence sur le fonctionnement littéraire dans : BONN (Charles), Le Roman algérien de langue française : Vers un espace de communication littéraire décolonisé ? Paris l'Har­mattan, 1985, pp : 115-143.

[7] LAROUI (Abdallah), L'idéologie arabe contemporaine. Paris, Maspéro, 1967, rééd. 1973, 224 p., p. 15.

[8] ARNAUD (Jacqueline), DEJEUX (Jean), KHATIBI (Abdelkebir), ROTH (Arlette), sous la direction de MEMMI (Albert), Anthologie des écrivains magh­rébins d'expression française. Paris, Présence africaine, 1964, 301 p.

[9] MEMMI (Albert), Portrait du colonisé, précédé du portrait du colonisa­teur. Paris, Buchet-Chastel, 1957, rééd. Pauvert 1966, 190 p.

[10] Le dirigisme de la création en Algérie y semble tellement naturel que personne, lorsque je faisais mon enquête, n'a été choqué ou gêné par le libellé de la question : « Si vous connaissiez un écrivain algérien d'aujourd'hui, de quels sujets lui conseilleriez-vous de parler, ou de ne pas parler, dans ses livres ? ».

[11] Jean-Paul Charnay a montré par ailleurs en quoi la colonisation a introduit dans les sociétés arabes un troisième terme inacceptable structurelle­ment autant que politiquement, à la traditionnelle opposition binaire « civilisa­tion arabe» – «cultures vernaculaires», et qu'en « réduisant les oppositions internes du système ternaire de l'ère impériale, les luttes de libération recons­tituaient un système binaire brutal mais simple : «arabe » – «colonisateur», et renouvelaient le millénaire débat arabo-musulman entre le bled et la cité : elles furent déversement géographique, par l'exode rural peuplant les bidon­villes puis par le retour victorieux des combattants des campagnes vers les villes. Inversement, la cité diffuse maintenant ses pouvoirs, sa culture et ses techniques sur les ruraux : l'autogestion, par exemple, offre-t-elle une chance de confluence entre les deux expériences ? •. (CHARNAY (Jean-Paul), – L'intellec­tuel arabe entre le pouvoir et la culture. Diogène (Paris), no 83, 1973, p. 61). Ces considérations me semblent utiles pour affiner l'opposition que j'établis­sais en 1971 (La littérature algérienne, op. cit.), en assimilant peut-être un peu hâtivement espace maternel, terre et oralité d'un côté, et espace paternel, Cité et écriture de l'autre. Peut-on, en particulier, assimiler écriture de la Cité (en arabe ou en français), et écriture coranique, même si j'opte, comme on le verra en parlant de la sommation de la littérature algérienne par l'Histoire, pour une historicité plus grande de l'islam que celle qu'on a l'habitude de lui attri­buer ? Peut-on cependant assimiler espace paternel et Cité ? Quel est, par ailleurs, le rôle de l'oralité dans le développement et l'affirmation du discours idéologique au Maghreb ? Quoiqu'il en soit, le rôle des discours idéologiques coagulants, ou « idéologies coagulantes », pour reprendre les termes de Charnay, dans cette nécessité structurelle de réduction du ternaire au binaire, me sem­ble mériter des développements. On en revient finalement toujours, me sem­ble-t-il, à l'opposition entre une entité binaire plus ou moins coagulée, et une autre entité qui apparaît une pour mieux focaliser son exclusion. D'où, toute une dynamique de l'exclusion, qui n'est pas propre cependant au Maghreb, mais peut-être à tout discours qui cherche à fonder l'affirmation illusoire de son unité sur l'exclusion de l'altérité qui blesse.

[12] BONN, La Littérature algérienne, op. cit., pp. 89-94.

[13] BEN JELLOUN (Tahar), Harrouda. Paris, Denoêl, 1973, 188 p.

[14] DELFAU (Gérard), et ROCHE (Anne), Histoire, littérature. Paris, Le Seuil, 1977, 316 p.

[15] Paris, Le Seuil, 1975, 243 p.

[16] C'est encore Jamal Eddine Bencheikh qui a le mieux repéré le pro­cédé, dans l'article cité plus haut (« La littérature algérienne horizon 2000 » op. cit.), alors que la gauche française s'extasie sur l'aspect « révolutionnaire » du roman, selon une lecture paternaliste que je décrirai plus loin. A l'encontre de cette lecture pour le moins naïve, Bencheikh souligne que le héros du récit est muet. Que son témoignage est à jamais occulté, et que l'auteur seul déchiffre la « fantasmagorie spatiolinéaire » de son texte, « dans un enchevêtrement de références qui établit sa sémiogra­phie. (...) L'écriture reproduit d'ailleurs cette topographie fourmillante, et ses procédés, maniés avec délectation, s'offrent à l'analyse avec ostentation. Une véritable anthologie des techniques à l'honneur depuis le « nouveau roman » des années 60. Bref un exercice d'école qui ne néglige même pas les formules stylistiques et les clins d’œil culturels à la mode » (art. cit., p. 375).

[17] ETIENNE (Bruno), D.E.S. de Sciences Politiques, Aix-en-Provence, 1963.

[18] BOUZID (Lounis), D.E.S. de Sciences politiques, Alger, 1965.

[19] KHATIBI (Abdelkebir), Le roman maghrébin, op. cit.

[20] YETIV (Isaac), C.E.L.E.F., Université de Sherbrooke (Québec), 1972.

[21] OULD AOUDIA (Andrée), DES., Nanterre, 1968.

[22] L'aperçu le plus récent sur les recherches concernant la Littérature maghrébine se trouve dans : ARNAUD (Jacqueline) et AMACKER (Françoise), Répertoire mondial des travaux universitaires sur la littérature maghrébine de langue française. Paris, l'Harmattan, 1984, 78 p.

[23] Le Roman algérien..., op. cit., pp. 115-143.

[24] L'Action (Tunis), 11 août 1958.

[25] ESCARPIT (Robert), Sociologie de la littérature, Paris, P.U.F., coll. • Que sais-je •, no 777, p. 113.

[26] KRISTEVA (Julia), " Le mot, le dialogue et le roman », Semeïotikè, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1969, 319 p., p. 95.

[27] JAUSS (flans Robert), Pour une Esthétique de la Réception. Paris, Gallimard, 1978, p. 49, note 24.

[28] Ibid., pp. 53-54.

[29] Le Roman algérien..., op. cit, pp. 144-186.