Rym KHERIJI : Boudjedra et Kundera : Lectures à corps ouvert.
Doctorat Nouveau régime, Université Lyon 2, 15 décembre 2000
Directeur de recherches : Charles Bonn

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1° partie, chapitre 1:L’AUTEUR ET SON LIVRE

1/ Des rapports mitigés :

2) Désir de changement ou expression de l’indifférence ?-

       Si nous n’avons parlé que succinctement des auteurs dans l’introduction de cette thèse, c’est pour ne pas empiéter sur l’objectif de l’étude que nous entamons ici et que nous divisons en deux parties : « Des rapports mitigés » d’une part, et « Désir de changements ou expression de l’indifférence ? » d’autre part. Nous désignons par ces titres les rapports, tant personnels, qu’établis par la publication des œuvres, entre nos deux auteurs et leurs environnements, c’est-à-dire les milieux dans lesquels ils ont évolué. Nous éviterons d’évoquer la problématique de l’identité perdue ou retrouvée, ainsi que les tentatives d’une quête de cette identité. Nous pensons en effet que ce sujet a été largement étudié et discuté tant au niveau des littératures « postcoloniales », qu’à celui de la littérature de l’exil. Aujourd’hui, il est plus que nécessaire de nuancer les faits, d’avoir un autre angle de vision. Notre approche sera fondée sur des éléments plus subjectifs, en l’occurrence sur le vécu des auteurs. Néanmoins, contrairement aux études biographiques, nous ne cherchons pas à expliquer l’œuvre par la vie de l’auteur. Nous serons tout simplement davantage à l’écoute de Kundera et Boudjedra.

            1/ Des rapports mitigés :

                    a) Le rejet d’une société :

       Nous aurions pu intituler cette partie « nul n’est prophète en son pays , ou comment Boudjedra l’enfant terrible et Kundera l’analyste de la désagrégation de la vieille Europe, l’une des consciences les plus lucides de la littérature contemporaine[1], se sont mis dos au mur face à leurs pays d’origine ». Nous avons résumé cette phrase, trop longue pour être un titre, par la combinaison des termes « rejet » et « société ». Le premier reflète une certaine attitude adoptée, le second porte en lui un aspect humain, certes codifié mais où le côté idéologique que l’on pourrait trouver dans « nation » ou « patrie », est réduit au minimum.

       A ce stade de notre travail, l’évocation des éléments biographiques semble nécessaire. Nous n’irons pas jusqu’à chercher l’interprétation des œuvres dans la vie des auteurs, démarche qui a fait ses preuves à une certaine époque mais qui, aujourd’hui, est obsolète. Il est toutefois indispensable, ne serait-ce que pour la crédibilité de ce travail, de connaître les écrivains dont nous étudions les textes. Ceci d’autant plus que le point commun qui les unit de prime abord est sans conteste le rejet de leurs société. S’agit-il d’un rejet unilatéral ou réciproque ? Nous tâcherons de répondre à cette question en regroupant les informations disséminées dans les dictionnaires, les encyclopédies, etc. Afin que nos propos soient clairs, nous avons préféré présenter les auteurs séparément.

       Rachid Boudjedra est né le 5 septembre 1941 à Aïn Beïda (appelée aussi Daoud), petite ville proche de Constantine et de la frontière tunisienne. Issu d’une famille bourgeoise et conservatrice, il assiste à la répudiation de sa mère qui lui inspirera plus tard son premier roman. Cité par Jean Déjeux, Boudjedra affirme à ce propos :

« J’ai (...) eu des problèmes avec mon père quand il a répudié ma mère. J’en ai énormément souffert. Mon père a épousé trois femmes. J’ai une vingtaine de frères et sœurs »[2].

Le manque de documents biographiques précis et exhaustifs nous prive des renseignements que nous aurions voulu avoir sur son enfance et son adolescence. Nous savons toutefois qu’il a effectué ses études secondaires à Tunis, au collège Sadiki, véritable monument de cette ville, afin de bénéficier de l’enseignement de la langue arabe. Ensuite, comme beaucoup de jeunes maghrébins de sa génération, et même des précédentes, il a dû partir en France pour avoir accès à l’université. Il retourne en Algérie avec une licence de philosophie et un diplôme d’études supérieures (l’équivalent de l’actuel D.E.A) dont le mémoire portait sur Louis-Ferdinand Céline, ce qui, à l’époque, n’était pas rien. A partir de là commence pour lui une carrière que l’on pourrait qualifier d’éclectique : professeur de philosophie (comme Mehdi dans L’Insolation), conseiller au Ministère Algérien de l’Information et de la Culture en 1977 sous le régime du président  Boumediene, scénariste, poète et romancier.

       La censure apparaît comme l’élément le plus révélateur et le plus fréquent de son parcours d’écrivain. De ses débuts fracassants avec La Répudiation, jusqu’au pamphlet de circonstance FIS de la haine, Boudjedra n’a pas cessé de provoquer, de créer des polémiques, de susciter les passions les plus contradictoires. Sa vie actuelle, partagée entre la France, l’Algérie et la Tunisie, entre la peur, le désir du tout en occultant le rien et la révolte, le pousse parfois à faire des déclarations dans les médias français qui l’éloignent de sa vocation première, à savoir la littérature. Ces égarements continuent par ailleurs à alimenter sa réputation dans le milieu de la critique puisqu’ils lui ont valu entre autre, la dénonciation de ses « excès et (...) propos démagogiques »[3].

       Dans les premières années qui suivent la parution de La Répudiation et L’Insolation, nous pouvons lire à propos de ces romans, différents commentaires qui montrent que la critique est à cette époque là unanime sur un fait : Boudjedra remue de fond en comble les piliers d’une société qu’il rejette. Parmi ces commentaires, notons celui de Ghani Merad qui qualifie « l’attaque de Rachid Boudjedra » de « violente » et « directe »[4], chose qui était tout à fait révoltante et choquante pour le public maghrébins de l’époque, et malheureusement pour certains encore aujourd’hui. Le cinéma étant plus populaire que la littérature, nous pouvons évoquer un film comme Halfaouine, l’enfant des terrasses[5] pour constater l’intolérance ambiante. Le réalisateur Férid Boughedir[6] ayant osé montrer des images « licencieuses » de femmes nues au hammam, a provoqué d’étonnants remous au sein d’une partie du public tunisien qui ne comprenait pas qu’on puisse ignorer et violer cette « ancestrale hishma » propre aux sociétés « arabo-musulmanes ». Le film n’avait pourtant aucune prétention et se présentait comme une jolie carte postale exotique ou pittoresque pour les uns (le public étranger), instructive pour les autres (jeunes tunisiens qui n’ont pas connu l’ambiance de l’ancien Tunis) et enfin nostalgique pour ceux qui ont vécu cette époque. Les différentes susceptibilités persistent même si nous sommes loin ici d’un Boudjedra qui « ne se contente pas d’égratigner la religion » et qui « stigmatise les tenants du régime ». Le malentendu, dans tous les cas de figure, reste le même. Ghani Merad nous l’explique dans ce qui suit :

« En réalité, les intellectuels francophones, les écrivains d’expression française ou tout simplement les francisants restent déchirés. On sent chez eux un malaise, une inadéquation à la communauté. En particulier, l’écrivain se sent coupé de son peuple, étant “orphelin de lecteurs” »[7].

       Le père Déjeux, véritable pilier de la recherche sur la littérature maghrébine, a lui aussi, ou devrait-on dire lui en premier, noté l’aspect subversif des premiers romans de Boudjedra :

« Boudjedra prend place dans ce courant littéraire nord-africain non pas gentiment, mais en ouvrant la porte d’un coup de pied et en bousculant les fauteuils. Il entre avec effraction comme un malade halluciné et en délire »[8].

Cette « lecture » de La Répudiation et de L’Insolation n’a pas beaucoup changé au fil des ans, puisque ces romans restent toujours parmi les plus violents et les plus destructeurs vis-à-vis des « mythes de la société maghrébine traditionnelle qu’il [Boudjedra] réprouve »[9]: la religion, la famille, la patrie. Toutes formes d’autorité se trouvent là non pas simplement attaquées ou remises en cause, mais littéralement démystifiées.

       Les critiques des années quatre-vingt utiliseront à l’excès, vis-à-vis des premiers romans de Boudjedra, les mots « violence », « révolte », « délire », « subversion », et leurs synonymes, jusqu’à noyer l’écriture boudjedrienne dans un marasme gluant qui ne fait que servir ses détracteurs, en premier lieu et beaucoup plus qu’on ne le pense, une large part du public maghrébin (ayant lu ces romans ou ne connaissant l’auteur que par ouï-dire), qui continue à la percevoir comme une insulte et une atteinte à la dignité « arabe ». Parmi ces critiques nous pouvons lire que La Répudiation est un « livre qui inaugure le parti pris d’une écriture violente en rébellion contre les atavismes de la société algérienne, dominée par la figure du Père »[10]. Ou encore : « La Répudiation (1969), qui choqua par son sujet et par son écriture, circula en Algérie dans une semi-clandestinité »[11], alors que « L’Insolation (1972) continue le travail de décomposition du modèle familial archaïque »[12]. On commencera plus tard à prendre du recul face à cette problématique de la révolte et à nuancer les faits. Il nous est par exemple simplement rappelé en précisant le contexte temporel, que Boudjedra « apparaît ainsi à la fin des années 60 comme celui qui dit le non dicible scandaleux d’une société où l’hypocrisie religieuse et le refoulement sexuel sont les plus sûrs garants de l’oppression politique »[13].

       La question que l’on pourrait alors se poser est la suivante : une œuvre littéraire est-elle ou non atemporelle ? En d’autres termes, a-t-on le droit de figer le sens d’un roman ? Tout semble avoir été dit et répété à propos de Boudjedra, mais reste la manière de le dire. C’est également le cas de Kundera que l’on a pendant longtemps simplement considéré comme « un dissident d’un pays de l’Europe centrale »[14]. Il est certes facile et commode de placer d’emblée un auteur dans une perspective contestataire. Mais une telle attitude ne risque-t-elle pas de fausser la donne ?

       Kundera est né à Brno, ancienne capitale de la Moravie dont l’Histoire est liée à celle de la Bohême, région souvent citée dans ses romans. Elle est actuellement la deuxième ville de Tchécoslovaquie. On y trouve plusieurs musées et monuments médiévaux et baroques. Ce détail nous indique l’importance qu’on y accorde à la vie culturelle. Kundera évolue donc dans un univers où l’art occupe une place de prédilection. Son milieu familial contribue également à sa sensibilisation artistique et particulièrement musicale :

« Fils d’un pianiste de grand renom, cousin d’un des plus importants poètes de la jeune génération, Kundera grandit dans un milieu intellectuel tchèque – ou plutôt morave – typique »[15].

L’expression « fils d’un pianiste célèbre »[16] revient souvent dans les notes biographiques que nous avons consultées. Ainsi, « fils d’un musicologue éminent, l’écrivain tchèque Milan Kundera est initié dès son enfance à une culture très complète »[17], n’est qu’une autre version des deux premières citations.

       Son engagement de jeunesse auprès du Parti Communiste se solde par un échec : « Il est exclu du parti communiste à l’âge de 20 ans »[18]. Notre auteur réalise en effet très vite les dangers de l’endoctrinement dont le pays tout entier est la victime. Il commence par écrire des poèmes (L’homme, ce jardin si vaste, 1953; Le dernier Mai, 1955), et un essai sur l’œuvre de Vladislav Vancura qu’il a fini par renier (L’Art du roman, 1960 - à ne pas confondre avec l’excellent essai du même nom mais qui date de 1986). C’est essentiellement avec son premier roman (La Plaisanterie, 1967), que son talent d’écrivain sera reconnu, mais surtout découvert en France grâce à Aragon dont il dira plus tard : « sans lui, La Plaisanterie n’aurait jamais vu le jour en France et mon destin aurait pris un chemin tout à fait différent (et bien moins heureux, sûrement)»[19].

       Dans « Le chemin difficile de la littérature tchèque », Antonin Liehm nous explique que la littérature tchèque d’après-guerre, est soit évincée par le communisme pour trahison aux idées du Parti, soit corrompue par le mirage du pouvoir que ce même Parti faisait mirer sous son nez. Il n’est donc pas surprenant qu’à la suite de l’invasion des Soviétiques en 1968, les prises de position de Kundera lors du « printemps de Prague » en faveur d’une culture indépendante de tout pouvoir, lui vaudront la perte de son poste d’enseignant à l’Institut Cinématographique de Prague. Il sera également interdit de publication:

« Au moment où, en Tchécoslovaquie, mon nom était gommé des lettres tchèques (...), la parution de La plaisanterie aux éditions Gallimard a lancé mon roman dans le monde entier, en sorte qu’à la place des lecteurs tchèques subitement perdus j’ai eu (tout aussi subitement) des lecteurs nouveaux »[20].

Kundera quitte son pays pour la France en 1975, se fait naturaliser français en 1981 et publie ses livres dans la langue de Voltaire avant qu’il ne paraissent en tchèque. Après avoir appris et maîtrisé cette langue d’adoption, il publie de nouvelles versions de ses romans corrigées par ses soins, en n’omettant pas de préciser les raisons de cette démarche :

« Un jour, en 1979, Alain Finkielkraut m’a longuement interviewé pour le Corriere della sera. “Votre style, fleuri et baroque dans La plaisanterie, est devenu dépouillé et limpide dans vos livres suivants. Pourquoi ce changement ?” Quoi ? Mon style fleuri et baroque ? Ainsi ai-je lu pour la première fois la version française de La plaisanterie. (Jusqu’alors, je n’avais pas l’habitude de lire et de contrôler mes traductions; aujourd’hui, hélas, je consacre à cette activité sisyphesque presque plus de temps qu’à l’écriture elle-même.) Je fus stupéfait. Surtout à partir du deuxième quart, le traducteur (ah non, ce n’était pas François Kérel, qui, lui, s’est occupé de mes livres suivants !) n’a pas traduit le roman; il l’a réécrit (...). Oui, aujourd’hui encore, j’en suis malheureux. Penser que pendant douze ans, dans de nombreuses réimpressions, La plaisanterie s’exhibait en France dans cet affublement !... Deux mois durant, avec Claude Courtot, j’ai retravaillé la traduction. La nouvelle version (“entièrement révisée par Claude Courtot et l’auteur”) a paru en 1980. Quatre ans plus tard, j’ai relu cette version révisée. J’ai trouvé parfait tout ce que nous avions changé et corrigé. Mais, hélas, j’ai découvert combien d’affectations, de tournures tarabiscotées, d’inexactitudes, d’obscurités et d’outrances m’avaient échappé ! En effet, à l’époque, ma connaissance du français n’était pas assez subtile et Claude Courtot (qui ne connaît pas le tchèque) n’avait pu redresser le texte qu’aux endroits que je lui avais indiqués. Je viens donc de passer à nouveau quelques mois sur La plaisanterie »[21].

Si Kundera a consacré autant de temps et d’énergie pour présenter une version française de son premier roman aussi fidèle que possible à l’esprit de l’original tchèque, nous sommes en droit de penser que les livres suivants sont tout aussi authentiques. Il semble désormais admis que notre auteur s’adresse en priorité à un public francophone, d’autant plus que depuis 1973, la traduction française de chacun de ses romans paraît avant la version tchèque. Guy Scarpetta confirme la francophonie de Milan Kundera :

« La lenteur est le premier roman de Milan Kundera écrit directement en français : il faut concevoir, autrement dit, que Kundera est désormais devenu un “écrivain français” à part entière. De ce processus, qui le rattache à tous ceux, de Nabokov à Conrad, de Beckett à Ionesco, qui ont été amenés dans le cours de leur vie d’écrivain à “changer de langue”, il faudrait pouvoir relater les différentes étapes. La dernière fut celle-ci : Kundera, alors qu’il rédigeait ses essais directement en français, continuait à écrire ses romans en langue tchèque, avec toute la cruelle absurdité que cela impliquait : jusqu’à la chute du mur de Berlin, la “révolution de velours” en Tchécoslovaquie, ses œuvres étaient censurées dans son pays d’origine, – si bien que la version originale de ses romans n’est guère lue que par une seule personne, son traducteur; parallèlement, il menait un long travail de révision des traductions françaises de tous ses romans, jusqu’à ce qu’il puisse leur appliquer la mention selon laquelle la version française avait “même valeur d’authenticité” que le texte tchèque »[22].

Kundera s’est donc trouvé, encore une fois, dans une situation à contre courant dans sa propre patrie. Il n’a eu droit qu’à l’incompréhension et l’intolérance. De La Plaisanterie (1967) à La Valse aux adieux (1973), il semble qu’on ait déjà décidé de son destin : la Tchécoslovaquie ne veut pas de lui. Pour preuve, La Valse aux adieux est un roman écrit en Tchécoslovaquie sans y être pour autant publié. La raison d’un tel rejet n’est pas dénuée, aux dires de Boris Livitnof, de toute arrière-pensée. En effet, la censure frappe ce livre :

«(...) Non point que Kundera fût un ennemi du régime socialiste, mais sa manière de penser et d’écrire y est jugée hautement subversive. On a donc le plus légalement du monde laissé partir l’auteur pour enseigner dans une université française et c’est en traduction française que ce livre a pu finalement paraître à Paris »[23].

Boris Livitnof explique l’attitude offensive des autorités gouvernementales vis-à-vis de notre écrivain par le fait qu’il « vit en Tchécoslovaquie dans une société qui ne permet pas à l’artiste de peindre ce qu’il veut et comme il veut. Cela ne signifie pas nécessairement que l’artiste soit un ennemi des idéaux que poursuit cette société. Ce n’est pas l’écrivain qui tourne le dos à son pays. Mais c’est son pays qui met l’écrivain hors-la-loi, l’oblige à la clandestinité et le pousse au martyre »[24].

       Le rôle de cet aperçu biographique est de mettre en évidence les similitudes entre les origines de Boudjedra et Kundera, malgré leur éloignement géographique et culturel. A l’instar de Boudjedra, né dans un village du Constantinois mais très vite plongé dans l’ambiance tunisoise, Kundera, né dans la capitale de la Moravie, a grandi dans le respect des traditions culturelles, de la connaissance et des arts. En effet, durant la première moitié de ce siècle, la « démocratisation » de l’enseignement n’était pas toujours de mise (surtout dans les pays du Maghreb). Boudjedra, contrairement à ses compatriotes dont la plupart ne poussaient pas plus loin leurs études après l’école coranique, a ainsi bénéficié d’une formation bilingue et ce, grâce à son père (dont s’inspirent pourtant Si Zoubir et Siomar, les personnages immondes et sans cœur des deux premiers romans) qui l’a envoyé à Tunis. Quant à Kundera, il a dès son jeune âge, et lui aussi grâce à son père, goûté aux plaisirs de la musique, sans savoir encore qu’elle influencera son esthétique romanesque. Ils peuvent également remercier le hasard de les avoir fait naître dans leurs pays. L’Algérie et la Tchécoslovaquie ont ceci de commun : la blessure causée par la colonisation. En tant qu’écrivains, et surtout après l’impact des événements de mai 1968, qui ont eu un retentissement international, ils ne pouvaient que refuser tout(e) compromis//sion. Le rejet plus ou moins grand dont ils ont été victimes de la part de leurs sociétés respectives n’est qu’un effet de boomerang. Ils ont en effet à leur actif l’initiative de l’énonciation du refus, en ayant été à même de dénoncer par l’écriture une situation que nous résumons ici par trois mots : passivité, soumission et indifférence.

       Nous avons vu dans quelles conditions Boudjedra et Kundera se sont mis à écrire. Cependant, pour qui destinent-ils leurs textes ? Les éléments qui sous-tendent ces derniers sont-ils liés à une projection au sens psychanalytique du terme ? Le désir d’écrire correspond-il à une demande précise ? Le choix d’un public s’est-il réellement posé ou n’est-il que le fruit de la conjonction du hasard et de l’actualité ?

                    b) La passion unificatrice : la littérature

       La compréhension du cheminement de nos auteurs vers leurs destins de romanciers requiert une vision plus éclairée des contextes socioculturels dans lesquels leurs œuvres ont vu le jour. Notre intérêt pour les chemins parcourus par les littératures tchèque et algérienne, contrairement aux apparences, n’est pas dû à une quelconque admiration des panoramas historiques tant affectionnés par les manuels scolaires. En effet, l’art de l’écriture, outre son existence en tant qu’expression d’une individualité, est également le produit d’une mémoire collective. En entamant notre réflexion sur ce qui a provoqué chez Boudjedra comme chez Kundera cet irrépressible désir d’être lus, nous avons été confrontés à la nécessité de prendre en considération tous les éléments susceptibles de participer d’une manière ou d’une autre, dans l’élaboration de ce désir.

       Le jeune parcours de la littérature algérienne de langue française nous est certes plus familier que celui de la littérature tchèque, mais nous ne pouvons délaisser l’un au profit de l’autre, au risque de paraphraser nos références. Afin que notre démarche soit moins mécanique, davantage ancrée dans le contexte de cette étude, nous essayerons de faire une synthèse des différents regards portés sur ces littératures, autant de versions de l’histoire littéraire, susceptibles peut-être, selon l’humeur et l’air du temps, de changer d’une décennie à l’autre. Notre projet étant de comprendre comment nos deux auteurs ont embrassé (de manière si naturelle, comme si cela allait de soi) une carrière littéraire en marge de leurs environnements respectifs, nous consulterons des articles de dictionnaires (Maghreb[25], Littérature maghrébine de langue française[26], Littérature contemporaine tchèque depuis 1918[27], Littérature tchèque[28]), l’introduction[29] de la Littérature maghrébine d’expression française[30] et un article paru dans la revue Critique, Le chemin difficile de la littérature tchèque[31].

       Ce « chemin difficile » pourrait tout autant désigner celui de la littérature algérienne d’expression française car elle a concentré en quelques décennies toutes les étapes que la littérature tchèque a connues durant un parcours chaotique lié à l’histoire de l’ancien continent. Antonin Liehm relate fort bien l’histoire de la littérature tchèque dans un article que nous escamotons et maltraitons quelque peu en citant , en note de bas de page, les passages qui nous paraissent les plus explicites quant aux moments décisifs qui l’ont marquée[32]. A peine sortie du joug nazi précédé par l’emprise de l’Empire austro-hongrois, la Tchécoslovaquie est très vite convoitée par la puissance soviétique. Elle connaît ainsi en moins d’un siècle, trois occupations.

       Il en a suffit d’une seule pour que la littérature algérienne, « une littérature nécessaire »[33], née dans la douleur, le déchirement et la violence inhérente à tout acte contestataire, se trouve d’emblée et de plein pied, projetée dans le XXème siècle occidental. Forte de cette double aliénation – celle de la langue et celle de la culture – elle est d’abord apparue comme une littérature documentaire, puis a très vite œuvré pour prouver son existence en tant que littérature à part entière, pour réussir enfin à faire entendre sa voix.

       Le problème de la langue pourrait effectivement gêner ce rapprochement. Si le tchèque n’a connu sa première grammaire qu’au XVIème siècle, avec la réforme, concurrençant ainsi le latin aussi bien dans les textes religieux que dans les récits (voyages, chroniques, mémoire), il fut très vite mis à mal par la germanisation consécutive à l’invasion de l’Autriche et à la restauration de l’église catholique. Suivent alors trois siècles où la vie culturelle subit en alternance des périodes d’intense activité et des vagues de cruelle répression :

« Appartenant à une nation de tradition occidentale onze fois centenaire, formant un Etat puissant au Moyen-Age (royaume de Bohême), les Tchèques, affaiblis par les guerres de religion au XVème siècle (...) privés après la Montagne Blanche (1620) d’une vie politique indépendante, de leur noblesse, d’un quart de leur population (...), au bord de l’asphyxie intellectuelle et linguistique au XVIII ème siècle, se redressent, stimulés par les idées venues de l’Occident, en réagissant contre la germanisation et grâce à des intellectuels issus du peuple d’abord, des classes moyennes ensuite »[34].

Ce schéma se reproduit également au XXème siècle, avec la formation officielle de la nation tchécoslovaque (1918), avant d’être le témoin de sa débâcle à la veille de la seconde guerre, de sa reconstitution en 1948 et de sa dernière et probablement définitive dissolution en 1992. L’existence de ce pays aura été le fruit d’un désir unioniste éprouvé par certaines figures de son histoire. La Bohême, la Moravie et la Slovaquie, trois régions unies par la volonté de l’occupation lors des prémices de leurs destin commun, sont finalement, malgré l’usage d’une même langue, séparées par leurs différences aussi bien ethniques que religieuses ou culturelles. Bohême et Moravie forment aujourd’hui la Tchèquie ou République Tchèque et la Slovaquie qui a toujours proclamé son désir d’autonomie, continue seule son chemin.

       Nous voyons donc que l’Empire austro-hongrois a pu modifier les frontières de ce pays mais n’a nullement influé sur le cours de l’évolution de la langue tchèque, sinon en ralentissant l’épanouissement intellectuel, principalement au cours des XVIIème et XVIIIème siècles. Plus tard, les soviétiques feront preuve des mêmes projets d’intégration pour les tchécoslovaques et se heurteront à la même résistance de leur part. Ainsi, ni le discours religieux (latin), ni l’assimilation coloniale (l’Empire), ni la verve idéologique (communisme) n’auront raison de ce peuple. Le premier n’aura servi qu’à préparer la réforme, la deuxième n’aura causé que des révoltes et la troisième, malgré un réel pouvoir de séduction au départ, n’aura réussi qu’à retourner le glaive contre elle-même. L’effervescence culturelle dans les périodes d’ouverture sur l’Europe, notamment avec l’apparition dans la deuxième moitié du XIXème siècle de l’« école cosmopolite », et au début du XXème siècle, d’un courant de traducteurs faisant écho à une grande diversité de la production littéraire et à un mouvement d’inspiration puisée dans les oeuvres françaises, n’a pas détourné les tchèques de leur véritable nature. Ils sont restés fidèles à la défense de leurs traditions et de leur patrimoine.

       L’Algérie a par contre connu un parcours totalement différent puisque la culture autochtone n’a que trop peu résisté à l’invasion territoriale. Depuis les conquêtes islamiques, la langue arabe a dominé les dialectes locaux et la succession des différentes dynasties arabo-musulmanes n’a fait que consolider l’aliénation. L’on mesure déjà et jusqu’à nos jours l’impact de cette religion sur le Nord de l’Afrique. La langue arabe, définitivement sanctifiée et totalement assimilée à la parole divine, gagne par là même sa dimension sacrée. Même l’Empire Ottoman n’a pas osé imposer le turc, au contraire, les dignitaires mandatés dans la région, aussi bien à Alger qu’à Tunis, n’ont introduit que certains aspects de leur culture (cuisine, musique, traditions), d’autant plus qu’ils représentaient, théoriquement et symboliquement, la continuité du pouvoir arabo-musulman, lui-même chapeauté par le pouvoir divin exprimé dans le Coran, en arabe. Avec la colonisation française, les donnes seront changées : autre civilisation, mais surtout autre religion et autre regard.

       Sous l’influence de cette occupation, précisément aux lendemains de son centenaire, ou encore aux « alentours de 1930 – année de la célébration du centenaire de la colonisation »[35] est née « en Algérie, (...) avant de se développer dans les deux pays voisins »[36] une forme d’expression littéraire que l’on désigne aujourd’hui par des appellations telles que littérature maghrébine de langue françaiselittérature maghrébine d’expression françaiselittérature francophone du Maghreb, etc. Elle est donc apparue sur le tard, en fin de période coloniale. Comme le suggère l’introduction de Littérature maghrébine d’expression française[37], les premiers auteurs algériens écrivant en langue française pour être admis au départ dans le cercle de la littérature coloniale, entament une « timide contestation »[38] et se laissent décrire comme « un “échantillon” de la réussite de la mission salvatrice de la France, exhibés pour justifier la politique d’assimilation»[39].

       Après la seconde guerre mondiale, les contradictions nées des interférences entre démagogie coloniale et valeurs démocratiques et humanistes ressenties de part et d’autre de la Méditerranée, ont permis l’éclosion d’un nouveau mouvement littéraire, cette fois bien ancré dans la contestation et la dénonciation. Mimésis se transforme alors en catharsis, au moment où se prépare l’affrontement final. Il est cependant communément admis que la littérature maghrébine d’expression française est apparue à cette dernière époque, c’est-à-dire après la seconde guerre, ce qui relègue les figures des débuts littéraires, peut-être après tout pas très glorieux, dans le brouillard des laissés-pour-compte.

       C’est en somme vers 1950, avec les premiers romans de Mouloud Feraoun, notamment « Le Fils du pauvre »[40], Mohammed Dib et Albert Memmi, que les différents articles consultés s’accordent à situer la véritable naissance de cette littérature. En utilisant la langue de l’« autre » pour se démarquer de lui, s’est effectuée une « prise de conscience fondatrice de la littérature maghrébine d’expression française depuis les conquêtes islamiques » dont le catalyseur n’est autre que le « sentiment douloureux d’une identité méconnue, occultée ou bafouée ».[41]

       L’apparition soudaine de cette littérature à un moment précis de l’histoire, (il faut bien le dire) algérienne, s’est faite « d’une part, parce qu’il y avait au Maghreb une quantité suffisante de gens biens formés à la langue française et, d’autre part, parce que la culture littéraire, loin d’y être un fait nouveau, perdurait sous diverses formes, en langue arabe ou berbère, écrite ou parlée»[42]. Si monstre il y a, il a bien été créé par les autorités coloniales qui, dans une perspective d’assimilation, procèdent « dès les années 1880, (au) démantèlement des institutions locales (qui) bouleverse la société algérienne. L’imposition du français détermine un nouveau statut pour les Lettres dans une nouvelle hiérarchie linguistique. (Dès lors), l’enseignement de l’arabe, plus ou moins confiné au rituel religieux, ne se maintient que de façon rudimentaire »[43]

       Il faudra donc, malgré les réticences idéologiques, faire fi de toutes les susceptibilités et apprendre la langue du colon pour pouvoir s’affirmer dans le système en place. Il s’agit d’apprendre la langue de cet « autre » hautain et méprisant, afin de lui montrer qu’il a tort d’occulter les capacités intellectuelles d’une communauté qu’il voulait cantonner dans des activités manuelles ou prolétariennes, en modifiant sa stratégie éducative coloniale, passant ainsi de l’outil d’assimilation au modèle de ségrégation, n’accordant aux autochtones que « les rudiments d’une culture dont tout le monde a désormais compris qu’elle peut être le moyen d’une émancipation, voire d’une conquête de l ’égalité des droits avec les colons»[44]. Ou alors, il faudra continuer à écrire dans sa propre langue, populaire ou classique, arabe ou berbère, prendre en quelque sorte le maquis, opposer une « résistance à la déculturation »[45]. Notons au passage que Boudjedra n’a toutefois pas  vécu le choix douloureux entre une instruction classique et complète mais en langue française, ou une éducation escamotée en langue arabe. Son père l’a en effet envoyé en Tunisie où le système éducatif était moins sclérosé par le colon. Il a ainsi pu jouir du bilinguisme tout comme Khatibi et Meddeb. Le bilinguisme ainsi que la crise identitaire causée par l’intrusion du colon ont été largement étudiés durant les trois décennies qui suivirent l’indépendance de l’Algérie (dernier pays du Maghreb à être décolonisé) à tel point qu’il s’agit maintenant de deux clichés de la littérature maghrébine.

       La patrie de Boudjedra est aujourd’hui, trente cinq ans après sa décolonisation, toujours considérée comme le chef de file de la littérature maghrébine d’expression française, le lieu de sa naissance et de son développement. L’hypothèse la plus répandue concernant cette position de prédilection, la décrivant tantôt sous les traits d’Orphée charmant les dieux, tantôt sous ceux de Prométhée leur volant le feu pour le donner aux humains, est sans doute l’apparition plus tardive des littératures marocaine et tunisienne de langue française, « autour des années cinquante »[46]. Il est communément admis qu’un fait historique marquant semble à l’origine de l’essor littéraire :

« La Tunisie et le Maroc n’ont point connu la violence coloniale qui a sévi en Algérie, ni la radicalisation des processus identitaires; ils ont ainsi pu sauvegarder plus simplement leur culture d’origine berbère et arabe »[47].

La littérature algérienne, véritable porte-drapeau d’un courant revendicatif d’une identité et d’une culture perdues, voit ses futurs compagnons de route se débarrasser de leur timidité et la rejoindre dans un élan de solidarité et un sentiment retrouvé d’appartenance à une même communauté. Après le retrait définitif des français du Maghreb, les pôles d’attraction de la littérature se modifient dans un processus tout à fait logique : l’ennemi n’est plus étranger, envahisseur hostile et destructeur de l’identité nationale, il est à l’intérieur de la société même, sorte de gangrène qu’il faut combattre dans l’urgence :

« Les indépendances susciteront d’autres questions (...) Ainsi la guerre d’Algérie laisse place aux guerres d’Algérie: la critique sociale, la relation au pouvoir, l’exil, la famille, la sexualité, l’insatisfaction culturelle, le conflit entre culture savante et culture populaire, la question de l’origine et de l’identité, la question du sacré, le dialogue Orient-Occident et l’inscription dans la culture universelle »[48].

Toutefois, l’indépendance de ces pays n’a pas suffit à la cicatrisation de la blessure. Une fois les topos du bilinguisme et de la crise d’identité dépassés, les écrivains de la fin des années soixante et des années soixante dix (Rachid Boudjedra, Mohammmed Khair-Eddine, Abdelkébir Khatibi, Tahar Ben Jelloun, Nabile Farès) s’attaquent aux maux de leurs sociétés, cette fois de l’intérieur : religion, tradition, condition féminine, patriarcat, inceste et autres tabous sexuels, bref, les blessures du corps dans toute leur splendeur. Le mal ne vient plus de l’autre (le colon), mais de soi. Cependant, leur démarche reste en marge de leurs sociétés, créant une contradiction entre leur désir de changement profond par la remise en question, et leurs exigences littéraires qui les coupent des masses. L’absence de coordination qui fonde les relations entre écrivains et lecteurs maghrébins peut se résumer par ces propos :

« La situation des écrivains de cette génération se trouve en quelque sortes en porte-à-faux. Leur style, la forme romanesque qu’ils utilisent, les thèmes qu’ils traitent sont souvent contestataires et, à la limite, révolutionnaires. Il existe un certain décalage entre leur intention d’atteindre, de toucher, de transformer le peuple, et une production qui reste souvent hermétique, rebutant parfois le lecteur moyen. Ces auteurs écrivent pour la classe la plus éduquée et la plus bourgeoise. Leurs interviews révèlent la situation paradoxale où ils se trouvent, qui est de vouloir réformer toute la société et de ne pouvoir toucher qu’une infime partie de celle-ci »[49].

Une fois la France partie, certains de ces écrivains et d’autres qui ont, comme l’on mettrait en scène une tragédie grecque, rêvé et mis en mots des sociétés nouvelles, fondées sur des valeurs différentes dans une perspective de modernité, ont également choisi l’alternative de l’exil et ont rejoint cette nation combattue par leurs aînés. Ce mouvement migratoire n’a cependant inspiré aucune concession à Mohammed Dib, Driss Chraïbi, Mohammmed Khair-Eddine, Nabile Farès et Rachid Boudjedra :

« Aucune allégeance n’est faite à la langue de l’ancien colonisateur, aucune admiration n’est formulée autrement qu’en terme de séduction perverse. Seul s’exprime un rapport tendu et passionné dans lequel les poètes maghrébins “voleurs de feu”, pour reprendre l’expression d’Arthur Rimbaud, amorcent une critique tous azimuts des systèmes de valeurs et de pensée que leur ont légués les conquêtes, qu’elles fussent d’Orient ou d’Occident, arabo-islamique ou occidentale. Cette littérature, tout en se nourrissant de l’entre-deux culturel, élabore une nouvelle problématique identitaire et revendique une double généalogie »[50].

Certains n’hésitent pas aujourd’hui à annoncer de temps à autres la mort prochaine de cette littérature avec celle de ses derniers pontes. Il serait certes plus commode d’enterrer cette écriture//lecture qui nous rappelle trop la blessure honteuse de la colonisation, assimilée à un viol. En effet, on «n’admet pas toujours qu’une littérature engendrée par les anomalies de l’Histoire soit seule capable de les interpréter, de les dépasser ou de les transformer en ferments de passion et de vie »[51]. C’est précisément cette leçon magistrale que nous donne Boudjedra : alchimiste moderne, il transforme la fange infecte en « ferments de passion et de vie ».

       Nos deux écrivains ont débuté leurs carrières respectives par des textes écrits dans la forme la plus subjective, la poésie. Pour ne plus rêver (1965) de Boudjedra et L’Homme ce vaste jardin (1953) de Kundera, n’ont pas réellement fait date. Leurs auteurs s’imposeront quelques années plus tard, grâce à leurs premiers romans : La Répudiation (1969) pour le premier et La Plaisanterie (1967) pour le second. Nous ne pouvons ne pas rapprocher les années de parution de ces deux textes de celle qui a intégré le cercle des événements les plus marquants du XXe siècle : 1968. Le souffle de libéralisation qui a accompagné la révolte des ouvriers et des étudiants en France ainsi que le Printemps de Prague, a lieu entre les deux publications que nous avons citées. Ces romans font basculer le destin de leurs auteurs, désireux de donner à lire les maux qui rongent leurs sociétés, certes vus à travers le prisme de leurs subjectivités. Boudjedra réclame ainsi :

« Une littérature moderne, et non une littérature exotique, une littérature de voyage ou une littérature anthropologique. Qu’on fasse une littérature sincère, fondée sur une donnée très peu courante dans le monde arabe et dans le monde maghrébin : la subjectivité. Parler de soi, étaler son narcissisme, décrire le corps et le libérer, je crois que c’est l’essentiel, et pourtant, il est absent dans la littérature maghrébine »[52].

Boudjedra dit qu’il faut « parler de soi », « écrire le corps et le libérer », en l’occurrence le « corps » et le « soi » maghrébins. Une sorte d’entité pas tout à fait abstraite ni tout à fait concrète qui serait le « corps de la société, » une sorte de mélange des lecteurs potentiels, des individus qui forment la communauté et des instances qui les représentent et les gouvernent. Et c’est pour cela qu’il a reçu l’accueil que nous savons de la part des siens. Qui voudrait qu’on le déshabille, qu’on viole son intimité sans réagir ? Qui aimerait qu’on étale ses défauts, qu’on exploite le faiblesse de sa nudité ? Confronté à la même nécessité du politiquement et moralement correct, Kundera préfère affirmer :

« Le rôle du roman n’est pas de dénoncer les évidences politiques, mais de donner à voir les scandales anthropologiques »[53].

Nous retrouvons dans ces propos la notion de rupture, exprimée par le terme « scandales ». La divergence dans la façon d’appréhender le monde est donc à l’origine de la séparation entre l’écrivain et cette entité pas tout à fait abstraite ni tout à fait concrète, à savoir son public au sens large du terme, l’oeil du jugement dernier. Kundera reconnaît en effet que « dans la vie, l’homme est continuellement coupé de son propre passé et de celui de l’humanité. Le roman permet de soigner cette blessure »[54].

       De tels propos expliquent la nécessité de notre exposé historique des littératures tchèque et algérienne. Il est en somme indispensable pour nous de saisir l’importance du « passé » culturel de nos deux écrivains pour pouvoir expliquer la « blessure » qui les sépare de ce passé et qu’ils tentent de « soigner » à travers l’écriture. Il s’agit bien d’une écriture unificatrice et non pas celle de la discorde. En outre, Kundera et Boudjedra contribuent à l’effondrement de l’image d’Epinal de l’auteur maudit ou sage, instigateur du mal ou objecteur de conscience. Les certitudes s’effondrent au contact de cette écriture fuyante, car « le propre de la littérature n’est-il pas l’interrogation, jusqu’à l’intolérable? »[55]. Il est en effet aussi important sinon plus, de poser les bonnes questions que de trouver les réponses.

       Guy Scarpetta corrobore dans son ouvrage l’Impureté, les corrélations entre passé et présent dans la production littéraire. Il déclare que « la culture de notre temps » est « prise entre deux impasses : celle d’un passé sans avenir, et d’un “avenir” sans passé »[56]. Il ajoute :

« Les avants gardes, jusqu’à une époque récente, fonctionnaient selon une série d’oppositions simples, le nouveau contre le passé, l’invention contre l’académisme, la rupture contre la continuité, la révolution contre la réaction. Mais leur fuite en avant, leur radicalisme même, leur façon de fonctionner à coups d’interdits, les ont précipités dans l’impasse. Du coup, il semble que tout soit de nouveau permis, sans tabou, sans intimidations dogmatiques, sans obsession de la rupture à tout prix. Or cette liberté retrouvée n’est pas sans effet pervers : elle donne, paradoxalement, l’impression de déboucher sur un désarroi, une indécision, “un vide des valeurs” – comme si l’époque, prise de vertige à la suite de l’écroulement de ses anciennes utopies, ne savait plus à quoi, esthétiquement, se raccrocher »[57].

Malgré cela, le roman garantit, grâce à l’éventail de possibilités de questionnements illimitées qu’il est seul à offrir à l’écrivain, la pérennité de la littérature. En choisissant ce genre, nos auteurs font preuve d’un parti pris : celui de l’homme en tant qu’objet littéraire. L’un clamant haut et fort sa soif d’une écriture du corps, l’autre érigeant le genre romanesque en « gardien de l’identité de l’homme »[58].

            2) Désir de changement ou expression de l’indifférence ?

                    a) Le choix d’un public :

       Dans les pages précédentes, nous avons pu constater les conditions dans lesquelles ont pris forme les premières oeuvres de Boudjedra et Kundera, provoquant ainsi la violence intérieure de ces textes. Par leur passion de la littérature, de l’alchimie du verbe, nos auteurs inscrivent leurs romans dans une optique nécessairement corollaire de la notion d’échange qui, elle-même, suppose l’existence d’un deuxième pôle. Face à l’auteur apparaît le public et face au désir d’écrire, s’impose le désir d’être lu car « l’artiste crée pour être aimé »[59]. Mais par qui ? Il fut un temps où l’écriture ne se souciait que de l’identique. Depuis la généralisation de la traduction, la « démocratisation » de l’instruction et la mondialisation de l’information, elle s’est confrontée aux dangers de l’altérité. Si La Chanson de Roland a été écrite pour un public bien déterminé (du point de vue social, religieux et géographique), on ne peut pas dire la même chose des pièces de Molière et encore moins des romans de science-fiction. Et pourtant, ce sont toutes des oeuvres populaires, bien qu’appartenant à des registres différents. L’abolition symbolique des frontières, grâce au progrès technologique, est-elle en train d’orienter les écrivains vers une voie plus universelle de la production littéraire ? Les auteurs que nous étudions se détachent-ils de leurs publics nationaux, pour s’adresser à l’homme en général ?

       Il faudrait tout d’abord définir la notion de public. Nous ne parlons pas ici des lecteurs effectifs de Boudjedra et Kundera, ceux qui achètent leurs livres, mais plutôt du type de lecteurs susceptibles de lire et d’entrer dans leurs univers ludiques. Michel Picard paraît très sévère dans sa définition du lecteur :

« Il faut le dire brutalement, au risque d’effaroucher ou de blesser les belles âmes de tout bord dans leur rêve ingénument démagogique d’apporter la culture au peuple, instinctivement réceptif : l’effet littéraire n’est concevable que pour le joueur expérimenté, l’“amateur” averti. On peut, on doit déplorer le caractère élitiste et sélectif de la chose – non le nier sottement »[60].

Il nous semble au contraire qu’il s’agit là de la définition idéale du lecteur de Boudjedra et Kundera. Leurs œuvres sont-elles condamnées à n’échouer qu’entre les mains d’une poignée d’irréductibles aventuriers prêts à prendre tous les risques ? Les auteurs, contrairement aux critères établis par les théoriciens de la littérature qui ne veulent croire que ce qu’ils voient, ont bien saisi cette alternative puisqu’ils n’hésitent pas à malmener le lecteur jusqu’à l’intolérable. Nous verrons plus tard en quoi consistent ces rapports entre écriture et lecture. Nous disons donc que les critiques n’ont pas abordé de manière profonde la problématique de la lecture qui reste jusqu’à aujourd’hui encore à l’état embryonnaire, malgré les travaux remarquables des précurseurs (Jauss, Riffaterre...). Nous rejoignons par là les propositions d’Alain Viala qui souligne que « les études sur la lecture ont en effet pris pour objet, le plus souvent, le texte lui-même (...) on connaît assez bien le lecteur supposé par le texte », mais « pas la situation du lecteur réel»[61]. En effet, entre lecteur supposé et lecteur réel, si le critique fait l’amalgame, du point de vue de l’écrivain, il convient de dire qu’il faut nuancer les affirmations. Que doit-on croire ? L’auteur pense-t-il réellement au lecteur ou projette-t-il ses propres désirs et sa propre attente sur ce dernier ? Quel lecteur choisit-il de visualiser lors de l’écriture ?

       Continuant sa définition du lecteur, Alain Viala pose les principes de lecture comme équivalant aux principes d’écriture. Face à la rhétorique classique, il oppose la « rhétorique du lecteur » :

« Comme la rhétorique distingue quatre opérations dans l’élaboration du discours, la rhétorique du lecteur observe quatre opérations principales dans la lecture » :

1- « Homologue à l’inventio rhétorique où l’on choisit ce que l’on va dire » : « Choisir ce que l’on va lire ».

2- « Homologue de la dispositio rhétorique » : « l’orientation de la lecture », en d’autres termes, l’objectif de lecture. 

3- « Transposition » : « qui correspond à l’élocutio, » c’est-à-dire « percevoir les codes du texte » et « les transcrire, plus ou moins bien, pour tout ou partie, etc., dans les codes propres du lecteur ».

4- « L’action de lire est comme l’actio du discours, Elle engage des pratiques matérielles en partie observables (situation, vitesse et rythme de lecture, manipulation du livre, etc.), mais aussi d’autres qui sont difficiles à analyser (la mémorisation, la production d’images, par exemple) »[62].

Ces correspondances entre la pratique de l’écriture et celle de la lecture nous servirons tout au long de notre étude puisqu’elle rapproche le travail de l’écriture de celui du lecteur tout en suggérant que chacune des deux parties devine ce que l’autre fait. Ainsi la lecture est-elle inscrite en filigrane dans l’écriture, et vice versa. Boudjedra dépeint souvent son écriture – notamment dans l’entretien qu’il a eu avec Hafid Gafaïti[63], ou encore dans son article Pour un nouveau roman maghrébin de la modernité – comme révélatrice de ses propres fantasmes, ses propres obsessions. Mais nous décelons quand même une ouverture dans son oeuvre sur l’extérieur, qui révèle par moments le type de public qu’elle vise. Dans son article L’Erotique du texte, la différence et l’étrangeté[64], Charles Bonn décrit pleinement ce jeu de l’extérieur//intérieur auquel s’adonne l’écriture de Boudjedra. Délaissant la thématique de la différence qui a trop souvent jalonné les études sur la littérature maghrébine, il laisse la part belle à « l’ambigu », au « mixte » dans toute sa complexité.

       Ce qui nous intéresse dans l’immédiat, ce sont les rapports de l’écriture à la lecture. En effet, « Un récit s’adresse toujours à un lecteur, ou à un auditeur, que cet allocutaire soit ou non désigné explicitement par le texte »[65], ou encore « Toute littérature s’écrit nécessairement en dialogue désirant avec son lecteur »[66]. Ces deux pratiques intimement liées, trouvent chacune, la raison même de son existence dans l’autre. A ce stade des recherches sur la littérature, on ne peut la concevoir en dehors de ce qui représente désormais le gage et le fondement de sa fonction. Sans entrer dans le cercle vicieux de la polémique de l’oeuf et de la poule car tel n’est pas notre propos, nous remarquons d’emblée, que la question du choix du public s’impose pour nos auteurs, comme pour tout écrivain d’ailleurs. Il n’est pas d’autre alternative que d’accepter un public. Il leur reste cependant le loisir de faire une espèce de sélection, leur permettant d’en brosser les principaux traits. Mais comment procèdent-ils ?

       Ils choisissent d’abord un genre : il ne s’agit ni du théâtre, ni de la poésie, mais des ouvrages en prose, assimilés (peut-on faire autrement ?) au roman. Le roman permettant toutes sortes de libertés et constituant un modèle d’ouverture sur l’extérieur sans équivalent en littérature, mais en même temps si restreint et si clos, inscrit nos deux auteurs dans la lignée d’une tradition occidentale séculaire. Ce premier choix implique un second : celui d’un public qui affectionne ce genre. Ensuite, ils choisissent une langue. Boudjedra choisit celle de l’Autre, Kundera commence par utiliser la sienne pour s’en détourner petit à petit. Les circonstances ne sont pas les mêmes pour chacun des deux, mais les causes peuvent s’apparenter. Ils ont effectivement assez souffert, de manières différentes, de la censure du « même » pour se tourner vers l’«autre ». Boudjedra reconnaît le côté pratique de l’écriture dans la langue de l’Autre:

« (...) J’ai moi-même, commencé comme écrivain francophone pour des raisons tout à fait tactiques. Je n’ai pas été obligé de le faire; j’ai préféré écrire La Répudiation en français pour fuir le censure, parce que La Répudiation est un livre iconoclaste, un livre subversif, érotique, violent et irrévérencieux »[67].

A-t-il réellement choisi la facilité comme il le prétend ? Son roman n’était-il pas destiné à un public francophone pour des raisons plus sournoises ? Kundera parait plus sincère lorsqu’à la question de son interviewer : « Ne souffrez-vous pas, tout de même, d’être coupé de votre public naturel, des lecteurs qui ont partagé depuis l’enfance les mêmes expériences que vous ? », il répond :

 « Bien entendu... Mais Goethe a dit un jour à Eckermann qu’ils assistaient à la fin des littératures nationales et à la naissance de la littérature mondiale. Je suis convaincu que, depuis Goethe, une littérature qui s’adresse à son seul public national est anachronique et qu’elle ne remplit pas sa fonction essentielle. Présenter les situations humaines d’une manière qui ne permet pas de les comprendre au-delà des frontières d’un seul pays, c’est rendre un mauvais service à ses lecteurs. C’est enchaîner ceux-ci à leur clocher, les condamner aux stéréotypes locaux. En faire des muets.

            Le fait de ne pas être publié dans son pays est une leçon cruelle, mais utile : à notre époque, une oeuvre qui n’est pas en mesure de devenir partie de la littérature mondiale peut être regardée comme nulle et non avenue »[68].

En ce sens, au lieu de chercher à justifier son choix de la langue française au risque de se confondre en excuses indignes de son talent d’écrivain, Boudjedra devrait reconnaître le rôle décisif joué par les maisons d’édition françaises dans la tournure internationale qu’a pris sa carrière. La perte d’une partie du public national est largement compensée par la notoriété à une plus grande échelle. Les arabophones et les tchèques sont privés de ces lectures, mais l’oeuvre continue à exister. Cet instinct de survie reflète une volonté farouche de vaincre le silence par tous les moyens. Ceux qui sont mis en oeuvre en l’occurrence peuvent être discutables mais n’entraînent nullement la dépréciation des ouvrages littéraires ou de leurs auteurs. Ce sont des choix certes douloureux mais nécessaires, puisqu’ils permettent l’existence d’un autre public, un public qui ne serait certainement pas le même si les circonstances étaient différentes. D’ailleurs, dans les romans mêmes, nul public n’est privilégié par rapport à un autre. Kundera donne à voir dans L’Insoutenable légèreté de l’être la désagrégation des valeurs en Tchécoslovaquie et l’absurdité de la logique paranoïaque du système communiste, à travers le « recyclage » d’un docteur en médecine en laveur de carreaux. Mais à propos de la « légèreté » et de la « pesanteur » dans son esthétique romanesque, il nous dit : « unir l’extrême gravité de la question et l’extrême légèreté de la forme, c’est mon ambition depuis toujours »[69]. Ce qui nous amène à nous poser des questions quant à la réalité du contexte tchèque du drame vécu par Tomas. N’a-t-il pas refusé d’abord l’occasion de se racheter auprès des autorités de son pays, ensuite, celle qui lui était offerte de continuer à exercer son métier en Suisse ? La suite de variations sur le thème de la légèreté et de la pesanteur exposée dans ce roman est l’illustration même du souhait exprimé par l’auteur. Il oriente son écriture vers ce système manichéen de légèreté et de pesanteur, tout en inversant les valeurs car, dit-il, « l’union d’une forme frivole et d’un sujet grave dévoile nos drames (ceux qui se passent dans nos lits ainsi que ceux que nous jouons sur la grande scène de l’Histoire) dans leur terrible insignifiance »[70].

       Boudjedra, lui, fait un pied de nez aux deux publics les plus susceptibles de se sentir agressés par son écriture :

« Le même texte sera lu différemment par un lecteur maghrébin ou par un lecteur français, et l’on pourra se demander auquel ce texte s’adresse. Mais on s’apercevra vite que ce texte ne s’adresse jamais uniquement à l’un, ou uniquement à l’autre »[71].

Par ailleurs, l’imbrication de différents registres dans L’Insolation, inspire à Charles Bonn[72]cette réflexion sur un passage où les vers d’Omar chantés par Oum Kalthoum, avoisinent le conte populaire d’Amar Bô : il y a là une mise en exergue de la « contradiction » de la poésie arabe dont se réclame les intégristes qui, tout en œuvrant pour le retour à « l’âge d’or », occultent le côté érotique et quelques fois licencieux de cette littérature. En même temps, le lecteur français est provoqué par le texte en arabe, présenté comme s’il était évident (cf. pp. 151-152). Est-ce que le lecteur arabophone aurait relevé la subtilité ? Cette écriture se veut donc un échange continu entre différentes sortes de publics, chacun la lisant à travers son propre prisme, ouverte à toutes les possibilités, mais jamais totalement offerte :

« Pour faire exister l’identité, il faut des discours la proclamant. Non pas tant des discours à usage interne, même s’ils sont indispensables, que des discours susceptibles de se déployer dans les espaces mêmes où l’identité maghrébine est contestée»[73].

       Ce vent de panique qui s’abat sur le public nous amène à prendre en considération un autre choix, celui de l’orientation de l’écriture. Pour Boudjedra, le fait qu’il soit désigné comme « l’enfant terrible » de la littérature algérienne, celui qui démonte les mécanismes « sclérosés » d’une société embourbée dans ses traditions, est très significatif :

« Cette littérature des années 70 s’affirme dans l’opposition aux régimes en place. Quelques écrivains, quelques textes en deviennent vite le symbole. Ainsi, La Répudiation (...) publié en 1969, a marqué pour beaucoup de lecteurs un courant de contestation violente qui n’a fait que s’amplifier durant les années 70. Car ce roman frappait là où se nouent toutes les contradictions : en exhibant, dans une démesure qui choqua, mais fit office de colossal défoulement, toutes les inhibitions sexuelles d’une société »[74].

Ames sensibles et consciences puritaines s’abstenir : une mise en garde qui aurait pu introduire les textes de Boudjedra. Mais ces types de lecteurs dont les certitudes sont susceptibles d’être ébranlées et qui figent la pensée par leur conformisme sont justement ceux que l’auteur recherche en priorité. L’analyse de la société plonge l’écrivain dans une perpétuelle oscillation entre l’intime conviction de devoir dénoncer ce qui doit l’être (mission, somme toute, journalistique) et un total dévouement à l’art :

« Au coeur de l’activité littéraire maghrébine des années 70 (comme aussi de la littérature européenne de la même époque), il y a donc ce débat de l’écrivain, partagé entre la “sommation de dire” imposée par le groupe et la volonté de rester fidèle à la vrai nature du travail d’écriture »[75].

L’évolution entre les deux instances dénoncer-questionner est ici valable pour nos deux écrivains. De plus, cette démarche est non seulement provoquée par la conscience qu’ils ont de ce qui les entoure, mais aussi par une véritable demande de la part du public; demande qui apparaît du coup tout à fait contradictoire, puisqu’elle implique également le choc produit par le texte sur le lecteur. Un tel paradoxe, probablement né de la violence qui semble sourdre des romans (notamment ceux de Boudjedra et Kundera), peut se traduire par :  lire ou ne pas lire, telle est la question.

       Dans le cas de Boudjedra, cet état paradoxal est décrit dans l’extrait suivant :

« La Répudiation  manifestait à point nommé, (...) la réponse à une attente face au texte littéraire de langue française : lui voir dénoncer la situation de la femme et l’enfermement de la vie quotidienne de la jeune génération algérienne victime du poids sclérosant des pères. Attente bien complexe, puisqu’elle craint en même temps d’être comblée. Car y répondre constitue, à proprement parler, le scandale majeur : la mise en lumière de ce qui par essence doit rester caché. C’est violer cette décence, cette “hichma” en partie fondatrice de l’identité musulmane, et qui interdit de se dénuder moralement, de montrer en particulier cet envers de l’univers féminin et l’intimité qu’elle contient (...) Cette attente contradictoire se portera donc de préférence vers les textes écrits dans la langue de l’Autre, et que leur différence, de ce fait, met en situation de marginalité. Marginalité depuis laquelle est possible la parole, pourtant nécessaire, qui dit ce qui ne peut être dit dans le cercle de l’identité »[76].

Du point de vue de Kundera, les choses changent quelque peu, mais pas le principe :  « l’attente » est tout aussi « contradictoire » puisque le public occidental (public majoritaire en ce qui concerne les oeuvres de ce romancier) est féru de détails sur les « scandales anthropologiques », à conditions qu’ils soient situés en Tchécoslovaquie. Pierre Mertens attire notre attention sur l’absurdité et le ridicule d’une telle attente :

« Pour dire la perte ou l’asservissement d’une nation, on trouve (...) deux sortes de poètes : les chantres, d’Hugo à Neruda, de Solomos à Kanafani, et les cliniciens, de Hašek à Kundera, qui renoncent à ce que Jankélévitch a, un jour, appelé « un pathos d’exil ».

            On ne perçoit point ici les accents de la nostalgie. Non point qu’elle soit bannie de cette symphonie des adieux... Plutôt, elle a été, dialectiquement, retournée. Le nostalgique montre du doigt ce dont il a été dépouillé, le corps du délit dont il fut victime. Or, Kundera ne désigne pas sa perte, mais la nôtre, il nous rappelle notre deuil, et s’étonne sans doute au passage, que la veuve occidentale se soit si facilement consolée : elle a bien tort, c‘est elle, un peu, qu’on a déjà portée en terre »[77].

Veuve noire magnifiée, l’écriture tant désirée dévore le lecteur au moment même où il était sûr de lui échapper. L’ambiguïté de la fonction de l’écriture continue son chemin paradoxal par le choix d’une autre orientation, celle qui exclue mais en même temps appelle des publics archétypes : la critique acerbe par la dérision. Ainsi, ce qu’on a fini par appeler la lutte de Boudjedra pour la condition de la femme en Algérie[78], pourrait en même temps interpeller les lecteurs que ce discours dérangerait, au même titre que ceux qui en manifestent l’attente.

       Parallèlement, un autre paradoxe s’élabore. Le public qui refuse l’émancipation de la femme serait à même de donner aux textes de Boudjedra une ampleur qu’ils ne revendiquent peut-être pas au départ. Et le public qui la revendique, ne pourrait peut-être pas en mesurer le danger, puisqu’il l’aborderait en tant que norme à suivre. Quoi qu’il en soit, parler de la femme comme l’a fait Boudjedra et au moment où il l’a fait, consiste en une véritable déclaration de guerre à l’intention de tous ceux que l’on appelle non sans une pointe de malice, les obscurantistes ou les nostalgiques de l’âge d’or arabo-musulman. Cet auteur a pris la parole au moment où elle s’offrait à lui :

« La Répudiation est un récit qui procède d’une fureur de dire l’interdit, la zone d’ombre où se noue la contradiction fondamentale d’une société. C’est pourquoi, dire la situation de la femme, dans un texte de fureur, est également dire l’enfermement de tout un pays »[79].

Les discours se superposent et s’imbriquent. Un mouvement d’avalanche se produit. Une chose en amenant une autre, une revendication en supposant une autre, le texte de Boudjedra devient « virulente critique des régimes en place »[80], et La Valse aux adieux est interdite de publication en Tchécoslovaquie « non point que Kundera fût un ennemi du régime socialiste, mais sa manière de penser et d’écrire y est jugée hautement subversive»[81].

       Dans certaines situations, la nationalité, la religion ou la culture importent peu. Tout comme Boudjedra, Kundera a bien connu les inconvénients de la censure :

« Kundera vit (...) dans une société qui ne permet pas à l’artiste de peindre ce qu’il veut et comme il veut. Cela ne signifie pas nécessairement que l’artiste soit un ennemi des idéaux que poursuit cette société. Ce n’est pas l’écrivain qui tourne le dos à son pays. Mais c’est son pays qui met l’écrivain hors-la-loi, l’oblige à la clandestinité et le pousse au martyre »[82].

Le malentendu à l’origine de cette situation de l’artiste qui, bon gré malgré, doit faire face à toutes sortes d’hermétismes, poussent l’écrivain dans ses derniers retranchements. Il ne fait plus de concessions et donne toute sa valeur à la parole arrachée, gagnant par là même son titre de combattant du kitsch généralisé :

« Le mot kitsch désigne l’attitude de celui qui veut plaire à tout prix et au plus grand nombre. Pour plaire, il faut confirmer ce que tout le monde veut entendre, être au service des idées reçues. Le kitsch, c’est la traduction de la bêtise des idées reçues dans le langage de la beauté et de l’émotion »[83].

       Pour clore cette partie, nous reprendrons ces mots de Kundera qui semblent à eux seuls justifier le choix fait par nos deux auteurs :

« A notre époque, une oeuvre qui n’est pas en mesure de devenir partie de la littérature mondiale peut être regardée comme nulle et non avenue »[84].

L’ambiguïté de l’espace dans lequel et à partir duquel est prise la parole donne toute leur force de frappe à ses oeuvres tantôt inscrits dans le Même, tantôt dans l’Autre :

« La reconnaissance par l’Autre n’échappe à la récupération (donc, à la suppression) qu’a déjà subi l’écriture descriptive qu’en se constituant comme insaisissable »[85].

Mais à force d’être « insaisissable », cette écriture n’est-elle pas en train de se couper de son public légitime ? Chaque roman ne semble-t-il pas s’élever vers le ciel pour consolider le mur de la discorde et du malentendu ?

                    b) Le mur :

       A ce stade de nos recherches sur les différents éléments (biographiques, historiques, littéraires) autour desquels se sont organisés les univers romanesques de Boudjedra et Kundera, nous commençons à nous demander s’il convient de prendre en considération la dimension socio-politique de leurs oeuvres qui semble attirer en premier lieu tous les regards. A lire ces romans, en effet, en particulier La Répudiation et L’Insoutenable légèreté de l’être, tout semble les désigner comme de virulentes critiques du pouvoir politique et du conformisme social. Les drames vécus par les protagonistes, aussi bien Rachid que le couple Tomas/Tereza, peuvent être lus comme autant de complots contre l’intégrité morale, au profit de la corruption générale qui inverse les valeurs. Cette lecture au premier degré nous laisse cependant sur notre faim. Nous sentons qu’au-delà de la dénonciation pure et simple de ce que Kundera appelle les « scandales anthropologiques », il y a l’expression du malaise qui en résulte chez les auteurs. Qu’est-ce qui a amené Boudjedra à écrire en français ? Qu’est-ce qui a poussé Kundera hors de son pays natal ? Pourquoi l’un et l’autre se sont-ils greffé des corps étrangers ? Ont-ils réussi à faire entendre leurs voix ou ne reçoivent-ils en guise de réponse que leurs propres échos ? Ecrivent-ils leur indignation politique, leur profond désir de voir « la pièce où ils tiennent ou non un rôle, changer de décors » comme l’a si bien dit Aragon, ou bâtissent-ils des mondes parallèles ? Autant de questions qui nous intriguent car le mystère de l’écriture reste toujours aussi opaque. Nous tenterons néanmoins d’apporter ne serait-ce que des éléments de réponses dans ce qui suit.

       Certains intellectuels et écrivains algériens et tchèques se sont trouvés au cours de ce siècle, face à une situation aussi douloureuse que nécessaire, à savoir la rupture avec leurs racines. Même si elle ne concerne que l’Afrique du nord, cette affirmation peut également s’appliquer à d’autres espaces de prise de la parole :

« (...) Les intellectuels francophones, les écrivains d’expression française ou tout simplement les francisants restent déchirés. On sent chez eux un malaise, une inadéquation à la communauté. En particulier, l’écrivain se sent coupé de son peuple, étant « orphelin de lecteurs » »[86].

Nous ne pensons guère que l’écrivain est « orphelin de lecteurs », même si d’une certaine manière, il est effectivement « coupé de son peuple ». Aujourd’hui, son champ de vision est élargi car son oeuvre se doit de « devenir partie de la littérature mondiale »[87]comme l’a reconnu Kundera, cet autre exilé de la langue.

       Cette expérience, quoique différente dans chacun des deux cas, reste toutefois une occasion unique pour exacerber les sensibilités jusqu’à l’intolérable. Les deux auteurs dont nous étudions les démarches en sont les preuves. En 1981, lorsque Kundera, après six ans d’exil, prend la nationalité de sa terre d’accueil, Boudjedra déclare abandonner définitivement sa langue d’adoption. Un écrivain « français » est né en même temps qu’un autre est mort. Ce qui attise notre curiosité par delà la coïncidence de la date qui reste tout à fait fortuite, c’est ce mouvement d’attirance et de répulsion suscité par la même culture. Kundera vient à la rencontre de la France comme un amant à celle de sa bien aimée, alors que Boudjedra essaye éperdument de s’en séparer. Les raisons évidentes de ce chassé-croisé sont les circonstances dans lesquelles se sont consommées ces deux unions. Kundera, refusant l’immigration, puis se voyant contraint de quitter son pays, choisit tout de même la patrie du siècle des lumières, son « amour secret »[88], ne soupçonnant pas encore la situation paradoxale dans laquelle son écriture va se trouver après avoir été interdit de publication en Tchécoslovaquie :

« (...) Malgré mon refus d’émigrer, je me suis vu contraint (...) d’écrire pour mes seuls traducteurs. Paradoxalement, cela semble avoir été bénéfique pour ma langue. La beauté, dans ce domaine, c’est la clarté et la concision. Or, la langue tchèque est métaphorique, allusive, sensorielle. Et elle l’est souvent au détriment de la rigueur, de la progression logique, de l’exactitude sémantique. Elle possède, de ce fait, une forte charge poétique, mais elle est difficilement transmissible hors de son contexte »[89].

Désormais, l’oeuvre de Kundera ne devra son existence qu’à la protection de la langue française. Mais Kundera n’est pas un auteur traduit passif. Il transforme cette entreprise d’aliénation en « ferment » littéraire :

« En écrivant mes deux derniers romans, j’ai particulièrement pensé à mon traducteur français. Je me suis astreint – inconsciemment d’abord – à rendre mes phrases plus sobres, plus percutantes. A laver ma langue. A dépouiller mes mots, à remonter à leur sens original. C’est la démarche inverse – si vous voulez de celle qu’à suivie un Céline (...) »[90].

Et nous connaissons l’influence exercée par Céline sur l’oeuvre de Boudjedra. En effet, nous percevons chez ce dernier une écriture tendue à l’extrême, dopée par une surcharge sémantique qui fait un contrepoids à une syntaxe affolée, réduite parfois à son plus simple, mais paradoxalement son plus expressif, apparat.

       Boudjedra opte pour un espace de prise de parole chargé également de paradoxes. La littérature dont son oeuvre revendique l’appartenance est ainsi définie par Charles Bonn :

«La littérature maghrébine de langue française dit l’être dans une parole qui s’insurge contre la langue par laquelle elle est obligée de passer, tout en sollicitant de cette langue et de son lieu une reconnaissance infinie, dont le désir ne cesse d’être insatisfait. Le critique étranger censé représenter cette langue et son regard est alors celui qu’on récuse, qu’on tue et qu’on séduit, infiniment. Il est le miroir qu’on déteste et qu’on chérit, indispensable et honni, mais dont l’être tout entier est engagé dans son entreprise »[91].

Malgré leur apparente contradiction, les démarches de nos auteurs se rejoignent. Endigués dans les paradoxes d’une parole qui se veut libre de toute contrainte mais qui reste quand même tributaire de la problématique de l’identité et de l’altérité, ils semblent apporter avec chacun de leurs romans, une nouvelle pierre dans le mur qui les séparent petit à petit de leurs publics légitimes. Censure gouvernementale, regards extérieurs condescendants et autocensure des lecteurs eux-mêmes qui refusent ce qu’ils considèrent comme une aliénation, terminent de cimenter ce mur.

       Reprenant l’expression « danse de désir mortel » par laquelle Abdelkébir Khatibi décrit l’attitude de l’écrivain de langue française face à la France, Charles Bonn affirme :

«La littérature maghrébine de langue française est en grande partie cette danse de désir mortel devant un miroir fabriqué par l’Occident. Miroir qu’on ne cesse de briser et de reconstituer, pour mieux souligner la simulation d’un projet de meurtre et qui se retrouve le plus souvent en quête d’amour et revendication d’une reconnaissance éperdue, et toujours contrite »[92].

Avouons qu’il y a de quoi se perdre, tant les rapports passionnels qui semblent unir l’écrivain maghrébin et son écriture sont complexes.

       Le second malaise de nos deux auteurs est celui du traitement qu’ils doivent réserver à l’histoire et à la politique. Souvent considérés comme dissidents, ou même simples contestataires des régimes en place dans leurs pays respectifs, ils échappent pourtant par un habile tour de main à l’enfermement de leurs oeuvres dans le carcan de l’engagement. Nous pouvons lire à ce propos :

« (...) Les références à l’histoire que fait Boudjedra montrent ce que fut la réalité mais pas quelle fut la position claire et nette  de l’auteur »[93].

Et si, comme il l’est démontré dans la thèse Représentation du religieux dans les romans de Rachid Boudjedra[94], l’auteur de La Répudiation et de L’Insolation dénonce les abus des hommes de religion tout autant que ceux des hommes politiques, c’est beaucoup plus dans le but de donner à voir la crapulerie des uns et des autres, que pour défendre un quelconque idéal. Encore une pierre dans le mur de la discorde, car il paraît que l’on attend encore malheureusement d’un auteur qu’il nous apporte des réponses, voire même des solutions. Nous préférons à une vision aussi réductrice de la littérature, cette définition qui conserve à l’art romanesque tout son mystère :

« (...) Bien plutôt qu’une “instruction” le roman propose une découverte. Loin d’illustrer un savoir extra-romanesque, loin de s’inscrire dans une théorie préexistante et de chercher hors de la fiction un fondement ou un prétexte, il s’efforce à sa manière (...) de dégager quelques essences et de nous faire sortir de la caverne (...) sur un mode souvent ludique, il nous enseigne ou nous rappelle la complexité de notre monde, que menacent de toutes parts les idéologies et le simplisme. Pas de roman sans double refus du préjugé et de l’univoque »[95].

Voilà sans doute pourquoi Kundera réfute pour son oeuvre, toute allégation à connotation politiquement engagée. Pour cela, il n’hésite pas à opposer un discours cru face à l’entêtement d’un intervieweur :

« Vos romans ont été tantôt acclamés, tantôt interdits. Est-ce parce qu’ils sont “engagés” ?

– Voilà un mot dont j’ignore le sens ! Si par “engagée” vous voulez dire une littérature au service d’une politique, je vous répondrai carrément que cette sorte de littérature n’est qu’un conformisme de la pire espèce.

L’écrivain envie toujours le boxeur ou le révolutionnaire. Il a la nostalgie de l’action et, voulant participer directement à la vie réelle, il soumet son oeuvre à des fins politiques immédiates. Le non-conformisme du roman ne réside pas dans son adhésion à une ligne politique protestataire, mais dans la spécificité, l’autonomie, l’opiniâtreté de la vision du monde qu’il propose. C’est par là, et par là seulement, que le roman peut agir : en s’attaquant aux systèmes des idées reçues »[96].

L’écrivain a donc « la nostalgie de l’action » et l’on continue à voir en lui un homme d’actions. L’effet de boomerang est inévitable dans la mesure où le malaise du lecteur répond immédiatement à celui de l’auteur. Le mur continue de s’élever dans ce dialogue de sourds, transformant le malentendu en refus total de communication.

       Les romans de Boudjedra sont quant à eux confrontés à un problème qui concerne la littérature maghrébine en général :

« (...) Il est un autre regard, trop vite oublié dans ce dialogue de désir et de meurtre entre écrivain et critique : celui des lecteurs, et avant tout des lecteurs potentiels maghrébins à qui, en principe, on s’adresse. Mais s’adresse-t-on vraiment à eux en priorité ? Les connaît-on vraiment ? »[97]

Dans ce domaine, toute affirmation ne serait que spéculation sans une enquête sérieuse. Mais il reste cependant possible d’imaginer le désarroi du lecteur face à ce qu’il croit être sa propre négation. Car écrire dans la langue de l’autre, peut être également perçu comme une dépréciation de l’identité ou pire, la reconnaissance de la supériorité d’une autre. En effet, les répercussions de l’oeuvre sur le lecteur sont difficiles à maîtriser par l’auteur. Il peut orienter ses effets, mais il n’est pas en mesure d’en prévoir les résultats sans ne serait-ce qu’une infime marge d’erreur. Rappelons tout de même avec Alain Viala cette évidence :

« Il est plusieurs objectifs possibles pour chaque texte, et seulement quelques uns de possibles pour chaque lecteur, en fonction de sa situation et de ses capacités de transcodage »[98].

Dans ces expériences solitaires que sont l’écriture d’une part et la lecture de l’autre, le texte représente une sorte de zone franche, un no man’s land où les armes de séduction et de répulsion échouent. Si les lecteurs nationaux de Boudjedra et Kundera contribuent, à leur façon au complot du silence, par le refus de la lecture ou la complicité avec la censure, nous sommes en droit de penser que les auteurs y sont pour quelque chose. Dans leur guerre déclarée à toute forme de compromis//sion, ils sacrifient peut-être malgré eux, toutes leurs chances d’harmonie complète avec le lecteur. Car avouons-le, ces auteurs dérangent. Et nul ne peut sortir indemne de la lecture de leurs romans. Ils savent avec art et maestria ébranler les certitudes et envelopper d’étrangeté les choses les plus simples. Dès lors, nul ne peut aspirer à la quiétude ni même regretter le temps du silence sans avoir, au préalable, conscience de ce que Kundera entend dans son dictionnaire personnel qui occupe la sixième partie de L’Art du roman, par le mot « collaboration » :

« (...) Le mot collaboration a conquis pendant la guerre contre le nazisme un sens nouveau : être volontairement au service d’un pouvoir immonde. Notion fondamentale ! Comment l’humanité a-t-elle pu s’en passer jusqu’à 1944 ? Le mot une fois trouvé, on se rend compte de plus en plus que l’activité de l’homme a le caractère d’une collaboration. Tous ceux qui exaltent le vacarme mass-médiatique, le sourire imbécile de la publicité, l’oubli de la nature, l’indiscrétion élevée au rang de la vertu, il faut les appeler : collabos de la modernité »[99].

Non pas cette modernité dont semble se réclamer et à laquelle aspire Boudjedra, mais ce simulacre de course vers le progrès, cette illusion de modernité qui élève les murs, les bétonne et les rend infranchissables. Kundera définit ainsi le mot moderne :

« (Art moderne; monde moderne). Il y a l’art moderne qui, avec une extase lyrique, s’identifie au monde moderne. Apollinaire. L’exaltation de la technique, la fascination de l’avenir. Avec et après lui : Maïakovski, Léger, les futuristes, les avant-gardes. Mais à l’opposé d’Apollinaire est Kafka. Le monde moderne comme un labyrinthe où l’homme se perd. Le modernisme antilyrique, antiromantique, sceptique, critique. Avec et après Kafka : Musil, Broch, Gombrowicz, Beckett, Ionesco, Fellini... Au fur et à mesure qu’on s’enfonce dans l’avenir, l’héritage du “modernisme antimoderne” prend de la grandeur »[100].

Mais l’homme pourrait-il apprécier qu’on lui montre l’outil de sa propre perte ? Lui qui n’hésite pas à accuser le miroir de velléités déformantes, serait-il capable d’arrêter sa course ? Existerait-il seulement quelque chose qui pourrait la ralentir ?

       Boudjedra et Kundera font partie de ces auteurs qui œuvrent contre la « collaboration » en cultivant l’ambiguïté, en exploitant la complexité du monde et de l’homme, en se défendant de tout choix univoque. Ils développent dans leurs textes ce que Guy Scarpetta appelle une « esthétique de l’impureté ». Ce dernier dit en effet :

« (...) Il existe une possibilité (que quelques artistes singuliers, chacun à sa façon, incarnent) d’explorer malgré tout des voies nouvelles. De résister à la pression. De réaffirmer, malgré la déroute des dogmes avant-gardistes, les exigences de l’invention. Ce qui n’implique pas forcément, d’ailleurs, la négation pure et simple du passé, ni même celle du kitsch où nous sommes plongés, mais plutôt une façon de les traiter au second degré, sans innocence, par détournement, surcodage, corruption, dé-naturalisation. Autrement dit, quelque chose comme une esthétique de l’impureté »[101].

Guy Scarpetta définit le terme « pression » comme une tendance à combler le « vide des valeurs » par « toutes sortes de régressions (le refuge dans l’académisme, la répétition morne du passé, l’apparition, en toute bonne conscience, de pamphlets contre les “modernes”) ou par l’invasion d’une sous-culture de masse, proliférante, un triomphe du kitsch médiatique généralisé ». Nous saisissons mieux dès lors la nature de l’obstacle, qu’il soit mur ou « miroir », érigé entre l’auteur et son public. L’entreprise dangereuse entamée par nos deux écrivains consiste à écrire contre les œillères qui réduisent les champs de vision et contre l’oubli qui parsème des trous dans une mémoire déjà vacillante. En regard de ce constat, considérons cette affirmation concernant l’œuvre de Boudjedra :

« Comme il déteste plaire aux autres par des thématiques teintées de couleur locale, il choisit, tout en dénonçant le malheur de la colonisation, de tourner le fer dans la plaie d’une société rétrograde et hypocrite »[102].

Nous sommes maintenant habitués à ce type de lecture devenue tout à fait conventionnelle. L’extrait que nous avons choisi, bien que récent, est représentatif des premières critiques proférées sur les romans de Boudjedra. Il perd à nos yeux toute pertinence lorsque nous lisons la prise de position de Kundera contre la tentation de réduire la littérature à une fonction :

«Il est des commentateurs possédés par le démon de la simplification qui assassinent les livres en leur surimposant une interprétation politique. Ceux-là ne s’intéressent aux écrivains dits “de l’Est” que dans la mesure où leurs œuvres sont interdites. Pour eux, il existe des écrivains officiels et des écrivains d’opposition, sans plus. Ils oublient que toute littérature véritable se situe par-delà ce type de classification, par-delà le manichéisme des propagandes »[103].

Ces propos expliquent peut-être le mécanisme de défense que se forge le lecteur face à l’invasion des voix du roman qu’il se hâte de faire taire par tous les moyens. Mais ces voix sont persistantes. Comment parviennent-elles à résister au « démon de la simplification » tout en développant leur propre pouvoir ?



[1] -Dictionnaire historique, thématique et technique des littératures, littérature française et étrangère, anciennes et modernes, sous la direction de Jacques Demougin, Paris, Larousse, 1985; 2è édition, 1987, 2 volumes, 1862 pages; p. 851. 

[2] - DEJEUX, Jean. Littérature maghrébine de langue française Introduction générale et auteurs, Québec, Naaman, 1973; deuxième édition revue et corrigée, 1978; p. 382.

[3] - BONN, Charles. Deux ans de littérature maghrébine de langue française, in- Hommes et migrations n° 1197, avril 1996, pp. 46-52; p. 50. 

[4] - MERAD, Ghani. La littérature algérienne d’expression française, Paris, P. J. Oswald, 1976, 202 pages; p. 89.

[5] - Long métrage tunisien, sélectionné au Festival de Cannes et primé du Tanit d’or au Festival International Cinématographique de Carthage en 1991.

[6] - Fils d’un éminent critique culturel tunisien, Férid Boughedir a effectué ses études universitaires à Paris. Il est actuellement cinéaste et professeur à l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information de Tunis.

[7] - Op. cit., p. 126.

[8]Littérature maghrébine de langue française, op. cit., p. 382.

[9] - BACHAT, Charles. Boudjedra ou le roman électro-choc, in Europe n° 567-568, juillet-août 1976, pp. 64-65; p. 64.

[10] - MEMMI, Albert. Ecrivains francophones du Maghreb - Anthologie, Paris, Seghers, 1985, collection P.S., p. 64.

[11] - JOUBERT, J.L., LECARME, J., TABONE, E., VERCIER, B. Les littératures francophones depuis 1945, Paris, Bordas, 1986, p. 196.

[12] - Id.

[13] - Le nouveau dictionnaire des auteurs de tous les temps et de tous les pays, Paris, Robert Laffont, 1994, vol. 1, p. 423.

[14] - PODHORETZ, Norman. Lettre ouverte à Milan Kundera, in Commentaire n° 36, hiver 1986-87, Paris, Julliard, pp. 712à 720; p. 712.

[15] - LIEHM, Antonin. Le chemin difficile de la littérature tchèque, in Critique n° 305, oct. 1972, Paris, Ed. de Minuit, pp. 841 à 866; p. 857.

[16] - Grand dictionnaire des Lettres Larousse

[17] - Encyclopedia Universalis, Thesaurus index, p. 1924.

[18] - Grand dictionnaire des Lettres Larousse.

[19] - KUNDERA, Milan. Note de l’auteur, in La Plaisanterie, 1967; trad. Paris, Gallimard, 1968; rééd., Paris, Gallimard,1994; p. 459.

[20] - Id.

[21] - Ibid., pp. 459 à 461.

[22]- SCARPETTA, Guy. L’Âge d’or du roman, op. cit., pp. 253-254.

[23] - LIVITNOFF, Boris. Milan Kundera : la dérision et la pitié, in- Revue générale, Lettres, Arts et Sciences humaines n° 8-9, août-sept. 1976, Bruxelles, 112 pages, pp. 49-59; pp. 49-50.

[24] - Ibid., p. 58.

[25] - In- Dictionnaire des littératures de langue française, Ouvrage publié avec le concours du Centre National des Lettres, Paris, Bordas, 1984, 3 volumes, 2637 pages; pp. 1349-1355.

[26] - In- Dictionnaire des œuvres du XXe siècleLittérature française et francophone, sous la direction de Henri MITTERAND, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1995, collection Les Usuels, 621 pages; pp. 278-280.

[27] - In- Dictionnaire des littératures, Ouvrage publié sous la direction de Philippe VAN TIEGHEM, Paris, 1968; 2è éd. 1984, 4 volumes, 4348 pages; pp. 3851-3872.

[28] - In- Dictionnaire historique, thématique et technique des littératures, op. cit., pp. 1620-1621.

[29] - Pp. 5-21.

[30] - Sous la direction de Charles BONN, Naget KHADDA et Abdallah MDARHRI-ALAOUI, Vanves, Edicef, 1996, 271 pages.

[31] - LIEHM, Antonin. Le chemin difficile de la littérature tchèque, op. cit.

[32] - « La publication en France de l’extraordinaire roman de Ludvik Vaculik (Sekyra) et du recueil de nouvelles de Milan Kundera, Risibles amours (Smesné làsky), a attiré de nouveaux l’attention sur la littérature tchécoslovaque. (...) Vaculik et Kundera prouvent bien que cette littérature est d’une importance considérable et que son existence ne dépend plus de l’actualité. Mais, en même temps, elle a été et reste à ce point liée à la vie politique et sociale de leur patrie qu’il nous paraît important d’examiner les causes et les raisons de cette relation qui témoigne de l’existence de rapports particuliers entre les structures culturelles et politiques en Europe de l’Est.

    Cette prise de conscience du pays à travers la littérature et vice versa n’est pas – après 1956– un fait inattendu, dû a des circonstances. Le royaume de Bohême fut, dès le XIVe siècle, le théâtre d’un merveilleux essor. C’est en 1348 qu’a été fondée l’Université de Prague; c’est de là qu’est venue la première Réforme européenne, celle de Jean Hus; c’est là que le mouvement humaniste du XVIe siècle connut son plus grand épanouissement en Europe centrale; c’est de la Bohême et du soulèvement de ses Etats et de son intelligentsia protestante qu’est née, en 1618, la guerre de Trente ans. Et c’est alors exactement que se produisit l’événement qui a déterminé le rôle de la culture et des intellectuels dans l’histoire tchèque moderne. En juin 1620, sur la place de la Vieille Ville, à Prague, tombèrent les têtes des représentants les plus en vue de l’élite politique et intellectuelle tchèque. Des milliers d’autres ont pris le chemin de l’exil. Dorénavant, l’un des pays des plus éclairés d’Europe, dont la capitale fut un centre culturel de toute première grandeur, se trouve d’un jour à l’autre réduit au rang de province oubliée de l’Empire, seul pays européen condamné à vivre ses XVIIe et XVIIIe siècle – ces deux siècles de la noblesse et de la culture de cour– sans noblesse, voire sans élite nationale. En plus, le pays est dévasté économiquement et subit une “recatholisation” forcée et brutale, accompagnée d’une germanisation sans merci.

    Lorsqu’à l’époque des Lumières une nouvelle étape de l’histoire nationale tchèque

commence à se dessiner, les premiers pas d’une nouvelle politique tchèque se firent uniquement sur le plan culturel. Les écrivains, les linguistes, les historiens, les premiers journalistes, les instituteurs et le bas clergé, tous ceux qui étaient liés à la renaissance de la langue, de l’esprit et de la conscience nationales, sont devenus ainsi les premiers représentants de la politique moderne tchèque, les chefs politiques de la nation. Cette unité qui lie culture et politique et s’exprime même à travers l’unité des personnes caractérise dans une large mesure le XIXe siècle tchèque. Les thèmes culturels deviennent les grands enjeux des combats politiques; pendant des décennies, il va de soi que c’est le devoir de la culture de servir non seulement la cause, mais la politique nationale. Paradoxalement, l’affranchissement de la culture, dans le sens le plus large du mot, devient l’autre grand thème du combat politique (...).

    Cette tradition d’une relation étroite entre culture et politique se maintint au XXe siècle, passa par différentes étapes (...) et connut son éclat le plus vif après la deuxième guerre mondiale d’abord, après 1956 ensuite. » Pp. 842-843.

[33] - Littérature Maghrébine d’expression française, sous la direction de Charles BONN, Naget KHADDA et Abdallah MDARHRI-ALAOUI, op. cit., p. 5.

[34] - Dictionnaire des littérature, op. cit., p. 3851. 

[35] - Littérature maghrébine d’expression française, sous la direction de Charles BONN, Naget KHADDA et Abdallah MDARHRI-ALAOUI, op. cit., p. 5.

[36] - Id.

[37] - Op. cit.

[38] - Littérature maghrébine d’expression française, sous la direction de Charles BONN, Naget KHADDA et Abdallah MDARHRI-ALAOUI, op. cit., p. 7.

[39] - Id.

[40] - Ibid., p. 6.

[41] - Dictionnaire des littératures de langue française, op. cit., p. 1349.

[42] - Id., p. 1350.

[43] - Littérature maghrébine d’expression française, sous la direction de Charles BONN, Naget KHADDA et Abdallah MDARHRI-ALAOUI, op. cit., p. 6.

[44] - Dictionnaire des littératures de langue française, op. cit., p. 1349.

[45] - Littérature maghrébine d’expression française, sous la direction de Charles BONN, Naget KHADDA et Abdallah MDARHRI-ALAOUI, op. cit., p. 6.

[46] - Dictionnaire des oeuvres du XX è siècle, op. cit., p.278.

[47] - Id.

[48] - Ibid., p. 279.

[49] - Dictionnaire des littératures de langue française, op. cit., p. 1353.

[50] - Dictionnaire des œuvres du XXe siècle, op. cit., p. 280.

[51] - Id.

[52] - BOUDJEDRA, Rachid. Pour un nouveau roman maghrébin de la modernité op. cit. p 46.

[53] - KARVELIS, Ugné (propos recueillis par). Le romancier envie toujours le boxeur ou le révolutionnaire, in. Le Monde du 23/01/76, p.16.

[54] - Id.

[55] - BONN, Charles, Emigration immigration et littérature maghrébine de langue française, La béance des discours devant des espaces incongrus, in. Maghreb Machrek n° 123 janvier-février-mars 1989, Paris, La Documentation française, 267 pages, pp. 27 à 32; p.32.

[56] - SCARPETTA, Guy. l’Impureté, Paris, Grasset, 1985, coll. Figures, 389 pages; p.8.

[57] - L’auteur d’un article sur Milan Kundera s’adresse à lui en ces termes : « Vous citez avec approbation “la thèse obstinément répétée d’Hermann Broch, selon laquelle la seule raison d’être d’un roman est de découvrir ce qui ne peut l’être que par le roman”, et les vôtres constituent une splendide démonstration de cet argument ».

- PODHORETZ, Norman: Lettre ouverte à Milan Kundera traduit de l’anglais par NOTARI, Nathalie; in. Commentaire n° 36, hiver 1986-87, Paris, Julliard, pages 712-720; p.714.

[58] - «  On ne cesse de proclamer le déclin du roman. En ce siècle de mort et de progrès, c’est pourtant lui qui reste le  gardien de l’identité de l’homme ».

- KARVELIS, Ugné. Le romancier envie toujours le boxeur ou le révolutionnaire, op. cit.

[59] - GAFAÏTI, Hafid. Boudjedra ou la passion de la modernité, op. cit., p.125.

[60] - PICARD, Michel. La lecture comme jeu, Paris, Minuit, 1986, coll. Critique, 319 pages; p.242.

[61] - VIALA, Alain. L’Enjeu en jeu : Rhétorique du lecteur et lecture littéraire, in- La Lecture littéraire - Colloque de Reims (du 14 au 16 / 06 / 1984), sous la dir. de PICARD, Michel, Paris, Clancier-Guénaud, 1987, 328 pages, pp. 15-31; pp. 18-19.

[62] - Ibid. pp. 19-20.

[63] GAFAÏTI, Hafid. Boudjedra ou la passion de la modernité, op. cit.

[64] - BONN, Charles. L’érotique du texte, la différence et l’étrangeté, in.- Imaginaire de l’espace, espaces imaginaire, sous la direction de BASFAD, Kacem; Casabalanca, EPRI, Faculté des Lettres et Sciences Humaines I, 1988; pp. 137-142.

[65] - Ibid., p. 141. 

[66] - Ibid., p. 137.

[67] - BOUDJEDRA, Rachid. Pour un nouveau roman maghrébin de la modernité, op. cit. p. 45.

[68] - KARVELIS, Ugné. L’écrivain envie toujours le boxeur ou le révolutionnaire, op. cit.

[69] - KUNDERA, Milan. L’Art du roman, Paris, Gallimard, 1986, p. 121.

[70] - Id.

[71] - BONN, Charles. L’érotique du texte, la différence et l’étrangeté, op. cit. p. 141.

[72] - BONN, Charles. Espace scriptural et production d’Espace dans L’Insolation de Rachid Boudjedra, in. Annuaire de l’Afrique du Nord, n° XXII, 1983; Paris, Ed. Du Centre National de la Recherche Scientifique, 1985.

[73] - BONN, Charles. Emigration-immigration et littérature maghrébine de langue française, op. cit., p. 28.

[74] - BONN, Charles. KHADDA, Naget. MDARHRI-ALAOUI, Abdallah (sous la direction de). Littérature maghrébine d’expression française, op. cit., p. 12.

[75] - Ibid., p. 14.

[76] - BONN, Charles. Le roman algérien de langue française, Paris, l’Harmattan, 1985, 351 pages; pp. 237-238.

[77] - MERTENS, Pierre. L’agent double : Sur Duras, Gracq, Kundera, etc.,    , pp. 299-300.

[78] - « (...) s’il est impropre de qualifier la littérature de Boudjedra de “féministe”, il n’est peut-être pas erroné de suggérer qu’elle s’inscrit de plus en plus d’un point de vue où la femme prend une dimension fondamentale ».

- GAFAÏTI, Hafid, L’affirmation de la parole féminine dans l’oeuvre de Rachid Boudjedra, in. Littératures maghrébines, vol. II, l’Harmattan, Paris, 1990, coll. Jacqueline Arnauld, 191 pages.

[79] - BONN, Charles. Le roman algérien de langue française, op. cit., p. 240.

[80] - BONN, Charles, Littératures maghrébines et espaces identitaires de lecture, in. Présence francophone, n° 30, 1987; p. 12.

[81] - LIVITNOFF, Boris. Milan Kundera : La dérision et la pitié, op. cit., p. 49.

[82] - Ibid., p. 58.

[83] - KUNDERA, Milan. L’Art du roman, op. cit., p. 200.

[84] - KARVELIS, Ugné. Le romancier envie toujours le boxeur ou le révolutionnaire, op. cit.

[85] - BONN, Charles. Le roman algérien de langue française, op. cit., p. 279.

[86] - MERAD, Ghani. La littérature algérienne d’expression française, op. cit., p. 126.

[87] - KARVELIS, Ugné. Le romancier envie toujours le boxeur ou le révolutionnaire, op. cit.

[88] - Id.

[89] - Id.

[90] - Id.

[91] - BONN, Charles. Le roman algérien de langue française, op. cit., p.5.

[92] - Id.

[93] - MUFTI, Kamel. Psychanalyse et idéologie dans les romans et poèmes de Rachid Boudjedra, Thèse de 3 e cycle sous la direction de JEAN, Raymond; Aix-en-Provence, 1982, 250 pages, p.144.

[94] - AIT-OUMEZIANE, Djamel. Thèse de 3 e cycle sous la direction de DUCHET, Claude, Paris VIII, 1985/86.

[95] - HERSANT, Yves. Kundera chez les Misomuses, in. Critique n° 560-561, Janv.-fev. 1994.pp. 108- 114; p. 110.

[96] - KARVELIS, Ugné. Le romancier envie toujours le boxeur ou le révolutionnaire, op. cit.

[97] - BONN, Charles. Le roman algérien de langue française, op. cit., p. 6.

[98] -VIALA, Alain. L’enjeu en jeu : Rhétorique du lecteur et lecture littéraire, op. cit., p.21.

[99] - KUNDERA, Milan. L’Art du roman, op. cit., p. 154.

[100] - Ibid. p. 173.

[101] - SCARPETTA, Guy. L’Impureté, op. cit., p. 9.

[102] - TOSO RODINIS, Giuliana. Fêtes et défaites d’Eros dans l’oeuvre de Rachid Boudjedra, Paris, L’Harmattan, 1994, coll.  Critiques littéraires, 233 pages; p. 5.

[103] - KARVELIS, Ugné. Le romancier envie toujours le boxeur ou le révolutionnaire, op. cit.

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