Quelques remarques sur l'écrivain et son contexte

J’ai envoyé à notre ami Larbi Graine un premier travail sur la femme dans le micro univers “arabo-musulman” d’après des textes littéraires. Cette première approche de la littérature nord-africaine, que Marcela Costanzo et moi avions entrepris,  date de 1991 et n’avait d’autre prétention que celle de faire part à nos collegues argentins d’une región, ou plutôt d’un champ littéraire, peu connu dans notre pays.

 

J’ai bien apprécié les remarques de Larbi à propos du rapport de fidélité écrivain – contexte et ses questions nous mènent dans un entre-deux que Camus, ainsi bien que Sartre ou Serhane,  a su expliciter lors de son Discours de Suède: L’artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher.

 

“Beauté” et “communauté” tiennent , à mon avis, de la métonymie, en disant et l’esthétique et la vérité métaphorique dont parle Paul Ricoeur. Toute séquence textuelle est un intertexte, instituant une opération de dévoilement fascinante; et tout énoncé préssupose une série d’implicites personnels et institutionnels que le lecteur n’est pas toujours à même d’expliciter, soit par ignorance soit par convenance.

 

Quand on entre dans un texte littéraire, il est une première quête: celle du plaisir. On aime ou on n’aime pas. Même quand cette lecture est une contrainte scolaire, on ne saurait oblitérer cette attente de la beauté et du goût partagé avec le narrateur. Cependant, le goût, de même que l’oeil, est un produit historique et les anticipations jouent différemment et arbitrairement selon notre habitus et le texte ou l’écrivain à aborder. Et il ne faut pas oublier qu’on lit par “bonds” qui seront aléatoires d’après nos motivations, notre vécu ou tout simplement notre état d’âme.

 

Dès lors, l’”aixo era et no era” des conteurs majorquins est en jeu et se reproduit dans chaque texte. Et dans cet enjeu, la subjectivité de l’écrivain et celle du lecteur se télescopent pour en venir à une ou à des interprétations que, selon U. Eco, sont légitimes pourvu qu’”il (le lecteur) se refrène chaque fois que le texte cesse d’approuver ses par trop libidinales élucubrations

 

Une deuxième entrée dans le texte serait soutenue par des motivations diverses: pédagogique, sociologique, ethnologique, historique .... et un processus d’objectivation s’avère nécessaire a fin de ne fausser le discours. En outre, selon l’univers de référence des données supplémentaires et alternatives deviendront un outil incontournable. Mais le plaisir est toujours là, il nous guette, il nous oriente. L’essentiel est d’essayer de ne pas sombrer dans “l’illusion du savoir immédiat”.

 

La vérité n’est pas une entité homogène, elle est multidimensionnelle et réticulaire, comme M. Foucault, l’a bien expliqué. Les regards se croisent pour ne nous dire que des perceptions: celle de l’écrivain et de ses partenaires textuels et leur support rhétorique se joignant pour conjurer l’ennui, le désespoir, la solitude ou l’indifférence de leur partenaire distant, le(s) lecteur(s).

 

D’ailleurs, la littérature possède une dimension politique. Je me souviens du dialogue entre J.Goytisolo et G. Grass à propos de la littérature, publié dans “Le Monde diplomatique”. Et je reprends la question depuis un lieu différent: que peut la littérature maghrébine, ou d’autres littératures minorées par certains schémas de la mondialisation, si l’on tient compte de nouveaux régimes de signification des objets culturels et des identités plurielles.

 

Si l’apprentissage constitue un processus d'acquisitions de distances chrono - loqigues et d'exploration de l'étrange et il est balisé par des connaissances et des savoirs ayant rapport à la créativité, au raisonnement logique et mathématique et aux itinéraires langagiers - lingüistiques, discursifs et esthétiques - pertinents pour les champs sociaux, technologiques et politiques, la littérature ne serait-elle pas l’une des voies pour y accéder? Qui saurait nier un apport pareil à la construction de ce qu’on appelle des “apprentissages socialement significatifs? Qui saurait nier le plaisir éventuel de la rencontre et de la conversation, selon les propos d’Hélé Béji, par le texte, avec un “Autre”, ses goûts et ses refus, similaires ou divergeants? Sans oublier que la littérature peut devenir un “déclencheur” pour d’autres activités, ludiques ou non, et un seuil vers la neutralisation des assymétries sociales qui constituent autant d’écueils pour l’épanouissement du sujet? Mais cela ne va pas de soi, il faut de la volonté politique pour que la seule formation pour l’emploi ne se taille la part du lion, en oubliant que l’être humain est un sujet de droit et de désir. Nier la nécessité de s’inscrire socialement, aussi par le travail, est une myopie, nier la nécessité de plaisir et de fantaisie du sujet est  une injustice.

 

Bref, n’existerait -il pas une sorte de convergeance entre ce “bohémien de la parole” qu’est l’écrivain et la politique en tant qu’art d’offrir de l’espoir?

 

Elizabeth G. MENDOZA

Resistencia

Argentine