Mourida Akaïchi : Quête et théâtralité à travers les
romans de Mohammed Dib et Gassan Kanafani 

Doctorat Nouveau Régime, Université Lyon 2, 24 novembre 2000,
Directeurs de recherche : Charles Bonn et Floréal Sanagustin

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Début et Sommaire de la thèse

Introduction

Première partie

Deuxième partie

Troisième partie

Quatrième partie

Conclusion, Bibliographie, Annexes

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INTRODUCTION

 

Bien qu’elles diffèrent dans le temps et l’espace, les littératures algérienne et palestinienne partent de la même position : celle qui débute par l’occupation d’un territoire et finit par la perte d’une patrie. Toutes les deux commencent par peindre l’état et la situation de deux peuples qui vivent la perte, l’oppression et la dislocation, et plaident pour l’affranchissement et la liberté. Elles offrent ainsi à la littérature arabe une nouvelle tonalité qui résonne de douleur, mais qui conduit plus tard à la révolte. Parmi tant d’auteurs, Mohammed Dib et §assŒn KanafŒn¸ comptent désormais comme les chefs de file de ces deux littératures. Leurs écritures qui portent le drame des peuples algérien et palestinien vont au delà pour chercher la liberté de tout peuple opprimé. Cependant, l’histoire fait que les deux causes diffèrent dans le temps : celle de l’Algérie prend fin en 1962 alors que celle de la Palestine commence réellement et concrètement en 1948.[1]

L’œuvre de Dib fonde la littérature algérienne et maghrébine d’expression française dont La grande maison[2] marque le point de départ :

“ Mohammed Die est un des plus constructifs et des plus profonds parmi les écrivains algériens de langue française, un des plus lucides aussi ”[3].

Elle suit deux voies différentes et se scinde en deux parties ; l’une se situe au temps de la colonisation, notamment la trilogie,[4] et l’autre vient après l’indépendance. Cette première qui s’enracine dans le réalisme, porte désormais les germes de la lutte et la révolte : l’homme colonisé qui était jusque là passif, commence à parler de sa  condition, refuse la soumission et défie l’oppresseur par différents moyens[5]. La deuxième qui part des années 1962[6], marque un tournant très important au sein de l’œuvre. Elle se détache ainsi du réalisme, et se tourne plutôt vers le rêve et la quête :

“ N’ayant plus à nous faire l’avocat d’une cause, dit Mohammed Dib, nous essayons, j’essaie pour ma part, d’aller à présent vers des régions moins explorées, de faire œuvre d’écrivain dans le sens le plus plein du terme ”. [7]   

Mais se détache-t-elle réellement de la cause et de la lutte ? Nous verrons que cette seconde partie de l’œuvre porte toujours les séquelles d’une longue et douloureuse colonisation. 

KanafŒn¸ fait son entrée dans la littérature arabe par un apport très précieux , c’est son réalisme qui rompt  avec une littérature ancrée dans l’imaginaire :

“ Qui suis-je, s’interroge Yásuf Idr¸s, pour pouvoir présenter un auteur qui a ôté à la littérature arabe toute la honte, et qui a lavé de son sang la paresse de cent ans ? Qui suis-je et qu’ai-je fait pour la cause pour présenter un auteur qui a fait pour elle ce qui est devenu parmi les légendes ? ” [8].

Il traite dans ses écrits la réalité d’un peuple et d’un pays qui sont les siens, autrement que les autres l’ont fait[9]. Il ne s’arrête pas à la description d’un peuple opprimé, privé de sa terre, et ne le fait pas pour le pleurer comme d’autres écrivains nous y avaient habitué, mais pour appeler  au soulèvement et à l’action. Ce changement au niveau de l’écriture permet qu’on s’interroge sur le devenir de l’écriture kanafanienne :

“ Étant écrivain, précise l’auteur, c’est sur le terrain de la littérature que           j’ai choisi de combattre, en faisant connaître les réalités palestiniennes, en           faisant partager par ceux qui me liront, les souffrances et les espoirs de                  notre patrie ”.[10]  

Par l’engagement militant qui la caractérise et l’affranchissement qu’elle réclame en insistant sur l’action, l’œuvre de KanafŒn¸ offre à la littérature palestinienne une autre couleur et un autre ton qui la sortent de la douleur et de l’attente vaine.

Dib et KanafŒn¸ sont ainsi deux innovateurs parmi leurs contemporains : l’un au sein de la littérature maghrébine et l’autre dans la littérature palestinienne et arabe en général. Ils  se rapprochent aussi par la variété de leurs écritures ; tous les deux ont écrit des romans, des nouvelles et du théâtre ; l’œuvre de Dib s’élargit à la poésie.

Cette proximité dans l’itinéraire et au sein des deux oeuvres permet une étude comparative. Cependant,  nous choisissons de mettre l’accent dans l’œuvre de Dib sur la deuxième partie. Bien que l’écriture change d’objet, son étude est d’un grand intérêt. Elle coïncide d’abord chronologiquement avec l’œuvre de KanafŒn¸, car toutes les deux ont pour point de départ les années 1960/1962. Cela nous paraît intéressant pour deux raisons : d’abord, si nous nous contentions d’étudier la première partie de l’œuvre de Dib et celle de KanafŒn¸ qui s’ancrent toutes les deux dans le réalisme et le militantisme, nous risquerions de tomber dans la monotonie, en étant amené à suivre deux trajectoires qui vont dans un même sens. La deuxième, c’est parce que ce changement au niveau de l’écriture permet de s’interroger sur ce que serait devenue de l’écriture kanafanienne si l’auteur était resté en vie, et si la cause pour laquelle il écrit n’était plus présente. Et il serait regrettable de négliger cette nouvelle phase de l’écriture dibienne alors qu’elle est pleine de richesse, car elle pose l’interrogation au niveau du langage et de l’écriture, s’engage dans une quête différente, et répond en grande partie à notre thématique. Notre corpus sera ainsi limité à cinq romans de chaque œuvre :

  Chez Dib : - Qui se souvient de la mer. Paris, Le Seuil, 1962. 

- Cours sur la rive sauvage. Paris, Le Seuil, 1964.

                    - La Danse du roi. Paris, Le Seuil, 1968.

                   - Habel. Paris, Le Seuil, 1977.

                   - Les Terrasses d’Orsol. Paris, Sindbad, 1985.

 

Chez KanafŒn¸ : - Des Hommes dans le soleil. dans al׌r al-kŒmila, Muassassat al-abªŒ× aaal-arabiyya, 1963.

- Ce qui vous est resté. dans al׌r al-kŒmila, Muassassat al-abªŒ× aaal-arabiyya, 1966.  

- Umm Sad. dans al׌r al-kŒmila, Muassassat al-abªŒ× aaal-arabiyya, 1969.  

- De retour à ©ayfŒ. dans al׌r al-kŒmila, Muassassat al-abªŒ× aaal-arabiyya,1969.

- L’Amant. dans al׌r al-kŒmila, Muassassat al-abªŒ× aaal-arabiyya,1972.

- L’aveugle et le Sourd. dans al׌r al-kŒmila, Muassassat al-abªŒ× aaal-arabiyya, 1972. [11]

Nous serons amenés le long de cette étude à citer d’autres romans des deux auteurs. Nous citerons aussi certaines nouvelles, poèmes ou pièce de théâtre.

Venons-en à présent au sujet. Le choix de ce thème découle d’une constatation personnelle. Nous avons remarqué lors de la lecture des deux oeuvres, lecture indépendante l’une de l’autre et non parallèle, qu’une forte quête va de pair avec une théâtralité du roman. Ces deux thèmes se présentent parfois en même temps, comme l’un peut provoquer l’autre. Essayons de préciser ce que nous entendons par chacun des deux termes.

Par quête, nous entendons toute opération ou activité de recherche, voire de demande. La quête est à l’origine des deux oeuvres. Car partant de la perte d’une patrie et l’ayant vécue, subie, les écritures des deux auteurs se fondent sur la quête du lieu perdu, et de toute valeur qui redonne la dignité, la légitimité et la paix aux peuples qui ont tout perdu. Nous verrons qu’elle est très variée, et peut aller de la recherche d’un personnage jusqu’à une quête métaphysique pour aboutir au sens. Ce thème n’est pas uniquement présent dans les écrits romanesques des deux auteurs, mais aussi dans leurs écrits théâtraux. Mille Hourras pour une gueuse[12] de Dib a pour sujet principal une longue et pénible marche en recherche de paix et la liberté. De même al-BŒb[13] de KanafŒn¸ se fonde sur la quête d’une puissance chez ÐaddŒd pour défier le Dieu HibŒ.

Chez KanafŒn¸, la quête vise essentiellement la patrie perdue qu’est la Palestine. L’auteur évoque souvent différentes quêtes : on recherche les lieux, les siens, ... Mais il y en a une autre plus profonde, la quête intérieure que nous étudierons dans Ce qui vous est resté, celle de l’éveil et de la révolte qui insiste sur le changement et amène l’action. Chez Dib, elle est beaucoup plus large que cela, car elle pose des interrogations sur la vie, l’existence, le monde et surtout l’écriture à travers laquelle elle tend vers sa signifiance, le déchiffrement du langage et par delà, la transparence du monde.

Par théâtralité, nous entendons tout ce qui touche le théâtre : représentation, techniques dramatiques, scénographie. C’est : “ la présence dans une représentation de signes qui disent clairement la présence du théâtre ”.[14] 

Si elle n’est pas présente à travers la représentation, la théâtralité a toujours sa place dans l’œuvre de KanafŒn¸. Le lecteur attentif remarquera qu’il y a souvent chez l’auteur le regard d’un spectateur de théâtre. En écrivant ses romans, KanafŒn¸ pense souvent au théâtre et le fait dire par le narrateur ou le personnage. Il ne cesse de rappeler au lecteur la présence de scènes par les indications théâtrales. On retient Dans la scène qui réunit : Maryam, Òafiyya, Sa¸d et «aldun/Dov dans De Retour à Hayfa,[15]où le le narrateur observe certains états comme dans un théâtre : “ Un silence – régna, alors que le sanglot de Òafiyya monta comme s’il venait des sièges d’un spectateur d’une grande sensibilité ” (p. 398).

Parfois, il opère par une distanciation[16] pour isoler un personnage, ou le narrateur, ou lui-même, et en faire un spectateur d’une scène dans le roman. Sa¸d, dans Umm Sad[17], en observant les paumes de Umm Sad, avec tout ce que cette femme dégage de fatigue et de douleur, s’imagine dans un théâtre grec : “Tout ce qui se passait dans le cœur de cette femme, dit-il, je le compris alors et pour la première fois. Cette tristesse incurable, la veine d’une tragédie grecque, je la vivais ” (p. 263). Ou encore dans De retour à ©ayfŒ[18], devant le comportement de Dov : “ Sa¸d eut soudain un étrange sentiment comme s’il assistait à une pièce de théâtre préparée minutieusement d’avance, et il pensa à des scènes dramatiques dans des séries B ” (p. 398). Dans Des hommes dans le soleil[19], l’entrée des personnages dans la citerne devient pour Abu al-«ayzurŒn un théâtre : “ Et lorsque nous arrivons aux frontières du Koweït, leur dit-il, nous répéterons le théâtre pendant cinq minutes ” (p. 97) ; nous aurons l’occasion de voir beaucoup d’autres exemples au cours de cette étude.

En même temps, la présentation des personnages et leur évocation donnent à voir en détail leurs déplacements, leurs gestes, leurs expressions ; ce qui incite le lecteur à suivre leurs changements aussi bien au niveau physique que psychologique.  

Cette présence théâtrale revêt dans l’œuvre de Dib une forme différente. En plus des techniques dramatiques qui sont fréquentes, il existe des situations qui teintent l’écriture romanesque d’une théâtralité tragique, et sont dans une relation profonde avec la quête, elle-même de nature tragique. Ainsi, ces situations sont telles que le personnage “ quêteur ” se trouve souvent enfermé au sein d’un monde qui lui semble étrange et muet. Cours sur la rive sauvage, [20] Habel[21] et Les Terrasses d’Orsol[22] incarnent ce thème de la quête inassouvie, et portent cet enfermement tragique des trois héros : Iven Zohar, Habel et Ed s’engagent dans différentes quêtes qui ont pour premiers objets la ville-nova, la fosse de Jarbher et la ville de Paris. Mais ces trois lieux dérobent leurs secrets et deviennent tragiques. Cependant cette théâtralité tragique touche surtout le langage et l’écriture dans le sens où ils se représentent. Car la quête dibienne a pour but ultime le déchiffrement du langage et l’aboutissement à un sens.

Le rapport entre quête et théâtralité semble évident, car d’une part, toute œuvre, romanesque ou théâtrale, est porteuse à notre sens d’une quête, si ce n’est de plusieurs; et si l’on remonte au théâtre grec, on trouve que la quête y est essentielle. C’est souvent celle, insistante entre l’homme et son Dieu, ou entre l’homme et le pouvoir :

“ Le domaine propre de la tragédie se situe à cette zone frontière où les actes humains viennent s’articuler avec les puissances divines, où ils prennent leur sens véritable, ignoré de l’agent, en s’intégrant dans un ordre qui dépasse l’homme et lui échappe ”. [23]

De plus, la représentation au sein de ce théâtre cherche à montrer comment l’homme peut réagir envers ces deux puissances : divine et politique. Il y a ainsi une double quête : celle de l’auteur, illustrée dans le texte, et celle du spectateur qui, lui, est à la recherche d’un divertissement et peut-être aussi de réponses à ses interrogations.            

De même chez Dib, l’importance accordée au langage et à sa représentation dans la deuxième partie de son œuvre et le don de la parole au personnage nous amènent à penser à cette théâtralité. Mille Hourras pour une gueuse qui n’est que la scène de la marche du groupe de personnages dans La danse du roi, avec quelques ajouts, constitue un exemple pratique et convaincant pour nous ouvrir la voie de cette étude. Ce qui nous importe donc dans cette étude théâtrale, c’est la représentation. Nous verrons que celle-ci touche le personnage, l’espace, le temps,..., et même l’écriture. 

Si la quête en tant que thème réside dans le contenu, la théâtralité vise plutôt l’esthétique du roman. Elle touche à sa forme et à sa construction, car :

“ La véritable notion centrale de la recherche esthétique ne doit pas être le matériau, mais l’architectonique, ou la construction, ou la structure de l’œuvre, entendue comme un lieu de rencontre et d’interaction entre matériau, forme et contenu [24]”.


METHODOLOGIE

 

Les études faites sur les deux oeuvres nous ont habitué à voir souvent le côté militant et idéologique chez les auteurs ; celles nombreuses qui ont été consacrées à l’œuvre de Dib se sont désormais intéressées à la quête, notamment celle de l’identité, de l’espace, des valeurs idéologiques, qu’on trouve dans les travaux de plusieurs auteurs comme par exemple :

Charles BONN : Lecture présente de Mohammed Dib. Alger, ENAL, 1988.

Beida CHIKI : La problématique de l’écriture dans la littérature algérienne de langue française. L’exemple des romans de Mohammed Die. Thèse de troisième cycle, Paris VIII, 1983.

Jean DEJEUX : Mohammed Dib, écrivain algérien. Sherbrooke (Québec), Naaman, 1977.

Naget KHADDA : L’ouvre romanesque de Mohammed Dib, proposotions pour l’analyse de deux romans. Alger, Office de Publications Universitaires, 1983.

La quête portée par la deuxième partie de l’œuvre reste peu explorée, excepté l’étude de Charles Bonn[25]  qui se penche de très près sur le langage, et évoque la théâtralité au niveau de l’écriture. Elle constitue pour nous un apport précieux, car elle permet la transparence du monde dibien en insistant sur le langage et l’écriture. 

Les travaux consacrés à l’œuvre de KanafŒn¸ ont souvent pour thèmes la guerre, l’oppression, ... Ceux qui ont touché à la forme restent réduits. Nous retenons les études de :

Abd al-laÕ¸f al-FARB· : Al-lim al-riwa¸ inda §assŒn KanafŒn¸ min ¬ilŒl RijŒl f¸ al-Óams. 

©aydar Tawf¸q BAYàN : §assŒn KanafŒn¸. Al-Kalima wa al-jurª.    [26]

Rawa ÐàR : Al-Ôar¸q ilŒ al-«aymŒ al-u¬rŒ.  

En plus des études qui touchent directement les deux oeuvres, nous nous appuierons sur des études critiques qui traitent du roman et du théâtre. L’étude de la théâtralité doit beaucoup à la théorie de Bakhtine. Cette liberté qui caractérise le roman en tant que genre nous permet d’aborder ce thème, car : “ C’est lui (le roman) qui incarne au plus haut degré le jeu intertextuel, et qui donne à l’hétérologie la plus grande place[27] ”. “ Polyphonie ” et “ Dialogisme ” sont parmi les clés les plus pertinentes qui nous permettent d’aborder le discours en tant que dialogue :

“ Nous pouvons donc étudier la narration, au-delà des rapports Signifiant-signifié, comme un dialogue entre le sujet de la narration (S ) et le destinataire (D), l’autre. Ce destinataire n’étant rien d’autre que le sujet de la lecture, représente une entité à double orientation : signifiant dans son rapport au texte et signifié dans le rapport du sujet de la narration à lui ”. [28]

Nous verrons tout au long de cette étude que KanafŒn¸, auteur et parfois narrateur, s’adresse dans toute son œuvre, selon n’importe quelle forme, à un interlocuteur privilégié : le peuple palestinien. De même, dans les romans de Dib, il y a souvent un personnage qui parle tout seul, mais il s’adresse en vérité à quelqu’un.  

En maintenant ce rapport entre quête et théâtralité, nous essayerons de mener cette étude à travers les deux thèmes. Notre but est de voir comment ceux-ci figurent dans le roman, comment ils convergent - si convergence il y a -, et même comment l’un peut engendrer l’autre.

Pour cela, nous choisissons d’ouvrir ce travail par l’étude des techniques dramatiques qui serviront aussi bien la quête que la théâtralité. Nous empruntons l’ordre de ces techniques à Claude Lachet dans son étude du Lys dans la vallée de Balzac[29]selon trois chapitres : le “ déplacement des personnages ”, “ leurs gestes ” et “ leurs intonations ” participent aussi bien à la quête qu’à la théâtralité selon les deux interrogations suivantes : comment ces techniques vont-elles vers la quête ? Et dans quel cadre servent-elles à la théâtralité ?  

En deuxième lieu, nous verrons que la spatialité et la temporalité sont deux composantes très significatives pour l’étude de ces thèmes. L’espace, objet du premier chapitre, peut servir de lieu théâtral comme être l’objet d’un grand désir, donc d’une quête. La spatialité est un thème essentiellement sensible chez les deux auteurs, car c’est sa perte qui est à l’origine des écritures. De même, le temps peut être celui d’une quête et/ou porter des moments dramatiques.

Ensuite vient la “ scénographie et dramaturgie ”, volet aussi curieux que savoureux dans le sens où il illustre la représentation du roman. Comment la scène se construit-elle en tant que lieu et représentation ? Quelle est sa fonction dans l’écriture ? nous nous interrogerons sur sa nature dans chaque œuvre, son rôle dans l’aboutissement de la quête et sa composante dramatique. La dramaturgie touche plutôt à la construction du roman. Quel est l’apport dramatique dans les deux oeuvres, et par quels moyens s’accomplit-il ?

Nous terminerons par un dernier volet qui traite du passage du roman à la scène, et qui se joue entre une  quête romanesque et une situation théâtrale. Dans cette dernière partie, nous insisterons sur l’illusion. Quel est l’objet de cette illusion ? Et comment celle-ci permet-elle ce passage ?

A la fin de chaque volet, nous donnerons une illustration schématique du rôle de la quête et de la théâtralité. Et nous choisissons d’établir un dialogue entre les personnages dans les passages les plus significatifs du point de vue de ces deux thèmes que nous mettrons dans un annexe. 

L’étude de la quête et de la théâtralité et le lien qui peut exister entre elles permettent de dire que notre travail , en regard des autres études sur les deux oeuvres, touche aussi bien au contenu qu’à la forme. Et L’intérêt de cette démarche, ce n’est pas de créer un théâtre à partir du romanesque, ce qui peut être réalisé dans certains cas[30] ; mais surtout de montrer que les oeuvres de KanafŒn¸ et de Dib mêlent la quête à la théâtralité, et en tirent leur spécificité.

 

 



[1] L’occupation israélienne des terres palestiniennes s’est concrétisée en 1948, et le pays s’est soumis à un partage. 

[2] DIB (Mohammed). La Grande maison. Paris, Le Seuil, 1952.

[3] DEJEUX (Jean). Mohammed Dib, écrivain algérien. Sherbrooke (Québec) , Naaman, 1977.

[4] La trilogie de Dib regroupe les trois romans, La grande maison, L’Incendie et Le métier à tisser. 

[5] Dans L’Incendie, les Fellahs de Bni Boublen sont conscients de leur condition et commencent à parler de leur exploitation par le colon.

[6]. Jean Déjeux, Jacqueline Arnaud et Charles Bonn retiennent cette date comme début de la deuxième partie de l’œuvre de Dib.

[7] Les Lettres françaises, 7 février 1963.

[8] IDRIS (Yásuf). Introduction, Al-A×ar al-Kamila, Beyrouth, Muassasat al-abªa× al -arabiyya, , 3ème édition, 1987, p. 18.  

[9] Dire que d’autres écrivains qui précèdent KanafŒn¸ se sont arrêtés à ces thèmes : défaite, perte,... n’enlève rien à la qualité de leurs oeuvres. Ces auteurs se sont investis de très près dans la cause. Et nous dirons même que cette phase de la littérature palestinienne estt sûrement nécessaire et inévitable.

[10] KANAFN· (§assŒn). Al-Hadaf, n°129, 15 septembre 1973. (cité par Sa¸di Mohamed).

[11] L’Aveugle et le Sourd et L’Amant sont inachevés.

[12] DIB (Mohammed). Mille Hourras pour une gueuse. Paris, Le Seuil, 1980.

[13] KANAFN· (§assŒn). Al-Bab. Dans Al-aÕar al-kamila, Beyrouth, Muassassat al-abªaÕ al-arabiyya, , 3ème édition, 1993.

[14] UBERSFELD (Anne). Les termes clés du théâtre. Paris, Le Seuil, 1996, p. 83.

[15] KANAFN· (§assŒn). De retour à ©ayfŒ. . Dans Al-aÕar al-kamila, Beyrouth, Muassassat al-abªaÕ al-arabiyya, 1969.

[16] BRECHT (Bertholt). Ecrits sur le théâtre. Paris, L’Arche Editeur, 1963,1972, “ Distancier, c’est transformer le chose qu’on veut faire comprendre, sur laquelle on veut attirer l’attention, de chose banale, connue, immédiatement donnée, en une chose particulière, insolite, inattendue. ” p. 345.

[17] KANAFN· (§assŒn). Umm Sad. dans al׌r al-kŒmila, Muassassat al-abªŒ× aaal-arabiyya

[18] KANAFN· (§assŒn). De retour à ©ayfŒ. dans al׌r al-kŒmila, Muassassat al-abªŒ× aaal-arabiyya, 1969.  

[19] KANAFN (§assŒn). Des Hommes dans le soleil. dans al׌r al-kŒmila, Muassassat al-abªŒ× aaal-arabiyya, 1963.

[20] DIB (Mohammed). Cours sur la rive sauvage. Paris, Le Seuil, 1964.

[21]DIB (Mohammed). Habel. Paris, Le Seuil, 1977.

[22] [22]DIB (Mohammed). Les Terrasses d’Orsol. Paris, Sindbad, 1985.

[23] VERNANT (Jean pierre). Mythe et Tragédie en Grèce ancienne. Paris, La Découverte, 1986, p. 39.

[24] BAKHTINE (Mikhaïl). Esthétique de la création verbale. Moscou,  “ Iskoustvo ”, 1979, p. 10.

[25] BONN (Charles). Lecture présente de Mohammed Dib, Alger, ENAL, 1988. 

[26] Dans son étude, l’auteur conclut que les romans de Kanafani ont un rythme épique et non théâtral. Nous verrons le long de cette étude que le rythme est épique et théâtral à la fois.  

[27] TODOROV (Tzevetan). Mikhaïl Bakhtine. Le principe dialogique suivi des Ecrits du cercle de Bakhtine. Paris, Le Seuil, 1981, p. 124. 

[28] KRISTEVA (Julia). Recherches pour une sémanalyse. Paris, Le Seuil, 1969, p. 156.

[29] LACHET (Claude). Thématique et technique du Lys dans La vallée... Nous voulons souligner ici la finesse de cette étude et les indications théâtrales qu’elle repère attentivement. Elle est parmi les travaux qui nous ont encouragé à aborder le thème de la théâtralité.

[30] Nous avons eu l’occasion de discuter de la théâtralité du roman avec Roger Planchon lors de sa conférence intitulée : Mise en scène, mise en mots, à Lyon, Université Lumière, 1997. Le roman dont l’écriture est teintée de théâtralité, nous a-t-il dit, peut passer à une pièce de théâtre.