C.I.C.L.I.M.

Coordination Internationale des Chercheurs sur les Littératures Maghrébines

 

 

 

ÉTUDES LITTÉRAIRES
MAGHRÉBINES

 

20-21

 

 

 

 

1er & 2e semestres 2000

 

 

réalisé par

L'Université Lyon 2, l’Université Casablanca 1

&

La Faculté des Lettres de la Manouba

(Université de Tunis I)

 

Collection complète de ce Bulletin
Page d'accueil du site Limag (Littératures du Maghreb)
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Table des matières

Editorial.. 3

Assemblée générale de la CICLIM... 4

   Sur l’évolution du Bulletin, de la CICLIM et du programme Limag   5

Le Bulletin « Etudes littéraires maghrébines ». 5

La CICLIM... 6

Le programme Limag. 6

   Études. 9

L’histoire sans les femmes, l’histoire des femmes, l’histoire par les femmes dans Loin de Médine  d’Assia Djebar. 9

La mémoire parle : à propos de La Mémoire des temps de Bouthaïna Azami-Tawil 29

La littérature de jeunesse maghrébine ou immigrée : quelques paramètres d'une émergence  36

L’Ecole d’Alger: une spore de la colonisation. 46

Quelques remarques sur l'écrivain et son contexte. 56

 Activités des équipes. 58

IISMM : Institut d’Etudes de l’Islam et des Sociétés du Monde Musulman (Paris, EHESS)  58

CCLMC         (Coordination des Chercheurs sur les Littératures Maghrébines et Comparées, Maroc)  58

Institut Maghreb-Europe (Université Paris-8) : 58

Faculté des Lettres de Marrakech : 58

Université de Montpellier : 58

Universités Paris 4 et Strasbourg 2. 58

Université Paris 4 : 58

   Soutenances de thèses signalées. 59

   Colloques, rencontres, manifestations. 63

1999. 63

2000. 63

2001. 63

2002. 67

Comptes-rendus de colloques. 68

Comptes-rendus de lectures. 69

Appels d’articles. 74

   Bibliographies. 75

   Formulaires. 77

Fiche de collecte Livres. 77

Fiche de collecte Articles. 78

Répertoire des Chercheurs. 79

   Carnet de création.. 80

L’alphabet de l’espace. 80

j’accuse le soleil voilé. 81


 

Etudes littéraires maghrébines est le Bulletin de liaison officiel de la Coordination inter-nationale des Chercheurs sur les littératures maghrébines, Association loi 1901 inscrite à la Préfecture de Seine-Saint-Denis (France), et dont les deux sièges se trouvent au Centre d'Etudes littéraires francophones et comparées de l'Université Paris-Nord, Avenue Jean-Baptiste Clément, F-93430 Villetaneuse (France), et à la Faculté des Lettres de Casablanca 2, B.P. 6535, Sidi Othmane (Casablanca), Maroc. A cela s'ajoutent, depuis 1995, des sièges à Alger, Tunis et Heidelberg. – Ce Bulletin paraît deux fois l'an. L'adhésion à la CICLIM entraîne l'abonnement gratuit à Etudes littéraires maghrébines. Pour adhérer à la CICLIM, voir le formulaire à la fin de ce Bulletin.

 

ISSN 1156-6701.

C.I.C.L.I.M.

Coordination Internationale des Chercheurs sur les Littératures Maghrébines

 

 

Présidente
Farida BOUALIT
Alger.

Vice-Président(e)s.

Samira Douider & Habib Salha
Casablanca/Tunis.

Secrétaires Générales
Linda Mayer & Anna Maria Mangia
Stuttgart (Allemagne) & Bari (Italie).

Trésorier
Charles Bonn
Lyon 2.

 

Directeur de Publication
Charles Bonn.

 

Rédaction
CICLIM, c/o Charles Bonn
UFR Lettres, Université Lyon 2
18, quai Claude Bernard, 69007 Lyon (France)
e-mail : charles.bonn@univ-lyon2.fr
Site Internet : http://www.limag.com

 

Coordination de ce numéro :

Isabelle Larrivée, Zohra Mezgueldi, Charles Bonn et Anne Lamouille

 

L'abonnement entraîne l'adhésion à la CICLIM :

Envoyer un chèque de 100 FF, 15 euros ou 20 $ à l'ordre de la CICLIM


Editorial

Le présent numéro du Bulletin est le fruit d’une collaboration dont Casablanca a été le lieu d’accueil et Internet l’outil aujourd’hui indispensable, entre Charles Bonn que le Maghreb habite depuis toujours et persécute parfois, Isabelle Larrivée, chercheuse québécoise, installée au Maroc depuis de longues années et Zohra Mezgueldi, marocaine d’ici et d’ailleurs, aussi dans la recherche en littérature maghrébine.

Puisant dans le site Limag, source de plus en plus abondante, ce numéro du Bulletin veut rendre compte, entre autres, du dynamisme et de la vitalité jamais démentis, de la recherche sur les littératures maghrébines. En témoignent les nombreux articles envoyés sur le site Limag par des chercheurs de tous les horizons, preuve que les littératures maghrébines de langue française suscitent toujours plus d’intérêt.

Tout en saluant les auteurs de ces articles et en les remerciant de contribuer à la vie du site de Limag et de stimuler la recherche dans ce domaine, ce numéro du Bulletin en retient quelques-uns – les autres peuvent être consultés sur le site – pour illustrer la diversité des approches dans les études littéraires maghrébines.

Ainsi, deux articles, l’un de Najiba Regaieg, consacré à cette grande figure de la littérature maghrébine qu’est Assia Djebar, l’autre de Khalid Zekri tourné vers la nouvelle génération, représentée ici par Bouthaïna Azami-Tawil, viennent consolider l’intérêt, constant depuis quelques années, pour la littérature féminine maghrébine, soulignant ainsi l’importance de cette question.

Consolidation d’une part, exploration d’autre part avec la lecture à partir à la fois de la psychanalyse et de l’oralité qu’opère Jeanne Fouet sur l’œuvre de Driss Chraïbi, et vers l’émergence de la littérature de jeunesse dont Charles Bonn pose quelques paramètres.

Enfin, restent les grandes interrogations de toujours que rappellent l’article de Rosalia Bivona sur l’Ecole d’Alger et celui de Elisabeth G. Mendoza à propos de l’écrivain et son contexte.

L’ensemble constitué par ces articles et les textes de fiction retenus ici donne à penser que loin de se tarir, les littératures maghrébines ouvrent des horizons de plus en plus vastes et pluriels, s’affirmant comme espace de partage. 

Isabelle Larrivée et Zohra Mezgueldi


Assemblée générale de la CICLIM

Le 20 février 2001, Faculté des Lettres de Sousse, à l’occasion du colloque sur les genres dans les littératures du Maghreb.

Ordre du jour :

Rapport moral et rapport financier, années 1998 à 2000. Bilan des collectes d’informations, de la refonte du programme documentaire limag, de la création et du fonctionnement du site www.limag.com et de la liste de diffusion limag@club.voilà.fr

Election du Conseil d’administration et du Bureau : On attend des candidatures !

Changement de siège social de l’association : De l’Université Paris 13 à l’Université Lyon 2 ?

Nouvelle répartition des responsabilités : Espérons que cette fois elles seront effectivement assumées !

Rémunération ou non des collectes documentaires.

Avenir du Bulletin Etudes littéraires maghrébines : une version papier, qui donne un très gros travail et occasionne des frais importants, se justifie-t-elle encore alors que l’information et les textes circulent beaucoup plus rapidement et efficacement sur le site www.limag.com? Si oui, ce n’est envisageable que si une nouvelle équipe se constitue pour l’assumer, et l’assume vraiment, et peut-être si ce Bulletin devient une véritable revue scientifique avec Comité de lecture.

Proposition de modification du fonctionnement des Assemblées Générales : Une A.G. réunissant physiquement le quorum des adhérents étant matériellement impossible à réaliser, il est proposé que les débats et les votes de ces AG se fassent par Internet, sur une liste de diffusion qui serait créée spécialement et ouverte aux seuls adhérents à jour de leur cotisation. De même toute la communication interne entre adhérents se ferait par cette liste, laquelle serait distincte de la liste limag.

Rappels :

1) Cette Assemblée Générale est la troisième convoquée avec cet ordre du jour. Les deux précédentes n’ont pu prendre de décisions faute de quorum. Mais les statuts prévoient, comme pour toutes les Associations « loi 1901 », que la troisième Assemblée générale ne nécessite pas le quorum pour que les votes y soient valables.

2) Un appel international à candidatures est lancé, pour le Conseil d’administration et le Bureau. Répondez-y nombreux !!!

3) Il n’est pas trop tard pour vous mettre à jour de votre cotisation 2000 ou 2001, et de prouver au moins ainsi votre intérêt pour les actions de cette Association. Il suffit d’envoyer un chèque de 100 FF, 15 Euros ou 15 $ libellé à l’ordre de CICLIM, au trésorier de la CICLIM : Charles Bonn, Université Lyon 2, UFR Lettres, 18, quai Claude Bernard, 69007 Lyon (France).

4) Tous les adhérents qui ne l’ont pas encore fait sont vivement invités à communiquer leur e-mail au trésorier, Charles Bonn.


   Sur l’évolution du Bulletin, de la CICLIM et du programme Limag

 

Le Bulletin « Etudes littéraires maghrébines »

Les études sur les littératures maghrébines sont en progression constante, au point qu’il n’est plus possible de rendre compte de tout dans l’espace papier restreint de ce Bulletin qui devrait être semestriel, mais arrive péniblement à paraître une fois par an. Par ailleurs ce rythme lent de parution, joint au rythme parfois plus lent encore de transmission des informations, les rend souvent caduques lorsqu’elles paraissent enfin.

Heureusement le site www.limag.com est devenu depuis un peu plus de deux ans un relais bien plus efficace, car actualisé quotidiennement, surtout par le biais de la liste de diffusion limag@club.voilà.fr. Et les 80 connections quotidiennes à ce site comme les interventions les plus diverses dans la liste de diffusion montrent qu’il touche un public bien plus vaste, reflet peut-être d’un lectorat plus réel que celui des chercheurs nécessairement spécialisés qui consultent la version papier.

On peut donc se demander maintenant si cette version papier, lourde et quelque peu obsolète, se justifie encore : tous les chercheurs ont en effet accès à présent à Internet, sauf s’ils font partie des quelques incurables réfractaires qui ralentissent le fonctionnement de toutes les équipes de recherche, dont les nôtres, en laissant aux autres les tâches ingrates de saisie, de collecte, de mise en pages, etc. Et par ailleurs l’impression comme l’expédition du bulletin coûtent cher, et détournent ceux qui s’y dévouent pour les autres de tâches moins ingrates et plus valorisantes. On peut donc se demander si devant le peu de travail collectif fourni, il ne vaut pas mieux, soit arrêter la publication papier, soit faire évoluer cette publication vers la formule d’une véritable revue scientifique, avec Comité de lecture.

J’ai assuré l’essentiel de ces tâches ingrates pour un très (trop !) grand nombre de numéros du Bulletin dans le passé [1]. Pour le présent Bulletin nous nous trouvons dans une situation intermédiaire, et il faut remercier Zohra Mezgueldi et Isabelle Larrivée d’en assurer une part appréciable, en sélectionnant les articles de fond publiés, parmi ceux qui ont été reçus sur le site. Mais la logistique d’ensemble reste assurée à Lyon, par Anne Lamouille et moi. Ce ne pourra plus être le cas à l’avenir. Dès lors le Bulletin dans sa version papier ne continuera à paraître que si une équipe cohérente se dessine lors de l’Assemblée générale de Sousse, ou avant cette Assemblée générale, pour s’en charger. Si cette Assemblée générale en décide ainsi, je continuerai éventuellement quant à moi à recevoir les textes et à les publier aussitôt sur le site www.limag.com, et ces textes seront ensuite sélectionnés par le Comité de lecture. Par ailleurs je propose que cette revue soit annuelle au lieu de semestrielle.

La CICLIM

Le Bulletin cependant, rappelons-le, est l'expression d'une association internationale de chercheurs, la Coordination internationale de chercheurs sur les littératures du Maghreb (CICLIM), présidée actuellement par Farida Boualit, de l'université d'Alger, mutée à sa demande à l'Université de Bejaïa en octobre 1999, et démissionnaire depuis. Les difficultés rencontrées par l'équipe algérienne ont fait que depuis l'élection de ce bureau, qui succède à celui que présidait Regina Keil, l'activité de la CICLIM en tant que telle n'a pas été à la hauteur des attentes. Par ailleurs j’ai moi-même, trésorier de la CICLIM et responsable du programme Limag, obtenu ma mutation de l'université Paris 13, dont les crédits de recherche et de coopération internationale fournissaient à notre action l'essentiel de ses moyens financiers, à l'université Lumière-Lyon 2 où les moyens dont nous disposons sont plus limités.

Dans ces conditions la CICLIM se réduit depuis quelques années à peu de choses : qu’il est loin, le temps où Regina Keil, fort injustement critiquée lors de son départ de la Présidence, lui insufflait continuellement énergie et chaleur humaine ! Avec le recul il faut reconnaître que Regina seule avait su faire de la CICLIM un véritable lieu de rencontre et d’échange, et surtout d’enthousiasme. Ce lieu de rencontre est maintenant peut-être le site Internet dont j’ai déjà parlé, et particulièrement sa liste de diffusion. Or il est significatif aussi de l’égoïsme ambiant, me semble-t-il, que plusieurs chercheurs, y-compris parmi les plus importants, aient préféré se désabonner de cette liste de diffusion dont ils recevaient trop de messages à leur goût…

Je mets donc beaucoup d’espoir dans l’Assemblée Générale de Sousse, dont il faut espérer qu’il en sorte enfin un Bureau actif, et que s’y manifestent des bonnes volontés pour prendre la relève. J’invite instamment tous les adhérents de la CICLIM, même s’ils ne peuvent pas venir, à se manifester, soit en posant leur candidature, soit en faisant connaître leur position et leurs propositions pour un fonctionnement plus effectif. Si une équipe se constituait pour prendre en charge le prochain Bulletin, ses membres n’ont pas besoin d’être présents à Sousse : la communication par Internet est à présent bien plus rapide et démocratique que des réunions ou des colloques pour lesquels il faut prévoir des déplacements coûteux, et l’AG sera sollicitée de ce fait pour prévoir que par la suite les AG puissent se faire par Internet, ce qui aura l’avantage de permettre à un nombre bien plus grand d’adhérents de s’exprimer et de participer aux travaux.

Le programme Limag

Malgré ces aléas, le programme Limag ne cesse de se développer. Pour des raisons techniques de compatibilité de logiciels, le programme d'interrogation bibliographique Limag n'est pas encore directement consultable sur le site Internet Limag. Si parmi les lecteurs de ce Bulletin des compétences existaient pour réaliser ce passage sur Internet d’un programme rédigé par moi en format Paradox 9, elles seraient plus que bienvenues !

Le programme Limag, chacun le sait, est diffusé depuis de nombreuses années sur CD-Rom dans plusieurs dizaines d'universités dans le Monde. Il a été de plus associé depuis peu par l'AUPELF-UREF, devenu AUF, sur un même CD-Rom avec la banque de données LITAF, réalisée par Virginie Coulon sur les littératures africaines francophones, et le petit programme de Jean-Louis Joubert et Jasmina Sopova sur les littératures francophones de l’Océan indien. Mais si le résultat est correct (ou presque) pour LITAF, c’est une catastrophe pour Limag, puisque la version retenue date de 1997 alors qu’une demie douzaine de mises à jour avaient été fournies au fur et à mesure que ce programme accumulait les retards, et que de plus les indications pour son installation marquées sur la pochette du CD-Rom sont carrément fausses. On voudrait dissuader les utilisateurs de ce CD-Rom Orphée 2 d’ouvrir le programme Limag qu’on ne s’y prendrait pas autrement, et je dénonce ici fermement ce qui m’apparaît comme un véritable scandale !

Heureusement le CD-Rom Limag continue à être diffusé, et perpétuellement amélioré. Ces dernières semaines, outre l’entrée de plusieurs centaines de nouvelles références, qu’on pourra trouver par le site Limag sur Internet, ont vu une totale réécriture du programme d’interrogation. On a réduit le nombre d’écrans successifs entre lesquels les utilisateurs novices se perdaient parfois, et plutôt que de leur donner à choisir, pour chaque type d’interrogation, entre trois bases (« Livres », « Articles » ou « Les deux à la fois ») dont la différence ne leur apparaissait pas d’emblée, on lance à chaque fois directement les trois interrogations, ce qui prend légèrement plus de temps mais se révèle d’un abord beaucoup plus facile pour l’utilisateur débutant, qui n’aura à choisir ensuite qu’entre différentes présentations possibles des résultats.

On a de plus systématiquement introduit des liens vers Internet (Plus de 2500 déjà !), qui permettent en particulier de trouver très souvent le texte même auquel la référence bibliographique renvoie. Ou encore de trouver tous les sites permettant d’en savoir plus sur un auteur ou sur un livre ou sur un film. On a commencé également à recenser les films maghrébins ou en rapport avec le Maghreb ou l’émigration. On a aussi amélioré la présentation des résultats, en introduisant de plus en plus d’images : photographies des auteurs ou des chercheurs (vous êtes invités à envoyer la vôtre si vous ne l’avez pas encore fait !), reproduction des couvertures des livres ou des affiches des films.

On a enfin automatisé intégralement la procédure d’installation, qui ne pose plus désormais aucune difficulté. Le programme comporte aussi un sous-programme de saisie, qui permet aux utilisateurs d’entrer leurs propres données, soit pour leur propre usage, soit pour les transmettre aux responsables du programme qui les entreront dans les versions suivantes, après vérification. Ce sous-programme peut aussi être désactivé pour éviter des interventions malencontreuses d’utilisateurs.

Autant dire que les versions antérieures du programme sont à présent obsolètes, ne serait-ce que du fait des 3000 nouvelles références que j’y entre chaque année. On peut se procurer la dernière version au prix de 2000 FF ou 300 $ ou 300 Euros pour une première installation dans une institution (université, bibliothèque, etc., moitié prix pour des installations personnelles, et moitié prix dans les deux cas pour les mises à jour d’anciennes versions. Libeller le chèque à l’ordre de la CICLIM, et me l’envoyer à l’université Lyon 2.

Le site www.limag.com

Inutile, pour finir, d’en dire davantage du site www.limag.com, qui est l’aspect le plus populaire et le mieux connu de nos activités. Ce site permet à la fois de consulter des bibliographies tirées de la banque de données Limag, de lire les textes envoyés par les utilisateurs, mais aussi une collection de plus en plus importante de thèses en texte intégral, tout comme la collection complète du Bulletin, et bien d’autres publications. Pour les thèses, on a inauguré depuis peu une triple présentation : le format Acrobat Reader, seul utilisé jusqu’ici et qui continue à l’être, a l’avantage de préserver la mise en pages d’origine du document. Mais il ne peut pas être interrogé par les moteurs de recherche, et particulièrement par celui qu’on a mis en première page du site. On a donc commencé à publier en même temps ces thèses au format htm, qui permet leur interrogation par les moteurs de recherche. Et pour compenser les temps d’ouverture parfois longs de ces gros fichiers, on en a subdivisé certains en plusieurs fichiers indépendants, qui s’ouvrent depuis la table des matière par l’intermédiaire d’un lien hypertexte. Cette subdivision suppose cependant des manipulations fastidieuses que je ne vais pas continuer à faire moi-même. Par contre si vous m’envoyez votre thèse en même temps sous la forme d’un fichier unique avec table des matières automatiquement constituée à partir des niveaux de titres, et sous forme de chapitres séparés accompagnés d’un sommaire ne renvoyant qu’à ces chapitres, je ferai la conversion et créerai les liens depuis le sommaire, pour rendre ainsi l’ouverture des différents chapitres de votre thèse plus rapide.

Rappelons aussi que le site indique en permanence les dernières manifestations signalées, sous la forme d’un calendrier quotidiennement tenu à jour. Il fait de même pour les dernières publications. Il permet enfin aux utilisateurs de communiquer entre eux, au moyen d’une liste de diffusion accessible par abonnement e-mail gratuit, ou depuis le site, choix « lire des textes ou des informations diverses ».

Enfin, je rappelle que l’adresse du site a changé depuis le début de l’an 2000, avec le changement de serveur. On a abandonné l’ancien serveur privé qui nous avait attribué l’adresse http://limag.lvnet-fr.com, pour le serveur de l’université Lyon 2, et nous avons acheté un nom de domaine : http://www.limag.com. Il a fallu pour cette opération réécrire tous les liens (plusieurs centaines), ainsi qu’un grand nombre de pages, car le serveur de l’université Lyon 2 ne gère pas le format FrontPage de Microsoft, dans lequel le site avait initialement été écrit. L’ancienne page d’accueil sera encore conservée quelques mois, pour indiquer l’adresse de la nouvelle. Le compteur de bas de page indique en effet qu’elle continue à être utilisée, essentiellement à partir d’interrogations des moteurs de recherche ou de favoris et de liens non-actualisés. Si parmi les lecteurs quelqu’un savait comment remédier à cette servitude qui nous coûte cher en location de serveur, qu’il se manifeste ?

 

Charles Bonn


   Études

 

 

L’histoire sans les femmes, l’histoire des femmes, l’histoire par les femmes dans Loin de Médine  d’Assia Djebar

Najiba REGAÏEG (Sousse)

Après la publication de L’Amour, la fantasia et d’Ombre sultane (1987), les deux premiers volets d’un quatuor romanesque à intention autobiographique, sous le poids du ciel politique qui s’assombrit en Algérie, Assia Djebar publie, dans l’urgence, Loin de Médine (1991) qui semble être l’unique roman qu’elle ait jamais consacré totalement à l’Histoire. Quel traitement réserve-t-elle à l’Histoire dans cette œuvre ? et jusqu’à quel point peut-on parler d’une cohésion entre la réalité historique et la diégèse dans une œuvre qui se déclare d’abord romanesque ?

Dans ce livre, dont les événements remontent jusqu’après la mort du Prophète Mohammed, nous assistons à une magnifique et impressionnante lutte entre l’Histoire et la fiction. Par un effet de métaphorisation, la dichotomie Histoire /fiction, réel /imaginaire aboutit dans Loin de Médine à la dualité masculin /féminin ou Homme/ femme. Ce livre, écrit à l’origine pour examiner la situation de la femme en islam, finit par restaurer la place de celle-ci dans la religion et en faire à la fois l’origine et l’aboutissement de tout principe de vie. Du coup, la fiction contamine l’Histoire ou plutôt la corrige car ces femmes ressuscitées, ces femmes qui ont connu directement ou indirectement le Prophète s’emparent de la « parole vive » et devenues paradoxalement personnages romanesques puis narratrices, profèrent la vérité historique, vérité que le discours officiel ou ce qu’Assia Djebar identifie comme la Tradition a ensevelie.

 I – L’Histoire sans les femmes :

Comme tout roman, et surtout comme tout roman historique, Loin de Médine n’échappe pas à l’(en)jeu intertextuel. L’examen de la destinée de ces femmes de Médine et d’ailleurs est parti de la lecture des chroniques de Ibn Saad , Ibn Hichem et Tabari. Dans ces textes qui sont sensés témoigner de la vie du Prophète et de ses proches à travers les hadiths basés sur la chaîne islamique de transmission (Isnad), les figures de femmes et parfois jusqu’à leurs noms se trouvent occultés, ensevelis comme leurs propres corps sous le poids du silence.

Ainsi, le Prophète mort, l’étau du silence se referme sur les héroïnes de l’Islam et d’avant l’Islam. Tel est le cas, par exemple, de la reine yéménite, qui a aidé l’armée musulmane à se débarrasser de l’imposteur Aswad :

«  L’ambiguïté enrobe surtout le personnage de la Yéménite à la lampe. Elle disparaît dans l’oubli : sans honneurs, sans d’autres commentaires. Nul sillage ne la prolonge. Sa chandelle s’est éteinte : le silence se referme sur elle. » (p. 27) 

Tel est aussi le cas de Nawar, « fleur fanée », la femme du faut prophète Tolaiha.

Fatima, la fille déshéritée du Prophète Mohammed, n’existe dans ces textes que par son statut d’épouse d’Ali et de mère des petit-fils du Messager. Porteuses de la voix de la Tradition qui, consacrée par le nouveau pouvoir politique mis en place après la mort du Prophète, s’installe peu à peu, les chroniques effacent les traces de Fatima en tant qu’héritière première du Prophète.

 « Comme si l’amour filial, assumé à ce degré d’intensité, rencontrait, tout comme la passion, un mouvement spontané de retrait, de rêve obscur, de silence ! » (p. 65)

Le silence de ces historiens inaugure pour ces femmes une longue époque de servitude qui aboutit à une mort lente : tout est mis en œuvre pour consacrer cette mise définitive au tombeau. Pourtant, « Elles trouent, par brefs instants, mais dans des circonstances ineffaçables, le texte des chroniqueurs qui écrivent un siècle et demi, deux siècles après les faits. Transmetteurs certes scrupuleux, mais naturellement portés, par habitude déjà, à occulter toute présence féminine… » (Avant-propos, p. 5) Le verbe « trouer » renvoie ici autant aux ténèbres de la tombe qu’à la noirceur du voile-linceul qui enveloppe ces femmes. Le trou est celui du regard qui cherche, qui scrute, mais qui espère aussi. Cette petite fenêtre est désormais l’unique espoir laissé aux femmes pour reconquérir leur liberté usurpée, pour revivre et exister à nouveau pleinement. L’œil n’est-il pas l’interprète de tous les sentiments et de toutes les impressions, le miroir du cœur et donc la seule voix qui reste quand on est condamnée au silence ?

II – L’histoire des femmes :

Raviver le regard de ces femmes, réanimer leur voix et leurs corps, les ressusciter : tel est l’objectif d’Assia Djebar dans L. M. Elle cherche même, selon Beïda Chikhi, à « décevoir l’attente trop vigilante de l’historiographe et imposer le point de vue selon lequel tout commence à l’individu et qu’il n’existe pas de temps en dehors du temps de l’écriture. »1 Ainsi, ces femmes enveloppées dans les langes de l’Histoire et de la Tradition, ces femmes même anonymes, se transforment en personnages romanesques, en êtres de papier faits pourtant de chair et de sang, d’émotions et de déceptions, d’amour, de luttes, de révoltes… etc.

1 – Visages de femmes :

La narratrice-historienne semble s’être transférée au temps de ces femmes reléguées dans un petit coin de la mémoire islamique, elle va jusqu’à elles pour les ramener à nous, toutes pétillantes d’amour et de joie de vivre.

Fatima, la fille du Prophète, de par sa force de caractère, est l’emblème même de la révolte. Par le biais de son père, elle a su imposer à son époux, le mariage unique. Elle refuse la loi de la déshérence dont elle est frappée après la mort de son père, elle entonne ce refus jusqu’à en mourir (p. 81) dont elle est frappée après la mort de son père, elle entonne ce refus jusqu’à en mourir (p. 81)

Ces femmes, tout en étant ou parce qu’étant des personnages de fiction, sont bien vivantes. Elles égrènent même les souvenirs de leur première migration vers Médine. La mémoire étant le premier attribut de l’Histoire, se souvenir n’est-ce pas exister réellement ?  La narratrice évoque, par exemple, la figure de Oum Hakim se souvenant de sa course à la poursuite de Ikrima, l’époux tant aimé et pour qui elle a obtenu le pardon du Prophète.

« Ainsi, c’était le milieu du mois de Ramadhan de l’an 8, il y avait cinq années de cela. » (p. 151)

2 – L’amour

Face à l’incertitude, à l’hésitation des hommes, seules les femmes se lèvent, statuts de la révolte écartées du pouvoir, ou étendard de l’amour inépuisable. Seules les femmes ont veillé le Prophète jusqu’à l’ultime ensevelissement alors que les hommes étaient occupés aux formalités de la succession (p. 12).

L’amour filial, le rapport père-fille est mis au premier plan dans le texte. Il dépasse de loin l’amour conjugal. S’incrustant dans les plis les plus étroits de l’amour de Fatima pour son père, la narratrice va jusqu’à imaginer les phantasmes de cette dernière, son vif désir d’hérédité :

« Rêver à Fatima personnellement, en dehors de son père, de son époux, de ses fils, et se dire que peut-être (…) que Fatima, dès sa nubilité ou en cours d’adolescence, s’est voulue garçon. Inconsciemment. A la fois Fille (pour la tendresse) et Fils (pour la continuité) de son père. Epousant certes le cousin du père : s’épousant presque elle-même à vrai dire, pour s’approcher au plus près de cette hérédité désirée et impossible, de ce modèle du mâle successeur par lequel Mohammed aurait perpétué sa descendance. » (p. 63)

 C’est ainsi que, lasse de la vie et des hommes, impatiente de retrouver son père, Fatima se prépare à la mort comme à un mariage. Cette délivrance intervient pour elle six mois après la mort du Messager (p. 94)

A part les prestigieux couples de Aïcha et le Prophète, de Abou Bekr et Esma bent Omaïs, parents de Aïcha, plusieurs couples se profilent à travers le texte. La narratrice y examine l’effacement des traces de la nouvelle révolution musulmane : la place de plus en plus contestée des femmes et la réticence grandissante des hommes. Oum Keltoum bent Okba et Zeid ibn Haritha, le fils adoptif du Prophète, forment un des couples les plus unis de cette aube islamique :

« Elle comprit, après maintes circonvolutions, que Zeid s’inquiétait dans sa piété scrupuleuse : est-ce qu’une « croyante » peut ainsi rester nue dans les bras de son époux, est-ce que cela était licite, ou peut-être non recommandable, peut-être défendu, ou haïssable, peut-être…

-- Un péché ? Ce serait un péché de s’aimer ? pouffa-t-elle devant l’embarras de Zeid.

« Suis-je restée païenne ? » se demanda-t-elle dans un plaisir de tout son être. (…)

Et elle s’enroulait, lascive, autour des reins de Zeid qui fermait les yeux. » (pp. 188-189)

Dans cet exemple, la décision d’Oum Keltoum, sa spontanéité, son amour sont mis en évidence. Ils affrontent l’hésitation, les scrupules de l’époux aimé. La même Oum Keltoum, migrante d’abord pour l’Islam, se libère volontairement des liens conjugaux avec Zubeir ibn el Awwam qu’elle n’a pu aimer. A nouveau libre, elle se marie encore avec Abderrahmane ibn ‘Auf puis avec Amr ibn el ‘Aç. Comme plusieurs autres femmes du récit, cette femme vit une polygamie inversée. Renvoie-t-elle à la figure polyandre de Nedjma ?

3 – Des combattantes :

La passion de ces femmes en fait des héroïnes qui sortent de l’ordinaire, qui sortent surtout du cadre les présentant comme des odalisques peuplant l’imaginaire occidental. En plus de l’amour, leur première arme ; elle vont jusqu’à porter de vraies armes. Loin de Médine est en effet empli de figures de combattantes pour ou contre l’Islam.

 « Selma, la rebelle », narguant Khalid ibn el Walid, devient, dans l’esprit de la narratrice, un vrai symbole : 

« Pour la première fois, une guerrière se lève en chef d’armes contre l’Islam : Selma annonce, en cette 11e année de l’hégire, d’autres femmes indomptables et rebelles, ainsi que la plus irréductible d’entre elles, Kahina, la reine berbère… » (p. 37)

Derrière le symbole de Selma, se profilent les femmes quoraïchites, vraies figures de combattantes guerrières d’abord contre puis pour l’Islam (p. 171).

Au-delà de leurs noms, la narratrice revendique, pour ces femmes, une existence réelle et même une épaisseur psychologique les sauvegardant de l’oubli séculaire dont l’Histoire les a frappées  et déchirant l’écran noir dont on les a recouvertes.

4 – La narratrice-historienne :

Dans L’Amour, la fantasia, roman ouvertement autobiographique, Assia Djebar regrette la « pléthore amoureuse » de sa langue maternelle, c’est-à-dire l’arabe. C’est à cette coupure d’avec la langue de la mère qu’elle fait encore allusion dans l’Avant-propos de Loin de Médine : « La richesse diaprée du texte d’origine, son rythme, ses nuances et ses ambiguïtés, sa patine elle-même, en un mot sa poésie, seul vrai reflet d’une époque, a éperonné ma volonté d’Ijtihad. » (Avant-propos, p. 6)

Cependant, son rapport à  l’Islam et au-delà de l’Islam à la langue-mère est ambivalent. Il s’agit d’une fascination-répulsion ou plutôt d’un attachement-éloignement. D’un côté l’Islam apparaît comme une promesse de liberté pour les femmes, il est incarné dans la figure douce et aimante du Prophète dont les paroles ont été détournées par la Tradition pour maintenir les rênes de la servitude autour des femmes. D’un autre côté, la religion musulmane est accusée de ne pas avoir réservé une place de préférence aux femmes qui sont l’origine et le symbole même de la vie.

En signe de force et de clémence, le Prophète a protégé Oum Keltoum bent Okba qui, musulmane, a quitté Quoraïch et ses frères pour se réfugier à Yathrib, berceau de l’Islam (p. 187). L’un des versets de la sourate « La Lumière » condamne l’accusation d’adultère qui peut frapper les femmes. Cette « modernité neuve » sera entravée et la situation des femmes connaîtra un renversement irréversible. Car l’Islam n’était pas loin dans sa proclamation d’une liberté inconditionnelle des femmes et il n’a ôté les chaînes de leur asservissement qu’à moitié.

Dans une ultime réflexion sur la polygamie du Prophète, la narratrice fait entendre sa voix, une voix de la contestation en écho à celle de la narratrice d’Ombre sultane qui voit que l’Homme vise, par ce moyen, à séparer les femmes, à en faire des sœurs-ennemies:

« Le Prophète mort, c’en est fini des jalousies entre coépouses (jalousies que les chroniqueurs rapportent avec une minutie de greffiers bien scrupuleux !…) Désormais, et selon le mot même de Aïcha, la plus jeune, elle qui manifestait parfois de manière acerbe sa propre jalousie, voici que toutes ces veuves s’appellent « sœurs ». » (p. 56)

 C’est ainsi qu’étrangement, la mort du Prophète semble amener la paix entre ses épouses. La narratrice va jusqu’à dénoncer l’exclusion des femmes du pouvoir dans la religion musulmane. Elle imagine la scène de la succession si Fatima, fille du Prophète, avait été un homme :

« Oui, si Fatima avait été un fils, la scène ultime de la transmission aurait été autre : quelle que fût l’épouse mandée par le mourant, elle n’aurait pas manqué d’amener « le » fils, sinon son fils. » (p. 62)

C’est à se demander, au bout de cette interrogation du texte, si la voix de la narratrice tentant d’innocenter l’Islam de tout attribut d’obscurantisme n’est pas celle-là même de ces femmes de l’aube de l’Islam, ces femmes qui hument ce souffle de liberté que leur apporte incontestablement cette nouvelle religion. Il est même certain que la narratrice, malgré son attachement à la langue arabe, constate l’impossibilité de l’application de la religion musulmane comme une loi régissant les rapports humains dans la société algérienne.

C’est justement là que réside la vraie morale du texte de Loin de Médine où, à travers des portraits et des histoires de femmes, la narratrice fait entendre sa propre voix, voix du refus, de la révolte contre toute forme de contrainte et d’asservissement des femmes.

III – L’Histoire par les femmes :

Comme par un effet de retournement, cette voix de la révolte finit par contaminer ces silhouettes de femmes ressuscitées, arrachées à l’oubli ; et le roman se transforme en un concert de voix féminines tantôt fortes et tranchantes, tantôt douces et limpides comme le murmure d’un cours d’eau dans le désert.

Ainsi, après avoir redonné corps à ces femmes de Médine, la narratrice tente de leur redonner voix. Chercherait-elle à en faire des femmes écrivains comme elle ? Plutôt des poétesses. 

1 – Voix :

A partir de L’Amour, la fantasia, des chapitres en italique deviennent une constante de l’écriture d’Assia Djebar. Souvent ils font entendre des voix de femmes, celles de la transmission orale. Voix. Ce mot, servant à la fois de singulier et de pluriel, semble être le mieux désigné pour rendre compte de l’union tant désirée des femmes.

Dans ces chapitres, la narration commence impersonnelle puis se transforme, au début de la seconde partie, en narration personnelle. La voix de « Kerama la chrétienne » (p. 141) est la première voix narrative hors des chapitres en italique : disant « je », elle porte des jugements personnels, peut-être ceux de l’auteur lui-même ? Elle fait le récit du rachat de sa liberté de Shawail au prix de mille dinars :

« Il fit cette réponse étonnante qui fit ensuite le tour des gens de Hira :
-- Je ne savais pas qu’il existât plus que le chiffre mille !
Ainsi des analphabètes, mais dont la force en flux vient de leur foi toute neuve, vont devenir bientôt les maîtres de la Mésopotamie tout entière ! » (p. 147) 

Derrière cette constatation amère, nous entendons en écho la voix de la narratrice de L’Amour, la fantasia et d’Ombre sultane, voix qui fléchit à la clausule de chacune de ces œuvres. La structure de l’œuvre confirme même ces mauvais pressentiments. La troisième partie s’ouvre sur un chapitre en italique renvoyant à la voix de Quais qui rapporte une scène vécue et racontée par Abou Horaïra : la voix des hommes commence-t-elle à se substituer à celle des femmes ?

La Tradition commence à consacrer l’isnad comme seul garant de la véridicité des paroles prophétiques (ex : p. 219). Chaîne qui enchaîne désormais les femmes et les bâillonne. Le chapitre « Voix » de la page 245 met en scène la voix de Omar ibn el Khattab confrontée à celle de Esma fille de Omaïs. Ainsi, commence la lutte entre les voix des hommes et celles des femmes appelées désormais à se taire. Cette discordance s’accentuera à partir du début du califat de Omar ibn el Khattab. Main désormais de la répression, Omar apparaît comme un danger pour les femmes.

Affranchissant son ancienne esclave Barira, Aïcha lutte désormais pour sa propre liberté. Sa voix se heurte aux autres voix d’hommes et de femmes. A la page 313, le chapitre « Voix, multiples voix (Aïcha et les diffamateurs) » raconte la calomnie dont l’épouse du Prophète a été frappée du vivant même du Messager – calomnie que Dieu a condamné dans l’un des versets de la Sourate « La lumière ». Aïcha, oubliée dans le camp après une des expéditions de l'armée musulmane, a été ramenée par un jeune cavalier resté en arrière de la troupe, et les langues se délient. Dans ce chapitre, nous entendons les voix de Aïcha et des Rawiyates qui se conjuguent pour ramener à nos esprits les détails de cet épisode, la vraie vérité historique. Dans cette lutte, ces femmes s’érigent en conteuses, en voix de Rawiyates s’emparant de l’Histoire, la corrigeant et y rétablissant la place que leur a usurpée la Tradition. 

2 – Rawiyates : 

A côté ou en alternance avec ces chapitres intitulés « voix », il existe d’autres chapitres, en italique aussi, qui introduisent ou mettent en scène des voix de Rawiyates. La première rawiya est anonyme, la deuxième est fictive et introduite par un récit impersonnel. Quant à la troisième, elle dis « je ». Face à ce début d’ensevelissement des voix féminines, s’érige en cantatrice à la quelle répondent les voix des autres Rawiyates, des autres femmes, la figure imposante de Aïcha qui s’empare de la « parole vive » :

« Aujourd’hui, Orwa à ses pieds (lui qui, cinquante ans plus tard, se décidera à transcrire les « dits » de la tante maternelle vénérée), Aïcha pressent un peu ce que sera son propre rôle. Elle perçoit faiblement le sens de ces mots « mère des… ». Soudain une aile d’archange semble frémir au-dessus d’elle. Elle a à nourrir les autres, elle a à entretenir le souvenir, le long ruban drapé des gestes, des mots, des soupirs et des sourires du Messager – que la grâce du Seigneur lui soit accordée ! Vivre le souvenir pour « eux », les Croyants, tous les Croyants – oui, les vieux, les jeunes, les maigres, les pansus, les vertueux, les hésitants. 

Aïcha, « mère des Croyants » parce que première des rawiyates. » (p. 332) 

Juste après ce chapitre qui consacre Aïcha comme la première des Rawiyates, la narratrice évoque la femme aux deux outres : outres intarissables qui ont étanché la soif du Prophète et  de ses compagnons. Ils semblent être la métaphore des seins nourriciers qui rejoignent la figure de Aïcha « mère des Croyants ».  

3 – La verve poétique :

La force de caractère, le souffle de révolte et de combat qui anime les femmes deviennent doublement dangereux quand la parole, surtout poétique, vient s’y mêler. Aïcha et avec elle le cœur des Rawiyates n’est finalement que l’héritière d’autres femmes arabes conteuses ou poétesses même si elles étaient, au début, combattantes contre l’Islam.

« La prophétesse » Sadjah illustre cette image par sa verve poétique et le danger qu’elle a représenté pour l’armée de Khalid. Comme Musaïlima, Sadjah, la poétesse s’est érigée en prophétesse considérant que le feu créateur qui l’habite est un don sacré de Dieu (p. 47).

A la figure de Sadjah, vient se greffer la figure sans nom de la chanteuse de satires. Par l’absence même de son nom et grâce au flux intarissable de sa poésie, cette femme se transforme, même au-delà de sa mort, en un vrai emblème de la dissidence (p. 131). C’est ainsi qu’en lui infligeant un châtiment corporel, en la mutilant, la troupe victorieuse des musulmans humilie toute sa tribu vaincue. N’est-elle pas « l’âme de résistance des siens » ?

Dans ce roman des femmes, se profilent d’autres femmes poétesses telle que Atyka bent Zeid : une femme tant adorée par Abdallah ibn Abou Bekr et aimée et respectée par Omar ibn el Khattab si connu pourtant par sa sévérité à l’égard des femmes. Dans le chapitre qui lui est consacré, sa voix se mue en celle d’une autobiographe, ses paroles relèvent d’un récit de témoignage, d’autodéfense face à l’accusation d’« oublieuse » proférée, à son égard, par Ali ibn Abou Taleb (p.223).

Sirin, la sœur de Marya la copte, concubine du Prophète est appelée par la narratrice « l’étrangère, sœur de l’étrangère ». A la différence de Atyka et de Sadjah et comme la chanteuse de satires, elle possède un double talent de conteuse et de chanteuse (p. 214). Ce don est perçu négativement par son époux, le poète Hassan ibn Thabit qui la réprimande pour son accent étranger. Attachée à ce chant d’amour maternel, elle vit dans un exil permanent.

Sœurs en exil : c’est surtout la première caractéristique de ces femmes rawiyates ou poétesses peuplant le texte de Loin de Médine. La chanteuse de satires, Sadjah la prophétesse, Habiba la troisième Rawiya, qui est un personnage fictif et jusqu’à Aïcha l’épouse préférée du Prophète : toutes ces femmes sont quelque part marginales ou marginalisées. Sans enfants, condamnées à une errance continuelle, elles finissent par s’éloigner de Médine, cette nouvelle prison des femmes. Même Fatima, fille du Prophète, même Sirin la copte quittent cette ville avec beaucoup de joie et d’allégresse : aller loin, si loin de Médine. Ainsi dans cette aube entravée de l’Islam, la Rawiya, la poétesse deviennent, par définition et comme les femmes écrivains d’aujourd’hui, voyageuses. Comme si, pour les femmes, parler, écrire, ne peut désormais se faire que dans la clandestinité.

La deuxième partie de l’épilogue qui clôt le roman s’intitule « « Filles d’Agar », dit-elle ». Sa prose poétique se compose, elle-même de deux parties : « Voix d’hier » et « Voix d’aujourd’hui » : ainsi l’Histoire se répète faisant d’Agar et de ses filles des femmes fatalement expulsées, fugitives de naissance :

« Laissons les fils d’Ismaël – nos pères, nos fils, nos époux répudiateurs – livrés à l’ombre opaque de leur propre Père. 

Filles d’Agar, nous avons été, nous serons une seule fois expulsées à travers elle, Agar – ou plutôt Hajjar d’avant l’hégire, Hajjar l’insolée.

Et depuis, dans un désert de la vie entière, nous allons et venons, nous dansons, nous nous affolons, toujours entre la première et la seconde colline ! » (pp. 342-343) 

Cette scène de l’affolement d’Agar, jouée tous les ans par des milliers de musulmans lors du pèlerinage à la Mecque, n’est qu’une simulation du dépassement du mythe de la femme abandonnée, répudiée :

« Certes,
Une fois par an, tous, Croyants et Croyantes,     
Ou une fois au moins dans la vie, 
Filles d’Agar et fils d’Ismaël, réunis,        
rejouent la scène d’Agar en émoi 
d’Agar en folie dans le désert      
avant que l’eau ne jaillisse           
d’Agar, entre Safa et Merwa. 

Une fois l’année
Une fois au moins dans la vie       
L’unique théâtre
Pour eux et par eux          
S’ordonne         
La seule fiction islamique. 

Filles d’Agar et fils d’Ismaël         
Abraham, sur ses pas, revenu. » (p. 343) 

C’est par cette voix de la poésie que se clôt le texte de Loin de Médine. Dans ce poème, le texte emprunte, par sa typographie, le mouvement des pèlerins et d’Agar, il inaugure une danse permanente qui sera le symbole de ce destin de l’errance auquel sont condamnées les filles d’Agar. Comme toutes ces femmes, Assia Djebar prend conscience, dans son dernier roman autobiographique Vaste est la prison, de son destin de « fugitive ».

Ainsi, de marginales, d’enterrées de l’Histoire, ces femmes de Loin de Médine se transforment en héroïnes incontestables de ce roman et par là en véritables vedettes de la vraie Histoire, celle que leurs voix ont corrigée ou rétablie. Le paradoxe est frappant, la fiction semble être plus véridique que l’Histoire : elle est là pour suturer ses trous et pallier à ses oublis intentionnés ou dus au hasard. Au dire de Michel Gilot : « Si l’on se tourne (…) vers la pratique des romanciers eux-mêmes, on est tenté de se dire que c’est bien une autre histoire qu’ils nous ont fournie dans leurs chefs-d’œuvre. Il n’est pas indifférent de constater qu’au moment du grand essor du roman ils ont témoigné d’un sens de l’histoire dont manquaient cruellement la plupart des historiens patentés. »1 Tel est certainement le cas d’Assia Djebar dans Loin de Médine.


La fabrication du roman familial dans les passages autobiographiques de Driss Chraïbi [2]

Jeanne FOUET (Besançon)

Introduction: le "roman familial".

Lorsqu'en 1909 Freud rédige le court article intitulé "Le roman familial des névrosés", l'état de sa réflexion théorique[3] le conduit à limiter le champ d'application de ses découvertes aux seuls enfants qui présenteraient un trouble pathologique dans le cours de leur développement, mais il conclut son texte en reconnaissant que "la surestimation infantile des parents subsiste (donc) aussi dans le rêve de l'adulte normal"[4]. De quoi s'agit-il? D'une activité fantasmatique intense, sorte de "rêve diurne", structuré par un scénario récurrent: souffrant du sentiment d'être évincé par les frères et sœurs, l'enfant, qui a eu aussi l'occasion de s'apercevoir que ses parents ne sont pas forcément les plus beaux, les plus riches, les plus aimants, imagine qu'il pourrait bien avoir été adopté sans qu'on le lui dise. Ses vrais parents, eux, ne l'auraient pas si mal traité! Et ils ne sauraient appartenir à une classe sociale peu valorisante; tôt ou tard, la revanche viendra, grâce à des retrouvailles pour l'heure simplement différées.

Cette affabulation étudiée par Freud conduit Otto Rank, la même année, à proposer une étude comparative de l'ensemble des légendes et mythes connus à son époque, et à réfuter les tentatives d'explication données par les mythologues du début du siècle intrigués par les parentés offertes dans l'ensemble des productions recensées. Toutes nations confondues, des concordances remarquables s'imposent en ce qui concerne l'histoire de la naissance et de la jeunesse des héros mythiques, qu'il s'agisse de Sargon, Moïse, Karna, Œdipe, Pâris, Cyrus, Lohengrin et bien d'autres.[5] La légende-type se présente comme suit: le héros est toujours le fils de parents éminents; sa naissance est précédée de graves difficultés, qu'il s'agisse de stérilité opiniâtre, de désobéissance des parents à l'ordre établi ou aux ordres des dieux, etc… Un oracle, un présage fâcheux indiquent le plus souvent que sa venue au monde suppose la mise en danger de son père et/ou de sa patrie; le bébé est donc exposé ou mis à l'eau dans un coffret, une corbeille, un van; il est toujours sauvé par des animaux secourables qui le nourrissent ou par la survenue opportune de bergers ou autre catégorie de petites gens qui l'élèvent comme leur fils; tôt ou tard, il retrouve ses parents, se venge de son père –moins souvent de sa mère- et se fait reconnaître dans sa gloire. Le cas où il est amené à sauver lui-même la vie de son père est interprété par Freud comme une heureuse compensation: le fils ne doit plus rien au père, une vie équivaut à une autre, et cette issue narrative autorise la réconciliation[6].

Ainsi, l'enfant mécontent de son sort réinvente-t-il à chaque fois une trame narrative présente dans ce qu'il faut bien appeler une faculté collective de création romanesque, un art de se raconter des histoires et de sublimer ses misères: l'humanité est par essence romancière! C'est sans doute que tout petit d'homme se doit de souffrir:"Tout le roman familial doit son origine avant tout au sentiment de la mise à l'écart, donc de l'hostilité présumée des parents"[7], affirme Rank

Cette étape de la rêverie vengeresse de l'enfant est bientôt suivie d'une autre, liée à la découverte des différences sexuelles et des processus de procréation: mater certissima, pater semper incertus, relève Freud…Le scénario s'infléchit alors: l'enfant se rêve bâtard, fruit d'une union illégitime et cachée de la mère. Papa, qui est roi, châtelain, prince de la finance peut-être en ce début du XXIème siècle, fera un jour valoir ses droits contre ce père quotidien, ordinaire, forcément défectueux, et qui ose interdire et punir, qui ose surtout s'approprier maman!

La clinique psychanalytique a depuis longtemps montré que de telles constructions fantasmatiques concernent tous les individus, avec les variations nécessaires pour la fille, sans doute plus sévère que le garçon envers l'adultère présumé de la mère. Nous avons tous, étant très jeunes, élaboré de ces fables à usage intime, qui nous consolaient de nos chagrins familiaux et de nos sentiments de faiblesse. Et nous avons tous oublié nos petits romans en grandissant, à l'exception de ceux pour lesquels grandir s'est avéré si difficile que la préservation du scénario offrant une identité originaire exaltante devenait un soutien en même temps qu'un déni de la réalité. En outre, la mémoire de ces récits est devenue une donnée familière, pas forcément pathologique en soi, pour tous ceux qui effectuent un travail psychanalytique, beaucoup plus nombreux qu'en 1909.

Freud, dès les débuts de sa réflexion, emploie le terme de "roman", au sens d'une narration organisée autour d'un personnage principal, celui même qui produit le roman en question, un "je" incontournable, omniprésent, occupé à dérouler une intrigue dont il est l'auteur et le destinataire. Cette matrice de l'autobiographie, qui dit et redit pour soi ce que soi voudrait être, qui use de la rétrospection nécessaire à l'invention des commencements de soi, ne s'adresse en effet à personne d'autre qu'au sujet fantasmant. Le dire pour d'autres, sortir du cadre sacré du rêve, c'est déjà devenir romancier. Telle est bien la thèse de Marthe Robert, qui s'attache à définir deux grands types d'écrivains selon qu'ils ont privilégié la première ou la deuxième étape de la construction du roman familial. Nous renvoyons ici aux études qu'elle a menées dans Roman des origines et Origines du roman[8], et qui ont précieusement guidé notre recherche.

Du côté de 'l'enfant trouvé", prennent place les écrits qui mettent en scène un personnage principal accablé par un univers hostile, incompréhensible, qui n'a d'autre ressource que de se réfugier dans des "banlieues féériques"[9], à l'abri des femmes et de la sexualité, à l'abri du monde comme il est, quitte à s'y cogner sans cesse comme Don Quichotte ou à devoir travailler dur pour rendre habitable son utopie comme Robinson Crusoë. Peu m'importe que le château n'existe pas, je suis quand même le seigneur du château, infiniment au-dessus des basses contingences…Car ma force d'imagination supplée à toutes les carences du méprisable réel.

A contrario, le romancier ayant privilégié le stade du conflit oedipien construit ses textes sur le modèle d'un affrontement avec l'Histoire telle qu'elle est, soucieux de restituer la force du désir de transformer le monde et de s'y tailler une belle situation. Le "Bâtard" est ambitieux, il rêve moins qu'il n'agit: je suis l'héritier d'une fortune à reconquérir, la défaillance de maman me donne le droit de prétendre occuper la place prestigieuse de papa. Le prototype de ces créateurs est pour Marthe Robert Balzac. Elle souligne à son sujet le rôle déterminant des facteurs environnementaux: il a fallu Napoléon, parti de rien pour arriver à s'autoproclamer empereur –c'est encore mieux que roi, le château existe vraiment, les belles femmes se couchent à vos pieds, il suffit de s'en donner la peine, de se battre pour changer le cours des choses!- pour que le roman français valorise l'arriviste, peu regardant sur les moyens et formidablement efficace. Le héros devient sujet de son histoire, ce n'est plus le destin qui fait le héros.

Nous nous proposons, dans ce travail, de considérer les rapports entre roman familial et autobiographie, d'articuler les découvertes du début du siècle en ce qui concerne le psychisme humain à l'étude de cette forme littéraire à part entière qu'est devenue l'autobiographie depuis les récits de Jean-Jacques Rousseau. Dans quelle mesure la mise en place du "pacte autobiographique" tel que l'a défini Philippe Lejeune dans ses travaux est-elle tributaire des aléas de ces premiers récits d'origine identifiés par Freud et Rank? Nous répondrons à cette question en nous référant à un écrivain marocain francophone, Driss Chraïbi, dont toute l'œuvre repose selon nous sur une tentative de définition de sa propre identité.

Présentation de l'auteur en personnage de conte

Driss Chraïbi serait né en 1926 à El Jadida, alors appelée Mazagan, dans le Maroc d'avant l'Indépendance. Jeune ingénieur chimiste venu étudier et travailler en France, il publie en 1954 un roman écrit à la première personne et dont le narrateur se prénomme Driss, Le Passé simple. La critique de l'époque, peu attentive à la différence des patronymes –dans le texte, Driss a pour nom de famille Ferdi (pistolet en arabe) et non Chraïbi-, lit aussitôt l'ouvrage comme une autobiographie. Cela vaudra les pires ennuis au jeune romancier: le texte, en effet, présente une critique acerbe, vitriolante, des conditions de vie familiale d'un adolescent marocain européanisé confronté à un père rétrograde, tout-puissant sur les siens, acharné à préserver des traditions castratrices, et dont la violence va jusqu'au meurtre d'un de ses enfants. Ce père atroce fait vivre son épouse dans des conditions révoltantes de soumission et d'infantilisation. Les enfants, sept garçons prénommés Driss, Abd-el-Krim, Camel, Nagib, Madini, Jaad, Hamid, vivent sous l'autorité despotique du Seigneur. La révolte de Driss, nourri de science et de littérature française, aboutit à son départ, après qu'il ait renoncé à tuer son père et à sauver sa mère.

Les circonstances historiques de la querelle violente qui marqua la sortie de ce roman ont en grande partie gommé les "effets de conte" présents dans le texte. En 1954, le Maroc se bat pour son indépendance. Les critiques marocains lisent Le Passé simple comme une trahison à la cause nationale, une allégeance à l'entreprise coloniale. Leurs articles désignent le jeune Chraïbi à la vindicte populaire. Il cède à la terreur intellectuelle et renie son ouvrage.[10] Bien des années après, il se défend encore d'avoir écrit une autobiographie.[11] Il est peu probable qu'il convainque les étudiants marocains contemporains, dont le mode de vie est toujours marqué par les mêmes archaïsmes et l'impossibilité de pratiquer la libre parole.

Nous parlions d'"effets de conte". Ne trouve-t-on pas dans Le Passé simple quelques-uns de ces motifs littéraires si bien isolés par Vladimir Propp?[12] Considérons en effet la série des principales fonctions proposées par Propp en les mettant en regard du roman de Chraïbi:

-Un des membres de la famille s'éloigne de la maison: c'est bien le cas de Camel, le frère qui n'est pas à l'heure pour rompre le jeûne du Ramadan, ce qui oblige toute la famille à l'attendre sur l'ordre du Seigneur et à souffrir de la faim.

-Le héros se fait signifier une interdiction, celle de manger, puis celle d'adresser la parole à sa mère dans la cuisine. L'agresseur est clairement identifié: c'est le père.

-L'agresseur demande des renseignements dans le seul but d'humilier sa victime: ainsi le Seigneur, après avoir prévenu sa famille que le cours du thé s'effondre, feint-il de s'enquérir des solutions de chacun pour remédier à ce problème.

-La victime se laisse tromper et aide ainsi son ennemi malgré elle: Driss répond et assure le triomphe du père, spécialiste en commerce international et seule source de revenus de la famille.

-Il manque quelque chose à l'un des membres de la famille: la mère doit aller prier sur la tombe de ses parents à Fès. Un voyage est organisé. Driss l'accompagne.

-L'agresseur nuit à l'un des membres de la famille: en l'absence de la mère et du fils, le père tue le dernier garçon.

-La nouvelle du méfait est divulguée. Le deuil s'empare de la maison et du quartier. Le héros prend connaissance à son retour de Fès du meurtre de l'enfant. A noter que durant le séjour fassi, le héros a dû affronter une autre figure d'agresseur en la personne d'un certain Kittani, homme de l'âge de son père, tout aussi violent envers sa femme et borné, qui a tenté en outre de séduire sexuellement le jeune homme. Le héros sort vainqueur de ce combat.

-Après diverses autres péripéties comportant des rivalités entre frères, l'exclusion de la mère occupée à se parer pour se faire faire un autre enfant à la place du mort, une première éviction brutale du domicile familial et une longue conversation avec l'agresseur, le héros parvient à tromper ce dernier en feignant l'allégeance et quitte volontairement sa maison et son pays, son voyage étant payé par le père!

-Tout au long de ce parcours initiatique, le héros a bénéficié des services d'un donateur efficace, Monsieur Roche, qui lui a fourni les armes intellectuelles de son combat pour la liberté. Tel semble bien du moins être l'enjeu de ce combat: la modernité contre l'obscurantisme, la culture contre l'ignorance, et la franchise contre l'hypocrisie. Mais ne s'agirait-il pas aussi d'une des formes de ce "drame premier de l'homme", joué dans "l'univers familial bien clos et bien délimité", évoquant "des actes sanglants, meurtres, mutilations, sacrifices humains" s'accompagnant d'"une ascèse: jeûne complet, interdiction de parler et de rire, long isolement", tel que le définit Marthe Robert?[13] C'est du moins en ayant présentes à l'esprit ces caractéristiques que nous nous autorisons à considérer le premier roman de Chraïbi comme relevant de ce genre.

A l'inverse cependant du conte traditionnel, les événements rapportés créent révolte et fureur chez le lecteur. Ce qu'il acceptait comme allant de soi dans les récits de son enfance, provoque désormais dégoût et colère. C'est que le roman installe le principe de vraisemblance, réfute le recours au merveilleux, s'enracine dans une Histoire réellement sanglante à l'échelle collective, comme le fut celle de la colonisation et des Indépendances. De plus, il est signé: l'auteur en est le principe d'origine, et non la tradition orale colportée à travers les siècles. Au carrefour entre conte, essai politique, et surtout autofiction, Le Passé simple sera pour nous l'histoire du petit Driss devenant grand, figure typique du Bâtard créatif dont l'aventure s'achève sur un double cri de Rastignac: "A nous deux, la France! A nous deux, mon père!"[14]

 

Le Passé simple marque l'acte de naissance de Driss Chraïbi comme écrivain. Sa publication par un grand éditeur parisien'est un cadeau de Noël, comme le raconte l'auteur lui-même. Ne nous croyons pas obligés de prendre ses propos au pied de la lettre: observons cependant à quel point ils enracinent dans l'imaginaire enfantin un texte pourtant reçu comme un manifeste politique d'adulte militant. "Je venais de terminer Le Passé simple, on était en décembre 1953. Je ne connaissais personne dans le milieu éditorial. J'ai tout simplement feuilleté l'annuaire des téléphones: Noël…Denoël, ça tombait bien".[15]

Le premier acte romanesque de l'écrivain concerne donc bien l'univers de l'enfance et ses émerveillements, ses pulsions agressives, ses rêves de vengeance. La trame du conte y est adéquate au propos. Elle contribue au surgissement du sujet, celui qui ose porter à la connaissance publique un scénario fondateur de la conscience de soi. La voie est libre pour l'adulte: le roman suivant, Les Boucs, paru en 1955, est consacré à la désillusion. La France n'est pas le pays des châteaux dont l'enfant devient roi. Le réel résiste au fantasme. Misère profonde , frustrations sexuelles intenses et racisme omniprésent forment le lot quotidien du travailleur immigré marocain. Les promesses d'un monde meilleur ne sont pas tenues, et tous les grands textes classiques dont s'était muni le candidat au parcours héroïque s'avèrent inopérants. Driss Chraïbi devient définitivement romancier, abandonne son doctorat de chimie, épouse une strasbourgeoise dont il a cinq enfants et pas sept. Il contribue efficacement à la création d'une véritable littérature francophone maghrébine, obtient des prix littéraires, parvient à s'installer entre France et Maroc. Il bénéficie d'une reconnaissance publique et universitaire. Il ne fera plus l'objet de procès d'intention, mais d'articles spécialisés et de thèses. L'époque du Passé simple est tout à fait révolue. En témoignent les tentatives pour écrire des textes dégagés de toute référence au Maroc natal: Un ami viendra vous voir en 1967, Mort au Canada en 1975. Mais témoignent aussi de cette aspiration à une écriture plus universelle les deux romans respectivement consacrés à un personnage de père et à un personnage de mère, Succession ouverte en 1962 et La Civilisation, ma mère!… en 1972.

L'auteur en quête d'identité

C'est justement à cette époque de sa vie que Michel Tournier et Edouard Boubat lui demandent de contribuer à l'ouvrage Miroirs Autoportraits, paru chez Denoël en 1973. L'entreprise consiste à demander à un écrivain de tracer son autoportrait littéraire en regard d'une photographie le représentant. Chraïbi et Rachid Boudjedra sont les seuls écrivains maghrébins invités pour cette publication[16] qui offre quatre-vingt trois entrées différentes, et qui permet à Antoine Blondin par exemple de figurer dans le même ouvrage que Philippe Sollers, Jean Dutourd ou Lanza del Vasto.

L'exercice, nous l'avons dit, consiste à commenter à la première personne le cliché pris par le photographe. Il doit donc s'exprimer au présent, légender l'image, en tant qu'elle renvoie à un instant précis de sa vie propre. A ce titre, l'autoportrait forme part de toute entreprise autobiographique, répond au "qui suis-je" inaugural de tout effort pour se poser comme le sujet même de son discours.

Voici l'incipit du texte de Chraïbi: "Ce visage grave et sérieux d'intellectuel à bretelles me pose des questions auxquelles je n'ai jamais su répondre de science certaine". Suivent trois questions qui donnent lieu à trois tentatives de réponses: "Quel est mon âge exact?", "Ai-je une tête de Marocain?" et "Ai-je réellement une tête d'écrivain?". A la première question, l'auteur de l'autoportrait fait correspondre un récit rétrospectif qui vaut qu'on s'y attarde. Par "un après-midi torride, au début de la seconde guerre mondiale", dans le bureau du commissariat de police de Casablanca, le père du jeune Driss, soucieux d'inscrire son fils en sixième au lycée français de la ville (c'est un bon élève), cherche à lui faire établir une carte d'identité nécessaire pour procéder à l'inscription. Le lieu de naissance est certain, mais pas la date! Auparavant élève de l'enseignement marocain, l'enfant n'avait jamais eu besoin de papiers d'identité. "En ce temps-là, affirme l'auteur, il n'y avait pas d'état-civil", du moins nous faut-il comprendre: pour les "indigènes". S'ensuit une conversation cocasse entre le commissaire, qui fournit des efforts de convivialité remarquables –inattendus faut-il le préciser pour qui connaît les manières moins engageantes de la police marocaine-, et le père de Driss flanqué de deux témoins, qui lui doivent de l'argent. L'évocation du seul souvenir du père, "l'époque des moissons", donne lieu à une enquête serrée: moissons de quoi? Orge, avoine, maïs, blé dur? On se met d'accord sur le blé dur. Ce serait donc plutôt en juillet. Mais quel jour? "Pourquoi pas le 15?" dit le père. Quant à l'année de naissance, elle est estimée par le commissaire en fonction de la taille de l'enfant: 1926. En 1940, il entre donc en sixième officiellement âgé de quatorze ans.

La version de la mère est ensuite convoquée, mais les circonstances n'en sont pas précisées. La mère se réfère à l'heure des premières douleurs "la pâte à pain venait de lever, il était donc entre huit et dix heures du matin"; c'était au printemps puisque le citronnier du patio fleurissait; c'était lors du pèlerinage d'une cousine à Volubilis, ce qui permet de préciser l'année: 1931,32 ou 33. Selon cette version, l'enfant serait entré en sixième entre neuf et sept ans! L'invraisemblance manifeste de cette deuxième version ne semble pas davantage étonner le narrateur que celle de la première. Bien au contraire, lorsqu'en 1998, soit plus d'un quart de siècle plus tard, Driss Chraïbi publie Vu, lu, entendu, mémoires, autobiographie revendiquée comme telle, il reprend presque mot pour mot ce récit rétrospectif, avec quelques variations sur lesquelles nous pensons nécessaire de revenir.

Dès les premières lignes de cette autobiographie, l'écrivain affirme qu'il "subsiste un léger doute quant à la date de (sa) naissance, un certain décalage entre l'oral et l'écrit." Et de restituer mot pour mot la scène du commissariat relatée dans Miroirs Autoportraits , avec quelques variations quant à la conclusion (l'écrivain ne peut plus affirmer avoir quarante-six ans comme en 1972) et une remarque additionnelle sur les circonstances ayant déterminé l'obligation de posséder une carte d'identité: "Il fallait nous civiliser, selon le manuel français d'Histoire, celui-là même qui vantait mes ancêtres les Gaulois". Cette remarque n'est pas présente dans la première version. Elle appartient au narrateur de 1998, non à celui de 1972. Nous y reviendrons. Considérons la version attribuée à la mère: il est fait mention de son décès, survenu depuis 1972; cette fois-ci, la cousine est nommée, une certaine Meryem, et le pèlerinage avait pour destination Moulay Yacoub et non Volubilis. Les hypothèses sur l'année de la naissance varient: 1930,31 ou 29. L'enfant serait donc entré en sixième à dix, neuf ou onze ans.

Une petite enquête sur les ingrédients de cette "fabrication" d'une date de naissance permet en outre de repérer quelques curieuses distorsions entre le récit de Chraïbi et les pratiques agricoles en vigueur au Maroc dans les années 1920. Le paysan marocain de l'époque est marqué par "l'archaïsme des techniques rurales", selon l'expression de Daniel Rivet[17]. Les ensemencements de blé dur ont lieu en automne, les moissons "en avril dans le sud, de mai à juin dans le nord". En aucun cas à la mi-juillet, où les céréales auraient eu le temps de brûler sur pied au soleil. C'est qu'il faut "s'ajuster à la brièveté de la saison agricole au Maroc"[18], entièrement dépendante de la pluviométrie.

Nous nous autoriserons donc à considérer avec réticence les allégations de Chraïbi en ce qui concerne leur validité historique. Beaucoup plus pertinent à nos yeux s'avère un questionnement sur le désir de réitérer l'anecdote et sur ses rapports avec la production de l'écrivain entre 1972 et 1998.

 

Que signifie en effet cette histoire deux fois écrite, sinon qu'elle dit par deux fois que les parents ont oublié la date de naissance de leur enfant? Le père de Chraïbi, celui qui surgit dans l'autobiographie comme celui de l'autoportrait, comme celui qui dans la fiction romanesque intervient dans Le Passé simple et Succession ouverte, est à chaque fois un riche négociant, importateur de thé, au fait des techniques d'achat et de vente internationales, et parfaitement musulman de surcroît. Eût-il eu quelques difficultés à se repérer dans ce que son fils appelle "la concordance élastique de l'ère chrétienne et de l'ère hégirienne, une équation algébrique à deux inconnues en quelque sorte"[19], on ne voit pas bien comment il aurait pu méconnaître le calendrier musulman et se trouver incapable de dater, dans son propre système calendaire, la naissance de son fils. On se demande aussi comment, certes sur la suggestion du commissaire, l'enfant se trouve pourvu d'une date de naissance, le 15 juillet, qui à un jour près s'avère tout bonnement correspondre au premier jour de l'an I de l'Hégire, le 16 juillet 622. Enfin, en ce qui concerne l'année choisie pour être celle de la naissance de Driss, comment le père aurait-il oublié que 1926 vit capituler l'émir Abd-el Krim et la guerre du Rif s'achever par la victoire des colonisateurs français? Quant au refus de ces derniers d'accorder un état-civil aux "indigènes", il est à nuancer: ce sont les Marocains eux-mêmes qui résistent à tout enregistrement officiel de la population, comme le rappelle Daniel Rivet. Ils ont pour ce faire d'excellentes raisons: "leur peur d'être fiscalisés avec plus de rigueur est renforcée par la hantise de l'application de la circonscription obligatoire à leurs fils, comme cela était le cas en Algérie depuis l'application de la loi Messimy, qui déclencha le fameux exode de Tlemcen en 1911. Le premier recensement évaluant l'ensemble de la société date seulement de 1936, fin de la "pacification" oblige".[20] Cette résistance active de la population marocaine à la constitution d'un état-civil officiel, supposant la création de cartes d'identité, livrets de famille, rôles d'imposition, donne d'ailleurs lieu dans le roman Une enquête au pays, écrit par Chraïbi en 1981 à quelques scènes savoureuses opposant une tribu berbère aux représentants de "Monsieur Léta".

Les parents, donc, n'ont souvenance ni de l'année, ni du mois, ni du jour de la venue au monde de leur fils. La mère ne songe pas à s'enquérir auprès de sa cousine de l'année du pèlerinage, et son fils pas davantage. La question pourrait donc se poser en ces termes: qui se souvient de ma naissance, de quelle durée plus large que les divisions humaines courantes du temps suis-je le fils?

L'auteur en "enfant trouvé"

A cette question, Chraïbi va répondre en s'inscrivant dans une temporalité séculaire: celle de la berbérité, des Fils de la Terre. C'est de ce choix que nous souhaitons maintenant traiter, en tant qu'il accomplit le roman familial de l'auteur, tout en lui permettant de créer ses meilleurs textes romanesques.

En 1981, Chraïbi publie aux éditions du Seuil le premier ouvrage de ce que nous nous autorisons à considérer comme une trilogie[21], l'ensemble formé par Une enquête au pays, suivi de La Mère du printemps (L'Oum-er-Bia) en1982 et achevé par Naissance à l'aube en 1986.

Cette trilogie est consacrée à la population berbère du Maroc, saisie d'abord dans le présent des années quatre-vingt, puis dans ses rapports à la conquête arabe, enfin dans l'espace andalou où Tarik avait emmené ses guerriers. Dans les trois romans, les Berbères sont confrontés à des ennemis destructeurs: l'Etat marocain moderne, qui veut imposer des lois et des codes étrangers aux valeurs de la tribu; les conquérants arabes menés par le général Oqba Ibn Nafi, qui veulent créer une seule communauté humaine et religieuse, la oumma; et le poids des richesses et du luxe de Cordoue, splendide cité qui oublie le dépouillement originaire de l'Islam et prépare sans le savoir sa propre perte de sens.

Ces trois textes présentent de remarquables effets de construction et d'échos mutuels et ont été unanimement salués par la critique. Arrêtons-nous sur la quatrième de couverture de La Mère du printemps: elle propose, rédigé à la première personne, un court texte signé D.C. destiné à remplir la fonction de présentation de l'auteur. Voici ce que dit de lui l'écrivain: "Ma biographie est très simple, j'ai toujours eu la folie de la lumière et de l'eau. Tout ce que j'ai vécu, écrit ou rêvé depuis que je suis né au bord de l'Oum-er-Bia s'explique soit par l'abondance, soit par le manque de lumière et d'eau." Le même livre offre un paratexte auctorial insistant par rapport à ce qui précède. La dédicace, assez longue, s'établit comme suit: "Ce livre est dédié à l'Oum-er-Bia (la Mère du printemps), le fleuve marocain à l'embouchure duquel je suis né. Je le dédie également aux Fils de la Terre, les Berbères, qui en sont les héros; à l'Islam des premiers temps: l'exil qui l'a vu naître du désert et de la nudité, tout comme à l'Islam de l'apogée: Cordoue; aux Indiens d'Amérique parqués dans des réserves et que l'on interroge à présent comme autant de doutes salutaires dans les certitudes de la civilisation; aux Palestiniens, aux Celtes, aux Occitans, aux peuplades dites primitives, à toutes les minorités qui, somme toute, sont la plus grande majorité de notre monde et dont je suis le frère". Quant à l'Avertissement, il s'achève par ces mots: "Il reste que ce qui n'a ni changé ni vieilli depuis le fond des âges, c'est la terre. Et j'ai toujours eu la folie de la lumière et de l'eau. Si ces deux éléments viennent à manquer, l'histoire des hommes tarit…"

Les deux éléments de paratexte auctorial proposent donc comme une extension de l'élément de paratexte éditorial présent sur la quatrième de couverture. Ces messages d'accompagnement du texte, dont Gérard Genette a systématisé l'étude dans Seuils[22] nous paraissent en livrer la clé: voici l'histoire de ma vie, racontée grâce à un roman, une histoire qui prend racine dans l'Histoire non des hommes mais de l'éternité de la matière avec laquelle je vis en contact étroit, fusionnel, constitutif de ma personnalité. Voici la "remémoration active d'une remémoration rêveuse", selon les beaux termes de Jacques Lecarme[23], l'activité consistant précisément à créer un monde fictif qui cherche à parler de soi par un double détour: celui de la fiction certes, mais aussi celui de la parole adressée, visant autrui, le lecteur. C'est encore l'époque où Chraïbi ne veut pas écrire d'autobiographie au sens habituel du terme: "Je n'écris pas tout à fait ce que j'ai vécu, c'est impossible; même, par exemple, je me demande comment on peut écrire ses Mémoires", affirme-t-il en 1975 à Kacem Basfao[24].

Quelles sont donc les composantes de cette biographie rêvée et rédigée? Un double est créé dans le texte: celui qu'incarne le personnage d'Azwaw, chef berbère de la tribu des Aït Yafelman installée à l'embouchure de l'Oum-er-Bia. Jusqu'au dernier chapitre, le roman est écrit à la troisième personne, puis un "je" s'exprime en toute fin du texte, dévoile sa stratégie de survie après la victoire d'Oqba Ibn Nafi contre son peuple. Converti à l'Islam et devenu l'imam Filani, il utilise l'appel à la prière pour prévenir ses frères berbères des attaques des conquérants. Ce double est donc lui-même dédoublé: "Qui gagnera? Le Berbère ou le musulman? Moi ou moi?"[25] Le roman se termine sur sa condamnation imminente au silence: un bourreau monte l'escalier de la mosquée pour lui trancher la langue. "Les peuples passeront comme une caravane le long du temps. Et, au bout du temps, il y aura toujours la terre, la lumière et l'eau de mon pays".[26] Muet mais bien vivant, le personnage d'Azwaw fera retour dans Naissance à l'aube. C'est dans ce texte que le romancier le fait mourir: Azwaw s'enfonce dans l'eau du fleuve "les poings fermés, comme un nouveau-né. Il étreignait encore le monde"[27].

Le rêve a donc inclus la mort. Cette dernière se présente comme un retour aux sources de la vie: mourir, c'est se perdre dans l'eau des premiers temps, celle qui sourd de la terre originelle. Cette eau porte un nom: "la mère du printemps", fleuve bien réel du Maroc mais aussi reprise de la scène fantasmée de recherche de la date de naissance du romancier: la mère, souvenons-nous, était sûre d'avoir enfanté au printemps. Le père, lui, construisait son discours en référence aux travaux de la terre.

Quant aux Aït Yafelman, ils ont bel et bien existé: Daniel Rivet les identifie comme partie d'une confédération de tribus sanhadja[28] au parler tamazight, animés par un mouvement de migration depuis le XVIIème siècle, mouvement qui les poussa à quitter le "Sud-Est semi-désertique vers les plaines grasses et verdoyantes du Nord-Ouest atlantique"[29]. Dans Une enquête au pays, Chraïbi suppose à la tribu un récent mouvement migratoire contraire, ayant fait fuir les Aït Yafelman au fond de rudes montagnes pour tenter d'échapper à l'Etat moderne. A ce titre, le texte présente bien la "mise en scène grotesque de l'historicité d'un discours d'Etat face à leur propre a –historicité", selon l'analyse de Charles Bonn.[30] L'environnement humain des origines est donc nomade, adaptable aux différents climats et reliefs qu'offre le Maroc. Mais la dédicace aspire à la création d'une famille universelle, moins ancrée dans une territorialité déterminée: celle de tous les opprimés, de toutes les civilisations menacées, dont l'auteur se dit être "le frère".

Nous pensons donc pouvoir identifier les éléments de la fabrication d'un roman familial tardif, destiné cette fois à résoudre les problèmes d'identité d'un adulte confronté à la conscience de sa propre finitude, en même temps qu'il s'interroge sur le monde dans lequel il vit et les valeurs qui lui sont proposées. Le vieillissement est sans doute "le motif le plus profond et le plus occulté de l'autobiographie"[31]. Les enfants s'inventent des fables pour s'aider à grandir; les adultes écrivent leur vie pour s'aider à mourir. Dans le "projet de contemplation spéculaire de l'autobiographie, (…)ce n'est pas toujours la jubilation qui l'emporte"[32]. Une profonde tristesse marque la fin de la trilogie de Driss Chraïbi: le temps de l'Histoire humaine n'est rien, les dynasties se perdent dans les sables des siècles, "un infime printemps de l'éternité sidérale"[33]. Que dire alors du devenir de tous ces petits romans d'enfance isolés par Freud? Les redire, peut-être…Affronter les réticences, ne pas se taire deux fois, raconter bien plutôt deux fois qu'une: devenir écrivain.

Conclusions: de l'"enfant trouvé" au "Bâtard"

A ce jour, le deuxième tome de Vu, lu, entendu, mémoires[34] n'est toujours pas paru. L'histoire de l'auteur reste donc figée dans un moment de sa jeunesse, telle que la réinvente un homme de plus de soixante-dix ans. Cette fois-ci, les règles de composition classique de l'autobiographie sont rigoureusement observées: narration rétrospective des événements d'une vie menée à la première personne, identité rigoureuse du narrateur, du personnage principal et de l'auteur, bref tous les ingrédients du "pacte autobiographique" analysé par Philippe Lejeune. Le texte en est souvent jubilatoire, emprunte davantage au ton de l'Inspecteur Ali qu'à celui d'Azwaw, trousse l'Histoire contemporaine en faisant des pieds de nez au général De Gaulle. Si nous reprenons les études de Marthe Robert, nous pouvons dire qu'au temps d'Azwaw correspond le roman de l'"enfant trouvé", tandis qu'à celui de l'Inspecteur Ali, héros de romans policiers burlesques, salaces et dénonciateurs correspond le roman du "bâtard", un peu comme si Chraïbi s'était plu à s'inventer des doubles tout au long de ses œuvres. Dans Vu, lu, entendu, l'auteur se décrit en conquérant, en "Bâtard" au sens donné à ce terme par Marthe Robert, affirmant une"bâtardise sociale (…) au cœur de ce mode d'écriture et de cette réflexion sur une formation, une histoire intellectuelle et morale"[35] qui structure l'autobiographie classique. Aussi le parcours intellectuel et amoureux est-il longuement évoqué, avec toutes les difficultés propres à l'ascension sociale et à la construction de soi d'un jeune Marocain avide de découvrir les livres, la vie, et la France.

Ainsi, Chraïbi semble avoir embrassé toutes les possibilités qu'offre l'écriture de soi, depuis l'époque des premiers contes vengeurs dont Le Passé simple nous a paru rassembler certains traits structuraux jusqu'à l'assomption de soi que représente la création d'un ouvrage de Mémoires. Il reste à attendre la suite étrangement différée de ces Mémoires, pour savoir comment Azwaw, l'homme du temps passé et de la force de résistance à l'Histoire, passe le relais à l'Inspecteur Ali, l'homme des accommodements lucides avec le monde tel qu'il est. Mais peut-être l'enjeu est-il déjà atteint, pour qui avait des parents amnésiques quant à son anniversaire: Chraïbi ne se définit-il pas, sur la quatrième de couverture de son autobiographie, via le rédacteur du paratexte éditorial, comme "le PERE de la littérature maghrébine d'expression française"? Père du choix d'une langue, le français, père d'un usage spécifique de cette langue, la création d'une expressivité littéraire propre à un groupe et le transcendant: quelle heureuse manière de cesser d'être fils!


La mémoire parle :
à propos de
La Mémoire des temps de Bouthaïna Azami-Tawil 

Khalid ZEKRI (Paris)

 

L’historien de la littérature a souvent eu recours aux périodisations par datation afin de situer dans le temps l’émergence d’un phénomène littéraire. En ce qui concerne la littérature maghrébine de langue française, les périodisations ne manquent certes pas [36]. Ce sont les critères des périodisations qui ne prennent pas toujours en compte l’autonomie (ou l’indépendance, selon les points de vue) du champs littéraire par rapport aux autres champs. La date de publication d’un texte littéraire, par exemple, ne peut être un critère suffisant pour « dater » la naissance d’un phénomène littéraire. Cependant, elle est primordiale dans un recensement bibliographique qui permettra de déterminer les moments où un phénomène littéraire a pu franchir le seuil des institutions et, par conséquent, acquérir une reconnaissance institutionnelle. 

La naissance de la littérature féminine au Maghreb n’est pas forcément liée au premier texte publié par une femme maghrébine. Le militantisme, fort louable, de la cause féminine ne doit pas se confondre avec un « maternalisme » (ou paternalisme) qui intègre dans le littéraire toute parole féminine sans se soucier de sa littérarité. C’est surtout le regretté Jean Déjeux qui faisait de la publication des textes écrits par des Maghrébins un critère concluant à la naissance de la littérature maghrébine. C’est ainsi que l’auteur date la naissance de la littérature féminine au Maghreb avec Taos Amrouche par son premier roman Jacinthe noire écrit entre 1934 et 1939, mais publié en 1947 [37]. Bien qu’elle soit en accord avec Jean Déjeux sur l’année de publication du premier roman féminin de langue française au Maghreb, Christiane Chaulet-Achour souligne qu’il s’agissait d’abord de Djamila Debêche avec son premier roman Leïla, Jeune fille d’Algérie paru en 1947 et qui sera suivi en 1955 d’un deuxième roman, du même auteur, intitulé Aziza [38]

Cette brève allusion à la périodisation de la littérature féminine au Maghreb, montre que des voix de femmes étaient présentes au Maghreb, surtout en Algérie, pendant la période coloniale. Ce qui dément le discours politique algérien qui veut récupérer ces voix pour en faire une oeuvre de l’indépendance.  

De l’inconvénient d’être femme. 

Notre objectif n’étant pas l’analyse de ce discours, mais plutôt l’analyse d’un roman féminin, le travail qui suit sera davantage axé sur la difficulté d’être du personnage féminin dans La Mémoire des temps [39]. Ce roman retrace la vie d’enfant et de jeune fille de la narratrice. Il s’agit d’une petite fille qui passera par différentes épreuves dans son parcours. Elle servira de bonne, d’amie, de prostituée. Elle sera violée dans son corps et sa mémoire. Mais elle trouvera dans le personnage de Sarah, la petite fille de la Maîtresse de la maison où elle travail, l’autre versant du monde. Un monde de pardon et de douceur : l’opposé de l'univers cruel où elle a vécu. 

La petite « bonne », qui s’est faite en quelque sorte « l’ombre » de Sarah, suscite à chaque fois des « présences » pour permettre à sa parole de se dire. La présence des autres, souvent par procédé analeptique, permet à la petite « bonne » de représenter l’univers de la fiction où le dedans et le dehors ne fonctionnant plus selon une démarche dichotomique, mais selon des paramètres analogiques. Autrement dit, le dedans et le dehors sont imprégnés d’hostilité dans leur configurations chronotopiques. L’évolution de la narratrice se fait dans la passivité puisqu’elle subit le temps des autres et se trouve entraînée dans leur univers spatial. Elle n’a pas son espace à elle. Elle n’arrive pas à le délimiter malgré ses tentatives. Alors son univers se construit en convoquant la mémoire des autres notamment celle de Mère Légende qui, sur le plan onomastique, est déjà surdéterminée comme machine narrative productrice de fictions. Dans le roman, son rôle est justement la narration des légendes qui constituent des micro-récits sous forme de digression par rapport au récit premier.  

Aux seuils était la mémoire.

Le récit s’ouvre dès son titre sur l’indexation de la mémoire dans sa relation aux temps. Le pluriel n’est pas fortuit car les temps qui jalonnent le texte renvoient à la narration, à l’histoire de la narratrice et aux contes relatés par Mère Légende. Ces contes s’inscrivent dans un temps transhistorique où toute détermination sur l’axe temporel est impossible. Quand Mère Légende raconte, elle commence par la formule rituelle « il était une fois » qui renvoie à un temps mythique où le commencement est insaisissable et la fin indéterminée..

L’espace du titre inscrit une dimension  pléonastique où le temps est doublement évoqué : d’une part, par pluriel comme la photographie de couverture nous présente le pluriel d’une chevelure vue de derrière, sur laquelle des doigts indéterminés s’agrippent comme pour l’arracher. L’iconographie de la première de couverture, ajoutée au titre, nous renvoie d’entrée de jeu à l’arrachement que vit la narratrice par rapport à son enfance saccagée, kidnappée [40]. La convocation de la mémoire n’est pas fortuite car il s’agit d’un territoire qu’on ne peut délimiter [41]. D’où la sélection nécessaire qui s’opère lors de la narration. Sélection qui n’échappe pas à la censure de l’inconscient. Mais c’est justement à travers cette mémoire sélective que la narration devient une entreprise possible pour la narratrice dont l’enfance féminine a été saccagée. Ses liens avec l’univers (de la fiction) sont profondément marqués par le contenu de cette mémoire. Mémoire mutilée qui produit un sujet morcelé, clivé, en quête de la complétude et de l’éternel (p.103). cette quête se fait à travers son parcours narratif où interviennent des acteurs comme Sarah -à laquelle la narratrice s’identifie parfois-, Mère Légende -substitut de la mère biologique-, le fils de l’épicier -objet de désir avorté- et le bordel -espace où la relation sujet/objet s’établit à la marge de la Norme et où la découverte de soi se fait dans la marginalité. La mémoire sélective évoque donc les marges non dites de la société [42]

La phrase-seuil prolonge le titre, en restant toujours dans le paradigme du temps, à travers le lexème « souvenirs » et met en relief cet arrachement évoqué ci-dessus : « Je ne me souviens plus du visage de ma mère. Juste de ses larmes le jour où on est venu m’arracher à la chaleur de son sein fatigué » [43]. L’évocation des souvenirs donne à la narration une allure intimiste qui mime l’écriture de soi puisque la narratrice s’attache à relater les événements quotidiens qu’elle avait vécus dans son enfance. Elle n’est pas seulement sujet de l’énonciation, mais aussi -à travers une poétique de l’aveu- spectatrice de son propre vécu. Le je de la narratrice devient par là même point d’origine et objet en même temps [44]. la relation de ce vécu se fait au présent bien que la narratrice convoque des événements du passé. Elle cherche, à travers l’usage du temps présent, à « séjourner dans le présent » [45] pour mieux oublier la mémoire blessée et l’usure de son corps : « j’ai beaucoup de mal, aujourd’hui encore, à penser cette période de ma vie où j’ai laissé tant d’hommes user de mon corps sans plaisir ni dégoût, avec une totale indifférence » [46].Cette «conscience du temps» permet de faire revenir les événements dans leur passé révolu, en accentuant l’écart entre l’immédiateté de la narration et le temps passé des événements vécus. Ainsi la narratrice (jeune fille) tente, en vain, de structurer son discours narratif sous l’autorité de sa voix émergente.  

La voix et le Moi. 

Ce personnage féminin cherche à être sa propre voix ; ce qui donne une dimension ontologique à son aventure narrative qui n’est jamais localisée dans un espace référentiel, contrairement à ce que la littérature maghrébine, en général, nous a habitué. Ce roman a réussi la maîtrise de l’échec de la femme dans sa tentative de positionnement comme voix à part entière dans un espace « phallocentrique ». L’échec est toujours souligné dans le roman par l’inachèvement des projets de la petite « bonne » (projet d’une liaison durable avec le fils de l’épicier, par exemple). Face à cet inachèvement des projets vient s’interposer l’écriture comme inachèvement. Ce qui est perçu comme perte chez le personnage devient un gain pour l’écriture car il n’est pas question de parler d’échec de l’écriture puisque l’inachèvement du roman devient une valeur compositionnelle de l’œuvre. Les productions discursives incomplètes dans le roman se transforment en valeur positive car le récit qui est donné à lire est truffé de phrases inachevées qui marquent que « l’usage personnel et idiomatique importe plus qu’une langue utopiquement moyenne et parfaite » [47].Cependant, l’usage de la parole, qui met le je de la narratrice au devant de la scène, ne s’accomplit que dans un rapport d’altérité au point que la voix crée un semblant de dialogue quand il lui fait défaut [48].  

En effet, dès que la mémoire de l’autre se résorbe, la narratrice manque d’un espace de communication. Elle tente alors de produire des simulacres de lieux d’échange, comme le bordel, où la communication entre hommes et femmes est flouée, voire impossible en dehors d’une érotique dégradée des corps muets. La parole de la narratrice « vient constater un défaut, elle fonctionne comme une cure ; mais d’autre part, elle n’est que fiction : c’est elle-même qu’elle a en vue, elle invente sa matière sans arrêt » [49]. Cette parole lui permet d’aller à la quête de son enfance comme espace/temps de réconciliation avec soi. C’est le territoire à partir duquel elle tente de constituer sa voix en reconstituant sa mémoire. Or, à chaque fois, elle est frappée d’une sorte d’aphonie car sa voix négocie difficilement sa place dans le texte. La narratrice se donne, à travers son énonciation, comme un sujet « dispersé ». Quand elle a vécu une perturbante expérience de viol, la rencontre avec son moi s’est avérée problématique, voire impossible. D’où cette « inquiétante étrangeté » qui ramène le sujet de l’énonciation à se voir autre que soi : « je me suis immobilisé, la tête plaquée au sol, le souffle coupé par la surprise. Je me suis laissé faire ; je n’étais plus là, je n’étais plus moi » [50]. La conscience du sujet brouille la liaison des affects. Elle cesse de les réguler car l’angoisse est telle que le moi ne réagit plus par conversion face à l’agression. 

Le sujet de l’énonciation participe à la dramatisation (au sens aristotélicien du terme) de l’énonciation romanesque à travers un jeu qui met le moi face à l’autre et permet, à chaque fois, de générer le récit par la convocation de cet autre. Mère Légende est une figure qui ponctue le roman à travers les différentes légendes qu’elle raconte à la marge (au sens même typographique du terme) du récit principal. Ainsi la narration se trouve décentrée par ces intrusions marquant la marginalité d’une parole qui se met à reconstituer le malheur de son enfance et de sa vie de jeune fille. De ce point de vue, le récit suit un ordre chronologique.  

Oralité et socialité du conte. 

L’oral vient ici par sa dimension incantatoire, familière à la littérature maghrébine, suppléer aux insuffisances de la culture de l’écrit. Plus encore l’oralité du conte remonte à une généalogie (c’est la grand mère qui raconte les légendes) qui renvoie à l’origine, à la reconstitution de la mémoire où la mère prend une place importante. Non seulement comme « génitrice » biologique, mais aussi comme productrice du langage qui a parlé la narratrice avant sa naissance. Mais comme toute naissance est inénarrable par le moi concerné, elle a été tue dans le texte qui commence par un souvenir de visage aux yeux noirs d’où des larmes coulent. Ces larmes qui coulent fonctionnent doublement. D’une part, elles nous renvoient, par métaphore aquatique, à la scène de naissance et d’avant la naissance où l’enfant baigne dans le liquide et connaît le monde par « perte des eaux ». D’autre part, ces larmes indiquent la matière du désespoir (G. Bachelard) [51] car, dans le contexte énonciatif, la tristesse de la narratrice est mise en relief par une rhétorique du pathos assez dominante dans le roman. 

Ce pathos, qui imprègne par ailleurs les contes de Mère Légende, se manifeste dans la posture énonciative adoptée par la narratrice. Celle-ci est davantage portée sur la parole qu’elle adresse à sa mère dans un pseudo-dialogue où le « je » simule s’adresser à la « maman » pour reconstituer la « mémoire des temps » vécus dans la socialité imaginaire du texte : « Maman, j’ai tant pensé à toi cette première nuit où je me suis dit que peut-être je n’aurais jamais dû grandir » [52] ; ou encore cet extrait où Mère légende et la mère de la narratrice se confondent : « Mère légende, ma mère. Je te chercherai, je te retrouverai... » [53]

Cette reconstitution se fait à travers son vécu d’enfant certes, mais surtout par le biais du monde des contes dans lequel Mère légende la plonge. Ces contes participent à « la conjoncture existentielle » de la narratrice puisqu’ils lui dispensent, à travers une énonciation orale, un savoir implicite. Ces contes qui entrecoupent le récit principal aident la narratrice à établir une « cohérence dans le tumulte de ses sentiments » à travers « le spectacle des aspects tangible du bien et du mal » [54]. En outre, la narratrice arrive, par son activité d’écoute, à établir un contact de parenté imaginaire avec Mère légende qui, comme nous l’avons souligné dans l’extrait cité ci-dessus, est « assimilée » à la figure maternelle. 

Ces contes servent aussi de « laboratoire social » car ils renvoient à la condition féminine au Maghreb. Là encore l’importance de l’événement dans la littérature maghrébine se lit aisément. Nous irons jusqu’à dire qu’il constitue un élément définitionnel de la littérarité des oeuvres littéraire du Maghreb. Nous savons par ailleurs que la littérarité, telle que définie par Jakobson et les textualistes, n’est plus de mise aujourd’hui. Le textuel à lui seul ne peut définir la littérarité. D’autres éléments extratextuel (contexte social, fonctionnement du champ littéraire et, dans le cas du Maghreb qui nous intéresse ici, le référent historique social et politique) participent à une définition globale de la littérarité. Il s’ensuit que les contes relatés par Mère légende dans La Mémoire des temps commencent toujours par l’inscription de la femme dans le contenu narratif. Ces contes mettent en relief la difficulté d’être femme dans un contexte social phallocratique. Citons en guise d’exemple les extraits suivants : « Il était une fois, il y a bien longtemps dans la nuit des temps, un couple de pauvres gens qui avait deux filles, au grand désespoir du père qui avait cessé d’espérer l’arrivée du garçon qui assurerait la pérennité du nom et surtout un peu plus de pain dans la maison » [55] ; ou encore cet extrait qui met en scène les femmes quand elles sont loin du regard de l’homme et qu’elles sortent de leur soumission : « A l’abri des regard des hommes, le petit muet voyait les femmes tabou devenir soudain femmes liberté, et il s’étonnait de cette liberté avec laquelle elles faisaient fuser les mots et bouger leurs corps. Elles n’étaient plus ni femmes démons ni femmes bénies mais femmes, tout simplement, regards miroirs, femmes reflet dans un regard de femme loin des regards prison » [56] ; ou, enfin, le début d’un autre conte dans le roman qui annonce la dysphorie de la naissance féminine : « Il était une fois une petite fille qui naquit sous de mauvais cieux » [57]

Ces contes produisent du sens à partir du « déjà-là du monde ». Ils renvoient, par la morale qu’ils véhiculent sur la condition féminine, à la société où l’homme chosifie la femme et refuse de reconnaître sa capacité d’être autonome. Dans le premier conte un époux dit à son épouse qu’elle serait incapable de se débrouiller mieux que lui pour gagner de l’argent : « la réaction de son homme ne se fit pas attendre : -Et comment t’y prendras-tu, pauvre folle ? Crois-tu pouvoir faire mieux que moi ? » (p.16). 

Le choix des lexèmes qui désignent l’époux changent selon la posture énonciative adoptée par le « couple ». Quant l’épouse interpelle son époux pour lui dire qu’elle chercherait à gagner de l’argent, Mère légende désigne l’époux par le lexème « mari ». Mais quand celui-ci s’adresse à son épouse, la désignation change en « son homme ». Ce changement de désignation est intentionnel car l’époux adopte effectivement une attitude qui, par la force illocutoire de son énonciation, le place dans une situation supérieure par rapport à son épouse. Ainsi, l’extrait ci-dessus montre le regard infériorisant porté sur la femme : Le système phallocratique ne peut concevoir que la femme puisse être et faire mieux que l’homme. La fonction du discours produit par l’époux assigne implicitement à son épouse « une place dans le système social des places » car « en accomplissant un acte de langage (...) le locuteur dit aussi à l’interlocuteur (et tente de lui faire accepter) ce qu’il est pour lui et ce que lui l’interlocuteur, doit reconnaître que le locuteur est pour lui » [58]

L’intrusion du conte est doublement fonctionnelle. D’une part, en tant qu’élément structurellement autonome par rapport au récit principal, le conte permet ici de participer au projet idéologique du texte : il inscrit la prise de parole de la femme sur la femme. D’autre part, il situe l’écriture du roman dans cette tradition littéraire maghrébine qui mime l’oralité du conte. Le texte s’inscrit, par là même, dans un rapport direct avec le lecteur puisque la médiation écrite semble camouflée. Ce camouflage permet la surdétermination du récit par les traces de cette oralité qui interpelle son destinataire. 

 

Loin de se positionner dans l’univers du récit, la voix excommuniée de la narratrice vit de sa marginalité. Le clivage de cette voix tente de trouver remède par la convocation de la mémoire : celle de la narratrice et des autres personnage du roman, notamment Mère Légende. Il y a certes la mémoire narrative avec son stock de souvenirs, mais aussi la mémoire culturelle. L’intrusion du conte dans le roman est révélatrice à cet égard. Elle permet de modéliser un système artistique oral dans la culture de l’écrit, en l’occurrence le roman. L’oralité du conte rejoint donc la voix de la narratrice qui fait parler sa mémoire et celle des autres. Non seulement les personnage, mais aussi l’autre du roman : le discours social qui se veut comme murmure à la marge du discours officiel. C’est ainsi que le conte, et au-delà le roman, sert de laboratoire social où le réel est esthétisé par l’expérimentation de divers mondes possibles dans la fiction. 


La littérature de jeunesse maghrébine ou immigrée :
quelques paramètres d'une émergence 
[59]

Charles BONN (Lyon 2)

Habitué à travailler sur la littérature maghrébine dite "pour adultes", j'aborde la littérature de jeunesse de cette "aire culturelle" [60] un peu de l'extérieur, et dans le contexte de cette rencontre, cette position ne laisse pas de m'interroger : pourquoi, dans le champ lui-même problématique de la littérature maghrébine francophone, la littérature de jeunesse, qui pourtant fleurit, est-elle si peu visible par les approches critiques ? Gérer une banque de données comme la banque Limag permet en effet de s'apercevoir que rarement les collecteurs maghrébins, universitaires travaillant pour cette banque de données, signalent la littérature de jeunesse maghrébine. Et moi-même j'ai longtemps participé presque sans m'en apercevoir à cette exclusion en ce qui concerne mes collectes en France : les premières années de mes dépouillements en bibliothèque de l'indispensable périodique Les livres du mois, dans lequel les livres sont classés par catégories, je ne pensais même pas à aller dans la rubrique "Livres de jeunesse".

Un colloque comme celui-ci procède donc d'une sorte d'entreprise de salut public, et surtout d'une intuition intéressante : il y a sûrement quelque chose de commun entre la reconnaissance relativement récente de la littérature de jeunesse et celle, quasi-simultanée, des littératures maghrébines et de l'émigration/immigration maghrébine. Même si elles existent depuis longtemps, ces littératures ne s'imposent que progressivement, depuis quelques décennies, comme littératures à part entière, dans leur perception par les lecteurs et par les circuits de diffusion. Car elles développent des espaces culturels nouveaux : l'enfance est un continent longtemps oublié dont la connaissance s'est totalement modifiée depuis un demi-siècle. Quant au Maghreb ou à l'Immigration, leur définition politique et culturelle est loin encore d'être évidente. Pire : cette définition n'est pas tant un problème purement politique ou idéologique, qui pourrait se formuler, qu'un problème de langage : les catégories permettant la définition d'espaces culturels nouveaux ou atypiques n'existent pas, ou sont mal adaptées, dans le discours commun. Témoin par exemple l'inadéquation des termes désignant les "beurs", ou la "seconde génération de l'Immigration maghrébine", ou les "jeunes franco-maghrébins", que sais-je encore… Le principe même d'inventer un terme est d'ailleurs contesté par beaucoup, comme est contesté ici par certains le principe même de parler de "littérature de jeunesse" : or c'est bien cette dernière qui nous réunit, et nous permet de parler de la difficulté de la concevoir…

Ce sont là des caractéristiques de ce qu'on a appelé ailleurs des "littératures émergentes" : autre terme problématique, puisqu'il suppose comme les précédents, à la fois une revendication de reconnaissance comme objet à part entière, et la contestation de la dimension "minoritaire", ou encore "mineure" que cette reconnaissance comme objet suppose presque automatiquement. La "littérature de jeunesse" comme la "littérature maghrébine" ne demandent-elles pas l'une et l'autre d'être exhumées du ghetto réducteur où elles sont souvent reléguées mais qui permit aussi de les signaler, pour être lues tout simplement comme "littérature" ? L'un des problèmes majeurs des littératures "émergentes" est en effet, on le sait, une lecture quelque peu paternaliste les plaçant en position seconde dans le champ littéraire, et ne les soumettant pas de ce fait à la même exigence de qualité littéraire qu'elle ne le fait pour la "grande" littérature, tant il est vrai que ces littératures ne sauraient jouer dans la cour des grands ! Cette reconnaissance difficile et parfois contestée par les producteurs eux-mêmes se remarque entre autres dans le fait que les littératures "émergentes" sont aussi celles à propos desquelles on parle le plus de politiques éditoriales : c'est que l'éditeur est au point de rencontre entre ces textes et leurs lecteurs, dont il répercute, certes, mais dont il modèle aussi en grande partie les attentes. On va voir que les politiques d'édition ont beaucoup contribué à définir l'image des littératures qui nous préoccupent ici.

Je précise aussi avant de commencer, après cette trop longue introduction, que je n'ai nullement l'intention de dresser ici un panorama représentatif de la littérature de jeunesse maghrébine ou "émigrée" : je n'y ferai que quelques sondages rapides destinés à illustrer une problématique de lecture. Ces courts sondages seront organisés autour de ce que je propose de voir comme trois grandes périodes de la perception de ces littératures "émergentes", périodes qui se chevauchent largement entre elles et doivent plutôt être considérées comme trois tendances dominantes consécutives mais aussi simultanées de cette dynamique.

Les premiers textes : l'enfant révélateur et symbole

Parmi les premiers textes maghrébins considérés comme littérature de jeunesse figurent d'abord les contes du Chapelet d'ambre [61] d'Ahmed Sefrioui au Maroc en 1949. Mais surtout, une fois commencée la guerre d'Algérie, Baba Fekrane [62] de Mohammed Dib en 1959. Mohammed Dib, que je considère toujours comme le plus grand écrivain algérien, publie encore un conte, L'Histoire du chat qui boude [63], bien plus tard chez le même éditeur. Or il s'agit d'un éditeur militant pour lequel ces publications perpétuent l'image de l'écrivain communiste qui avait publié La grande Maison [64] en 1952 et L'Incendie [65] en 1954 : ces contes, avant et après l'indépendance de l'Algérie, participent à une politique de sympathie tiers-mondiste et d'ouverture à des espaces en cours de décolonisation vers lesquels l'enfant peut être une sorte d'introducteur "par l'intérieur", l'intimité féminine dans laquelle il est censé vivre en permettant une découverte plus chaleureuse.

Or l'enfant était déjà au centre des deux romans "pour adultes" du même auteur, comme il l'était à la même époque dans Le Fils du pauvre [66] de Mouloud Feraoun, que certains ont considéré comme le texte fondateur de cette littérature, dont les premiers balbutiements se confondent tout naturellement avec un récit d'enfance. Pourtant chez Feraoun comme chez Dib l'enfant est une sorte de caméra promenée dans le monde des adultes qu'elle permet de décrire, un peu comme le fameux miroir le long du chemin de Stendhal. Sa naïveté supposée permet en toute vraisemblance de lui faire rencontrer des personnages qui lui expliquent le système colonial et son oppression, particulièrement dans les deux romans de Dib.

L'enfant permet dans ces textes de ne pas développer une critique frontale du système colonial, que d'ailleurs la censure de l'époque n'aurait pas acceptée. De plus, étant au centre de cette intimité familiale qui échappe le plus au regard occidental, il permet aussi de la décrire parce qu'il a, contrairement aux femmes qui l'entourent, la possibilité d'entrer et de sortir de l'espace féminin chez Sefrioui, du village chez Feraoun, de la "grande maison" chez Mohammed Dib. Plus encore chez ce dernier : de passer des espaces citadins entre lesquels évolue l'intrigue de La grande Maison, à l'espace rural de L'Incendie. Or cette ubiquité, ce passage de l'un à l'autre des espaces référentiels ou symboliques sont aussi dans un certain sens le lieu même de cette jeune littérature balbutiante encore, en ce que sa localisation identitaire n'est pas faite : dans quelle mesure l'enfant ne peut-il pas, alors, être associé à cette jeune littérature elle-même ? Or on sait que la plupart des littératures émergentes se signalent souvent, ainsi, par des récits d'enfances permettant une description plus aisée, plus "naïve" de leur espace référentiel pour les lecteurs nécessairement extérieurs à cet espace qui les accueillent d'abord. L'enfant est ainsi à son corps défendant une sorte de passeur culturel, inséparable du statut des littératures émergentes, et représentatif de leur relative virginité mémorielle : ces littératures en effet n'ont pas encore d'histoire en tant que telles. C'est peut-être aussi pourquoi elles ne sont pas encore reconnues comme littératures : l'enfant alors, ou la naïveté supposée de leur narration, fonctionne de ce fait comme une sorte de garant d'authenticité.

Quoiqu'il en soit, dans cette première période, les textes assimilables à de la littérature enfantine ne sont que des annexes de la littérature "pour adultes", même si elles peuvent parfois en être lues comme une sorte de représentation indirecte, et en tout cas de passeur à travers lequel se devine une réception hautement paternaliste.

Ce paternalisme de la réception européenne "de bonne volonté", auquel participe bien entendu le projet militant que je signalais pour l'édition des deux contes de Dib à La Farandole/Messidor, consolidera sans aucun doute, une fois l'indépendance venue, cette sorte de défiance vis à vis de la littérature nationale assimilée à une littérature immature, que j'avais relevée dans des enquêtes lors de mon séjour en Algérie dans les années 70 [67]. Dans les années 70 l'idée même de littérature enfantine ne pouvait qu'être subordonnée à une maîtrise idéologique par le parti, par l'intermédiaire de sa branche "jeunesse" : la JFLN [68]. Cette dernière créa donc une série de bandes dessinées alliant les inconciliables : un personnage issu de la tradition orale, M'Quidech le jeune garçon malicieux, et les impératifs partisans de célébration de la glorieuse guerre de libération nationale. Le héros éponyme du Journal de M'Quidech [69] fut donc opposé un temps aux exactions coloniales, dans des graphismes d'une médiocrité rare. Mais personne ne palpita pour ses aventures, qui encombrèrent durant des années d'invendus, les étals des librairies, cependant que les rares familles aisées achetant de la littérature de jeunesse à leurs enfants choisissaient bien entendu Babar et Mickey… La greffe artificielle ne pouvait prendre, mais la tentative illustre jusqu'à la caricature les débuts idéologiquement bien marqués de cette littérature de jeunesse au Maghreb.

Cette désaffection est bien sûr le signe d'une désaffection plus générale à l'époque pour toutes les publications officielles d'une culture dirigée par l'idéologie, qu'on peut retrouver dans d'autres pays se réclamant d'une idéologie officielle. Mais plus spécifiquement elle signale de plus une sorte de refus de cette alliance entre l'idéologie officielle et le discours immature doublement signalé comme tel par la mauvaise qualité graphique et l'affichage "littérature de jeunesse" précisément. Paradoxalement on peut peut-être affirmer que si le nationalisme était le thème dominant du discours idéologique officiel, le refus de l'immaturité de ce discours affichée par ce type de publications est peut-être aussi le signe d'une fierté nationale plus grande chez les lecteurs potentiels que dans la politique culturelle officielle.

Les retombées de 1968 et les prestiges de l'oralité

On ne s'étonnera donc pas de voir les premières réalisations de littérature de jeunesse maghrébine des années 60 et suivantes avoir lieu en France : elles y participent d'une part de ce développement plus général de la littérature de jeunesse qu'on a pu observer dans la foulée de la mutation des mentalités dont 1968 fut une cristallisation. Mais elles procèdent aussi de cet autre prolongement de la dynamique de 1968 : l'intérêt pour l'oralité, s'intégrant lui-même dans une contestation plus globale de la société industrielle pour promouvoir une sorte de rêve utopique d'expression "primitive".

J'ai eu le privilège d'écouter plusieurs fois ce prodigieux conteur qu'est Nacer Khemir, et c'est par lui que je me suis familiarisé dans les années soixante-dix avec les Mille et une nuits. Mais Nacer a touché autant de gens en transcrivant par écrit les contes de femmes de sa famille, dans une série de livres d'une grande beauté publiés aux éditions Maspéro, devenues depuis La Découverte : citons Les Contes de l'Ogresse dès 1965, El Ghoula (L'Ogresse) en 1975, Le Soleil emmuré : contes d'une mère : Oum El Khir en 1981, puis chez d'autres éditeurs Grand-Père est né en 1985, Chahrazade en 1988, tous plusieurs fois réédités. Outre la qualité des textes et la beauté graphique de ces livres, il faut signaler qu'ils sont le résultat d'une véritable entreprise familiale, essentiellement féminine, dans laquelle Nacer jouait une sorte de maître d'œuvre entre sa mère et ses sœurs. Cette série d'ouvrages publiés chez un éditeur très à l'écoute des attentes d'un public intellectuel "engagé" peuvent être vus en partie comme un témoin de cet intérêt soudain pour l'oralité dans la contestation de la société industrielle et de la maîtrise par l'écrit qu'elle était censée développer. On pourrait d'ailleurs décrire un phénomène comparable à la même époque en Belgique avec Hamadi (Le Chauve pouilleux, 1988 [70]) : lui aussi publie des contes racontés par sa mère.

Rabah Belamri est connu maintenant comme un des grands écrivains algériens, malheureusement décédé il y a peu de temps. Mais son accession à la littérature est passée également par l'oralité : L'Oiseau du grenadier : contes d'Algérie, 1986 [71], et La Rose rouge : contes de l'Est algérien chez le même éditeur en 1990. Mémoire en archipel, ensemble de récits dans lesquels il établit un fort intéressant passage entre une oralité enfantine et une inscription très forte dans une actualité "adulte" et politique, lui permet en 1990 aussi d'affirmer véritablement une part de l'originalité de son écriture : l'oralité devient ici composante essentielle d'une parole somme toute très grave et poétique à la fois. Edité d'abord chez Hatier, ce recueil sera réédité quatre ans plus tard chez Gallimard, apportant du même coup à l'écrivain la consécration éditoriale qu'il méritait, et lui permettant de développer une œuvre "pour adultes" tout à fait remarquable. Or comme Nacer Khemir, Rabah Belamri est entré en littérature à partir d'une expérience concrète de conteur "sur le terrain", dans des écoles, des bibliothèques ou des lieux d'animation pour la jeunesse. Littérature "pour adultes" et littérature "de jeunesse" sont ici associées par ce mouvement de valorisation de l'oralité auquel on assiste essentiellement depuis la mutation intellectuelle de 1968.

Dans ce contexte on ne sera pas étonnés de voir un écrivain consacré comme Mouloud Mammeri publier lui aussi en 1980 chez Bordas ces deux très beaux petits fascicules que sont Machaho ! Contes berbères de Kabylie, et Tellem Chaho, contes berbères de Kabylie. C'est d'autant moins surprenant que Mouloud Mammeri était aussi l'un des meilleurs spécialistes universitaires de la culture kabyle, à laquelle il a consacré l'essentiel de son activité professionnelle. Mais les publications de textes de tradition orale qu'il avait faites jusqu'ici [72] touchaient plutôt un public universitaire. L'intérêt ici est cette entrée dans la grande diffusion éditoriale par le biais de la littérature dite "de jeunesse" et un éditeur plutôt scolaire. Là encore, cette publication est portée par la dynamique de l'époque, qui voit aussi le développement d'expériences pédagogiques à partir de la tradition orale kabyle dans les collèges et les écoles [73]. Mais on notera que la localisation culturelle "minoritaire" est bien soulignée dans le sous-titre de ces deux fascicules, dans le droit fil de cette valorisation des minorités de tradition orale par opposition aux cultures dominantes qui s'inscrit dans une dynamique particulièrement forte à l'époque.

D'autres écrivains consacrés s'intéressent dans ces années à la littérature de jeunesse, par le biais d'une revisitation de l'oralité. C'est le cas au Maroc de Driss Chraïbi avec la malicieuse série de L'Ane Khal [74] : l'écrivain trouve somme toute dans ce personnage une distanciation humoristique et assez projective qu'on peut comparer à celle de l'Inspecteur Ali. Toujours au Maroc, Abdellatif Laâbi, peut-être du fait d'un décalage chronologique dû à ses huit années de prison politique [75], nous fait un peu revenir en arrière avec Saïda ou les voleurs de soleil [76] : il y utilise le modèle du conte pour enfant, pour développer une puissante allégorie de l'oppression, dans une sorte de théâtralisation du conte qui en a permis un montage théâtral à diffusion militante. D'ailleurs le choix de l'éditeur est également significatif ici puisqu'il s'agit du même dont on avait déjà parlé pour les contes de Dib. Mais si cette dimension militante, toujours nécessaire politiquement au Maroc de cette époque, peut paraître littérairement un peu anachronique, elle nous amène cependant à ne pas oublier que même sous une forme différente de celle du militantisme des années 50 ou 60, cet intérêt consécutif aux remous de 1968 pour des cultures différentes, principalement orales, tout comme pour des pédagogies différentes, procède aussi d'un militantisme dont la forme, simplement, est autre. Le cliché de l'insignifiance politique de la littérature de jeunesse ou de l'oralité a fait long feu. Le politique est toujours présent, même si ce n'est pas forcément au niveau du contenu des textes : ici c'est bien la réception, sans laquelle ces textes ne pourraient se développer, qui est politique.

Littérature de jeunesse et littérature de l'émigration-immigration

C'est donc en partie par une réception politique européenne qu'on peut expliquer que l'émergence la plus significative d'une littérature de jeunesse en rapport avec un horizon maghrébin se fasse à partir du milieu des années 80 dans le contexte de l'immigration, et plus précisément de ce qu'on a appelé "la 2° génération de l'immigration maghrébine en France", ou que d'autres appellent les "Beurs". L'incertitude de la dénomination est d'ailleurs un élément important de cette émergence, véritablement ressentie comme telle par un public qui associe plus ou moins consciemment l'incertitude du statut de la littérature de jeunesse et l'incertitude bien plus grande encore du statut culturel de l'immigration.

L'exemple le plus spectaculaire est ici celui d'Azouz Begag. Son premier roman, semi-autobiographique, Le Gône du Chaâba [77], n'avait pas été écrit comme de la littérature de jeunesse, malgré le "gône" du titre, qui signifie l'enfant dans le parler lyonnais, alors que "chaâba" désigne en arabe le bidonville de banlieue dans lequel ce gône a grandi. Mais il a été publié par les éditions du Seuil dans une collection qui sans être une collection de littérature de jeunesse, propose beaucoup d'études sur la jeunesse et les problèmes de société ou d'éducation. Collection familière aux travailleurs sociaux à qui le livre, comme sa suite Beni ou le Paradis privé [78] ont ainsi été destinés prioritairement. Or ces travailleurs sociaux agissent souvent au point de rencontre entre les différentes identités minoritaires que le titre du premier roman exhibe : l'enfant, l'immigration, la banlieue d'une ville de Province. Et en même temps le roman narrant l'enfance d'un jeune fils d'immigré peut facilement être utilisé aussi comme support pédagogique par des enseignants de banlieue pour faciliter l'intégration scolaire d'une partie souvent marginalisée de leurs élèves. Ce qu'il fut, et est encore souvent, mais qui déclencha à la fin des années 80 une campagne haineuse de la presse d'extrême droite contre les enseignants qui utilisaient ce roman qualifié de pornographique pour pervertir notre belle jeunesse… Alors même que le propos d'Azouz n'était guère politique, la réception de son livre le devint dès lors, rejoignant ainsi ce militantisme indirect de ses premiers lecteurs dont on a parlé plus haut déjà. Choisir d'utiliser Le Gône du Chaâba dans une classe, quelle que soit aussi la part de plaisir que l'on prend à sa lecture, devenait acte politique, par la manifestation implicite d'une position face à l'immigration, devenue dans les années 80 un enjeu politique français majeur.

Il y eut donc bien une sorte d'assimilation de ce roman qui figure parmi les premiers de ce qu'on  appelé la "littérature de la deuxième génération de l'immigration", à la littérature de jeunesse, par le biais d'une utilisation pédagogique ou politique. Or cette "littérature de la deuxième génération de l'immigration", comme toute littérature émergente dans un espace culturel à la définition problématique, recourt souvent à ce garant d'authenticité supposée qu'est le modèle autobiographique, et y privilégie l'enfant comme personnage central, car son univers, entre autres à travers l'école, est un lieu de rencontre parlant entre des modèles culturels différents et parfois opposés. L'enfant apparaît dès lors comme une sorte de caméra pour décrire sans en avoir l'air l'univers des adultes et les problèmes politiques, sociaux ou culturels qui s'y posent. Mais en même temps, on l'a vu en commençant, sa naïveté supposée qui justifie une telle description peut apparaître aussi comme une représentation de l'immaturité littéraire supposée d'une littérature émergente. Littérature à laquelle le public réclame l'authenticité supposée du témoignage, plus que la qualité littéraire. On peut même aller plus loin dans ce sens en pointant comme je l'ai fait ailleurs une sorte de paternalisme inconscient chez un public politiquement favorable à l'expression de l'immigration, et qui refuse à ces textes, qui y perdraient leur "authenticité" supposée, l'élaboration fictionnelle ou plus généralement littéraire, car cette dernière les inscrirait dans l'espace du simulacre et de l'artifice qui est celui de la fiction à prétention littéraire. Le recours au registre "littérature enfantine", avec toute son ambiguïté, participe donc à cette exhibition d'"authenticité" que réclame ce public, et dont le registre moralisant de tous les discours idéologiques instaurant ce que Foucault appelle la tyrannie du vrai, n'est probablement pas absent.

Un survol du restant de l'œuvre d'Azouz Begag montre qu'après cette assimilation de son premier roman autobiographique à l'espace de la littérature de jeunesse plus qu'à cette littérature elle-même, il a développé une grande partie de son œuvre dans cette direction, passant aux éditions du Seuil de la collection Points-virgule à la collection Petit Point : Les Voleurs d'écritures en 1990, Les Tireurs d'étoiles en 1992 développent dans cette direction un humour non exempt de poésie qui n'appartient qu'à cet auteur, et qui s'accordent bien aussi avec le personnage qu'est le sien dans ses prestations publiques. Cette veine de son œuvre a d'ailleurs été si bien reconnue, que son roman Quand on est mort, c'est pour la vie l'a fait entrer en 1994 aux éditions Gallimard, mais avec là encore l'ambiguïté habituelle : la première édition est dans la collection "Page blanche", alors que la réédition de 1998 s'est faite dans la collection Gallimard-Jeunesse. Mais en même temps, porté par cette dynamique, Azouz développe une œuvre "pour adultes" exploitant dans le fantastique transparent cette naïveté apparente : le résultat en est par exemple Les Chiens aussi, peut-être sa meilleure œuvre jusqu'ici, en 1995 [79].

On se trouve donc avec Azouz Begag devant l'œuvre qui illustre peut-être le mieux ce postulat que j'avais annoncé d'une sorte d'émergence parallèle et complémentaire de la littérature de jeunesse à fond maghrébo-immigré, et de la jeune littérature "issue de l'immigration". Les deux registres en fait se fécondent réciproquement chez lui. Ses récits "de jeunesse" sont toujours empreints d'une dimension grave dans le sourire, qui développe un clin d'œil évident vers des lecteurs adultes, et en même temps ses romans "pour adultes" exploitent une apparente et fausse naïveté qui fait partie également du personnage réel de l'auteur, et qui représente tout en l'envoyant gaiement aux oubliettes cette immaturité supposée d'une littérature "émergente".

L'œuvre de Malika Ferdjoukh (citons chez Syros Arthur et les filles, Embrouille à minuit et L'Assassin de papa en 1989, Faux Numéro en 1996 à l'Ecole des loisirs, et la même année La Fille d'en face en Je bouquine) et celle de Jeanne Benameur (Samira des quatre routes, Père Castor, 1992, Ça t'apprendra à vivre, Le Seuil, 1998) ne développent apparemment pas une ambiguïté comparable, puisqu'elles semblent se ranger de façon explicite dans le seul rayon "Littérature de jeunesse". Pourtant là encore les registres sont peut-être, surtout chez Jeanne Benameur, souvent plus graves que ce qu'une attente stéréotypée de littérature de jeunesse le laisserait supposer. Il est vrai que ces textes sont présentés comme s'adressant plutôt à des adolescents. De ce point de vue l'œuvre la plus significative est sans doute celle de Tassadit Imache, publiée d'abord chez Syros, comme Malika Ferdjoukh, pour Le Rouge à lèvres, en 1988, puis chez Calmann-Levy pour Une Fille sans histoire en 1989. Indépendamment de la qualité littéraire indéniable de ces romans, qui se développera en 1995 avec Le Dromadaire de Bonaparte et en 1998 avec Je veux rentrer [80], lesquels ne relèvent plus de la "littérature de jeunesse", c'est sur les titres des deux premiers romans qu'on s'interrogera ici. Tous les deux reposent en effet sur ce que j'appellerai un malentendu signifiant, puisqu'ils semblent désigner une problématique somme toute banale d'adolescentes en mal d'émancipation, alors que leur sujet est au contraire la douloureuse reconquête d'une mémoire de la guerre d'Algérie par une fillette et une jeune fille actuelles. Car le rouge à lèvres est celui de l'étrangère venant venger son village algérien que le père de l'enfant a fait massacrer pendant la guerre, cependant que l'histoire que n'a pas l'héroïne de l'autre roman est sa mémoire familiale tronquée.

 

Je dirai pour finir quelques mots de l'œuvre de Leïla Sebbar. Cette œuvre me semble une de celles qui illustrent le mieux cette fonction productrice de l'ambigu dont je voudrais faire une des catégories sémantiques les plus fécondes dans cette contestation permanente des cadres de définition, tant de l'identité que des genres par les textes, dans laquelle je vois une des conditions d'un renouvellement nécessaire de notre perception de la littérature par ce qu'on appelle faute de mieux les "littératures émergentes". L'œuvre de Leïla Sebbar s'est toujours attachée aux espaces de parole non reconnus par l'institution. La parole féminine à la fin des années 70, avec On tue les petites filles [81] puis celle des femmes algériennes de l'émigration avec Fatima ou les Algériennes au square [82] avant celles de leurs filles, dont la plus célèbre sera chez elle Shérazade, 17 ans, brune, frisée, les yeux verts [83]. Puis celle de toute une mosaïque d'adolescents immigrés des deux sexes et de toutes origines ethniques dans de nombreux autres romans et nouvelles. Celle aussi de ce vieil émigré au seuil de sa mort dans ce superbe roman grave qu'est Le Silence des rives [84] en 1993.

C'est donc tout naturellement qu'elle créera également des personnages d'enfants, ou plutôt de jeunes adolescents aux prises avec les difficultés propres à leur âge, mais aussi avec celles du monde adulte qu'ils découvrent, comme la guerre (pas seulement celle d'Algérie) dans Soldats [85] ou La Seine était rouge [86], poignant retour de la mémoire du massacre d'algériens en octobre 1961 à Paris dont la préfecture de police était dirigée alors par un certain Maurice Papon... D'ailleurs même si ces textes sont publiés dans des collections "jeunesse", les enfants ou les adolescents n'en sont pas nécessairement les personnages principaux ou centraux. Cet encadrement plus éditorial que justifié vraiment par le contenu montre en tout cas que la différence entre littérature "de jeunesse" et littérature "d'adultes" n'a plus ici beaucoup de sens. D'ailleurs la collection Seuil-Jeunesse dont il est question parmi d'autres n'a-t-elle pas supprimé récemment son titre pour effacer une distinction devenue de moins en moins signifiante, ce qui oblige les libraires à préciser à l'inverse pour certains livres de Leïla Sebbar "A partir de 14 ans" ? Le label "jeunesse" dès lors ne semble plus apparemment recouvrir que la différence formelle par rapport au roman, qu'introduisent les récits courts ou les nouvelles, quels qu'en soient les thèmes. On sait en effet que le roman est le genre littéraire dominant dans l'édition française, qui est souvent réticente à publier des nouvelles. Le label "jeunesse" me semble ici justifier davantage la publication d'un genre narratif qu'on trouve plus souvent en revues qu'en volumes, que les contenus de ces récits. Et la fluidité de ce genre s'adapte fort bien à une problématique d'émergence, car la nouvelle est un genre moins institutionnalisé en France que le roman. Certes, l'auteur n'est pas ici seul responsable de cette évolution éditoriale. Mais la confusion des genres comme des publics est bien dans la ligne de cette œuvre perpétuellement en quête de voix réelles dans notre société, et cependant inaudibles parce que n'entrant pas dans les cadres d'expression balisés par l'institution littéraire. D'ailleurs Leïla Sebbar a non seulement publié un très grand nombre de nouvelles dans des périodiques, mais rassemblé à son tour dans des volumes dirigés par elle [87] des nouvelles ou des textes courts écrits par d'autres écrivains, effectuant de ce fait une sorte de promotion de ce genre injustement méconnu en France, alors qu'il est beaucoup plus familier aux lecteurs de littérature arabe qui ressentent toujours le roman comme genre occidental.

L'œuvre de Leïla Sebbar, qui n'est pas non plus assimilable à ces jeunes écrivains issus de l'Immigration dont j'ai parlé plus haut, va ainsi plus loin, en ce qu'elle est toute entière inscrite dans cet ébranlement des frontières de la littérature auquel ces jeunes écrivains néanmoins contribuent, du fait entre autres de leur classement identitaire impossible, dans une société qui ne sait toujours pas quel statut donner à son immigration. Elle nous amène à instaurer avec la littérature comme discours institué ne sachant pas beaucoup mieux assimiler les trouvailles de la "littérature de jeunesse" que les ébranlements de l'interrogation culturelle qu'entraîne l'immigration, une sorte de joute salutaire. Cet ébranlement n'est-il pas une des conditions pour que la littérature trouve encore mieux cette fonction qui a toujours été la sienne : trouver les mots pour dire l'indicible, et particulièrement des réalités culturelles non encore balisées ?


L’Ecole d’Alger: une spore de la colonisation

 

Rosalia BIVONA (Palerme)

 

Imaginons de pousser une porte devant nous, un espace dont nous n’arrivons pas à prévoir l’extension s’ouvre à nos yeux, pour avoir une perception de ce lieu nous serons donc obligés de pousser notre regard jusqu’à la limite des murs, à avancer en franchissant des seuils. Cela ne signifie pas seulement adhérer à un espace, mais aussi s’en détacher, voilà ce que l’Ecole d’Alger [88] a fait. Il s’agit d’un phénomène littéraire aux contours flous, indéfinissables, situé dans un espace liminaire entre littérature coloniale, littérature française et littérature algérienne. En tant que fruit de la colonisation l’Ecole d’Alger peut être considérée comme un instrument d’acculturation; elle a eu aussi bien une fonction charnière entre deux civilisations, deux lieux géographiques et deux moments historiques, qu’une fonction d’inoculum: elle a permis la greffe en terre algérienne de ces écrivains de matrice méditerranéenne et donc on lui doit aussi d’avoir amorcé le processus de développement d’une nouvelle sensibilité littéraire, c’est-à-dire la future littérature algérienne d’expression française. Comme toute littérature née du phénomène et dans le contexte colonial, elle a fait jaillir des seuils et des frontières une parole absolue et essentielle, emblématique d’un monde intermédiaire, voilà pourquoi elle a toujours été étudiée selon des approches multiculturelles. Le métissage dans toutes ses manifestations s’est révélé une clé interprétative fiable et précise comme un bistouri, tous les écrivains ont su en tirer de grandes richesses interprétatives et on su inventer des identités polymorphes justement en jouant avec la superposition et sur l’indétermination de lieux et de personnages. Toutefois il ne faut jamais oublier que entre deux ou plusieurs cultures, langues, sociétés, espaces, malgré toutes les contaminations possibles, il existe toujours une lacune différentielle que l’on ne peut pas combler.  Dans un espace conflictuel la greffe seulement permet d’échapper à l’implacable logique binaire. Les échanges entre Algérie et France, les métissages, ont eu lieu grâce à des éléments intermédiaires, qui transitent entre ces deux pôles.

Littérature comme espace de médiation où s’engendrent de nouvelles littérarités  et de nouveaux imaginaires dont la vitalité réside justement dans leur capacité de distancer les deux blocs partagés géographiquement par la Méditerranée. Et ce n’est pas un hasard si cette mer représente justement l’espace de la frontière/seuil, l’espace de l’entre. L’entre: “métaphoriquement préposition dilatatrice et conciliatoire, chargée de potentialité, à différence de la barre impérieuse de l’antithèse, de l’aut/aut qui ne laisse pas de place à la médiation, mais seulement à la synthèse.” (Cabibbo, 1993, 13)

On a du mal à attribuer l’adjectif colonial à l’Ecole d’Alger - cet indéniable instrument de médiation entre deux espaces géographiques séparés par la Méditerranée, deux moments historiques séparés par l’Indépendance, deux littératures une sur l’Algérie et l’autre de l’Algérie - tout simplement parce que son rôle se limiterait à être un instrument de l’acculturation, mais à l’intérieur de l’acculturation on peut parler de “culture de nécessité” [89]. Les représentants de l’Ecole d’Alger sont des écrivains qui se sont exprimés avec une création littéraire née dans un espace qui n’était pas en “harmonie spontanée” avec la langue utilisée, et pourtant, paradoxalement, ce sont des écrivains algéro-français non conflictuels qui ont dit un espace “autre”, différent de celui franco-français.

L’auteur qui ouvre l’Anthologie des Ecrivains Français du Maghreb d’Albert Memmi, Gabriel Audisio ‑ né à Marseille d’une famille de douaniers piémontais, aristocrates roumains, bourgeois flamands et typographes niçois ‑ chante un hymne à la Méditerranée, sa mer, cette mer où la rive Nord et la rive Sud deviennent spéculaires et l’implication sémantique est telle que l’on perd les connotations purement géographiques: c’est une mer que l’on ne peut localiser sur aucune carte et aucun planisphère, et pourtant c’est bien la seule susceptible de déterminer une ligne nécessairement fluide et flottante qui sépare le dire et le dit, l’homme et la femme, l’exile et l’enracinement. Après Audisio suivent Jacques Berque, Louis Bertrand, François Bonjean, Edmond Brua, Jean Brune, Albert Camus, Roger Curel, Isabelle Eberhardt, Claude de Fremiville, Gabriel Germain, René Laporte, Marcel Moussy, Auguste Musette, Jean Pélégri, Robert Randau, Emmanuel Roblès, André Rosfelder et en dernier Jules Roy. Quel dénominateur les rapproche? L’amour pour l’Algérie et le fait d’être “écrivains de frontière”. Tous, vaincus ou vainqueurs, portent en soi le levain de l’aliénation. Leur écriture est une écriture de révolte, chargée de nostalgie, incapable d’imaginer un monde nouveau, peut-être parce que écrire signifie surtout savoir de ne pas être dans la Terre Promise et de ne pouvoir jamais y arriver, mais continuer le chemin dans sa direction, à travers des espaces inconnus. Ces auteurs de matrice “européenne-méditerranéenne” tout en n’ayant ni d’orientations ni de préoccupations communes, ils ont amené le virus de l’existentialisme, de la Nausée noire, comme quelqu’un l’a appelée; ils ont amorcé le problème de l’étrangeté, du héros problématique.

L’Anthologie est un instrument précieux pour qui veut entendre les premiers vagissements de cette littérature - surtout pour ce qui concerne la production des années 1930‑35: période anodine pour la Tunisie et le Maroc, mais fondamentale pour l’Algérie parce que marquée par des figures d’Algérianistes comme Isabelle Eberhardt, Robert Randau et beaucoup d’autres encore - mais ce qui frappe le plus dans les pages d’introduction - intitulées à juste titre “Une littérature de la séparation” ‑ c’est que, malgré le hiatus entre “colonisateurs” et “colonisés”, les écrivains algériens et les écrivains “européens-méditerranéens” avaient quelque chose en commun: la faillite, la défaite. Dans ce nuage qui enveloppait les choses dans une nappe grise et opaque, dans ce cocon où le papillon ne peut pas s’épargner la douleur de la métamorphose, voici le stylo réussir à créer une déchirure, trempant, bon gré mal gré, dans une encre tempérée par toutes les composantes de la méditerranéité, par la haine et l’amour, par l’aliénation et le déracinement. Selon Albert Memmi (1969, 20) la littérature est fondamentalement l’expression de fatalités plus ou moins subjectives; or, justement  parce que la littérature algérienne est née d’une situation inextricable, elle arrive à produire des  oeuvres qui sûrement occupent une place de relief parmi tout ce qui a été écrit en langue française.

L’Ecole d’Alger a réussi à créer un débat, une discussion entre colonisateurs et colonisés, mais comme dit Roland Barthes, “parler, et à plus forte raison discourir, ce n’est pas communiquer, comme on le répète trop souvent, c’est assujettir: toute la langue est une rection généralisée.” (1978, 13) La définition du terme acculturation [90] met en exergue le processus qui permet à un fait culturel bien précis d’une société déterminée de pénétrer à l’intérieur d’un autre territoire en le modifiant. Or, cette modification nous l’appellerons greffe, car, selon nous, ceci est le rôle qu’il faut attribuer à l’Ecole d’Alger. Née en terre d’Algérie elle y prendra pied tout comme un fruit qui, une fois détaché de la branche et tombé par terre, se transforme, donne vie à une autre plante, dans un espace propre, et, certainement, ne reviendra plus à la branche originaire.

Quel écrivain algérien n’est pas le fruit d’une greffe? De Camus à Kateb Yacine et de Rachid Boudjedra à la littérature beur ce n’est qu’un parcours de greffes et de boutures. La notion de greffe, pour une plante, un arbre, un organisme, est quelque chose de beau et de nouveau, même si à la base il y a une blessure. Kateb Yacine a dit une fois: “les greffes douloureuses sont autant de promesses”. Pélégri dans son Le Maboul (1963) fait recours à la métaphore de la greffe pour souligner une situation chargée de frictions qui ne s’est toujours pas harmonisée: quand le Français pourra-t-il se greffer sur l’Arabe? Dans ce roman la catégorie la plus interpellée est celle de la  nature: les quatre éléments - la terre avec ses composantes, l’eau, l’air et le feu - et les trois mondes. Cette lecture est représentative des référents employés pour établir des similitudes, ainsi les vendangeurs sont comparés aux corbeaux, les ouvriers saisonniers sont comme les mouches, et les Arabes, en général, sont comparés aux chacals. Le réseau d’analogies s’organise donc au tour des quatre éléments mais avec une prédilection pour la terre qui représente l’univers colonial concret, a qui tout appartient: le végétal, l’animal et le minéral. Le végétal est le symbole de l’enracinement, la métaphore de la greffe  le souligne sans équivoque. La séquence la plus importante est celle du meurtre de Saïd; Slimane se dirige vers le figuier, celui que M’sieur André lui a appris à greffer. Grimpé sur ce figuier, il assiste impuissant au meurtre du neveu et de métaphore en métaphore Pélégri exprime sa passivité, son fatalisme et son ambiguïté. Voici ce qui se passe avant le meurtre: “Dans l’arbre, il était devenu le morceau de l’arbre, la branche, et peut-être en même temps la pierre...” (p. 85). Ensuite, en italique, nous lisons:

A côté, tout seul dans le soleil, y avait qu’un vieux figuier greffé il y a longtemps, qui bouge pas, tout seul au milieu des vignes, de la plaine - sous l’soleil qui quitte maintenant le milieu de la balance - un vieux figuier qui se dit, qui se répète: ‘D’habitude Slimane, il vient que le soir, que le soir... (pp. 91 - 92).

Et enfin

au bout d’un moment, dans l’arbre, la grosse branche s’est mise à remuer un peu, en même temps que l’odeur des feuilles autour (...) Slimane, bientôt s’était un peu séparé de l’arbre. Il avait commencé à se dégreffer (...) Alors tu te quittes des branches, tu descends, tu te dégreffes pour de bon du figuier (p. 94).

Pélégri, le long du roman, insiste sur les dyades et les dichotomies de l’Algérie, par exemple quand il décrit la double nature de l’Arabe en ces termes:

L’Arabe quand on pense, il a comme deux têtes: une pour la montagne, une pour la ferme. Comment il va choisir? Il est si tu veux comme le tronc de l’arbre à qui on met les deux greffes: d’un côté il donne la prune, de l’autre les figues. Si on n’en coupe pas la moitié (et c’est pas bon de couper la branche quand elle donne le fruit) obligé qu’il donne les deux... (p. 190).

Dans ce cas la greffe opère, agit sur deux corps à la fois et, en fonction de l’histoire elle sera obligée d’en tuer un pour nourrir l’autre. Les représentants de l’Ecole d’Alger se sont greffés dans la littérature algérienne sans y avoir été tout à fait intégrés et ils vivent dans la tension qui d’un côté les attire vers l’intégration ‑ Pélégri se sent lésé pour n’avoir été inclus parmi les auteurs algériens,  lui, l’auteur d’un roman comme Le Maboul, lui, appelé par les Algériens mêmes à collaborer à la revue Novembre, la première après l’Indépendance - et de l’autre vers la littérature française, comme a été le cas de Camus.

Souvent ces écrivains, tout en étant au centre d’un carrefour, finissent par se sentir dans une voie sans issue aussi bien parce que c’est comme s’ils “usurpaient” la nationalité française aux Français et la nationalité algérienne aux Algériens, que parce qu’ils n’ont pas de public naturel. Pélégri est incapable d’écrire en dehors de l’Algérie, même s’il n’y vit plus. C’est un écrivain de réserve, comme au Canada il y a les réserves des Indiens, où l’on va par curiosité,  sans leur assigner aucune place. La différence n’est pas intégrée à la totalité, il s’agit d’une différence à l’intérieur d’une marginalité.

Bref, l’Ecole d’Alger, bien que de matrice européenne et donc colonisatrice, contrairement au courant des Algérianistes, n’a pas produit une littérature que l’on peut définir “coloniale”, mais elle a permis le développement de la littérature algérienne en lui imprimant un dynamisme et un mouvement capable de développer deux forces: une centrifuge et l’autre centripète, toutes les deux porteuses de marginalité. Une marginalité où seront relégués d’un côté les représentants de l’Ecole d’Alger et de l’autre le premiers écrivains algériens fruit de cette greffe.

Pour Jacques Derrida la greffe est une

violence appuyée et discrète d’une incision inapparente dans l’épaisseur du texte, insémination calculée de l’allogène en prolifération par laquelle les deux textes se transforment, se déforment l’un par l’autre, se contaminent dans leur contenu, tendent parfois à se rejeter, passent elliptiquement l’un dans l’autre et s’y régénèrent dans la répétition, à la bordure d’un surjet. Chaque texte greffé continue d’irradier vers le lieu de son prélèvement, le transforme aussi en affectant le nouveau terrain. (1972, 395).

Selon ce concept aussi bien le processus amorcé par la colonisation que l’effet produit par l’Ecole d’Alger sont évidents: le premier moment de la greffe consiste dans la création d’une ouverture, d’une déchirure, il s’agit d’une violence parce que l’introduction d’un corps, d’un agent étranger, comporte une blessure, une ouverture forcée du tissu même, un dépassement de la barrière protectrice. C’est une violence insistée, qui présuppose une pression et un mouvement continu. Ce n’est pas un acte instantané, mais le résultat d’une application continue et contrôlée. A l’ouverture pratiquée sur la surface suit l’application de l’agent extérieur, l’allogène, le tissu né et poussé à l’extérieur du corps est implanté. On opère ainsi une interaction, une transformation réciproque. Cette transformation n’est pas une simple superposition, une addition des traits et des propriétés d’un organisme/texte sur un autre. On ne crée pas un mélange qui porte en soi les traces de ses éléments par simple assemblage ou association mécanique. Le nouvel organisme est une unité née d’une croissance interne où les germes extérieurs se nourrissent et se reproduisent dans un corps vivant. La différence initiale engendre une transformation où l’on perd de vue les traits distinctifs des deux individus, transformation non seulement extérieure, mais aussi perfusion, mélange de fluides vitaux, contamination du patrimoine génétique même.

Pour  que la greffe ait du succès il faut que le fil de suture permette l’incorporation graduelle, partielle. Cette phase a été pour la littérature algérienne la plus douloureuse, elle a engendré l’aliénation. La nouvelle croissance aura lieu le long des points de contact là où les deux pans sont unis par un surjet qui alternativement passe de l’un à l’autre, ce passage et cette incorporation a lieu au moment même de la couture, selon une génération en prise directe.

Le rôle de l’Ecole d’Alger ne va pas au delà, car l’évolution successive concerne le fruit de la greffe, c’est-à-dire la littérature algérienne d’expression française; de toute manière une chose est certaine: l’Ecole d’Alger a diffusé ses spores, au point que, comme Derrida affirme, “Enté en plusieurs lieux, chaque fois modifié par l’exportation, le scion en vient à se greffer sur lui-même. Arbre finalement sans racine.” (1972, 396)

Frontière et exterritorialité

Parler de greffes et de frontières signifie percevoir les passages entre des espaces limités, distincts, selon des dynamiques qui permettent des échanges, des développements; bref, à chaque bipolarité ou dichotomie correspond une greffe et chaque frontière est telle seulement parce que franchissable et capable de favoriser l’empiétement, d’où la définition de “écrivains de frontière”:

Par frontaliers nous entendons ici les individus ou les groupes qui habitent la frontière symbolique entre des sociétés placées en situation d’antagonisme ou d’exhibition de leurs différences. (...) Toute frontière a ses gardes mais aussi ses ‘passeurs’ et ses ‘frontaliers’ (...). Nous sommes partis de l’hypothèse que les ‘frontaliers’ étaient pour partie le produit d’un univers mental des rapports franco-maghrébins et particulièrement franco-algériens, qui déborde le contexte colonial et poursuit ses effets encore aujourd’hui, un univers mental composé de références communes, de ‘mixtes’ contradictoires (...) mais aussi de clivages, de frontières symboliques par rapport auxquelles se définissaient les identités et les représentations collectives, ainsi que nombre de conduites individuelles. (J.-R. Henry, 1993, 301-311).

L’histoire franco‑algérienne est dense de situations de frontière, aussi bien concrètes que symboliques, celles-ci sont incarnées individuellement, comment établir une base commune? Comment établir des concepts biens plus généraux tels que, par exemple, celui de culture? Qu’est-ce que culture et qu’est-ce que littérature dans les années Quarante? Si la culture se compose d’une quantité de traits, comportements et caractéristiques aussi bien sociaux qu’individuels et un de ses dérivés est la littérature quelle sera l’identité de cette dernière? En résumant une pensée de Bakhtin: on ne peut pas imaginer la culture comme une entité spatiale pourvue de frontières, ni comme une territoire intérieur. Il n’y a aucun territoire, la culture n’est faite que des frontières, qui  passent partout, qui la traversent dans chacun de ses aspects. Tout acte culturel vit fondamentalement sur des frontières, voilà pourquoi il est important, parce que au delà de celles-ci il devient vide, arrogant, il dégénère rapidement et meurt (Cfr. Bakhtin, 1978, 40-41).

Parler de ‘littérature de frontière’ signifie considérer la variété des comportements qui donneront le statut de médiateurs culturels aux représentants de l’Ecole, mais Camus, Roblès, Audisio, Pélégri sont en réalité, des marginaux par rapports aux deux sociétés. La marginalité, nous explique Jean‑Robert Henry (1993, 310-311) n’est pas seulement une caractéristique  de l’écrivain de frontière, mais aussi une condition d’efficacité parce qu’elle lui permet de prendre ses distances des valeurs particulières de sa société d’origine: c’est un instrument nécessaire pour individualiser la centralité et pour dialoguer avec elle. Le marginal, et comme lui ‘l’écrivain de frontière’ est un miroir pour la pluralité sociale à laquelle il appartient et ces moments pluriels d’identité engendreront le phénomène de métissage. Cela comporte, surtout dans les premiers textes de littérature algérienne, un mouvement qui à partir d’une pluralité originaire débouche dans l’homogénéité fournie par la langue française. Le Maghreb est un lieu intersémiotique par excellence et sa littérature en est le produit pluridimensionnel, qui doit être vu comme un horizon de pensée propre puisque - comme dans un entonnoir - y confluent toutes les composantes de la ‘méditerranéité’.

Pélégri se situe dans une originalité particulière, mais son témoignage est-il vraiment conforme à ce qu’il écrit? Il dit qu’il pense en arabe, qu’il écrit en français, ecc. [91], mais est-ce tout à fait vrai dans son esthétique profonde? Ou bien s’agit-il seulement d’une projection, d’un fantasme?

Une société ainsi composée de différentes ethnies et de différentes valeurs se reflète aussi dans chaque individu qui devient à son tour multiple et multiforme. Hédi Bouraoui a forgé le terme créacu1ture justement pour mettre l’accent sur la créativité de nouvelles valeurs élaborées grâce à l’interaction multiforme et polidirectionnelle entre l’homme et le milieu qui l’entoure (1971 e 1990).

L’espace référentiel de ces écrivains est certainement l’Algérie; selon J. E. Bencheikh (1967) ce sont des écrivains étroitement liés à leur terre et cependant ils ne se sont jamais sentis comme appartenant à cette nation étant profondément enracinés dans la communauté française. Leur école c’est une école d’écrivains français en Algérie. De même les écrivains algériens qui se sont transplantés en France, reçoivent sans aucun doute certaines influences, mais ils ne deviennent pas pour autant des écrivains français. Les écrivains appartenants à l’Ecole d’Alger tout en étant de matrice européenne, cueillaient à pleines mains dans l’imaginaire arabe; peut-être ne se sentaient-ils pas de faire partie à cent pour cent de cette nation, mais au point de vue littéraire nous nous trouvons face à des oeuvres telles que par exemple Les hauteurs de la ville d’Emmanuel Roblès, un roman algérien jusque dans ses fibres les plus profondes. On doit à la production d’auteurs comme Roblès d’avoir permis la rupture avec une littérature plate et mièvre, dépourvue de vigueur, idéologiquement soumise, pleine de stéréotypes, cette littérature qui décrivait “l’orient de pacotille” dont parle Mouloud Feraoun, dont Audisio, Camus, Roy, Roblès et d’autres se sont détachés en se posant la question: qui suis‑je? [92] et en obligeant les autres à se la poser.

De la sève vitale de l’Ecole d’Alger naissent Nedjma, de Kateb Yacine ou L’Incendie de Mohammed Dib. La filiation de Kateb par rapport à Camus est évidente si on la considère d’un point de vue opposé: en Nedjma les composantes de la violence coloniale sont mises en scène au début du roman: Lakhdar s’est évadé, il avait été arrêté pour avoir frappé Mer Ernest, son acte le glorifie aux yeux de ses compatriotes et avec le narrateur, le lecteur aussi prend le parti du colonisé.

En dernière analyse l’Ecole d’Alger offre un large éventail d’éventualités et “les fantômes des livres successifs” invoqués par Julien Gracq continuent à habiter aussi bien Nedjma quee L’Invention du désert de Tahar Djaout ou bien Si diable veut de Mohammed Dib.

L’écriture naît toujours d’un vide, d’un manque, d’un besoin et il en a été aussi de même pour la littérature maghrébine. Comme stimulés par les écrivains “européo‑méditerranéens” [93] les autochtones ont senti le besoin de dire qui ils étaient au moyen d’une écriture réaliste, documentaire, car pour être sûrs de dire la vérité, ils devaient parler de ce qu’ils connaissaient bien. Dib, algérien; Mammeri, tunisien; Chraibi, marocain, éprouvent le même besoin: celui de témoigner leurs drames.

Une preuve de la greffe de l’Ecole d’Alger sont les revues comme “Fontaine” née dans l’entourage de Max‑Pol Fouchet, ou bien “Forge” fondée par Roblès, “Soleil” fondée par Sénac, “Progrès”, “Simoun”. Tout le Maghreb est secoué par le même ferment; au Maroc naissent en 1966 “Lamalif” e Souffles [94]. Ces revues se lancent contre la littérature précédente, sclérosée, pétrifiée, favorisant la naissance d’une nouvelle génération d’écrivains et de poètes [95]. L’Ecole d’Alger a donc été capable d’imprimer un mouvement qui, comme le montre Gilles Charpentier dépend de deux forces opposées: l’une centrifuge et l’autre centripète; toutes les deux coexistent, leur friction est source d’énergie, mais si on atteint le point critique les conséquences sont dramatiques.

L’action de ces forces est perçue aussi bien au niveau du contenu que de la forme car l’emploi de la langue française est porteur d’aliénation:

Il y a là une force d’amnésie en abîme - nous dit Khatibi - la substitution d’une mémoire à une autre, ou plutôt et plus exactement: un enchâssement sans cesse rompu, retourné, détaché de son unité, mouvement pris dans son oubli vertigineux, qui travaille à se fragmenter sans fin. La question théorique est la suivante: si l’on écrit en français alors que la langue première est demeurée orale, que devient le corps du rêveur quand il dort ou écrit? (Khatibi, 1985, 185)

Toute la littérature maghrébine en général trouve sa raison d’être ans cette pulsion centrifuge excentrique et iconoclaste qui projette dans un lieu autre et différent - qui n’est pas seulement celui de la langue française, dans l’espace protéiforme de l’indicible et de l’interdit - fragments de texte.

Une ligne de vie, de fuite et de création, lézarde toujours l’enclos du spécifique, de la mythique pureté d’origine, et mille autres germent. A revers des mortelles passions de l’appartenance et de l’enracinement, des lignes d’extraterritorialité se dessinent, et les réseaux de passeur agencent leurs bigarrures. Poussées, graminées. Non pas lignes de séparations, de destruction, et de mort, mais lignes de chance, porteuses d’inédit, métisses et inventrices, de l’inédit de proximités en acte, de l’inédit des proximités à venir. (Prieur, 1987, 38)

Bref, l’Ecole d’Alger et avec elle la notion d’acculturation, nous permet de voir les oeuvres successives du point de vue génétique et évolutionniste, non pas fossilisées le long de la fissure entre le monde traditionnel et une société agressive, colonisatrice. A la notion d’acculturation suit la notion d’héritage qui oblige à se charger critiquement du passé. Ainsi, même si les images et les mythes forgés par le colonisateur ont été renvoyés au colonisé afin de lui imposer une certaine vision de sa propre histoire et de sa propre culture, ce dernier a réussi à prendre la parole et de objet du discours il en est devenu le sujet. La prise de parole bien que lestée des mythes et des images de l’autre a comporté un profond processus de désaliénation, et si dans ces pages nous nous sommes tournés vers l’Ecole d’Alger ce n’est pas par complaisance mais parce que ce “passé récent” est encore producteur d’effets et révélateur de quelques complexités du présent.

 

Bibliographie

Achour, Ch. (1982), Langue française et colonialisme en Algérie: De l’abécédaire à la production littéraire, Thèse, Paris 3.

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Barthes, R. (1978), Leçon, Seuil, Paris.               

Bencheikh, J.‑E. ‑ Lévi-Valensi, J. (1967), Diwan Algérien, Hachette-SNED, Paris-Alger.

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Bouraoui, H. (1971), Créaculture I e II, Marcel Didier, Philadelphia ‑ Montréal.

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Charpentier, G. (1977), Evolution et structures du roman. maghrébin de langue française, Université de Sherbrooke, Thèse.

Déjeux, J. (1972), “Littérature Maghrébine d’expression française. Le regard sur moi‑même. Qui suis‑je?” in Présence francophone, n 4, Naaman, Sherbrooke.

Déjeux, J. (1979), “La revue algérienne Soleil (1950‑1952) fondée par Jean Sénac et les revues culturelles en Algérie de 1937 à 1962”, in Présence Francophone, n. 19, Naaman, Sherbrooke.

Déjeux, J. (1992), La littérature maghrébine d’expression française, PUF, Paris.

Derrida, J. (1972),  La dissémination, Seuil, Paris.

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Khatibi, A. (1985), “Incipits”, in AA. VV., Du bilinguisme, Denoël, Paris.

Henry, J.‑R. (1993), “Les ‘frontaliers’ de l’espace franco‑maghrébin", in AA.VV. Etre marginal au Maghreb, CNRS Editions, Paris.

Lacheraf, M. (1965), Algérie, nation et société, Maspéro, Paris.

Memmi, A. (sous la direction de) (1969), Anthologie des Ecrivains Français du Maghreb, Présence Africaine, Paris.

Prieur, J.-M. (1987), “La ligne du Passeur", in Cultures et peuples de la Méditerranée. Visions du Maghreb, Actes du colloque de Montpellier, Edisud, Aix‑en‑Provence.

Pélégri, J. (1963), Le Maboul, Gallimard, Paris.

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Pélégri, J. (1989), Ma mère, l’Algérie, Laphomic, Alger.

Randau, R., (1911)  Les Algérianistes. Roman de la patrie algérienne, Sansot, Paris.

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Tenkoul, A. (1990), “Souffles: de la critique à la modernité”, in Ecritures Maghrébines ‑ Lectures croisées, Afrique-Orient, Casablanca.

 


Quelques remarques sur l'écrivain et son contexte

Elizabeth G. MENDOZA (Argentine)

J’ai envoyé à notre ami Larbi Graine un premier travail sur la femme dans le micro univers “arabo-musulman” d’après des textes littéraires. Cette première approche de la littérature nord-africaine, que Marcela Costanzo et moi avions entreprise, date de 1991 et n’avait d’autre prétention que celle de faire part à nos collègues argentins d’une région, ou plutôt d’un champ littéraire, peu connu dans notre pays.

J’ai bien apprécié les remarques de Larbi à propos du rapport de fidélité écrivain – contexte et ses questions nous mènent dans un entre-deux que Camus, ainsi bien que Sartre ou Serhane,  a su expliciter lors de son Discours de Suède: L’artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher.

“Beauté” et “communauté” tiennent , à mon avis, de la métonymie, en disant et l’esthétique et la vérité métaphorique dont parle Paul Ricoeur. Toute séquence textuelle est un intertexte, instituant une opération de dévoilement fascinante; et tout énoncé présuppose une série d’implicites personnels et institutionnels que le lecteur n’est pas toujours à même d’expliciter, soit par ignorance soit par convenance.

Quand on entre dans un texte littéraire, il est une première quête: celle du plaisir. On aime ou on n’aime pas. Même quand cette lecture est une contrainte scolaire, on ne saurait oblitérer cette attente de la beauté et du goût partagé avec le narrateur. Cependant, le goût, de même que l’œil, est un produit historique et les anticipations jouent différemment et arbitrairement selon notre habitus et le texte ou l’écrivain à aborder. Et il ne faut pas oublier qu’on lit par “bonds” qui seront aléatoires d’après nos motivations, notre vécu ou tout simplement notre état d’âme.

Dès lors, l’”aixo era et no era” des conteurs majorquins est en jeu et se reproduit dans chaque texte. Et dans cet enjeu, la subjectivité de l’écrivain et celle du lecteur se télescopent pour en venir à une ou à des interprétations que, selon U. Eco, sont légitimes pourvu qu’”il (le lecteur) se refrène chaque fois que le texte cesse d’approuver ses par trop libidinales élucubrations

Une deuxième entrée dans le texte serait soutenue par des motivations diverses: pédagogique, sociologique, ethnologique, historique .... et un processus d’objectivation s’avère nécessaire a fin de ne fausser le discours. En outre, selon l’univers de référence des données supplémentaires et alternatives deviendront un outil incontournable. Mais le plaisir est toujours là, il nous guette, il nous oriente. L’essentiel est d’essayer de ne pas sombrer dans “l’illusion du savoir immédiat”.

La vérité n’est pas une entité homogène, elle est multidimensionnelle et réticulaire, comme M. Foucault, l’a bien expliqué. Les regards se croisent pour ne nous dire que des perceptions: celle de l’écrivain et de ses partenaires textuels et leur support rhétorique se joignant pour conjurer l’ennui, le désespoir, la solitude ou l’indifférence de leur partenaire distant, le(s) lecteur(s).

D’ailleurs, la littérature possède une dimension politique. Je me souviens du dialogue entre J.Goytisolo et G. Grass à propos de la littérature, publié dans “Le Monde diplomatique”. Et je reprends la question depuis un lieu différent: que peut la littérature maghrébine, ou d’autres littératures minorées par certains schémas de la mondialisation, si l’on tient compte de nouveaux régimes de signification des objets culturels et des identités plurielles.

Si l’apprentissage constitue un processus d'acquisitions de distances chrono - logiques et d'exploration de l'étrange et il est balisé par des connaissances et des savoirs ayant rapport à la créativité, au raisonnement logique et mathématique et aux itinéraires langagiers - linguistiques, discursifs et esthétiques - pertinents pour les champs sociaux, technologiques et politiques, la littérature ne serait-elle pas l’une des voies pour y accéder? Qui saurait nier un apport pareil à la construction de ce qu’on appelle des “apprentissages socialement significatifs? Qui saurait nier le plaisir éventuel de la rencontre et de la conversation, selon les propos d’Hélé Béji, par le texte, avec un “Autre”, ses goûts et ses refus, similaires ou divergents? Sans oublier que la littérature peut devenir un “déclencheur” pour d’autres activités, ludiques ou non, et un seuil vers la neutralisation des asymétries sociales qui constituent autant d’écueils pour l’épanouissement du sujet? Mais cela ne va pas de soi, il faut de la volonté politique pour que la seule formation pour l’emploi ne se taille la part du lion, en oubliant que l’être humain est un sujet de droit et de désir. Nier la nécessité de s’inscrire socialement, aussi par le travail, est une myopie, nier la nécessité de plaisir et de fantaisie du sujet est  une injustice.

Bref, n’existerait -il pas une sorte de convergence entre ce “bohémien de la parole” qu’est l’écrivain et la politique en tant qu’art d’offrir de l’espoir?

 


 Activités des équipes

IISMM : Institut d’Etudes de l’Islam et des Sociétés du Monde Musulman (Paris, EHESS)

Présentation et activités : http://www.ehess.fr/centres/institut/

 

CCLMC    
(Coordination des Chercheurs sur les Littératures Maghrébines et Comparées, Maroc)

Programme 2000-2001          
Cliquez sur http://www.limag.com/centres/CCLMC2000_2001.htm

 

Institut Maghreb-Europe (Université Paris-8) :

Programme 2000-2001 :        
Cliquez sur http://www.limag.com/centres/MaghrebEurope20002001.pdf

 

Faculté des Lettres de Marrakech :

DESS « Tourisme, développement et environnement culturel »
Cliquez sur http://www.limag.com/Bulletin/Bul20/DESSTourismeMarrakech.htm

 

Université de Montpellier :

Fonds Emmanuel Roblès         
Cliquez sur : http://www.limag.com/Bulletin/Bul20/FondsRobles.htm

 

Universités Paris 4 et Strasbourg 2

Séminaires de Beïda Chikhi     
Cliquez sur : http://www.limag.com/Textes/chikhi/Seminaires2000.htm

 

Université Paris 4 :

Séminaire de Guy Dugas, 2000-2001 
Cliquez sur : http://www.limag.com/Bulletin/Bul20/SeminaireDugas.htm

 


   Soutenances de thèses signalées

2000

 

AKAICHI, Mourida. Tunisie Quête et théâtralité à travers les romans de Mohammed Dib et Gassan Kanafani. Lyon 2, Charles BONN. Inscr. 93 94 95 2000 318 p. DNR.

Résumé : Les oeuvres romanesques de Mohammed Dib et de Ghassan Kanafani véhiculent différentes quêtes qui ont pour objet, l’espace, l’identité, l’affranchissement,..., pour aboutir au sens. Cette quête multiple va de pair avec une théâtralité qui incarne le côté représentatif et dramaturgique du système romanesque. 

Notre étude essaie de montrer comment ces thèmes se manifestent dans les deux écritures, et de mettre en évidence les modalités d’une telle rencontre.

Texte intégral de la thèse : http://www.limag.com/Theses/Akaichi.htm

ATZ, Véronique. Ep. SANTI. France Ahmed de vent et de sable: stratégie d'écriture et d'identité à travers "L'Enfant de sable" de Tahar Ben Jelloun. Metz, Marc-Mathieu Munch,   DNR.

BEN AMEUR-DARMONI, Kaouthar. Tunisie L'Univers féminin et la drôle de guerre des sexes dans quelques films tunisiens. Lyon 2, Charles BONN,   DNR.

BSAIES, Wafa. Tunisie Poétique de l'androgyne dans l'oeuvre khatibienne. Tunis. Habib SALHA. Inscr. 91,   DRA.

CHEDLY, Samia. Tunisie Ecritures et ironies maghrébines: le cas de Driss Chraïbi et d'autres écrivains maghrébins. Lyon 2, Charles BONN. Inscr. 92 93 96   DNR.

EL AOUNI, Yamina. La représentation des femmes dans la tradition orale berbère; le chant rituel du mariage et la chanson traditionnelle (parler tachelhit du sud-ouest marocain) Montréal, Université Laval, Rkia Laroui,   Ph.D.

EL MAOUHAL, El Makhtar. Maroc Le modèle français comme référence à l'étude des écrits personnels francophones d'auteurs (d'origine) maghrébin(e)s Paris 3, Pierre-Edmond ROBERT,   DNR.

GRIFFON, Anne. France Roman noir et roman rose dans l'Algérie d'après 1989. 1: Le roman noir algérien. Paris 4, Jacques Chevrier et Guy Dugas, Inscr. 1999   80 p. D.E.A.

HADDAD, Dyna Ouria. Algérie Du "Fleuve détourné" à "La Malédiction": la narration et le sous-jacent dans les textes de Mimouni. Paris 13, Charles Bonn,   58 p. D.E.A.

HAMANE, Fatima. Algérie L'ubiquité du déracinement et son apport dans la rémanence de la littérature algérienne dans "Merwas au château de soleil" de Abdellah Hamane. Oran, Fewzia SARI,   Magister.

JAIDI, Moulay Driss. Maroc Diffusion et audience des médias audio-visuels au Maroc. Rabat, François CHEVALDONNE et Abdallah MDARHRI-ALAOUI.   TDE.

KHERIJI, Rym. Tunisie Boudjedra et Kundera: lectures à corps ouvert. Paris 13, Charles BONN. Inscr. 93 94 95 96   389 p. DNR.

Résumé: Ce travail tente d’établir des réseaux de communication entre l’Algérien Rachid Boudjedra et le tchèque Milan Kundera à travers quatre romans : La Répudiation et L’Insolation pour le premier, et La Valse aux adieux et L’Insoutenable légèreté de l’être pour le second. Issus de générations et de cultures différentes, ces écrivains ne répondent pas vraiment aux exigences du comparatisme traditionnel. Les critiques voient pourtant en eux deux des plus troublants auteurs de la seconde moitié du XXe siècle. La subversion, la démystification et la dénonciation sont les maîtres mots de leurs écritures et peuvent en effet être les causes essentielles de tout intérêt porté à leurs œuvres. Cependant, cet aspect ayant été à maintes reprises soulevé et considéré comme une spécificité régionale, culturelle ou circonstancielle, il est apparu nécessaire de suggérer dans cette recherche, l’ouverture des deux auteurs aux problématiques universelles.

Cette étude se compose de trois parties. La première remonte aux sources de l’écriture des deux écrivains et rapproche leurs parcours en mettant en relief les rôles qu’ils attribuent à leurs narrateurs. La seconde partie évoque les principales figures féminines et masculines Evoluant dans les quatre romans, à savoir la mère, l’amante et le père. Ces dernières quittent le cadre proprement thématique pour endosser le rôle de catalyseur du récit. L’intérêt pour ses figures, somme toute symptomatiques d’une orientation passée des recherches sur la littérature maghrébine d’expression française, trouve sa justification dans leur présence dans les romans de Kundera. Ils ne sont ainsi plus uniquement l’apanage d’une littérature d’Afrique du Nord, torturée et en quête d’identité. Outre les réseaux de communication établis entre les romans des deux auteurs, d’autres réseaux prennent forme au fil des lectures : ceux qui se profilent entre l’œuvre et le lecteur.

La troisième partie de ce travail concerne donc les interférences entre écriture et lecture. Elle se présente comme une suite de conclusions consécutives aux deux premières parties. Ce dernier volet repose sur la clé de voûte des romans étudiés : le questionnement. L’élément interrogatif permet enfin le dépassement des clichés et donne un sens à l’écriture de la déroute. L’écriture chaotique et décousue ou ce que l’on appelle le délire, l’inversion des valeurs par le procédé de l’ironie, la mise en orbite des paradoxes et l’écriture variationnelle tentent en effet de déstabiliser le lecteur et de le renvoyer, dans un dialogue silencieux, à ses propres incertitudes.

Texte intégral de la thèse: http://www.limag.com/Theses/Kheriji/Sommaire.htm

MILO', Giuliva. Italie Lecture et pratique de l'histoire dans l'oeuvre d'Assia Djebar. Bologne, Carminella BIONDI et Beïda CHIKHI

NEKKOURI, Khedidja. épouse KHELLADI. Algérie Littérature orale et imaginaire. Paradigmes de récits hilaliens. Alger, Youcef NACIB et Charles BONN, Mod. 93   800 p. Thèse de doctorat d’Etat.

OUMAZIZ, Nadia. Ep. HADJ ARAB. Le tragique dans l'oeuvre algérienne de Jean-Pierre Millecam. Paris 4, Guy DUGAS. Inscr. 95   DNR.

SEBKHI, Habiba. La littérature issue de l'immigration, ou le récit génératif. Univ. of Western Ontario, Canada Anthony PURDY. Inscr. 96   Ph.D.

Résumé : La présente thèse a pour but de présenter deux corpus littéraires émergents, l'un en France et l'autre au Québec. Cette étude comparatiste engage un regard critique multiple qui exige une approche plurielle

Les deux corpus, dont nous présentons une description au premier chapitre, sont fortement ancrés, de par leurs thématiques, dans un contexte social et historique. C'est le chapitre second se justifie de lui-même en proposant des éléments de référence contextuels et une critique globale politique et institutionnelle des deux espaces de production que sont la France et le Québec. Ce chapitre s'attache également, à partir des différentes données, de dégager la problématique spécifique dans le contexte respectif.

Les chapitres troisième et quatrième apportent une lecture à même le phénomène de l'émergence dans lequel s'inscrivent les deux corpus. C'est ainsi que nous arrivons à dégager des notions spécifiques et nouvelles telles que l'autobiofiction, le Dedans-Dehors et la Littérature naturelle.

TCHEUYAP, Alexie. Entre Films et romans. Des réécritures textuelles en Afrique francophone. Queen's Univ., Kingston, Ont., Mireille CALLE-GRUBER,   340 p. Ph.D.

ZARIOR, Rahmouna. Ep. MEHADJI. Algérie Stratégies féminines à travers le conte populaire algérien. Transcription, traduction et analyse de six contes oraux. Oran, Fewzia SARI.   Magister.

2001

Zohra MEZGUELDI : Oralité et stratégies scripturales dans l’œuvre de Mohammed Khaïr-Eddine.Thèse de doctorat d’Etat, Sous la direction de M. Charles BONN (Université Lyon 2) et de M. Marc GONTARD (Université Rennes 2).
Université Lyon 2, 12 janvier 2001.

Résumé : Ce travail porte sur l’œuvre de Mohammed Khaïr-Eddine (1941-1995) qui occupe une place marquante dans la littérature maghrébine de langue française. En analysant l’impact de l’oralité sur les stratégies scripturales dans cette œuvre, cette approche cherche à saisir les rapports entre le littéraire et le culturel. Il s'agit de montrer comment et pourquoi ce rapport est déterminant dans la démarche créatrice, la production de l'œuvre et l'élaboration d’une esthétique. Partant d’une saisie de l’oralité qui englobe aussi bien les dimensions anthropologique et linguistique que symbolique et esthétique, cette étude se propose de découvrir comment celle-ci est à l’origine d’un projet de renouvellement scriptural et littéraire.

C'est dans les formes scripturales, et non en arrière de ce qu'elles paraissent dire, ou à un autre niveau, que la première partie de ce travail entreprend la recherche de l’esthétique produite par la littérature telle que pratiquée par Khaïr-Eddine et non celle qui, plus ou moins à son insu, la produit. Cherchant à suivre les contours de cette œuvre si ouverte à toutes les possibilités, l’analyse essaie d’en dégager la force dynamique.

L’approche de cette densité scripturale, ainsi entraperçue par l’étude des stratégies déployées mène vers la quête de l'oralité perdue qui travaille l'écriture et qui est en liaison étroite avec l’exigence répétée d'une parole plurielle et ouverte. Le texte n'est jamais clos, le récit n'a ni début, ni fin, même si à chaque fois, un trajet semble saisissable. Il apparaît que ce dernier conduit immanquablement vers une parole qui reste ainsi en suspension comme en expansion, en devenir, sûrement.

La seconde partie de ce travail montre que si l’examen des formes d’expression dominantes dans l’œuvre et relatives à une problématique de la parole, du corps et de l’identité, permet l’esquisse d’une poétique de l’oralité inscrite dans le champ scriptural, il révèle aussi la faille qui traverse l'œuvre de Khaïr-Eddine. Celle-ci est à mettre en rapport avec la constitution même du dire qu'elle énonce comme lieu d'une tentative à la fois essentielle et impossible, celle d’exprimer une oralité, nécessairement et irrémédiablement perdue dans l’espace de l’écriture. Ce que révèle l'expérience littéraire de Khaïr-Eddine, c'est à travers les creux et les manques de sa parole d'écriture, l'espace vide, l'absence même qui s’y inscrit, parole porteuse de sa propre inquiétude ; absence d'où l'écrivain tente de parler, par laquelle son œuvre et sa vie communiquent.

C’est pourquoi la troisième partie de cette recherche a pour objet de réfléchir sur ce qui apparaît paradoxalement à la fois comme un écart et un lien dans ce trajet de l’oralité à l’esthétique scripturale. Ce qui travaille le langage de l’œuvre contient au plus profond de son déploiement les marques de son lieu d'origine et d'initiation. L’analyse des stratégies scripturales vise ainsi à déceler l’empreinte laissée par l’imaginaire à l’œuvre dans l’écriture par un espace symbolique. Ce champ culturel, identitaire, inaugural et déterminant avec lequel l’écriture entretient des rapports conflictuels s’articule autour de la figure maternelle.

L’analyse de cette focalisation montre les significations qu’elle entraîne à un niveau social, culturel, linguistique, psychique, identitaire et esthétique. De là, l’ouverture de cette étude sur une réflexion qui n’entend pas la notion d’oralité uniquement comme désignation de la tradition orale, d’une pratique culturelle spécifique mais aussi dans le sens de l’émergence d’une esthétique scripturale engageant une conception originale du langage littéraire, du rapport avec la création et d’un être au monde. Il nous semble que cette expérience scripturale interpelle autant par sa démarche esthétique que par son écart et/ou proximité avec la société et la culture, espace réel et symbolique qu'elle circonscrit, interroge, subvertit, contraint à s'ouvrir sur l'ailleurs, le soumettant enfin à l'épreuve de ses propres contradictions et le livrant à ses conflits intérieurs.

Si le lieu de ce curieux dialogue est le Maghreb et à l'intérieur de celui-ci le monde berbère, nul doute qu'au-delà du spécifique et à travers lui, c'est l'universel que l'œuvre cherche à atteindre. Réceptive à ce dialogue et à cette quête, cette autre quête que constitue la recherche littéraire voudrait interroger ici la conception esthétique mise en scène et en œuvre par Khaïr-Eddine, à travers laquelle il dit son rapport aux choses et formule sa vision du monde et de l'être.

Opérant au cœur du langage, celui des mots, du corps, de la mémoire et de l'imaginaire, cette investigation tente de comprendre à travers le projet littéraire de Khaïr-Eddine, la genèse des formes esthétiques que déploie l'écriture, dans la mesure où celle-ci porte en elle les traces et les inscriptions du processus qui l'a produite.    

Texte intégral de la thèse : http://www.limag.com/Theses/Mezgueldi/Mezgueldi.htm

  


   Colloques, rencontres, manifestations

 

1999

La récapitulation de toutes les manifestations signalées pour 1999 peut être téléchargée à l'adresse : http://www.limag.com/Bulletin/Bul18/Colloques99.htm.

 

2000

La récapitulation de toutes les manifestations signalées pour 2000 peut être téléchargée à l'adresse : http://www.limag.com/Nouveau/Colloques2000.htm

 

2001

(Etat du calendrier au 10 janvier 2001. Ce calendrier est perpétuellement mis à jour, et il est donc conseillé de le consulter plutôt sur Internet, à l’adresse : http://www.limag.com/Nouveau/Colloques2001.htm)

Janvier

6 janvier-25 mars, Paris, Institut du monde Arabe: "Vive l'Amour", cycle cinéma égyptien.
La nouvelle programmation est un cycle consacré au cinéma égyptien des années 40 aux années 60 sur le thème de l'amour heureux. Ce sont 35 films présentés pour revivre les grands moments des comédies musicales égyptiennes.

17-21 janvier, Hammamet: "Espaces, temps et recherches"
4ème rencontre tuniso-française de jeunes charcheurs. Organisée par l'Université des Lettres, des Arts et des Sciences Humaines de Tunis I et l'IRMC, avec le soutien de l'UNESCO (bureau deTunis) et la coopération de l'Université de Tours. Pour plus d'informations consultez l'adresse suivante :
http://www.irmcmaghreb.org/actudoct/jcherch.htm

  19 janvier, Paris: La poésie arabe en quête de renouvellement.
Journée d'études de l'IISMM, en collaboration avec l'ENS.
96, Boulevard Raspail, 75006 Paris. Détails:
http://www.ehess.fr/centres/institut/

21-27 janvier, Seattle (USA): Festival du film arabe.
Programme et descriptif:
http://www.arabfilm.com/cgi-bin/mv-arabfilm/calendar?;;8

Février

1-25 février, Nanterre: En attendant l'Algérie.
Pièce de Zalia Sekaï, d'après l'oeuvre de Kateb Yacine, avec la collaboration de Laurent Marissal.
Ferme du Bonheur, 220, av. de la République, 92000 Nanterre.

20-21 Février, Sousse : Problématique des genres dans la littérature tunisienne
Colloque prévu à la Faculté des Lettres par le GERMA (Groupe d’Etudes et de Recherches Maghrébines et Africaines) en collaboration avec les départements de Français et d’Arabe. (Colloque initialement prévu pour novembre 2000).
Descriptif et appel de communications à l’adresse :
http://www.limag.com/Bulletin/Bul20/ColSousseGenres2001.htm
Contact : M. Mohamed-Najib Laamami, Faculté des Lettres (département d’arabe), Cité Erriadh B.P : 547, 4023 Sousse (Tunisie), ou Mme Najiba Regaïeg, même adresse à la Faculté (département de français), E.mail :
nejiba.rg@gnet.tn
Ce colloque sera aussi le lieu de l'Assemblée générale de la CICLIM, qui après une troisième convocation pourra prendre toutes décisions (Renouvellement du C.A. et du Bureau, etc.) sans avoir nécessairement le quorum.

Mars

8-10 mars, Simon Fraser University Burnaby, BC, Canada: Études francophones, multimédia et internet
Proposition de communication, en français ou en anglais, et un court c.v. à: Réjean Canac-Marquis Département de français Simon Fraser University Burnaby B.C. V5A 1S6 Canada Avant le 30 septembre 2000 Contact: Guy Poirier, Ph.D. Directeur Département de français Secrétaire-trésorier Société canadienne d'études de la Renaissance/Canadian Society for Renaissance Studies Centre d'études francophones Québec-Pacifique:
http://www.sfu.ca/french/cefqep.htm Adresse: Département de français Simon Fraser University 8888 University Drive Burnaby BC V5A 1S6 CANADA Courriel: gpoirier@sfu.caTél: (604) 291-3544 Télécopieur: (604) 291-5932 Département de français: http://www.sfu.ca/french/

16-17 mars, State University of New York at Buffalo: Le thème de la violence dans la littérature francaise et francophone.
Colloque international.
Renseignements et appel de textes:
http://wings.buffalo.edu/cas/mll/colloquium

22-24 mars, Leyde (Pays-Bas): Writing Europe 2001 : Migrant Cartographies. Cultural Travellers and New LiteraturesDétail
Colloque international à Research School CNWS, School of Asian, African, and Amerindian Studies Research School OSL, Onderzoekschool Literatuurwetenschap Belle van Zuylen, Research Institute for Multicultural and Comparative Gender Studies University of Leiden - University of Amsterdam The Netherlands
Détail et appel de textes: cliquez sur
www.limag.com/Bulletin/Bul20/colLeyde2001.htm

23-26 mars, Taliouine (Maroc): Le tourisme des jeunes.
Colloque organisé par les universités d'Agadir et Marrakech.
Descriptif et appel de textes:
www.limag.com/Nouveau/Colloques/Taliouine2001.htm

Avril

19-21 avril, Meknès: Désir d'identité, Désir de l'autre.
Colloque international organisé par l'Université Moulay Ismaïl de Meknès, et l'Institut français de Fès-Meknès
Propositions de communication à adresser au Comité d'organisatoion du colloque, Faculté des lettres, 4009 Béni M'Hamed, Meknès (Maroc), tél. 00 212 55 70 12, e-mail:
flmek@yahoo.fr, site: www.flmek.ac.ma

19-22 avril, Binghampton University (New York): Islam in Africa.
Colloque organisé par The Institute of Global Cultural Studies at Binghamton University (Binghamton, New York, USA)
Détail et appel de textes: cliquez sur
http://www.limag.com/Bulletin/Bul20/AppIslamInAfrica.htm ou sur http://club.voila.fr/do/arc/limag/2000-08/msg00027.html pour le texte en français.

21-26 mai, Strasbourg : 5° colloque de l’AEFECO : L’Europe et la Francophonie, les francophonies et l’Europe.
5° colloque international de l’Association des Etudes francophones d’Europe Centre-Orientale, à la Faculté des Lettres de l’Université Marc Bloch.
Contact et propositions de communications avant le 31 août 1999 : Arpad Vigh, Secrétariat de l’AEFECO, Magaslati 47/B, H 7625 Pécs (Hongrie).

Mai

27 mai-3 juin, Portland, Maine: 15° Congrès mondial du CIEF (Conseil international d'études francophones).
Appel de communications et de sessions, et renseignements pratiques et formulaires sur le site:
http://www.ucs.usl.edu/cief/congres.html, ou auprès de Christiane Ndiaye, Présidente du CIEF: Université de Montréal, CP 6128, succursale Centre ville, Montréal, Québec, Canada H3C3J7, e-mail Ndiayec@ETFRA.umontreal.ca

28 mai, Paris: Kateb Yacine, un intellectuel dans la tourmente algérienne.
Journée d'études à l'université Paris 13.
Contact: Jacques Girault, 17 bis rue Marc Sangnier, 92290 Chatenay-Malabry.

Juin

1-2 juin, Poitiers: Colloque Albert Camus.
Contact: Lionel DUBOIS, 129, avenue Baudin, 87000-LIMOGES Tél./Fax: 05 55 32 01 79.
Sisyphe_2000@yahoo.fr

3-7 juin, Rio de Janeiro. Sedifrale 12. Mondialisation et humanisme. Les Enjeux du français.
Programme, site du colloque et formulaire d'inscription et de proposition de communication:
www.limag.com/Bulletin/Bul20/colsedifrale.htm

Juillet-Août-Septembre

13-15 septembre, Metz: Le Désert: un espace paradoxal.
Colloque au Centre Michel Baude, Université de Metz.
Argument, propositioons de communications à Pierre Halen, Dept de Littérature comparée, Université de Metz, Ile du Saulcy, 57045 Metz, e-mail:
phalen@zeus.univ-metz.fr

13-15 septembre, Nancy: Interaction du récit et de ses marges théoriques internes.
Colloque international organisé par l'équipe de recherches Le Récit et ses marges (EA 2340) à l'Université de Nancy 2. Propositions de communication à Gilles Ernst, UFR Lettres, 3, Place Godefroy de Bouillon, BP 3397, 54015 Nancy Cedex.

20-22 septembre, Limoges. XXX° Congrès de la SFLGC (Société française de Littérature générale et comparée): Littérature et espaces.
Texte de présentation:
http://www.univ-tours.fr/sflgc/fit19.htm

Octobre

4-6 octobre, Palerme : Colloque du SHIFFLES : L’histoire de l'enseignement du français dans le bassin méditerranéen.
Appel et descriptif : Cliquez sur
http://www.limag.com/Bulletin/Bul20/ColloqueSHIFFLES2001Palerme.htm

5-7 octobre, University of Western Ontario: L'Impôt, la taxation et le contribuable dans les littératures française et francophones.
Appel et descriptif:
http://club.voila.fr/do/arc/limag/2001-01/msg00020.html

18-19 octobre, Université Lyon 3: La Nouvelle francophone en Belgique et en Suisse.
Colloque du CEDIC. Appel et descriptif:
http://www.limag.com/Bulletin/Bul20/colLy3BelgiSui.htm

Novembre

Novembre, Université de Cergy-Pontoise: Colloque Albert Camus.
Appel et descriptif: Cliquez sur
http://webcamus.free.fr/conferences/cergy01.html

Décembre

Fin 2001, Saint-Etienne. Les figures du loufoque à la fin du XX° siècle.
Contact: Emmanuelle Kaës, Université de Saint-Etienne.
Appel:
http://www.fabula.org/cgi-bin/nouvelles.pl?a=656&t=nouvelles.news

 

2002

21-23 mars, Texas Tech University: Cultures transnationales, diasporas et identités immigrées en France et dans le monde francophone.      
Colloque international organisé par Hafid Gafaiti, Patricia M.E. Lorcin, et David Troyansky.
Appel et descriptif: http://www.fabula.org/cgi-bin/nouvelles.pl?a=958


Comptes-rendus de colloques

 « Portugal, Espanha e Marrocos : O Mediterrâneo e o Atlântico »

Colloque organisé par le Département d’Histoire et Archéologie de l’Université de l’Algarve à Faro, Portugal du 02 au 04 novembre 2000

Cliquez sur : http://www.limag.com/Textes/ZekriMostafa/ColloqueAlgarve.htm

La Réception du texte littéraire maghrébin.

Colloque organisé par la Faculté des Lettres de La Manouba les 16 et 17 novembre 2000.

Compte-rendu par Mehana Amrani, dans Le Quotidien d’Oran,

Cliquez sur : http://www.limag.com/Textes/Amrani/colloquetunis.pdf

 


Comptes-rendus de lectures

La tentation du divers : mélanges offerts au professeur Abdelkader Mhiri.

Publication de l’Ecole Normale Supérieure de Tunis, 1999. Textes rassemblés par le Groupe de recherche « Littérature maghrébine et littérature française : échanges, confluences et perspectives dans l’espace méditerranéen »

Par Najiba REGAIEG.

 

Dédié à l’un des premiers critiques de langue arabe qui a traduit la pensée de Kateb Yacine, le fondateur de la littérature maghrébine de langue française, ce livre bilingue rend parfaitement compte de son intitulé. « Tentation du divers » : ces articles s’avèrent être une tentative de « mélanges » réussie. Le livre se lit, en effet, indifféremment de droite ou de gauche mimant ainsi le jeu calligraphique de la langue arabe et de la langue française partant de points opposés pour finir par converger. Au confluent des deux moitiés du livre se situe une traduction de Mohammed Koubaa (le traducteur de Nedjma de Kateb Yacine) d’une nouvelle de Mohammed Dib L’Oeil du chasseur ainsi qu’une liste bibliographique des publications (en arabe et en français) du Professeur Abdelkader Mhiri. Dans la préface, M. Habib Salha déguise le mots traducteurs en parlant des « passeurs » des langues et des littératures. Bref, le contenu de ce livre se situe dans une lisière élargie ou même estompée entre les deux rives opposées de la méditerranée. 

 Dans le premier article en français, M. H. Salha décrit, avec beaucoup de passion, le passage constaté d’une littérature d’expression française émanant d’un « état d’urgence », d’une « auto lacération » à une « littérature d’impression française » faite de dépassement de soi, de mouvement, d’interrogations, de jeu avec le langage. Cette « écriture exaltée » se reflète chez M. Kaireddine, M. Dib, A. Khatibi et F. Malleh. Chez ces auteurs, la question de la langue, support d’abord référentiel et civilisationnel, se mue en un champ d’écriture où se heurtent et s’agitent tous les codes.

En examinant les caractéristiques de l’écrivain mineur, M. H. Hmaïdi se base sur l’opposition phatique (« mainmise de l’institution sur la littérature »)/ cryptique (« principe de plaisir ») et constate que le second mine souvent le premier. Dérivé de minorité, le mot « mineur » renvoie à la marginalité et donc l’originalité de tels écrivains : « Tout écrivain est (donc) mineur ».

M. R. Bouguerra part, quant à lui, d’un aperçu général sur la place de la Tunisie dans la littérature française. Il s’attarde ensuite sur deux œuvres opposées : La Rose de sable de Montherlant (1968) et Le Soleil sur la terre (1956) de Claude Roy. La première laisse apparaître la pudeur mais aussi le conformisme de son auteur face au colonialisme, alors que la seconde dévoile une prise de conscience incontestable de l’écrivain face à l’atrocité de ce système.

L’article suivant est consacré au poète M . Scalesi. M. S. Marzouki tente d’y restituer à ce poète sa place dans la littérature tunisienne du début du XXème siècle. Constatant qu’il était à peu près un Chebbi écrivant en français (d’où le manque d’originalité des thèmes qu’il traite pour le public lisant en français), l’auteur de l’article tente par divers rapprochements fructueux de le réinstaller dans l’univers dont il était imprégné : celui de Mallarmé et surtout celui de Baudelaire.

Dans le cadre de son étude du Livre des célébrations de Chams Nadir, M. A. Ben Ali démontre que cette œuvre chante la genèse du monde et du langage par le biais du vent. Elle célèbre l’amour comme origine de toute existence cosmique et dénonce la trahison de l’histoire dans une aspiration à un monde meilleur et à une osmose entre les divers éléments de la vie. A la base d’une poétique originale de Chams Nadir se situe le soleil des antipodes mais aussi le soleil éclatant de l’orient symbole de la création et de la force de l’esprit.

Dans son article intitulé « « Homotexte » et « hétérotexte » dans Elissa, la reine vagabonde de Fawzi Mellah », M. A. Abassi démontre que, dans une logique homotextuelle, Le Conclave des pleureuses a servi de matrice créatrice à Elissa… Comme héritant des mêmes gênes, la seconde œuvre reproduit le même système narratif, thématique et même structurel de la première. D’un point de vue hétérotextuel, Elissa… réfère à la fois à l’Odyssée (grecque), à la geste hilalienne (arabe) et à Nedjma de K. Yacine (littérature francophone). Ainsi, cette œuvre de F. Mallah s’avère être condamnée à « l’hybridation intertextuelle », le mal qui ronge toute la littérature moderne.

Aux yeux de M. M. Khemiri, La Macération de R. Boudjedra procède d’une mise en scène de l’écriture. Le personnage-narrateur, de retour dans la maison paternelle, amorce l’écriture de son autobiographie. La figure détestable du père devient source première de cette création. Elle est secondée, d’un point de vue scénique, par le mûrier séculaire symbole de la création et foyer d’une multitude d’oiseaux chantant tristement la macération du père et la répudiation de la mère. La musicalité de ces chants à laquelle répond l’« hymne à la gloire de la création » entonné par le mûrier se reflète même dans la structure de l’œuvre célébrant « la victoire de l’art sur les fantasmes qui macèrent ».

Egalement consacré à R. Boudjedra, l’article de Mme S. Zlitni Fitouri traite de la dimension historique dans La prise de Gibraltar. Bâti sur trois histoires imbriquées (Le mythe de la prise de Gibraltar, l’histoire nationale et l’histoire personnelle du narrateur), ce roman vise la démystification de l’histoire. Il essaie d’y voir seulement des destins individuels qui rejoignent le destin des personnages principaux du roman. Cette fusion entre ces différentes histoires est rendue possible par des astuces narratives telles que l’amalgame des voix narratives, l’emploi excessif du participe présent, l’usage particulier de la ponctuation, le discours indirect libre… Cette nouvelle vision de l’histoire permet enfin au protagoniste de Boudjedra de se réconcilier avec lui-même et avec son passé.

Dans son article « La confession hybride dans L’Homme rompu de Tahar Ben Jelloun », M. K. Ben Ouanes décline la lecture de cette œuvre comme un simple roman sur la corruption au sens éthique du terme. Il préconise une lecture narratologique révélant l’aspect existentiel et même universel du personnage Mourad. D’un point de vue intertextuel, le texte rappelle l’expérience d’un écrivain à la liberté entravée (un indonésien). Il réfère également au texte de Sartre L’Être et le néant et à L’Etranger de Camus. Derrière ce jeu intertextuel se profile l’ombre de cette vieille machine à écrire volée par le protagoniste , objet de sa condamnation et véritable actant du récit.

Mlle. H. Ben Rhaïem présente l’œuvre de P. Smaïl Vivre me tue comme une sorte d’auto-réflexion  du genre romanesque. Dans cet espace de jeu se trouvent confondues toutes les origines de l’auteur, la réalité et la fiction pour dire l’incapacité de l’écriture de rendre compte des « turbulences de la vie ». Le rapport au nouveau roman et surtout à l’écriture de R. Grillet est ainsi manifeste. Ce procédé d’auto-réflexion aboutit au camouflage de toutes les conventions de l’écriture et de la lecture et à la négation même de l’identité de l’écrivain.

A partir d’une lecture des romans de R. Boudjedra, M. H. Salha tente de dégager les spécificités du roman maghrébin : roman de la destruction (vs construction), des « récits déceptifs » (vs descriptifs), de l’« agrammaticalité » sémantique et d’une syntaxe délirante ; il s’inscrit en plein dans la modernité.

 

Le versant arabe du livre contient deux articles du Professeur Abdelkader Mhiri, un article de M. S. Marzouki, la traduction sus-mentionnée d’une nouvelle de Dib et la liste bibliographique des publications du Professeur Mhiri.

Dans son premier article publié en 1957 et consacré à Nedjma de Kateb Yacine, le Professeur met l’accent sur la modernité littéraire et sociale de cette œuvre. Non seulement le texte ne respecte pas les normes temporelles et génériques du roman, mais aussi il porte à la connaissance du monde l’ébullition des esprits dans la nation algérienne qui vit sa guerre de libération. L’article insiste sur l’aspect symbolique de l’œuvre, aspect qu’elle tire de l’originalité du personnage Nedjma, à la fois allégorie de l’Algérie et incarnation du rêve de tout adolescent d’hier et d’aujourd’hui.

 Parlant toujours de la littérature algérienne contemporaine, le Professeur défend, dans un second article, la littérature algérienne d’expression française en en indiquant les raisons d’être. Ayant échoué dans un déracinement total du peuple algérien et dans l’effacement complet de son identité arabo-musulmane, le colonialisme a pu implanter sa langue et la substituer, chez beaucoup d’auteurs, à la langue arabe. Cette langue est devenue paradoxalement la langue du combat et la littérature algérienne d’expression française a connu ses jours de gloire au moment même de la guerre de libération. La poésie et le théâtre, voix et scène par excellence de la révolte, ont été les genres qui ont le plus assumé ce rôle dans les deux langues. Quant au roman, il a été spécifique à la littérature de langue française et c’est par lui que s’exprime toute la modernité de cette littérature qui a su confirmer l’identité algérienne dans et à partir de la différence.

 Par le biais de la théorie de l’intertextualité, M. S. Marzouki souligne le lien organique existant entre la littérature arabe et la littérature occidentale. L’influence des textes arabes traduits et surtout du Coran sur la littérature occidentale est indéniable même si, imprégnés du romantisme, beaucoup d’écrivains présentent une image approximative de l’Orient. Considérant les auteurs français du point de vue de leur attitude vis à vis de l’influence de la civilisation et la littérature arabe sur la littérature française, l’auteur de l’article classe ces derniers en trois catégories : ceux qui renient cette influence tel que L. Bertrand, ceux qui croient en une influence passagère et superficielle tels que Gide et Montherlant dont les œuvres donnent à voir une image apparemment positive mais figée, dévalorisante des pays arabes (la catégorie la plus dominante) et ceux qui pensent que cette influence a été profonde (hypertextualité) tels que Gauthier dans La Mille et deuxième nuit, M. Barrès et I. Eberhardt. L’interaction entre les deux littératures apparaît beaucoup plus réussie lors de la seconde moitié du XXème siècle avec la publication du Fou d’Elsa d’Aragon. 

Au-delà de ce dernier (est-ce vraiment le dernier ?) article de M. Marzouki, cette interaction est ressentie et appuyée dans chacun des articles que nous avons mentionnés. Plus intéressant encore à souligner : l’interaction ou la continuité entre la critique des années soixante et la critique actuelle qui, quoique diversifiée, apparaît toujours fidèle à l’esprit du maître et à sa vision positive des causes défendues par la littérature maghrébine de langue française et des formes originales qu’elle emprunte pour mener à bien ses projets d’écriture. Cette publication atteste d’un travail de groupe et d’une réelle persévérance de certains chercheurs tunisiens dans une voix qui, dix ans seulement en arrière, semblait bouchée. Car, il est temps de le reconnaître, l’avenir des peuples est dans l’échange et la communication comme l’était leur passé et le fondement même de toute civilisation humaine.

L'Enfant fou de l'arbre creux de Boualem Sansal, Paris, Gallimard, 2000.

Par Jeanne FOUET

Voici un roman dont la construction en déroutera peut-être quelques uns, tant le maillage est serré en ce qui concerne la technique narrative utilisée, et tant est foisonnante la matière que l'auteur nous offre à reconstruire par une exigeante lecture. Mais il vaut de suivre ce narrateur protéiforme dans l'intense complexité de cette histoire.

Le titre, extrêmement riche en connotations, condense le projet du roman: ce texte va parler d'un objet absurde, paradoxal, incompréhensible: l'Algérie immédiatement contemporaine. Un portrait angoissant est proposé au lecteur, d'un pays barricadé, paranoïaque, abonné aux mensonges constants, aux discours officiels truqués, à l'Histoire nationale trafiquée dans le but de produire autant de faux anciens combattants que de postes prestigieux et lucratifs à occuper. La corruption de la mémoire collective fait de l'Algérien du peuple "un homme bourré de complexes, environné de haine, une ruine irrécupérable, une névrose ambulante". Le personnel politique, judiciaire, administratif, ivre de pouvoir, terrorise, exproprie, vole, manipule, détourne, s'acoquine, ment surtout, ment sans cesse. On entre et on sort de prison au gré des caprices ou des intérêts d'une bande d'irresponsables dangereux que, comme Farid, on finit par rêver de brûler vifs, on devient fou, aveugle, d'une misère humaine infinie. L'extérieur, le métissage, toute forme de rencontre avec l'autre sont condamnées. C'est dans un tel cadre que se joue l'intrigue du roman, quête de la mère d'abord, quête d'identité, quête de fraternité.

Le roman entrecroise sans cesse trois temps et trois lieux, l'analepse constituant le mode de soudure narrative et le récit étant énoncé par un narrateur changeant, démultiplié. Nous sommes à Lambèse, sinistre pénitencier, où un Français originaire d'Avallon, Pierre Chaumet, rencontre Farid, incarcéré comme lui au quartier des condamnés à mort. Tous deux ont été reconnus coupables de meurtre, le premier sur un dignitaire du régime, le second sur un procureur. Le lecteur est transporté de la cellule, où se jouent le présent et l'avenir immédiat de Pierre et Farid, aux étapes du voyage qui ont amené Pierre en prison. Le personnage principal est alors narrateur. Il se souvient d'une adolescence turbulente et marquée par la présence de trois camarades issus de trois univers différents, Tunisie, Guadeloupe et Gabon. Il reconstitue ses déplacements et sa recherche de la mère à travers l'Algérie profonde, en compagnie d'un aventurier hasardeux, dont le statut reste problématique. C'est dans la cour du pénitencier qu'un enfant fou est attaché à un arbre creux. Le texte s'achève par un long post-scriptum en italiques, où un narrateur très distancé commente l'intrigue, les personnages et les issues narratives possibles d'une tentative d'évasion organisée par des autorités embarrassées d'un prisonnier aussi atypique que Pierre.

Cet enfant restera une énigme. Les hypothèses émises par un vieux soldat pensionnaire à vie du pénitencier, héros égaré dans un présent inexplicable, ne fournissent pas de clé, sauf celle-ci: l'enfant est le produit d'un rejet, d'une amputation de soi par haine de la différence.

On pourrait en rester là, avec un sentiment de respect pour le talent dénonciateur de l'auteur, et un haut-le-cœur à la lecture de ce qui court depuis longtemps et qui, là, est dit sans fard: non seulement le pouvoir et l'armée algérienne, entités plus qu'entremêlées, couvrent, mais parfois aussi organisent des massacres de civils, et les instances internationales rivalisent de tartuferie. Mais ce livre est aussi un livre sur une amitié capable de transcender les lois de l'impossible. On peut se sortir des cadres de pensée imbéciles, se dire que je est au moins un autre de plus, que tout Français en Algérie n'est pas forcément "responsable des maux" qui la frappent, qu'en tout Pierre sommeille un Khaled, et que c'est une belle tâche d'homme, qu'il soit d'un côté ou de l'autre de la Méditerranée que "de gravir la colline oubliée". Il faut lire ce roman tissé de paradoxes, secoué des convulsions d'un pays en souffrance, et qui sait nous rappeler que nous sommes héritiers de mémoires multiples.

 


Appels d’articles

 

Appel d’articles sur Tahar Ben Jelloun :

Cliquez sur : http://www.fabula.org/actualites/article1343.php

 

 

Une histoire sociale des chanteurs et musiciens algeriens depuis la fin du
XIXème siecle

(Hadj Miliani, Mostaganem)
Cliquez sur
http://www.limag.com/Nouveau/AppelsDArticles/histoiresociale.htm

 

 

Site Limag et Bulletin Etudes littéraires maghrébines

Le site www.limag.com, rappelons-le, accueille vos articles et vos textes de toute nature (thèses, mais aussi textes de création), puis les diffuse sur e-mail par l’intermédiaire de sa liste de diffusion.

Dans un 2° temps, une sélection est opérée parmi les textes reçus sur le site www.limag.com depuis la publication du précédent numéro d’Etudes littéraires maghrébines, et les textes retenus sont publiés sur papier dans le numéro suivant de la revue.

Des textes déjà publiés ou en cours de publication peuvent également être envoyés et publiés sur le site. Dans ce cas ils ne seront pas publiés dans le Bulletin, mais signalés avec la référence de leur publication officielle, avec un lien vers le fichier publié sur le site. Ce procédé permet de rendre lisibles au plus grand nombre des textes dont la diffusion est souvent confidentielle par les publications traditionnelles, tout en respectant les droits des éditeurs et des auteurs. Il permet d’ailleurs même de faire une sorte de publicité pour le volume papier dans lequel ces textes sont « officiellement » publiés.

Envoyez donc vos textes, accompagnés d’une autorisation de publication, sur le site www.limag.com et sa liste de diffusion. Précisons que nous nous engageons à retirer de ce site tout texte dont l’auteur nous aurait demandé le retrait. Envoyez ces textes, non pas directement sur la liste de diffusion, mais à l’adresse : charles.bonn@wanadoo.fr

 

 


   Bibliographies

Les bibliographies ont toujours tenu la place la plus importante dans le Bulletin Etudes littéraires maghrébines. Ces bibliographies devenant de plus en plus volumineuses, il devient pratiquement impossible de les publier dans chaque numéro du Bulletin. Le présent numéro dépasserait allègrement les 200 p. si nous avions continué à y publier sur papier des bibliographies aussi volumineuses. Pour des raisons d'économie évidente, mais aussi de maniabilité, on a donc décidé de ne plus publier les bibliographies et les signalements de thèses que sur le site Limag, où on peut, chacun le sait, les consulter aisément. L'informatique a à présent atteint un tel développement que tout un chacun peut y avoir accès facilement. Et s'il reste encore parmi les "littéraires" quelques irréductibles réfractaires, mon expérience de contacts avec les chercheurs sur les littératures maghrébines montre aussi que ce sont le plus souvent les mêmes qui paralysent un travail collectif dont ils veulent bien profiter, pour des raisons qui ne sont pas toujours scientifiques, mais sans rien lui apporter en contrepartie….

Grâce aux liens hypertexte que le Bulletin publiera désormais à la place du texte même que ces liens permettent d'ouvrir, les utilisateurs pourront consulter ou télécharger les bibliographies ou les signalements de thèses qui les intéressent. On a vu dans la partie "Colloques et manifestations" qu'on a préféré, ainsi, stocker les descriptions de colloques parfois longues et permettre aux seuls lecteurs intéressés d'y accéder à leur guise, plutôt que d'imposer à l'ensemble des lecteurs un nombre fastidieux de pages inutiles. De même pour la bibliographie : elle concerne essentiellement les chercheurs ou les bibliothécaires, qui sont tous connectés ou ont au moins accès à un ordinateur connecté. On donne donc ci-dessous les adresses des différents fichiers bibliographiques concernés.

De plus cette façon de procéder a plusieurs avantages, dont le moindre n'est pas le fait de disposer de bibliographies à jour au moment du téléchargement, lequel peut être répété à volonté. Une fois le Bulletin imprimé, en effet, nous continuons toujours à recevoir des indications bibliographiques qui forcément ne peuvent plus y figurer. Le fichier informatique indiqué par les adresses ci-dessous est, quant à lui, régulièrement mis à jour.

On peut également, en procédant ainsi, signaler les articles et les textes courts publiés dans des périodiques et des recueils, ce qui était impossible dans les numéros précédents du Bulletin, dont le volume aurait aussitôt doublé.

Par ailleurs ce lien de plus en plus étroit du Bulletin avec des fichiers publiés uniquement sur le site permet aussi de mettre parfois à la disposition des utilisateurs les textes mêmes, auxquels on ne pouvait jusqu'ici que faire référence. Dès qu'un texte est accessible sur Internet, non seulement sur le site Limag, mais aussi sur d'autres sites, son adresse est désormais donnée par les fichiers bibliographiques, depuis lesquels on peut ainsi y accéder d'un simple clic de souris. Le site Limag propose ainsi de plus en plus de textes intégraux de thèses, mais aussi un certain nombre de publications, d'articles, de volumes, de bibliographies partielles, de biographies, etc. Nous invitons les auteurs des thèses à nous fournir sur disquette ou en fichier joint d'un e-mail le texte même de leur thèse, accompagné d'une autorisation écrite de mettre ce texte à la disposition des utilisateurs du site et de la banque de données limag. Cette publication n'enlève en rien ses droits à l'auteur de la thèse, qui peut à tout moment nous demander de cesser cette publication.

Les liens proposés ci-dessous ouvriront sur le site Limag des pages de catalogues, proposant chacune plusieurs fichiers en format Acrobat, ainsi que le lien vers le site de téléchargement de ce logiciel gratuit pour ceux qui ne le possèdent pas encore. Précisons que le format Acrobat est celui de la plupart des fichiers téléchargeables sur Internet ou encore des fichiers d'accompagnement ou des notices de la plupart des logiciels ou programmes de jeux que vous installez par ailleurs sur votre ordinateur.

 

Charles BONN

Bibliographie livres, articles et soutenances de thèses pour l'année 1998 :

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   Formulaires

Ces formulaires vous permettront, si vous les photocopiez et nous les envoyez remplis, de participer à la constitution de la banque de données Limag. Nous vous en remercions à l’avance.

Fiche de collecte Livres.

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   Carnet de création

 

L’alphabet de l’espace

 

 Loques de neige ...

           
       loques de neige hirsute où notre enfance est morte
       par grand matin de peste noire au ciel de givre        
       où nous errions à ras de terre et de ciel grave          
       sans prononcer un arbre au feu de pierre en feu       
       *  
       douce odeur de la pluie lumière au ciel en ruine     
       peur morte en ruine sous le sable au cri de sang      
       au jour de crime et d’arbitraire au long vertige        
       où nous nous sommes tus face au pouvoir du nain.  
       *  
       un homme au ciel vaincu regarde en vieux miroir    
       mourir la vie déserte en notre jour de sable étrange           
       en cris de songe triste où l’enfance s’invente          
       steppe en fleur au visage qui nous crée un âtre        
       *  
       sur la tombe au mystère d’herbe en oubli morose   
       linge froid à mon front apaise un cœur au soir         
       de grand songe ductile entre l’ombre et la chair      
       où nous crions parfois vivre et mourir en croix.      
       *  
       nos jours mordus de rouille amère et de visages     
       ont tous un air commun de cloportes en l’ombre    
       mais leur silence abrite espoir et danse agile           
       où le corps nous délivre et tue l’âge fantôme.          
       *  
       si nous ne disons pas dans sa rougeur de fruit          
       la haute fête où notre amour danse en sa vigne        
       demain notre beau signe au cœur de vendangeur      
       les loups auront raison de nos corps sans visage     
       *  
       les gens nus dispersés que ma chanson rassemble   
       ont une étoile au cœur vaincue de neige en feu        
       mains au travail et nuit de chair vouée à vivre           
       terre splendeur en croix vers un miracle humain     
       *  
       l' herbe innocente pleure et nous taisons le crime   
       qui passe dans nos yeux rongés de neige infecte     
       où nous creusons notre mine d’espoir en charpie    
       pour éblouir les nains que leur démence invente     
       *  
       et puis terre est sortie de la caverne en armes         
       où les ogres restés dans la ténèbre en suie nue        
       mis en cris d’être songe se sont ancrés en mort      
       en chemins sous la terre vers leur ivre présence     
       *  
       le sang bleu de l’étoile qui nous colle au front        
       effraie le crime
                              et tue la haine qui nous traque
       en terre morte   
                              en terre libre      
       en terre  
       où nous faisions du feu sous la plus triste neige      
       en terre  
       où nous  
                    nous promettions la vie.

Messaour BOULANOUAR

 

j’accuse le soleil voilé

 

J’accuse, de ce pays où le sang a remplacé l’eau,
Ces rêves d’enfant qui m’ont fait courir librement dans les champs,   
            J’accuse les livres qui m’ont ouvert les portes du monde,        
            J’accuse ma mère, qui respectueuse des traditions, m’a laissé inventer les miennes,           
            J’accuse le miroir qui ne m’a pas renvoyé mon image,  
Ce paradis qui s’est donné à l’au-delà,      
            Oh oui j’accuse ceux qui m’ont réduite au seul instinct de vivre,         
Et ces moments de bonheur qui me retranchent à la mort,        
            J’accuse pour ceux dont je connais le nom,        
Saïd Mekbel qui n’écrira plus ses billets, 
Smaïl pour son sourire effacé des écrans,           
Chouaki, Belkhenchir pour les enfants délaissés,           
Alloula pour le théâtre déserté,     
            J’accuse pour Nabila qui ne fait plus d’écho au cri des femmes,          
Pour Hasni et son chant disparu,   
Pour Djamel, Salah, Katia Bengana,          
            J’accuse pour Tahar Djaout qui ne posera plus son regard sur Kenza, 
            J’accuse pour la mort de tous les illustres dont nous ne saurons jamais le nom,       
            J’accuse l’avenir et le soleil qui ne veut se dévoiler,     
Et cette mort qui frappe trop tôt aux portes.        
            Je vous accuse,        
Au nom du hurlement d’agonies des enfants et des femmes de mon peuple,  
méprisées, enlevées, violées, égorgées dans leurs douars,        
            Je vous accuse pour l’Algérie,       
Où l’enfance est brisée, où être femme est héroïque,    
Où porter cheveux au vent, sourire aux lèvres est devenu résistance,  
            J’accuse ceux qui, hier,      
Ont coupé les ailes des Moujahidates,     
Les ont renvoyées dans leurs cuisines,     
Ont ôté tout droit aux femmes jusqu’à ce qu’elles désertent les rues, 
— Dieu unique, parti unique, pensée unique, langue unique,     
Lames, étaux, étouffoir,     
Ne plus regarder sa mère dans les yeux —.         
            J’accuse votre hidjab, ce linceul d’indécence,    
Vos cris de haine déguisés en prière, et la profanation — dans votre bouche — du nom de Dieu,  
            Je vous accuse pour notre histoire déguisée et notre mémoire enfouie,        
           
Pour notre présent dépecé et dispersé aux quatre vents 
Et pour notre avenir voilé.

Hassina HAMAÏLI


Table

 

 

Editorial.. 3

Assemblée générale de la CICLIM... 4

   Sur l’évolution du Bulletin, de la CICLIM et du programme Limag   5

Le Bulletin « Etudes littéraires maghrébines ». 5

La CICLIM... 6

Le programme Limag. 6

   Études. 9

L’histoire sans les femmes, l’histoire des femmes, l’histoire par les femmes dans Loin de Médine  d’Assia Djebar. 9

La mémoire parle : à propos de La Mémoire des temps de Bouthaïna Azami-Tawil 29

La littérature de jeunesse maghrébine ou immigrée : quelques paramètres d'une émergence  36

L’Ecole d’Alger: une spore de la colonisation. 46

Quelques remarques sur l'écrivain et son contexte. 56

 Activités des équipes. 58

IISMM : Institut d’Etudes de l’Islam et des Sociétés du Monde Musulman (Paris, EHESS)  58

CCLMC         (Coordination des Chercheurs sur les Littératures Maghrébines et Comparées, Maroc)  58

Institut Maghreb-Europe (Université Paris-8) : 58

Faculté des Lettres de Marrakech : 58

Université de Montpellier : 58

Universités Paris 4 et Strasbourg 2. 58

Université Paris 4 : 58

   Soutenances de thèses signalées. 59

   Colloques, rencontres, manifestations. 63

1999. 63

2000. 63

2001. 63

2002. 67

Comptes-rendus de colloques. 68

Comptes-rendus de lectures. 69

Appels d’articles. 74

   Bibliographies. 75

   Formulaires. 77

Fiche de collecte Livres. 77

Fiche de collecte Articles. 78

Répertoire des Chercheurs. 79

   Carnet de création.. 80

L’alphabet de l’espace. 80

j’accuse le soleil voilé. 81

 



[1] Sauf pour les numéros 9 et 13/14, pour la réussite desquels il faut remercier Karin Holter (Oslo) et Anna-Maria Mangia (Bari/Lecce). Faut-il en effet parler ici de réalisations aussi ridicules que celle du catastrophique numéro 11/12, ou à un moindre degré des mésaventures du numéro 10 ?

1.Op. cit., p. 147.

1 . Recherches et travaux, « Le roman dans l’Histoire, l’Histoire dans le roman. », « Une tout autre Histoire ? », Université Stendhal, Bulletin n°49, 1995, p. 22

[2] Exposé fait le 22 novembre 2000 dans le cadre du colloque « Réticences du moi » organisé par l'équipe « Poétique des Genres » de l'Université de Besançon. Destiné à paraître dans les Actes du Colloque.

[3] Cette réflexion se poursuit depuis une douzaine d'années. Dans la lettre à Fliess datée du 24/1/97, Freud évoque les rapports entre mégalomanie et "mythes relatifs à l'origine de l'enfant". Dans ses notes ajoutées à la lettre n°63 du 25/7/97, il lie paranoïa et "roman suivant lequel le sujet se croit un étranger dans sa famille". Le 15/10/97, la lettre n°71 réfléchit sur une similitude entre enfants hystériques et paranoïaques affectés de "romantisation". Enfin, le 20/6/98, Freud fait part à son correspondant de son interprétation de la nouvelle "La Femme-Juge", qu'il apparente à un roman familial. Cf FREUD: La Naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 1979, pages 168, 182, 198, 227-228

[4] Sigmund FREUD: "Le roman familial des névrosés", in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1981 Page 160.

[5] Otto RANK: Le Mythe de la naissance du héros, 1909, Réed. Paris, Payot, Collection Sciences de l'homme, 1983.

[6] Sigmund FREUD:"La psychologie de la vie amoureuse" in La Vie sexuelle, Paris, PUF, 1982, page 54.

[7] Otto RANK: Le Mythe de la naissance du héros, op. cit., page 113.

[8] Marthe ROBERT: Roman des origines et origines du roman, Paris, Grasset, 1972, Rééd. Gallimard, Collection Tel, 1985.

[9] Marthe ROBERT: Roman des origines et origines du roman, op. cit., page 131. La formule paraîtrait moins heureuse aujourd'hui…

[10] Pour tout ce qui concerne cet épisode, voir l'ouvrage de Houaria KADRA-HADJAJI: Contestation et révolte dans l'œuvre de Driss Chraïbi, Co-édition ENAL-Alger/Publisud, 1986,  et la thèse de Kacem BASFAO: Trajets: structure(s) du texte et du récit dans l'œuvre romanesque de Driss Chraïbi, Doctorat d'Etat sous la direction de Raymond JEAN, Aix-en-Provence, 1989.

[11] La plus récente dénégation que nous connaissions a été publiée sur Internet grâce au site Limag (http://www.limag.com) créé et animé par Charles Bonn. Elle a lieu lors d'une interview menée à Tanger le 24/10/1998 par une étudiante marocaine, Fatima Fassi-Firhi. Cette dernière demande à Chraïbi: "Comment s'est fait le passage de Driss à Ali?", et l'écrivain de répondre littéralement à côté, puisque Ali est le personnage principal de nombreux romans policiers écrits à la troisième personne: "Alors là, c'est un piège, parce que vous faites encore référence au Passé simple. Et il y a une grande différence entre l'écrivain et le narrateur. Vous voyez, Le Passé simple n'est pas autobiographique. Et j'aurai l'occasion d'en parler si Dieu me prête vie dans le second tome de mes mémoires. Il y a autant(sic) de clichés faits autour de ce livre que je reste le révolté."

[12] Vladimir PROPP: Morphologie du conte, Paris, Le Seuil, 1965.

[13] Marthe ROBERT: Préface aux Contes de Grimm, Paris, Gallimard, 1976, Collection Folio, pages 17-18.

[14] Plus prosaïquement, le personnage principal du Passé simple s'exprime en ces termes dans les toutes dernières lignes: "Je pisse. Je pisse dans l'espoir que chaque goutte de mon urine tombera sur la tête de ceux que je connais bien, qui me connaissent bien, et qui me dégoûtent. Quant à toi, Seigneur, je ne dis pas: adieu. Je dis: à bientôt!"

[15] Citation extraite d'une lettre autographe de l'auteur qu'il nous a adressée en 1995. Il reprenait la version présentée lors d'un entretien avec Houaria KADRA-HADJAJI, reproduite dans la thèse de cette dernière, Contestation et révolte dans l'œuvre de Driss Chraïbi, op. cit.

[16] Rachid Boudjedra venait de publier L'Insolation en 1972, son deuxième roman après La Répudiation en 1969.

[17] Daniel RIVET: Le Maroc de Lyautey à Mohammed V, Paris, Denoël, 1999, page 16O, et plus généralement tout le chapitre 5 consacré à la paysannerie marocaine

[18] Daniel RIVET: Le Maroc de Lyautey à Mohammed V, op. cit. page 162.

[19] Driss CHRAIBI: Vu, lu, entendu, op. cit., page 12.

[20] Daniel RIVET: op.cit., page 239.

[21] Sur les paramètres permettant de définir la trilogie, voir Jeanne FOUET: Driss Chraïbi en marges, Paris, L'Harmattan, 1999,pages 55-59.

[22] Gérard GENETTE: Seuils, Paris, Editions du Seuil, Collection "Poétiques", 1987.

[23] Jacques LECARME: L'Autobiographie, Paris, Colin, 1997, page 28.

[24] Kacem BASFAO: Trajets: structure(s) du texte et du récit dans l'œuvre romanesque de Driss Chraïbi, op.cit., et tout particulièrement l'entretien reproduit en annexe sous le titre "La crue mue".

[25] Driss CHRAIBI: Naissance à l'aube, Paris, Le Seuil, 1986, page 212.

[26] Driss CHRAIBI: La Mère du printemps (l'Oum-er-Bia), Paris, Le Seuil, 1982, page 214.

[27] Driss CHRAIBI: Naissance à l'aube, op.cit., page 173.

[28] On appelle "Sanhadja" le groupe berbère qui se reconnaît dans l'ancêtre commun Branès. Pour ces questions d'identification lignagère et pour l'histoire des Berbères, voir l'ouvrage de Gabriel CAMPS: Les Berbères: mémoire et identité, Paris, Editions Errance, 1995.

[29] Daniel RIVET: Le Maroc de Lyautey à Mohammed V; op. cit., page 167.

[30] Charles BONN: "Itinéraires d'écriture en Méditerranée", in Annuaire de l'Afrique du Nord, Editions du CNRS, 1982, page 850.

[31] Jacques LECARME: L'autobiographie, op. cit., page 137.

[32] Jacqueline ROUSSEAU-DUJARDIN: "Roman familial, écrits intimes et insertion dans le temps", in Ecriture de soi et psychanalyse, ouvrage publié sous la direction de Jean-François CHIANTARETTO, Paris, L'Harmattan, 1996, page 246.

[33] Driss CHRAIBI: Naissance à l'aube, op. cit., page 186.

[34] Driss CHRAIBI: Vu, lu, entendu, mémoires, Paris, Denoël, 1998.

[35] Jean-Marie GOULEMOT: L'autobiographie et les historiens, in Le Magazine Littéraire n° 252-253, avril 1988, pages 27-28.

[36] Abdelkebir Khatibi, Le Roman maghrébin, Paris François Maspero, 1968 (réédité en 1979 chez SMER à Rabat) ; Jean Déjeux, Maghreb, littératures de langue française, Paris, Ed. Arcantère, 1993 et  Christiane Chaulet-Achour, Anthologie de la littérature algérienne de langue française, Paris, ENAP-Bordas, 1990.

[37] Jean Déjeux, La Littérature féminine de langue française au Maghreb, Paris, Karthala, 1994, p. 22.

[38] Anthologie de la littérature algérienne de langue française, op. cit., p.39. Voir aussi un autre travail, fort intéressant, du même auteur intitulé Noûn, Algériennes dans l’écriture, Biarritz, Atlantica, 1998.

[39] Boutheïna AZAMI-TAWIL, Paris, L’Harmattan, 1998.

[40] Ce thème est commun aux écrivains du Maghreb femmes et hommes, francophones et arabophones. Pour les romanciers de langue arabe, voir Mohamed Zefzaf, Bai’at al-ward, ,Rabat, Ed.Okad, 1996(Texte non traduit en français. Le titre peut être traduit par La fleuriste) ; Mohamed Choukri, Le Pain nu, Paris, François Maspero, 1980 et Le Temps des erreurs, Paris, Seuil, 1994 (ces textes sont traduits de l’arabe respectivement par Tahar Ben Jelloun et Mohamed El Ghoulabzouri) ; Ahlam Mostaghanemi, Dhakirat al-jassad (La Mémoire du corps), Beyrouth,  Dar Al-adab, 1998 et Fawda Al-hawass (Le Désordre des sens), Beyrouth , Dar Al-adab,1998. Pour les auteurs francophones on peut évoquer Taos Amrouche, Tahar Ben Jelloun, Assia Djebar, Malika Mokkedem, Rachid Boudjedra, Brick Oussaïd... Voir aussi l’étude de Nefissa Zerdoumi, Enfants d’hier, Paris, François Maspero, 1979.

[41] Sur une approche des configurations sémantiques de la mémoire, on peut consulter avec intérêt Jean-Yves et Marc Tadié, Le Sens de la mémoire, Paris, Gallimard, 1999.

[42] Cette marginalité n’est pas étrangère à la littérature maghrébine, en l’occurrence tangéroise. Notons que l’auteur est par ailleurs née à Tanger. Cette ville a donné des noms comme Mohamed Choukri, Mohamed Mrabet et Driss Ben Hamed Charhadi (pseudonyme) dont les textes ont été analysés par Marc Gontard, Le Moi étrange, Paris, L’Harmattan, 1993. Il faut dire que la littérature, en général, est un banquet de la Marge.

[43] La Mémoire des temps, op. Cit., p. 19. Soulignons que la présence (qui sera dans le roman une omniprésence) de la mère « fondatrice » dès le début du texte se situe aux antipodes de l’omniprésence du Père dans les romans maghrébins écrits par des auteurs hommes. Il serait peut-être hâtif de voir là les traces d’un « oedipe féminin » ! 

[44] Un livre récemment publié développe cet question par rapport à l’écriture autobiographique dans une perspective philosophique : Louis Marin, L’Ecriture de soi, Paris, Puf, 1999.

[45] Eric Marty, L’Ecriture du jour : le journal d’André Gide, Paris, Seuil, 1985, p. 13.

[46]La Mémoire des temps, op. Cit., p. 134.

[47] Dominique Rabaté, Vers une littérature de l’épuisement, Paris, José Corti, 1991, p. 23. A propos de l’inachèvement comme valeur, voir Claude Duchet, « Notes inachevées sur l’inachèvement »  in Leçons d’écriture (Textes réunis par Almuth GRESILLON et Michaël WERNER), Paris, Lettres Modernes MINARD, 1985, pp. 241-255.

[48] C’est aussi le cas de Sarah qui de temps en temps « tournaient la tête, fixant toujours le même point, vers un interlocuteur imaginaire »(p.100). C’est nous qui soulignons. 

[49] Vers une littérature de l’épuisement, op. Cit., p. 33.

[50] La Mémoire des temps, op.cit., p.92. C’est nous qui soulignons.

[51] Gilbert Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Dunod, 1992, p.106 (l’édition originale : Paris, Bordas, 1969) et Malek Chebel, Le Corps dans la tradition au Maghreb, Paris, PUF, 1984, pp. 102-104

[52] La Mémoire des temps, op. Cit., p. 13.

[53] Ibid. p. 176.

[54] Bruno Bettelheim , Psychanalyse des contes de fées, Paris, Robert Laffont, 1976, p.16.

[55] La Mémoire des temps, op. Cit. P. 14.

[56] Ibid;, p. 44.

[57] Ibid., p. 59.

[58] Jean-Jacques Lecercle, La Violence du langage, Paris, PUF, 1996, p. 259.

[59] Texte d'une communication à la journée d'études "L'imaginaire du jeune maghrébin", Institut Charles Perrault, Eaubonne, le 5 novembre 1999.

[60] Ce terme est bien pratique ici, même si sur le fond je récuse le découpage disciplinaire qu'il suppose.

[61]Paris, Julliard, 1949, 224 p.

[62] Paris, La Farandole, 1959, 23 p.

[63] Paris, La Farandole, 1974.

[64] Paris, Le Seuil, 1952, 190 p.

[65] Paris, Le Seuil, 1954, 220 p.

[66] Paris, Le Seuil, 1954, 131 p.

[67] Voir mon La littérature algérienne de langue française et ses lectures. Sherbrooke (Québec), Naaman, 1974, pp. 155-215.

[68] Les numéros 19 à 24, de 1970 à 1972, en ont été répertoriés dans la banque de données Limag.

[69] Alger, SNED.

[70] Tournai, Casterman.

[71] Paris, Publisud.

[72] Par exemple Les Isefra, Poèmes de Si Mohand Ou M'Hand, Paris, Maspéro, 1969, ou Poèmes kabyles anciens, Paris, Maspéro, 1980.

[73] Sur ces expériences, on renverra entre autres aux travaux de Nadine Decourt et parmi ceux-ci à La Vache des orphelins. Contes et immigration. Lyon, Presses de l'Université Lyon 2, 1995. Signalons aussi dans ces années 80 plusieurs recueils collectifs de contes maghrébins, surtout kabyles, collectés dans l'Emigration par des collectifs de bibliothécaires, d'éducateurs ou de travailleurs sociaux, et ce dans un environnement le plus souvent féminin permettant l'éclosion de la parole des conteuses. Ainsi du collectif SAHYKOD (sigle formé à partir des initiales des prénoms des conteuses), du centre social de Montferré près de Saint-Etienne, qui publie chez L'Harmattan Lundja : contes du Maghreb en 1988, et Hadidoudane et la sorcière. Contes du Maghreb en 1990. Signalons encore parmi d'autres La Princesse Nadia et l'eau de la vie (L'Harmattan, 1990), ensemble de récits par des enfants d'une école de Creil, ans la banlieue parisienne.

[74] L'Ane Khal à l'école. Mohammedia, SODEN, 1987. Les Aventures de l'Ane Khal. Paris, Le Seuil, 1992.

[75]1972-1980.

[76] Paris, Messidor/La Farandole, 1986.

[77] Paris, Le Seuil, coll. Points-Virgule, 1986.

[78] Paris, Le Seuil, coll. Points-Virgule, 1989.

[79] Paris, Le Seuil.

[80] Tous deux chez Actes Sud.

[81] Paris, Stock, 1978.

[82] Paris, Stock, 1981.

[83] Paris, Stock, 1982, suivi chez le même éditeur par Les Carnets de Shérazade en 1985, Le Fou de Shérazade en 1991.

[84] Paris, Stock.

[85] Paris, Le Seuil, 1999.

[86] Paris, Ramsay, 1999.

[87] Une Enfance d'ailleurs. 17 écrivains racontent. Paris, Belfond, 1993. Une Enfance algérienne. Textes inédits recueillis par Leïla Sebbar. Paris, Gallimard, 1997. Il est intéressant de noter ici que cette promotion de la nouvelle se fait par le biais d'une thématique de l'enfance, ce qui va encore plus dans le sens de cette association de registres qu'on développe ici.

[88] Albert Memmi appelle Roblès et Camus écrivains français du Maghreb, pour Mouloud Feraoun au contraire ils sont les exposant de l’Ecole d’Alger; Camus, enfin, il préférait parler d’Ecole nord‑africaine des Lettres. Peu importe l’étiquette glissée de la plume de Gabriel Audisio, ce qui frappe est cette incertitude, comme  s’il n’était pas possible de trouver le juste nom, la formule adéquate, comme si l’on cherchait à éviter un naufrage dramatique.

[89] Expression que nous empruntons à M. Lacheraf: “Ainsi à supposer même que la langue arabe n’ait pas été interdite en Algérie, elle n’en aurait pas moins subi (comme c’eut été le cas pour telle ou telle langue européenne si l’occupation nazie s’était poursuivie pendant une génération ou deux) le déclassement inhérent à tout état de sujétion prolongé. La valeur intrinsèque de la langue n’y est pour rien: c’est un tort qui leur est fait, capable d’acquérir par elle-même tous les caractères du développement scientifique moderne dans le contexte d’un pays notoirement reconnu comme sous‑développé" (1974, 316 et suiv.).

[90] “Terme anglais utilisé par les sociologues américains, transcrit tel quel en français pour caractériser les changements qui s’effectuent dans la culture d’un groupe qui est mis en contact avec un autre groupe. L’expression est surtout employée pour marquer l’entrée dans une nouvelle phase culturelle d’une culture dite inférieure lorsqu’elle est influencée par une culture considérée comme supérieure. La notion d’acculturation peut-être considérée dans le domaine de l’ethnologie et de la sociologie comme un concept ‘opératoire’ dans la mesure où elle est appliquée avec rigueur à des recherches précises dans un milieu déterminé. Ce terme nouveau est à l’origine un anglicisme créé par des ethnologues américains. Il a les mêmes avantages et présente la même ambiguïté que le mot “culture” à partir du quel il a été conçu. Il est exposé à subir les mêmes avatars: chacun se fait de la culture une idée qui correspond à sa propre formation et à son information, à ses préjugés, à ses préventions, à son idéologie.” P. Gilbert, dictionnaire des mots nouveaux, Hachette / Tchou, 1971.

[91] “Pour ma part, et quoi qu’on pense, si j’écris en français, dans une langue d’herbe et de forêts, il m’arrive souvent, avant d’écrire, de penser en arabe, de sentir en berbère, de me reconnaître et de m’identifier sous le signe de l’olivier, de l’oued et du djebel. Et l’Algérie reste pour moi, qu’on le veuille ou non, mon territoire et mon grenier, ma source, mon domaine intérieur. Je revendique, au nom de l’écrivain, cette dualité. (...) Ce que je veux simplement dire, c’est qu’en Algérie, en raison de la juxtaposition des modes de vie et de pensée, de la prolifération des langues et des vocables, se définissait quotidiennement, dans le vécu, un territoire culturel particulier, original, où, chacun, échappant un instant à l’enclos ordinaire des races, des nations et des religions, avait à se situer par rapport à l’autre: l’opposé, le différent” (Pélégri, 1981, 146 -163) Cfr. aussi Ma mère, l’Algérie, où Pélégri revendique dans des pages déchirantes son appartenance à cette terre.

[92] Voir à ce sujet l’excellant article de J. Déjeux, “Littérature Maghrébine d’expression française. Le regard sur moi-même. Qui suis‑je?” (1972). En outre sur ce doute anthropologique qui traverse toute la littérature maghrébine d’expression française voire aussi H. Salha, “Le vide dans la littérature maghrébine d’expression française”, (1990, 103‑107).

[93] Nous citons un passage de Gabriel Audisio qui nous semble particulièrement indicatif de cette méditerranéité: Car je suis provençal, sarde, catalan,‑ je suis, peu importe, de tous les rivages de cette mer où j’ai vécu, où je vivrai, qui vivra et survivra, qui m’a mordu la peau, mis du sel aux crins, rougi les yeux, celle des poètes, des savonneries, des mangeurs de coquillages, celle qui ne connaît jamais cette honte: les marées basses, où les côtes restent seules pendant des heures, toutes nues, pleines de cheveux gras, de poux sautillants et les pieds dans la vase”. (AA. VV., 1969, 27).

[94] Souffles fut un pressant stimulant pour les jeunes poètes de l’époque. Au printemps 1968 la revue publiait un poème qui était comme un défi: Peut‑on t’ / E crire / Un seul / Poème / L ibre de dire / Et de transmettre la Verité. Cfr. l’excellant article de A. Tenkoul, (1990, 81‑89).

[95] “Les écrits des années 50, comme ceux du Maroc et de Tunisie, font parler d’eux, à cause de leurs qualités littéraires et parce qu’ils sont édités en France. Ils ne naissent pas cependant ex nihilo. D’ailleurs des Algériens écrivent depuis 1947 dans les revues culturelles: Forge, Soleil, Progrès, puis Simoun. Une effervescence culturelle favorise la création; l’urgence politique du problème algérien pousse à la volonté de s’exprimer: qui sommes‑nous? Pourquoi sommes-nous colonisés? On va s’en prendre à l’Autre, mais aussi aux compatriotes: regarder l’Autre en face mais aussi dénoncer ses propres manques (la fameuse “colonisabilité” de M. Bennabi)” (Déjeux, 1992, 17‑18).