Le roman algérien contemporain de langue française: Espaces de l'énonciation et productivité des récits - Thèses - Limag
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Thèse

BONN, Charles
Le roman algérien contemporain de langue française: Espaces de l'énonciation et productivité des récits
 
Lieu : Bordeaux 3,
Directeur de thèse : Simon JEUNE,
Année : 1982
Pages : 5 vol., 1428 p.
Type : Thèse - TDE

Notations :

Résumé:
Cette thèse ébauche la description d'un fonctionnement littéraire dans sa spatialité: l'espace, pour tout pays anciennement colonisé, n'a-t-il pas plus qu'ailleurs signification historique? Il s'agit ici d'espace référentiel, certes: le pays, la culture, l'identité. Mais surtout d'espace de la communication littéraire et idéologique: nommer la spatialité que sous-entend toute esthétique de la réception, et ce, à partir d'une étude approfondie du fonctionnement narratif, mène donc à gauchir cette esthétique de la réception vers une sémiologie idéologique des lieux d'énonciation. La dépendance ne tient pas tant à l'usage de telle langue nationale (pourtant déterminant), qu'à la reproduction de modes de récit ou de modèles métaphoriques non maîtrisés. Le dire fondateur, émancipé, sera au contraire celui de textes de plus en plus nombreux qui, assumant et multipliant l'ambiguïté, tant du lieu que du sens, transforment leur propre signifiant en lieu même du désir comme de la productivité d'une écriture.
Exhibant l'opacité ou le carnaval de leur écriture contre la transparence illusoire d'un dire dont le sens se lit par rapport à un lieu autre, les meilleurs romans algériens produisent, dans le corps-espace même de leur texte, un lieu-matrice de récits fondateurs. Et cependant ce lieu que vise le texte, et sans la visée duquel l'oeuvre qui le quête ne serait point, n'est-il pas avant tout le non-lieu même de son propre désir-écriture? C'est pourquoi, si l'idéologie leur demande de nommer le lieu de l'identité à créer, comment ces textes le pourraient-ils s'ils ne commençaient par se dire eux-mêmes comme lieux du dire - et manifester du même coup l'absence du lieu, sur laquelle ils fondent leur entreprise de localisation: se dire d'abord, car d'où nommerait-on, sinon, le lieu de l'être comme du dire?
Une première partie montre quelques-uns des principaux facteurs de constitution de l'horizon d'attente par rapport auquel les textes actuels vont prendre sens. Facteurs littéraires: à partir de textes significatifs d'avant l'Indépendance, parmi lesquels L'Incendie de Mohammed Dib, et surtout Nedjma de Kateb Yacine, est montrée la création d'un espace de parole spécifiquement algérien contre le discours colonial et, souvent, anthropologique. Cependant la plupart des textes de ce qu'on s'est plu à appeler la " génération de 1962 " signalent, par leur écriture désuète et leur postulat démonstratif, un lieu d'énonciation implicite qui reste l'opinion européenne à laquelle ils s'adressent. Dépendance bien plus grande encore en ce qui concerne le discours culturel de l'idéologie (discours du pouvoir ou de l'institution scolaire, entre autres manifestations), dont une sémiologie signale des références qui sont bien souvent celles-là mêmes que récuse le signifié de ce discours.
On se propose ensuite de montrer comment la littérarité des textes les plus connus de la post-indépendance (Entre autres Le Polygone étoilé de Kateb Yacine, Le Muezzin de Mourad Bourboune et les deux premiers romans de Rachid Boudjedra) se révèle précisément dans l'écart qu'ils dessinent par rapport aux stéréotypes de cet horizon d'attente. Ecart qui est en lui-même spatialité en ce qu'il exhibe, et déplace de ce fait, le lieu d'énonciation du dire en sa représentation carnavalesque au surgissement souvent débridé. Or, ce déplacement et cette mise en spectacle, dans et par le récit, de tous les discours qui occupent l'espace algérien (y-compris le propre signifiant de l'oeuvre qui les accueille), introduit le plurivocalisme, et, partant, l'ambiguïté productrice d'un sens multiple qui ruine définitivement la prétention au sens un de tous les dires dont la transparence annoncée apparaît ainsi comme un leurre. Et cependant, si décapant soit-il, ce carnaval ne risque-t-il pas à son tour, jouant encore sur la complicité d'une lecture européenne qu'il a su se forger, de devenir un nouveau conformisme? Tant il est vrai que l'écart n'existe qu'en tant qu'il échappe à toutes les lectures réductrices, et dans la spatialité même du mouvement par lequel il leur échappe.
Aussi l'écart ne peut-il développer sans fin que le non-lieu d'un désir de lieu du dire qui n'est autre que l'écriture, dans l'acte précis par lequel elle échappe à toute réduction, comme à toute nomination. Les textes décrits en troisième partie, où l'on voit surtout les romans les plus exigeants de Nabile Farès et de Mohammed Dib, existent par leur désir de localisation, qui est aussi le non-lieu radical d'écritures qui ne se laissent enfermer dans aucune nomination. Autant dire qu'elles constituent l'écart le plus irréductible d'avec tout discours de nomination du lieu et du sens: le désir d'un lieu de parole, qui fonde la productivité de l'écriture la plus nue, n'existe-t-il pas par l'absence même du lieu nommé, comme du sens? Face à la transparence trompeuse des discours du sens un qui veulent dire et s'annexer le lieu, l'ambiguïté opaque et fuyante de ce désir d'un lieu du dire qui fonde l'existence de l'écriture sur l'impossibilité même de son objet, le dire comme le sens, n'est-elle pas, dans la spatialité qu'elle développe, une approche possible de l'essence toujours fuyante de la littérarité?