Simon  BATTESTINI

Georgetown University, Washington, D. C.

Actes  et  parole

dans  le  roman  africain

d' aujourd' hui

L' origine de cette communication se situe dans le pari suivant : à partir de trois romans africains de langue française ayant en commun, outre le fait d' avoir été rédigés dans la même langue et d' avoir été publiés l' année de cette journée d' études, celui de provenir de régions culturelles différentes, se donner pour tâche de rechercher, dans leurs discours, leurs principales caracté­ristiques. Puis les com­parant à celles d' hier, tenter de percevoir l' évolution de ce type de texte. Ceci im­plique une longue analyse de chacun d' eux puis une comparaison de leurs diver­gences et concordances dans les inventaires d' intentions, de thèmes, dans les po­tentialités d' effets sur les lecteurs et dans la diversité logique de leurs organisations. Les recours évidents des trois écri­vains à leur propre expérience dans la composition de leur texte, autorisent à confondre, outre parole et écriture, narrateur et narrataire (Joseph: 1988-1989).

Pour la méthodologie, il m' a semblé opportun de reprendre une méthode que j' ai souvent utilisée ailleurs[1]_._ En bref, la voici. Les trois romans choisis constituent l' échantillon. Chaque oeuvre est soumise à une analyse structurale indépendante des deux autres. C' est dans l' essai de synthèse des trois groupes de résultats qu' apparaissent les structures du corpus. Ces struc­tures sont analysées en niveaux fonctionnel, actantiel et narrationel. La "grammaire du corpus", comme on peut la nommer, s' attache alors à décrire la langue des auteurs. Successivement on réper­torie les éléments lexicaux, leurs modes de groupement et les éléments de significa­tion (transitions et combinai­sons). Alors, idéalement, apparaît un modèle d' éléments et d' articulations ré­currents (ou singuliers), similaires, identiques et analogiques qui, s' il est révélé par une méthode choisie donc arbitraire, s' offre comme par surprise à l' analyste. Ce nouvel ensemble peut être maintenant soumis à toutes les approches externes que l' on voudra : sociologiques, comparatives, historiques, psychologiques... Nous nous sommes servis de la psycho-critique de Charles Mau­ron, de l' anthropologie sémantique de Perkins et de Dundes, de la sémio-linguistique des greimassiens, mais aucun recours n' est à rejeter à priori. Ces choix sont condi­tionnés par le thème de cette journée d' études. On se souvient de la su­perposition des textes par Mauron qui révélait les récurrences théma­tiques et donc les obses­sions de l' auteur. Guiraud avait usé de méthodes sta­tistiques avec le même propos. La psychè exhibée estprétexte à perspective sociolo­gique d' où la nécessité du re­cours aux méthodes qui analysant la langue y trouvent les preuves des thèmes so­ciaux récurrents. Il est loisible de comparer les résultats des analyses aux déclara­tions des auteurs, aux différentes formes de critiques littéraires, celles que le bon Thibaudet classait en spontanées, professionnelles et artistiques.  En général, se ré­vèle alors, sans aucune préméditation par delà cet ensemble de concordances et de di­vergences, un paradigme nodal de valeurs, propositions provisoires et contradic­toires. Seules, peut-être, comparées à ces valeurs, d' autres valeurs semblables pro­venant d' autres oeuvres issues des mêmes milieux culturels, permettront de confir­mer et d' infirmer certains aspects du modèle.

Ce jeu critique, qui ne se prend pas trop au sérieux, permet d' inférer un en­semble d' hypothèses (provisoires, communes et contradictoires) quant aux rapports de ces discours individuels, partageant une situation similaire, avec les sociétés his­toriques dont ils sont censés émaner et des­quelles ils reçoivent, plus ou moins di­rectement, une caution particulière.

Mais, en accord avec le thème de cette rencontre, l' intérêt princi­pal porte sur les éléments autobiographiques et les récits de vie dans ces trois romans qui sont : Monnè, outrages et défis d' Ahmadou Kourouma, Le Cher­cheur d' Afriques de Henri Lopès et Jour de silence à Tanger de Tahar Ben Jelloun. Tous trois ont été publiés aux Editions du Seuil en 1990.

Monnè, outrages et défis rappelle Ségou et plus encore Le Devoir de violence par la situation historique, Mais la comparaison ne peut être pour­suivie au-delà. Kou­rouma se livre à la satire pour la seconde fois. Sur toile de fond historique, il tire les ficelles des_marionnettes modernes des états africains post-coloniaux. La masse d' événement vécus etnarrés par Kourouma ainsi que les intrusions du commentatif dans la narration peuvent autoriser à considérer le texte de Kourouma comme un récit autobiographique romancé.

Le Chercheur d' Afriques est donné pour récit biographique. Il ra­conte la vie d' un métis, André, né sur une rive du Congo, et qui se rendra en France. Le récit de la rencontre de l' Afrique et de l' Europe telle que l' éprouve André, en lui et autour de lui, en France et en Afrique, se termine dans le "pleurer-rire" qui est de l' ordre de la fiction et qui semble définir le style de cet auteur. Henri Lo­pès n' a utilisé qu' une sé­lection de "biographèmes" et de cer­taines de ses 20 premières années s' achevant en 1960.

Jour de silence à Tanger est le récit de la mort lente et solitaire d' un vieil homme à Tanger, rédigé pour une part à Tanger et dédié par l' auteur Tahar Ben Jelloun à son père. Plus précisément il s' agit d' une recherche du temps perdu, dé­cousue, au sein de laquelle s' inscrit progressivement un non-dit que le fils-écrivain invente, y ajoutant ses propres_réflexions. De fait il y a un livre en abyme dans ce récit, le cahier bleu[2], qui comme la cafetière d' hier, est sur la table. (p. 85).

En somme ces trois textes témoignent sur l' Afrique d' aujourd' hui. Kou­rouma peint la société africaine contemporaine à partir de l' expérience qu' il en a. Lopès construit son récit autour de ses vingt premières années. Ben Jel­loun reconstruisant la vie de son père, se livre à un examen critique des valeurs de la génération précé­dente.

Dans la mesure où nous percevons ces textes comme des fic­tions, donc comme des continuités fantasmées, un réel masqué s' y confond avec des men­songes vraisemblables, mais l' ensemble n' en est pas moins un discours susceptible d' interprétations. A la rencontre des subjectivités de l' auteur et de l' analyste ou du lecteur, se construit chaque fois un autre texte qui indéniable­ment expose des visions de l' Afrique d' aujourd' hui. L' exemple classique est celui de Frantz Fanon qui à par­tir d' une somme de discours cli­niques a pu ré­véler la psychose du colonisé, et de là inférer une analyse per­cutante et pro­phétique de la situation coloniale et de ses conséquences à long terme. Il ne s' agit pas ici de l' exercice d' école des années 1960 qui consistait à s' amuser à tenter de réconcilier Freud avec Marx, mais à faire_de l' importance du pre­mier la condition sine qua non de la possibilité d' existence de l' autre. "Mon" texte résulte de la rencontre de mon expérience et des trois discours. Que pour­rait-il être d' autre ? Cette résultante m' aide, par l' ordre que je lui donne et qui s' impose à moi, par ses choix et ses fatalités, à donner un sens à ma percep­tion de l' Afrique d' aujourd' hui et à ma propre existence. Que ce sens soit rela­tivement vain et provisoire devrait m' être évident.

On peut voir dans la multiplication des biographies et leur succès, par exemple celles de Barthes, de Yourcenar, et dans le succès populaire des ou­vrages d' Umberto Eco, d' une part_le désir du particulier dans un monde où nous tendons à l' uniformité et, d' autre part la nécessité d' apprendre les règles de restructuration à l' infini des perceptions de notreenvironnement naturel et culturel.

D' aucuns peuvent parvenir aux mêmes conclusions sans s' embarrasser d' un tel appareil critique et l' intuition peut conduire à d' excellentes trouvailles. L' intuition n' est d' ailleurs pas évacuée de cette mé­thode. L' avantage principal pourrait bien être d' ancrer logiquement toutes les interprétations dans l' analyse minutieuse des faits de langue puis de comparer le modèle obtenu avec l' ensemble qu' il est censé représenter. L' idée selon la­quelle les "actes de pa­role"[3]_ de l' écrivain participent, en tant qu' intention, qu' effet et imprégnation d' une sémiosis n' est pas neuve. Les sé­mioticiens po­sent que l' objet de leur(s) méthode(s) est action des actes (ou signes) ou de leurs traces. Le discours littéraire étant prégnant et figé dans l' écriture permet de repérer facilement les formes insistantes, les images récurrentes, les rythmes pé­rennes qui libèrent un maximum de sens à partir de l' écriture. A l' issue d' une re­cherche de ce type on peut dégager un certain nombre d' hypothèses susceptibles d' être vérifiées sur un ensemble plus large d' oeuvres de même type, de même origine cultu­relle, du même moment histo­rique. Et l' on en vient à tracer une évolu­tion, à_repérer les transformations, à deviner des cristallisations, voire une épistémé, souvent perçues par ceux qui n' ont pas suivi ce long chemin comme abusive­ment réducteur.

Jacques Chevrier, en 1980, voyait ainsi l' évolution du roman afri­cain de langue française: "Après avoir dénoncé les servitudes de la société co­loniale, les écrivains se sont attachés à l' analyse des conflits de culture et du malaise engendré par la quête d' une identité problématique, entreprise souvent doulou­reuse dont Cheikh Hamidou Kane a donné une très convaincante illus­tration dans_L' Aventure ambiguë. Aujourd' hui, il semble que l' attention des roman­ciers soitmonopolisée par l' évolution d' une société en pleine mutation. " (p. 5). Nous pratiquons tous pour des raisons pédagogiques ce genre de réduc­tionnisme outrancier. Je relève dans mes notes de cours le péremptoire sui­vant :

_"On peut caractériser l' histoire brève du roman africain de langue fran­çaise par décennies :    
___1960-1970. Type : L' Aventure ambiguë. Thèmes majeurs : Le conflit des cul­tures maisindividualisé, tragique et par là non résolu. La dénonciation de la période coloniale et de ses séquelles. La définition de l' identité du Moi passe par la condam­nation de l' Autre.   
__1970-1980. Type : Les Soleils des indépendances. Thèmes majeurs : La cul­ture___africaine occidentalisée : ses conflits internes. L' individu est écrasé par unesociété sur laquelle il n' a pas prise. Débuts d' introspection et critique so­ciale. Roman encore à la 3ème personne. Amertume, ironie, dérision et humour grinçant. Le bilan et l' accusation. Emprunts aux langues locales de la phonétique à la logique.   
__1980 Type : Une si longue lettre. Thèmes majeurs : Le cri intérieur. _Le soli­loque et le dialogue impossible. Le Moi "assimilé" aux valeurs d' hierdu colonia­liste dans un univers décentré, chaotique. Voix : 1ère personne."    

Il semblerait qu' aujourd' hui le roman africain de langue française ex­prime plus qu'  une amertume d' individus malades d' avoir été occidentalisés. Ces auteurs assument leurs propres contradictions et celles des sociétés aux­quelles ils participent et qu' ils réinventent, mais sans conscience tragique. Leur discours se fait procès-verbal de leur condition en porte-à-faux au moment où le monde industrialisé se désintéresse, même économiquement, de l' Afrique. Nous ajouterions aujourd' hui que le roman de 1990 produit un discours qui enfin avoue ce qu' il a probablement toujours été, avec de rares exceptions, un roman exotique à l' Afrique et à de nom­breux titres. Langue, forme, public, modes de production, capitaux. Tahar Ben Jel­loun, à travers son père, réévalue "sans complaisance" les fondements sociaux de l' autorité pour la génération antérieure à la sienne et nous, occidentaux et occidenta­lisés, nous sourions, complices, et sommes au fond soulagés de la disparition de cette figure du père, devenue archaïque et donc condamnée à l' oubli. Il me_semble que Ben Jelloun fonde sa propre justification sur la disparition de la métaphore du_père[4]. Comment en effet justifier autrement les choix qu' il a opérés pour sa propre existence ?

Amadou Kourouma, à la manière des Polonais d' hier, pratique un autre type de critique féroce qui s' exerce à la fois sur les structures d' autorité contemporaine et d' hier. Il condamne la sottise des chefs d' antan confrontés à la colonisation et iro­nise sur la rouerie simpliste et inconséquente des gouver­nants de la post-colonialité. Lui, vit toujours en Afrique même si c' est dans un autre pays que le sien. Henri Lo­pès assume personnellement le conflit des cul­tures mais à l' inverse de_L' Aventure ambiguë le héros n' en meurt pas, au contraire c' est l' Autre, son père qui meurt_du choc de la réapparition de son fils. Sa disparition n' émeut guère le fils qui fut jadis abandonné. André refuse de communiquer, ou constate l' impossibilité de le faire. Ce "métis culturel" comme disait Senghor conclut : "J' ai adressé quelques mots en Lin­gala au chauffeur de taxi qui a ri avant de me répondre avec un accent lari. Il a de nou­veau ri et, me regardant dans le rétroviseur, m' a lancé, rayonnant, que, pour un Martiniquais, je ne parlais pas mal la langue-là. La conversation s' est poursui­vie en Français ". L' occidentalisé est coupé du milieu culturel africain, peut-être plus que ne l' est le petit blanc qui s' est enraciné au village, celui que nous nommions hier l' Africate.

La nouveauté est que nos auteurs sont entrés dans la post-mo­dernité. Leurs textes s' yinscrivent parfaitement. Les trois auteurs nous en aver­tissent : "Il faut beaucoup de fantaisie et un grain de folie pour retrouver le sens de cette histoire. Sans ce dérèglement rythmé, tu n' atteindras jamais le chemin de mon éblouisse­ment." (Lopès : 1990, 297)[5]._"En fait, rien de tout cela n' est bien so­lide. Un peu comme de moi." (Ibid., dernière page). "La Négritie et la vie conti­nuèrent après ce monde, ces hommes. Nous attendaient le long de notre dur chemin : les indépen­dances politiques, le parti unique, l' homme charisma­tique, le père de la nation, les_pronunciamentos dérisoires, la révolution ; puis les autres mythes : la lutte pour l' unité nationale, pour le développement, le so­cialisme, la paix,_l' autosuffisance ali­mentaire et les indépendances écono­miques ; et aussi le combat contre la séche­resse et la famine, la guerre à la cor­ruption, au tribalisme, au népotisme, à la délin­quance, à l' exploitation de l' homme par l' homme, salmigondis de slogans qui à force d' être galvaudés nous ont rendus sceptiques, pelés, demi-sourds, demi-aveugles, aphones, bref plus nègres que nous ne l' étions avant et avec eux." (Kourouma : 1990, dernier paragraphe).

Nous sommes loin de la Négritude. Nos trois auteurs reprennent ou réinven­tent une tranche exemplaire de leur vie, de leur passé, et la sanc­tionnent par la déri­sion, l' oubli ou le silence. La situation réduit la voix du père à un soliloque muet. Elle sera ultimement intérieure, brève, solitaire. Le chef sombre dans le ridicule et la stu­péfaction. Le métis se résout à l' indifférence et au silence sur l' essentiel. N' ayant plus d' identité, il est disponible pour la post-modernité où nous sommes constam­ment invités à en changer au gré de nosdéplacements et transformations, et sur fond d' accélération vertigineuse de l' histoire. Nos trois auteurs mettent en représentation pour nous une leçon d' optimisme sur toile de fond de tragédie. Car enfin si nous réussissons à exor­ciser nos démons intérieurs et nos mythes, nous devrions être ca­pables de nous accommoder d' un monde sans modèle contraignant, à recréer sans cesse. C' est dans la mesure où nous acceptons de multiplier à l' infini notre fa­culté de construire de nouveaux paradigmes nodaux, et donc de pratiquer constamment une mantique de l' examen de soi et des autres, de l' histoire et des circonstances que nous pourrons survivre.  Aujourd' hui être schizophrène serait plutôt un_signe d' équilibre mental puisque le monde s' offre à nous mor­celé et imprévisible. C' est Einstein qui disait hier : "La science est la tentative de faire correspondre la diversité chaotique de notre expérience sensorielle avec un système uniforme logique de pen­sée." Il_me paraît important de lire la récente analyse de Léo Bersani à ce propos, The Culture of_Redemption[6]. Ces trois ouvrages ne peuvent prétendre à exprimer la totalité de la production litté­raire africaine francophone de cette année et nous ne songeons nullement avoir fourni la moindre preuve à l' appui des quelques idées que nous avons avan­cées. Georgetown est une université jésuite et c' est le fondateur de l' Ordre qui déjà risquait que la preuve de quoi que ce soit, pourrait bien n' être que celle du manque d' imagination de celui qui s' en réclame. La connaissance d' aujourd' hui est celle du jeu des jeux. Le but n' est plus de conclure mais de cher­cher ensemble, faisant de la qualité de la quête l' essence du jeu. Nos trois auteurs semblent bien participer de cette culture de la "rédemption" et nous demandent indi­rectement d' apprendre à procéder constamment à de nouvelles évaluations de nos expériences quotidiennes perpétuellement renouvelées et de plus en plus_précipitamment. Parions que l' écriture de leurs romans a eu un effet[7] cathar­tique sur leurs narrataires et qu' ils pouvaient bien avoir parié de nous décoloniser._

Italo Calvino (1986) concluait ainsi : "Je réalise que dans cette autobio­graphie j' ai mis l' accent principalement sur le sujet de la naissance, et parlé des étapes sui­vantes comme d' une continuation de ce premier moment où je vis la lumière; et maintenant je tends à aller encore plus loin dans mon passé, à rejoindre le monde prénatal. C' est le risque que court chaque autobiographie ressentie comme l' exploration des origines, telle celle de Tris­tram Shandy, qui s' étend à loisir sur ses antécédents et, quand il parvient au but d' avoir à ra­conter sa vie, n' a plus rien à dire." Ben Jelloun, Lopès et Kou­rouma ne procè­dent pas vraiment différemment. Ils s' inventent des antécé­dents, où parfois on peut les reconnaître, mais c' est pour les annihiler au nom de leur présent, voire de leurs perspectives d' avenir.

Un étudiant de l' Université de Calabar (Nigéria) a posé, en 1982, une ques­tion pleine de sens pour/sur la littérature africaine. Il a demandé à Chi­nua Achebe la raison pour laquelle il se complaisait dans le passé alors que, eux, étudiants, ne se posaient que des questions d' avenir. Il ajouta : "A quand une science-fiction africaine ?". Il me semble que la négation du passé vécu que j' ai rencontrée dans les trois oeuvres annonce une libération de l' écrivain africain du poids du passé et laisse en­trevoir la possibilité  d' un revirement to­tal. Au thème "ailleurs et hier" semble succé­der celui de "ici et maintenant" qui prophé­tise un souhaitable "demain et où que ce soit". En somme il_pourrait s' agir des prémisses de l' universalisation de cette litté­rature peut-être trop longtemps considérée comme régionaliste sinon particulière.

L' ennui est que, dans le même temps que l' Afrique se réafrica­nise, s' isole et est isolée du reste du monde, les écrivains africains de langue fran­çaise me sem­blent de plus en plus représenter un domaine culturel en voie d' effacement. La per­ception et la réflexion qu' ils mettent en représentation dans leurs oeuvres paraissent être différentes de celles des masses africaines et leur être de plus en plus étran­gères.


 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

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1) Et notamment dans mon livre Alain Robbe-Grillet et le chemin critique, à paraître à la Librai­rie Minard, Lettres Modernes. Ce texte reprend une méthode, amalgame de plusieurs autres, créée vers 197, alors que j' étais encore converti au structuralisme mais que j' ai reprise et mo­difiée plusieurs fois depuis lors. Dans cette communication je vous fais grâce de tout l' appareil critique et vous épargne tout l' ennuyeux des analyses, de leur jargon "sémiotique", perdant du coup l' essentiel de l' argumentation.

2) L' auteur prétendrait que cet ouvrage serait entièrement imaginé et aurait été conçu et rédigé en Italie. Ce cahier pourrait bien être le journal du père agonisant. Le texte du livre fait un usage singulier des guillemets dont nous nous sommes interdit de tirer des conclusions mais qui pour­rait bien avoir à faire avec des problèmes de références, d' induction, d' addition, de réflexion.

[3]) Mudimbé reprend au Lévi-strauss des Tristes Tropiques les remarques suivantes qui sont essen­tielles pour notre réflexion sur l' autobiographie, sur les rapports du moi à sa propre pa­role : "Suis-je un ou deux? Suis-je l' autre, et si cela est, qui suis-je ? Conversément, dans cet échange de parole, je contribue à amener l' autre à vivre et donc à me créer moi-même." (Mudimbé : 1988-1989 ).

[4]) La figure du père est centrale aux trois oeuvres. Le rôle du père dans la psychè africaine est bien connu depuis les travaux maintenant classiques des Ortigues et de leurs collègues du Centre Hospi­talier de Dakar -_Fann, tels les professeurs Henri Collomb et Moussa Diop. L' ouvrage de M.C. et E. Ortigues, OEdipe Africain, paraîtra essentiel à ces journées d' études. Nous y notons : "La structure du complexe d' OEdipe est donc intégralement présente, mais elle se déroule moins sur le mode "romanesque" de l' aventure individuelle et de la culpabilité inté­rieure que sur le mode "tragique" de la persécution par les puissances du destin. Le nom de l' ancêtre et les noms des immortels marquent la place du père ; l' identification symbolique comme valeur de position consiste à hériter des pouvoirs de l' ancêtre à travers la lignée pater­nelle. Grâce au dialogue analytique, la possibilité de devenir diffé­rent de ses ancêtres sera elle-même comprise comme un pouvoir dont on hérite." (3ème édition, p.163.). L' analogie de l' écriture au dialogue analytique est ancienne. Serait-ce à dire que nos troisauteurs en obser­vant sans grande chaleur et vaguement amusé la mort d' un père (Ben Jelloun), en provoquant comme par inadvertance la mort du père indigne (Lopès), en ironisant sur le ridicule du père social "historique" et "de la nation" (Kourouma), tendent à se substituer à la figure du père, mais un père différent. Ce nouveau père n' est plus très certain de sa position clé dans la société ou dans l' évolution psychique de l' individu. Peut-être doutent-ils d' eux^mêmes ? Peut-être consi­dèrent-ils que l' Ordre Nouveau, post-moderniste, passe par la gidienne haine de la famille ? Peut-être pouvons nous faire aujourd' hui l' économie de Freud en même temps que celle de Marx ? De fait, il est pos­sible que, ayant appris à identifier, inventorier, analyser nos psychoses, nous avons dans le même mouvement acquis la faculté d' en rire. Nous ne nous risquerons pas dans cette brève communication à aborder le problème du double du père chez ces écrivains africains et francophones.

[5]) Voir Hayles : 1990 sur cette notion de désordre ordonné.

[6]) Cambridge, Massachussets / London : Harvard University Press. 1990. Bersani conteste que l' art y compris la littérature "puisse nous préserver des catastrophes et de la sexualité."  Il sug­gère que nous nous attachions sérieusement à réévaluer toute la production artistiquemoderne et que nous nous rendions compte de l' existence pernicieuse d' une moralité (qui lui semble dangereuse) notamment dans les oeuvres littéraires de Proust, Joyce, Freud, Melville, Flaubert

[7]) P._Bourdieu (1982) souligne que : "les conditions de réception escomptées font partie des condi­tions de production et l' anticipation des sanctions du marché contribue à déterminer la production du discours." Faut-il s' inquiéter d' une production littéraire qui, de par sa nature, perpétue des conditions de marché antérieures aux indépendances ? Et si l' inquiétude est légi­timée par les conséquences du fait, ne sommes-nous pas complices ?