« Bien
sûr, au début, était le saccage » La Répudiation, p. 199.
« Comment échapper à
l’horrible carnage ? » La Répudiation, p. 200.
Lorsque
nous avons entamé ce travail, nous avions l’intuition que les romans de
Boudjedra et Kundera échappent à toute lecture idéologique exclusive. Pour cela
et pour l’amour aussi de ces deux auteurs, nous avons essayé de respecter leur
passion pour le multiple. Notre ambition est donc de tracer des pistes, de
poser les questions qui nous semblent essentielles, de voir avec ceux qui nous
ont précédés, quelles sont les possibles promis par les textes. Au demeurant,
nous devons avouer que le détail qui nous a poussés à établir des réseaux de
communication entre les deux romanciers, est, en quelque sorte, un détail
relevant de l’idéologie. C’est en effet l’image du changement des noms de rues
qui a déclenché le processus de liaison. Présente dans L’Insolation et L’Insoutenable
légèreté de l’être, cette image nous a d’abord donné l’impression que les
auteurs dénoncent les pratiques du totalitarisme. Nous nous sommes rendus
compte par la suite qu’elle n’est pas que cela. Elle est aussi remise en
question de l’écrit; elle est encore questionnement sur la mémoire et l’oubli.
Après avoir été tentés, comme tant d’autres, par l’investigation du sens dans
la réalité, nous avons fini par opter pour une lecture plurielle.
Nous avons donc choisi le parti des auteurs et avons fait fi
des obstacles méthodologiques. A partir du détail des changements de noms des
rues, nous sommes remontés aux sources de l’écriture afin de saisir le lien
invisible qui existe d’une part entre les deux auteurs, et d’autre part entre
leurs œuvres. Ce lien commence tout d’abord par l’écriture. Une écriture à
fleur de peau, écorchée pour Boudjedra, et une autre courageuse, insouciante,
pour Kundera. En est-il vraiment ainsi ? Nous avons effeuillé les apparences
pour découvrir le renard et le lion qui se cache respectivement derrière nos
deux écrivains. La ruse du premier et la majesté du second se rejoignent en
effet dans le même désir de perversion des certitudes. Les manières diffèrent,
mais les objectifs sont très proches. L’ambition littéraire du texte réside en
l’occurrence dans l’imbrication de plusieurs thèmes au seul service du
questionnement. Si l’on admet cela, tout s’éclaire d’une lueur nouvelle.
Comment transformer le négatif en positif, la pesanteur en légèreté, le
saccage, la destruction, en désir, en construction ? Créer sur le détruit n’est-il
pas une des caractéristiques de la littérature ? Montrer les failles de la
mémoire par l’agencement des mots n’est-il pas un jeu littéraire d’une
imperceptible cruauté ? Afin de ne pas sombrer dans le gouffre ouvert par ces
écritures cancéreuses, nous avons retenu leur aspect ludique. Le jeu entre
écriture et lecture semble légitimer la dénonciation de l’absurde. Contre toute
attente, il ne relâche pas la tension littéraire et fonde l’essence même de
l’acte de lire. Nous aboutissons ainsi à un trio vaudevillesque formé de
l’auteur, du livre et du lecteur. Ce ménage à trois ne se déroule pas sans
heurts, pleurs, dramatisations, incompréhensions, ni sans joie des
retrouvailles après la fin des tempêtes. Le plaisir partagé acquiert de ce fait
plus de crédit, car l’on ne se rend véritablement compte de l’importance d’un
objet ou d’un être, que lorsqu’on le perd.