PRIX DE LA PAIX 2000 DES  LIBRAIRES ET EDITEURS ALLEMANDS .

              

A ASSIA DJEBAR, femmes de lettres ,du monde maghrébin

Assia Djebar, femme-écrivain

Le jury de la Fondation du Prix pour la Paix des Libraires et Editeurs Allemands a choisi d´honorer, Assia Djebar, femmes de lettres, originaire de l´Algérie en lui décernant le prix pour la Paix 2000.

Assia Djebar , de son vrai nom, Fatima–Zohra Imalyène est née en 1936 à Cherchell, petite ville côtière près d´Alger. Elle a fréquenté l´école coranique ainsi que l´école primaire où son Père enseignait comme d´instituteur. Ecrivain, historienne, cinéaste, dramaturge, première femme Algérienne admise à l´Ecole Normale Supérieure de Sèvres, elles poursuit ses études en faculté et obtient sa licence d´histoire en 1958, puis prépare un diplôme d´Études Supérieures d´histoire DEA.

Pendant la guerre d´Algérie 1954 - 1962, elle s´engage dans de nombreuses initiatives culturelles. Elle participe en 1956 à la grève des étudiants algériens, collabore comme journaliste aux côtés de Frantz Fanon au Moudjahid du FLN  De 1959 à 1962, elle enseigne comme assistante à l´université de Rabat, puis de 1962 à 1965 à la faculté d´Alger. De 1965 à 1974, elle réside à Paris avant de regagner sa patrie. En 1980 , elle s´installe dans la banlieue parisienne.

Au début des années 70, Assia Djebar étudie l´arabe classique pour élargir son champ d´expression et enrichit la langue française de sonorités empruntés à l´arabe, Elle s´intéresse à d´autres formes d´expression artistique, au théâtre et notamment au 7 ème art, ce qui lui vaut le Prix de la Biennale du Film de Venise en 1979 et celui de la Berlinade en 1982 à Berlin.

Déjà en 1999, Assia Djebar avait obtenu de la ville de Francfort le Prix œcuménqiue de littérature „Liberaturpreis“. En 1999, elle  est élue membre de l´Académie Royale des Langues et des littératures françaises de Belgique au siège de Julien Green. De nombreux prix lui ont été décernés ces dernières années. Prix Maurice –Maeterlinck (Bruxelles 1995), international Literary Neustadt Prize (Etats-Unis 1996), Prix Marguerite Yourcenar (Etat-Unis 1997), Prix international de Palmi (Italie 1998). Aujourd´hui professeur à l´université de Bâton Rouge, Louisiana State (USA), Assia Djebar est l´une des romancières de grand talent du Maghreb.

SON ŒUVRE LITTERAIRE

Sa percée littéraire est intimement liée au combat de l´Algérie pour l´indépendance dans les années 50. Son premier roman La Soif 1957 qu´elle écrivit  alors âgée de 20 ans en deux mois durant les événements des étudiants retrace la lutte de la jeunesse algérienne pour sa liberté.  Les Impatients, 1958 se déroule avant la guerre d´indépendance  et met en scène une jeune femme, prisonnière de traditions vétustes.  Elle esaie de rompre le lien familial en nouant une liaison amoureuse secrète avec Ismaël, l´élu de son cœur.  Les enfants du nouveau monde , 1962 aborde la question des femmes algériennes et leurs revendications propres.

Après dix ans de mutisme littéraire , Assia Djebar revient à l´écriture et publie Les femmes d´Alger dans leur appartement  en 1980. Son roman l´Amour, la Fantasia 1985 mêle ses propres souvenirs d´enfance à l´ évocation du passé lointain: La conquête de l´Algérie par les Français, la lutte de libération et la participation de la femme aux combats.

Ombre sultane relate la vie de deux épouses mariées au même homme qui ne sont ni rivales , ni complices.

Loin de Médine 1991  la romancière narre l´histoire de Fatima, fille bien-aimée du prophète. Elle campe des héroïnes légendaires et réelles où se croisent les destins de femmes à l´époque du prophète.

Vaste est la prison 1995, chronique féminine d´un siècle illustre les mutations qu´ont subit la femme: la mère quittant le voile pour rendre visite à son fils, l´aïeule mariée à 14 ans à un riche septuagénaire découvre plus tard  son indépendance.

Le Blanc de l´Algérie 1996 évoque des êtres chers disparus : personnages de tous les jours et écrivains célèbres qui ont marqué l´ histoire de l´ Algérie.

Oran, langue morte  Ces nouvelles sont en fait des chroniques d´attentats, de récits effrayants qui ont ensanglanté l´Algérie durant cette période.

Ces voix qui m´assiègent, 1999, essai - autobiographique sur l´acte d´écrire.

L´auteur explore les voix multiples qui ont nourri son oeuvre. L´arabe dialectal et berbère des femmes  qui a bercé son enfance mêlé au français classique de son éducation. Toutes ses oeuvres reflètent la lutte de son peuple et celui de l´engagement des femmes Algériennes à qui elles donnent la parole à travers ses romans.

La romancière a contribué ainsi à une prise de conscience des femmes arabes.

Son œuvre au total 12 romans, des pièces de théâtre, plusieurs films, un drame musical  Filles d´Ismaël dans le vent et la tempête  et des essais vient d´être couronnée du prestigieux  Prix de la Paix des Libraires Allemands en ce jour dominical , 22 octobre 2000, à l´Eglise St Paul de Francfort en marge de la 52 ème Foire du livre.

LE PRIX DE LA PAIX 2000

Ce prix considéré après le Nobel comme le second en importance  a distingué des écrivains de renom. En 1968, le Président-poète, Léopold Sédar Senghor du Sénégal fut le premier à représenter  le continent africain. En 1997, ce fut l´écrivain Turc Yasar Kémal, en 1989 Vaclav Havel, président-poète de la Tchécoslovaquie, en 1996 le romancier Péruvien Jorge Semprun, en 1998 l´écrivain Allemand Martin Walser. Et aujourd´hui, Assia Djebar est la première femme du sud, du monde arabe et plus particulièrement du monde maghrébin à recevoir cette distinction honorifique dotée de 25 000DM.

 

Le jury a qualifié l´œuvre de la romancière des mots suivants:

L´ensemble de son œuvre s´insère dans l´histoire de son pays étoitement liée au rôle de la femme algérienne dans un univers islamique.“

C´est en présence d´un millier d´invités que le Président de la République Fédérale Allemande, Monsieur Johannes Rau, a remis  à la lauréate le parchemin où est inscrit en lettre d´or la dédicace du jury

„Les éditeurs et libraires  rendent hommage à l´écrivain Algérien, Assia Djebar qui a fait entendre avec force la voix du Maghreb dans le concert des littératures européennes contemporaines. Son œuvre nous dit son espoir dans le renouveau démocratique de l´Algérie , dans le retour de la paix intérieure dans sa patrie et dans le possible dialogue entre les cultures. Fidèle aux racines plurielles de sa propre culture, elle a largement contribué à une nouvelle prise de conscience des femmes dans le monde arabe

La romancière s´est fait le porte-parole de tous ceux qui sont victimes de l´injustice, de la violence, de la torture en Algérie. A travers ses diverses racines culturelles: arabes, berbères, Assia Djebar inscrit son œuvre dans le combat pour la reconnaissance de la femme dans un univers islamique. Tous ses livres ont pour cadre l´histoire de sa patrie, et forcément inclus la conquête de l´Algérie en 1830, la période coloniale, la participation de la femme Algérienne à la res publica et les dix dernières années ensanglantées de l´Algérie.

Le panégyrique prononcé par la romancière autrichienne, Barbara Frischmuth, selon le vœu d´Assia Djebar est le signe tangible que pour la récipiendaire la solidarité féminine n ´est pas un mot vain.

Barbara Frischmuth a mis l´accent sur les voix féminines qui parcourent l´oeuvre de la romancière, voix qui sont trop souvent occultées. Elle a conclu son discours par l´expression chaleureuse „ à  ma très chère sœur“  et enlevé ainsi à la cérémonie son caractère un peu solennel.

Visiblement émue, Assia Djebar a dédié son prix aux écrivains Algériens disparus: le romancier Tahar Djaout, le poète Youssef Sebti et le dramaturge Abelkader Alloula, tous trois assasinés en 1993 et 1994 et au premier poète de la littérature contemporaine du Maghreb, Kateb Yacine, romancier et dramaturge décédé en 1989.

Dans son allocution, Assia Djebar a mis en exergue le rôle des femmes et a montré que l´islam, religion libératrice, mal interprétée par les fanatiques „les fous de Dieu“ aboutit aux excès auxquels nous assistons actuellement. S´appuyant sur l´histoire de Fatima, la fille du prophète Mohamet (PSL) Assia Djebar décrit l´une des interprétations à sens unique de la polygamie par exemple. Tout en soulignant que le prophète , Mohamet (PSL) fidèle à Kadidja, son unique épouse durant vingt-cinq ans a encouragé sa fille, Fatima, à se rebeller contre son époux, Ali,  qui voulait prendre une seconde épouse. Le roman „Loin de Médine“ ressuscite ainsi les héroïnes musulmanes ancrées dans la mémoire islamique. Le discours d´Assia Djebar ponctué  de nombreuses allusions historiques a fait découvrir durant un laps de temps le monde féérique arabo-berbère jusqu´aux confins de l´ancienne Egypte ,et de l´Orient avec Shéherazade. La romancière, dans son véritable cours magistrale a retracé la vie des grandes figures du Magreb, vivantes encore  dans la mémoire collective  berbère.  Antinea, la reine des Touaregs ,Jugurtha, héros qui osa défier la puissance romaine 50 ans avant Jules César,  plus proche de nous, Hoda Sha´rawi, figure de proue du mouvement d´émancipation de la femme arabe  qui ose à cet époque se débarasser du voile.  Elle créé en  1922 la première revue de la femme et la première Union des Femmes Egyptiennes. Il convient donc de redonner leur place à toutes ces héroïnes oubliées et qui ont marqué de leur sceau le monde arabe.  Assia Djebar  a montré  que le dialogue islamo-chrétien trouve sa plus belle illustration dans l´œuvre de Cervantes, Don Quichotte. L´écrivain espagnol, à l´époque, guerrier intrépide,   a vécu 5 ans esclave à Alger  à partir de 1575. La „Fugitive „ qu´il imaginera est un hymne à la femme algérienne, cette fugitive qui fuit et fait fuir l´esclave chrétien est probablement la première figure littéraire féminine de l´espace Maghrébin.

Reprenant ses thèmes chers, la liberté du corps de la femme et de mouvement, l´histoire de l´ Algérie et le rêve d´un islam égalitaire, d´une religion qui remonte au sources et s´appuie sur la sourate 12, libère  le monde de l´injustice. La romancière a achevé son discours par ses paroles: „Ainsi, j´ai l´espoir tenace: dans le sillage de cette sourate coranique, les femmes en Algérie, par leurs souffrances et leur parole de vérité, nous libèreront de l´étau de ces années terribles „  

                                                                                    Pierrette Herzberger-Fofana