Bernard  MOURALIS

Université de Lille.

Secrétaire Général de l'APELA.

AVANT - PROPOS

            L'autobiographie apparaît très tôt dans l'histoire des littératures africaines, notamment à travers les récits d'esclaves suscités par le mouvement abolition­niste et les ré­cits de vie recueillis par des anthropologues, comme, par exemple, Westermann. Sans doute, s'agit-il là de textes dont l'initiative n'appartient pas totalement à ceux qui les écri­virent et dont on peut se deman­der s'ils en sont véritablement les auteurs.

            Mais l'évolution ultérieure de la production littéraire montre à l'évidence l'intérêt que les écrivains africains n'ont cessé de porter au genre autobiogra­phique. Ce terme gé­néral englobe cependant des catégories multiples d'ouvrages et un rapport à l'écriture très variable d'un auteur à l'autre.

            Aussi n'était-il pas inutile de proposer une analyse de ce genre quelque peu protéiforme qui oscille au moins toujours entre la sincérité, le témoignage et la fiction. C'est à cet objectif que répondent les textes réunis dans le présent vo­lume et qui reprennent, avec un certain nombre de modifica­tions, les interven­tions présentées à la journée d'études or­ganisée par l'APELA et l'Université de Paris-XIII en septembre 1990.

            Le lecteur trouvera ici un premier bilan, provisoire certes, mais qui a le mérite de repérer un ensemble de pro­blèmes essentiels concernant l'autobiographie et les récits de vie dans les littératures africaines: définition et typologie du genre; articulation entre anthropologie et autobiographie; expé­rience carcérale et écriture à la première personne; auto­biographie et fiction; autobiographie et autographie.

            Ces contributions apportent d'abord une information pré­cise et diversi­fiée, qui prend en compte notamment les diffé­rentes langues (africaines et eu­ropéennes) dans lesquelles s'expriment les littératures africaines et cette mise en pers­pective fait apparaître des convergences mais aussi des accen­tuations propres à telle ou telle aire considérée, ainsi que le rôle qu'ont pu jouer, ici ou là, certains modèles litté­raires.

            Mais, au-delà de leurs contenus explicites, ces études ou­vrent la voie, de façon indirecte ou, si l'on préfère, en creux, à une réflexion qui me semble être au coeur de la pro­blématique de l'écriture en Afrique. On a souvent insisté sur l'importance de la conscience collective dans les sociétés africaines et l'on a été ainsi tenté de voir dans l'écriture autobiographique une démarche étrangère, dans son principe, à ces sociétés. Or, ce qui doit nous faire réfléchir, nous cri­tiques et chercheurs, c'est justement la place qu'occupe le genre autobiogra­phique dans l'ensemble de la production litté­raire africaine et l'attraction qu'il exerce sur les écri­vains.

            Si bien qu'on est en droit de se demander si l'autobiographie n'est pas en définitive le prolongement et l'actualisation de certains traits présents dans les sociétés traditionnelles dont on sait au moins depuis G. Balandier qu'elles sont génératrices de conflits et de frustrations pour les individus qui les constituent. Certains tentent de les surmonter en s'identifiant aux valeurs de la collectivité tan­dis que d'autres, au contraire, parce qu'elles retentissent douloureusement dans leur conscience, vont se percevoir d'emblée comme des individus à l'écart.