Mourida Akaïchi : Quête et théâtralité à travers les
romans de Mohammed Dib et Gassan Kanafani
Doctorat Nouveau Régime, Université Lyon 2, 24 novembre 2000,
Directeurs de recherche : Charles Bonn et Floréal Sanagustin
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Conclusion, Bibliographie, Annexes
Bien
qu’elles diffèrent dans le temps et l’espace, les littératures algérienne et
palestinienne partent de la même position : celle qui débute par l’occupation
d’un territoire et finit par la perte d’une patrie. Toutes les deux commencent par
peindre l’état et la situation de deux peuples qui vivent la perte,
l’oppression et la dislocation, et plaident pour l’affranchissement et la
liberté. Elles offrent ainsi à la littérature arabe une nouvelle tonalité qui
résonne de douleur, mais qui conduit plus tard à la révolte. Parmi tant
d’auteurs, Mohammed Dib et §assŒn KanafŒn¸ comptent désormais comme les chefs de file de ces deux littératures.
Leurs écritures qui portent le drame des peuples algérien et palestinien vont
au delà pour chercher la liberté de tout peuple opprimé. Cependant, l’histoire
fait que les deux causes diffèrent dans le temps : celle de l’Algérie
prend fin en 1962 alors que celle de la Palestine commence réellement et
concrètement en 1948.[1]
L’œuvre de Dib fonde la
littérature algérienne et maghrébine d’expression française dont La grande
maison[2]
marque le point de départ :
“ Mohammed Die est un
des plus constructifs et des plus profonds parmi les écrivains algériens de
langue française, un des plus lucides aussi ”[3].
Elle suit deux voies
différentes et se scinde en deux parties ; l’une se situe au temps de la
colonisation, notamment la trilogie,[4]
et l’autre vient après l’indépendance. Cette première qui s’enracine dans le
réalisme, porte désormais les germes de la lutte et la révolte : l’homme
colonisé qui était jusque là passif, commence à parler de sa condition, refuse la soumission et défie
l’oppresseur par différents moyens[5].
La deuxième qui part des années 1962[6],
marque un tournant très important au sein de l’œuvre. Elle se détache ainsi du
réalisme, et se tourne plutôt vers le rêve et la quête :
“ N’ayant
plus à nous faire l’avocat d’une cause, dit Mohammed Dib, nous essayons,
j’essaie pour ma part, d’aller à présent vers des régions moins explorées, de
faire œuvre d’écrivain dans le sens le plus plein du terme ”. [7]
Mais se détache-t-elle
réellement de la cause et de la lutte ? Nous verrons que cette seconde
partie de l’œuvre porte toujours les séquelles d’une longue et douloureuse
colonisation.
KanafŒn¸ fait son entrée dans la littérature arabe par un apport très
précieux , c’est son réalisme qui rompt
avec une littérature ancrée dans l’imaginaire :
“ Qui
suis-je, s’interroge Yásuf Idr¸s, pour pouvoir présenter un auteur qui a ôté à la littérature arabe
toute la honte, et qui a lavé de son sang la paresse de cent ans ? Qui
suis-je et qu’ai-je fait pour la cause pour présenter un auteur qui a fait pour
elle ce qui est devenu parmi les légendes ? ” [8].
Il traite dans ses écrits
la réalité d’un peuple et d’un pays qui sont les siens, autrement que les
autres l’ont fait[9].
Il ne s’arrête pas à la description d’un peuple opprimé, privé de sa terre, et
ne le fait pas pour le pleurer comme d’autres écrivains nous y avaient habitué,
mais pour appeler au soulèvement et à
l’action. Ce changement au niveau de l’écriture permet qu’on s’interroge sur le
devenir de l’écriture kanafanienne :
“ Étant
écrivain, précise l’auteur, c’est sur le terrain de la littérature que j’ai choisi de combattre, en faisant
connaître les réalités palestiniennes, en faisant
partager par ceux qui me liront, les souffrances et les espoirs de notre patrie ”.[10]
Par
l’engagement militant qui la caractérise et l’affranchissement qu’elle réclame
en insistant sur l’action, l’œuvre de KanafŒn¸ offre à la littérature palestinienne une autre couleur et un autre ton
qui la sortent de la douleur et de l’attente vaine.
Dib et
KanafŒn¸ sont ainsi deux innovateurs parmi leurs
contemporains : l’un au sein de la littérature maghrébine et l’autre dans
la littérature palestinienne et arabe en général. Ils se rapprochent aussi par la variété de leurs écritures ;
tous les deux ont écrit des romans, des nouvelles et du théâtre ; l’œuvre
de Dib s’élargit à la poésie.
Cette proximité dans l’itinéraire et au sein des deux oeuvres permet
une étude comparative. Cependant, nous
choisissons de mettre l’accent dans l’œuvre de Dib sur la deuxième partie. Bien
que l’écriture change d’objet, son étude est d’un grand intérêt. Elle coïncide
d’abord chronologiquement avec l’œuvre de KanafŒn¸, car toutes les deux ont pour point de départ les années 1960/1962.
Cela nous paraît intéressant pour deux raisons : d’abord, si nous nous
contentions d’étudier la première partie de l’œuvre de Dib et celle de KanafŒn¸ qui s’ancrent toutes les deux dans le réalisme et le militantisme,
nous risquerions de tomber dans la monotonie, en étant amené à suivre deux
trajectoires qui vont dans un même sens. La deuxième, c’est parce que ce
changement au niveau de l’écriture permet de s’interroger sur ce que serait
devenue de l’écriture kanafanienne si l’auteur était resté en vie, et si la
cause pour laquelle il écrit n’était plus présente. Et il serait regrettable de
négliger cette nouvelle phase de l’écriture dibienne alors qu’elle est pleine de
richesse, car elle pose l’interrogation au niveau du langage et de l’écriture,
s’engage dans une quête différente, et répond en grande partie à notre
thématique. Notre corpus sera ainsi limité à cinq romans de chaque œuvre :
Chez Dib : - Qui se souvient de la
mer. Paris, Le Seuil, 1962.
-
Cours sur la rive sauvage. Paris, Le Seuil, 1964.
- La Danse du roi. Paris, Le Seuil, 1968.
- Habel. Paris, Le Seuil, 1977.
-
Les Terrasses d’Orsol. Paris,
Sindbad, 1985.
Chez
KanafŒn¸ : - Des Hommes dans le soleil. dans al”‹×Œr al-kŒmila, Mu”assassat al-abªŒ× aaal-“arabiyya, 1963.
- Ce
qui vous est resté. dans al”‹×Œr al-kŒmila, Mu”assassat al-abªŒ× aaal-“arabiyya, 1966.
- Umm Sa“d. dans al”‹×Œr al-kŒmila, Mu”assassat al-abªŒ× aaal-“arabiyya, 1969.
- De retour à ©ayfŒ. dans al”‹×Œr al-kŒmila, Mu”assassat al-abªŒ× aaal-“arabiyya,1969.
- L’Amant. dans
al”‹×Œr al-kŒmila, Mu”assassat al-abªŒ× aaal-“arabiyya,1972.
- L’aveugle et le Sourd. dans al”‹×Œr al-kŒmila, Mu”assassat al-abªŒ× aaal-“arabiyya, 1972. [11]
Nous serons amenés le long
de cette étude à citer d’autres romans des deux auteurs. Nous citerons aussi
certaines nouvelles, poèmes ou pièce de théâtre.
Venons-en à présent au
sujet. Le choix de ce thème découle d’une constatation personnelle. Nous
avons remarqué lors de la lecture des deux oeuvres, lecture indépendante l’une
de l’autre et non parallèle, qu’une forte quête va de pair avec une théâtralité
du roman. Ces deux thèmes se présentent parfois en même temps, comme l’un peut provoquer
l’autre. Essayons de préciser ce que nous entendons par chacun des deux termes.
Par quête, nous entendons
toute opération ou activité de recherche, voire de demande. La quête est à
l’origine des deux oeuvres. Car partant de la perte d’une patrie et l’ayant
vécue, subie, les écritures des deux auteurs se fondent sur la quête du lieu
perdu, et de toute valeur qui redonne la dignité, la légitimité et la paix aux
peuples qui ont tout perdu. Nous verrons qu’elle est très variée, et peut aller
de la recherche d’un personnage jusqu’à une quête métaphysique pour aboutir au
sens. Ce thème n’est pas uniquement présent dans les écrits romanesques des
deux auteurs, mais aussi dans leurs écrits théâtraux. Mille Hourras pour une
gueuse[12]
de Dib a pour sujet principal une longue et pénible marche en recherche de paix
et la liberté. De même al-BŒb[13] de KanafŒn¸ se fonde sur la quête d’une puissance chez ÐaddŒd pour défier le Dieu HibŒ.
Chez KanafŒn¸, la quête vise essentiellement la patrie perdue qu’est la Palestine.
L’auteur évoque souvent différentes quêtes : on recherche les lieux, les
siens, ... Mais il y en a une autre plus profonde, la quête intérieure que nous
étudierons dans Ce qui vous est resté, celle de l’éveil et de la révolte
qui insiste sur le changement et amène l’action. Chez Dib, elle est beaucoup
plus large que cela, car elle pose des interrogations sur la vie, l’existence,
le monde et surtout l’écriture à travers laquelle elle tend vers sa
signifiance, le déchiffrement du langage et par delà, la transparence du monde.
Par théâtralité, nous
entendons tout ce qui touche le théâtre : représentation, techniques
dramatiques, scénographie. C’est : “ la présence dans une
représentation de signes qui disent clairement la présence du théâtre ”.[14]
Si elle n’est pas présente
à travers la représentation, la théâtralité a toujours sa place dans l’œuvre de
KanafŒn¸. Le lecteur attentif remarquera qu’il y a souvent
chez l’auteur le regard d’un spectateur de théâtre. En écrivant ses romans,
KanafŒn¸ pense souvent au théâtre et le fait dire par le
narrateur ou le personnage. Il ne cesse de rappeler au lecteur la présence de
scènes par les indications théâtrales. On retient Dans la scène qui réunit :
Maryam, Òafiyya, Sa“¸d et «aldun/Dov dans De Retour à Hayfa,[15]où
le le narrateur observe certains états comme dans un théâtre : “ Un
silence – régna, alors que le sanglot de Òafiyya monta comme s’il venait des sièges d’un
spectateur d’une grande sensibilité ” (p. 398).
Parfois, il opère par une
distanciation[16]
pour isoler un personnage, ou le narrateur, ou lui-même, et en faire un
spectateur d’une scène dans le roman. Sa“¸d, dans Umm Sa“d[17], en observant les paumes de Umm Sa“d, avec tout ce que cette femme dégage de fatigue et
de douleur, s’imagine dans un théâtre grec : “Tout ce qui se passait dans
le cœur de cette femme, dit-il, je le compris alors et pour la première fois.
Cette tristesse incurable, la veine d’une tragédie grecque, je la vivais ”
(p. 263). Ou encore dans De retour à ©ayfŒ[18], devant le comportement de Dov : “ Sa“¸d eut soudain un étrange sentiment comme s’il
assistait à une pièce de théâtre préparée minutieusement d’avance, et il pensa
à des scènes dramatiques dans des séries B ” (p. 398). Dans Des hommes dans
le soleil[19],
l’entrée des personnages dans la citerne devient pour Abu al-«ayzurŒn un théâtre : “ Et lorsque nous arrivons aux frontières du
Koweït, leur dit-il, nous répéterons le théâtre pendant cinq minutes ” (p.
97) ; nous aurons l’occasion de voir beaucoup d’autres exemples au cours
de cette étude.
En même temps, la
présentation des personnages et leur évocation donnent à voir en détail leurs
déplacements, leurs gestes, leurs expressions ; ce qui incite le lecteur à
suivre leurs changements aussi bien au niveau physique que psychologique.
Cette présence théâtrale
revêt dans l’œuvre de Dib une forme différente. En plus des techniques
dramatiques qui sont fréquentes, il existe des situations qui teintent
l’écriture romanesque d’une théâtralité tragique, et sont dans une relation
profonde avec la quête, elle-même de nature tragique. Ainsi, ces situations
sont telles que le personnage “ quêteur ” se trouve souvent enfermé
au sein d’un monde qui lui semble étrange et muet. Cours sur la rive
sauvage, [20]
Habel[21]
et Les Terrasses d’Orsol[22]
incarnent ce thème de la quête inassouvie, et portent cet enfermement tragique
des trois héros : Iven Zohar, Habel et Ed s’engagent dans différentes
quêtes qui ont pour premiers objets la ville-nova, la fosse de Jarbher et
la ville de Paris. Mais ces trois lieux dérobent leurs secrets et deviennent
tragiques. Cependant cette théâtralité tragique touche surtout le langage et
l’écriture dans le sens où ils se représentent. Car la quête dibienne a pour
but ultime le déchiffrement du langage et l’aboutissement à un sens.
Le rapport entre quête et
théâtralité semble évident, car d’une part, toute œuvre, romanesque ou
théâtrale, est porteuse à notre sens d’une quête, si ce n’est de plusieurs; et
si l’on remonte au théâtre grec, on trouve que la quête y est essentielle.
C’est souvent celle, insistante entre l’homme et son Dieu, ou entre l’homme et
le pouvoir :
“ Le domaine propre de
la tragédie se situe à cette zone frontière où les actes humains viennent
s’articuler avec les puissances divines, où ils prennent leur sens véritable,
ignoré de l’agent, en s’intégrant dans un ordre qui dépasse l’homme et lui
échappe ”. [23]
De plus, la représentation
au sein de ce théâtre cherche à montrer comment l’homme peut réagir envers ces
deux puissances : divine et politique. Il y a ainsi une double
quête : celle de l’auteur, illustrée dans le texte, et celle du spectateur
qui, lui, est à la recherche d’un divertissement et peut-être aussi de réponses
à ses interrogations.
De même chez Dib, l’importance
accordée au langage et à sa représentation dans la deuxième partie de son œuvre
et le don de la parole au personnage nous amènent à penser à cette théâtralité.
Mille Hourras pour une gueuse qui n’est que la scène de la marche du
groupe de personnages dans La danse du roi, avec quelques ajouts,
constitue un exemple pratique et convaincant pour nous ouvrir la voie de cette
étude. Ce qui nous importe donc dans cette étude théâtrale, c’est la
représentation. Nous verrons que celle-ci touche le personnage, l’espace, le
temps,..., et même l’écriture.
Si la quête en tant que
thème réside dans le contenu, la théâtralité vise plutôt l’esthétique du roman.
Elle touche à sa forme et à sa construction, car :
“ La véritable notion
centrale de la recherche esthétique ne doit pas être le matériau, mais
l’architectonique, ou la construction, ou la structure de l’œuvre, entendue
comme un lieu de rencontre et d’interaction entre matériau, forme et
contenu [24]”.
Les études faites sur les
deux oeuvres nous ont habitué à voir souvent le côté militant et idéologique
chez les auteurs ; celles nombreuses qui ont été consacrées à l’œuvre de
Dib se sont désormais intéressées à la quête, notamment celle de l’identité, de
l’espace, des valeurs idéologiques, qu’on trouve dans les travaux de plusieurs
auteurs comme par exemple :
Charles BONN : Lecture
présente de Mohammed Dib. Alger, ENAL, 1988.
Beida CHIKI : La
problématique de l’écriture dans la littérature algérienne de langue française.
L’exemple des romans de Mohammed Die. Thèse de troisième cycle, Paris VIII,
1983.
Jean DEJEUX : Mohammed
Dib, écrivain algérien. Sherbrooke (Québec), Naaman, 1977.
Naget KHADDA : L’ouvre
romanesque de Mohammed Dib, proposotions pour l’analyse de deux romans.
Alger, Office de Publications Universitaires, 1983.
La quête portée par la
deuxième partie de l’œuvre reste peu explorée, excepté l’étude de Charles Bonn[25] qui se penche de très près sur le langage,
et évoque la théâtralité au niveau de l’écriture. Elle constitue pour nous un
apport précieux, car elle permet la transparence du monde dibien en insistant
sur le langage et l’écriture.
Les travaux consacrés à
l’œuvre de KanafŒn¸ ont souvent pour thèmes
la guerre, l’oppression, ... Ceux qui ont touché à la forme restent réduits.
Nous retenons les études de :
“Abd al-laÕ¸f al-FAR‹B· : Al-“‹lim al-riwa”¸ “inda §assŒn KanafŒn¸ min ¬ilŒl RijŒl f¸ al-Óams.
©aydar Tawf¸q BAY•àN : §assŒn KanafŒn¸. Al-Kalima wa al-jurª. [26]
Ra–wa “‹ÐàR : Al-Ôar¸q ”ilŒ al-«aymŒ al-u¬rŒ.
En plus des études qui
touchent directement les deux oeuvres, nous nous appuierons sur des études
critiques qui traitent du roman et du théâtre. L’étude de la théâtralité doit
beaucoup à la théorie de Bakhtine. Cette liberté qui caractérise le roman en
tant que genre nous permet d’aborder ce thème, car : “ C’est lui (le
roman) qui incarne au plus haut degré le jeu intertextuel, et qui donne à
l’hétérologie la plus grande place[27] ”.
“ Polyphonie ” et “ Dialogisme ” sont parmi les clés les
plus pertinentes qui nous permettent d’aborder le discours en tant que
dialogue :
“ Nous
pouvons donc étudier la narration, au-delà des rapports Signifiant-signifié,
comme un dialogue entre le sujet de la narration (S ) et le destinataire (D),
l’autre. Ce destinataire n’étant rien d’autre que le sujet de la lecture,
représente une entité à double orientation : signifiant dans son rapport
au texte et signifié dans le rapport du sujet de la narration à lui ”. [28]
Nous verrons tout au long
de cette étude que KanafŒn¸, auteur et parfois
narrateur, s’adresse dans toute son œuvre, selon n’importe quelle forme, à un
interlocuteur privilégié : le peuple palestinien. De même, dans les romans
de Dib, il y a souvent un personnage qui parle tout seul, mais il s’adresse en
vérité à quelqu’un.
En maintenant ce rapport
entre quête et théâtralité, nous essayerons de mener cette étude à travers les
deux thèmes. Notre but est de voir comment ceux-ci figurent dans le roman,
comment ils convergent - si convergence il y a -, et même comment l’un peut
engendrer l’autre.
Pour cela, nous choisissons
d’ouvrir ce travail par l’étude des techniques dramatiques qui serviront aussi
bien la quête que la théâtralité. Nous empruntons l’ordre de ces techniques à
Claude Lachet dans son étude du Lys dans la vallée de Balzac[29]selon
trois chapitres : le “ déplacement des personnages ”,
“ leurs gestes ” et “ leurs intonations ” participent aussi
bien à la quête qu’à la théâtralité selon les deux interrogations
suivantes : comment ces techniques vont-elles vers la quête ? Et dans
quel cadre servent-elles à la théâtralité ?
En deuxième lieu, nous
verrons que la spatialité et la temporalité sont deux composantes très
significatives pour l’étude de ces thèmes. L’espace, objet du premier chapitre,
peut servir de lieu théâtral comme être l’objet d’un grand désir, donc d’une
quête. La spatialité est un thème essentiellement sensible chez les deux
auteurs, car c’est sa perte qui est à l’origine des écritures. De même, le
temps peut être celui d’une quête et/ou porter des moments dramatiques.
Ensuite vient la
“ scénographie et dramaturgie ”, volet aussi curieux que savoureux
dans le sens où il illustre la représentation du roman. Comment la scène se
construit-elle en tant que lieu et représentation ? Quelle est sa fonction
dans l’écriture ? nous nous interrogerons sur sa nature dans chaque œuvre,
son rôle dans l’aboutissement de la quête et sa composante dramatique. La
dramaturgie touche plutôt à la construction du roman. Quel est l’apport
dramatique dans les deux oeuvres, et par quels moyens s’accomplit-il ?
Nous terminerons par un
dernier volet qui traite du passage du roman à la scène, et qui se joue entre
une quête romanesque et une situation
théâtrale. Dans cette dernière partie, nous insisterons sur l’illusion. Quel
est l’objet de cette illusion ? Et comment celle-ci permet-elle ce
passage ?
A la fin de chaque volet,
nous donnerons une illustration schématique du rôle de la quête et de la
théâtralité. Et nous choisissons d’établir un dialogue entre les personnages
dans les passages les plus significatifs du point de vue de ces deux thèmes que
nous mettrons dans un annexe.
L’étude de la quête et de
la théâtralité et le lien qui peut exister entre elles permettent de dire que
notre travail , en regard des autres études sur les deux oeuvres, touche aussi
bien au contenu qu’à la forme. Et L’intérêt de cette démarche, ce n’est pas de
créer un théâtre à partir du romanesque, ce qui peut être réalisé dans certains
cas[30] ;
mais surtout de montrer que les oeuvres de KanafŒn¸ et de Dib mêlent la quête à la théâtralité, et en tirent leur
spécificité.
[1] L’occupation israélienne des terres palestiniennes s’est concrétisée en 1948, et le pays s’est soumis à un partage.
[2] DIB (Mohammed). La Grande maison. Paris, Le Seuil, 1952.
[3]
DEJEUX (Jean). Mohammed Dib, écrivain algérien. Sherbrooke (Québec) , Naaman, 1977.
[4] La trilogie de Dib regroupe les trois romans, La grande maison, L’Incendie et Le métier à tisser.
[5] Dans L’Incendie, les Fellahs de Bni Boublen sont conscients de leur condition et commencent à parler de leur exploitation par le colon.
[6]. Jean Déjeux, Jacqueline Arnaud et Charles Bonn retiennent cette date comme début de la deuxième partie de l’œuvre de Dib.
[7] Les Lettres françaises, 7 février 1963.
[8] IDRIS (Yásuf). Introduction, Al-”A×ar al-Kamila, Beyrouth, Mua”ssasat al-abªa× al -“arabiyya, , 3ème édition, 1987, p. 18.
[9] Dire que d’autres écrivains qui précèdent KanafŒn¸ se sont arrêtés à ces thèmes : défaite, perte,... n’enlève rien à la qualité de leurs oeuvres. Ces auteurs se sont investis de très près dans la cause. Et nous dirons même que cette phase de la littérature palestinienne estt sûrement nécessaire et inévitable.
[10] KANAF‹N· (§assŒn). Al-Hadaf, n°129, 15 septembre 1973. (cité par Sa“¸di Mohamed).
[11] L’Aveugle et le Sourd et L’Amant sont inachevés.
[12] DIB (Mohammed). Mille Hourras pour une gueuse. Paris, Le Seuil, 1980.
[13] KANAF‹N· (§assŒn). Al-Bab. Dans Al-”aÕar al-kamila, Beyrouth, Mu”assassat al-abªaÕ al-“arabiyya, , 3ème édition, 1993.
[14] UBERSFELD (Anne). Les termes clés du théâtre. Paris, Le Seuil, 1996, p. 83.
[15] KANAF‹N· (§assŒn). De retour à ©ayfŒ. . Dans Al-”aÕar al-kamila, Beyrouth, Mu”assassat al-abªaÕ al-“arabiyya, 1969.
[16] BRECHT (Bertholt). Ecrits sur le théâtre. Paris, L’Arche Editeur, 1963,1972, “ Distancier, c’est transformer le chose qu’on veut faire comprendre, sur laquelle on veut attirer l’attention, de chose banale, connue, immédiatement donnée, en une chose particulière, insolite, inattendue. ” p. 345.
[17] KANAF‹N· (§assŒn). Umm Sa“d. dans al”‹×Œr al-kŒmila, Mu”assassat al-abªŒ× aaal-“arabiyya
[18] KANAF‹N· (§assŒn). De retour à ©ayfŒ. dans al”‹×Œr al-kŒmila, Mu”assassat al-abªŒ× aaal-“arabiyya, 1969.
[19] KANAF‹N (§assŒn). Des Hommes dans le soleil. dans al”‹×Œr al-kŒmila, Mu”assassat al-abªŒ× aaal-“arabiyya, 1963.
[20] DIB (Mohammed). Cours sur la rive sauvage. Paris, Le Seuil, 1964.
[21]DIB (Mohammed). Habel. Paris, Le Seuil, 1977.
[22] [22]DIB (Mohammed). Les Terrasses d’Orsol. Paris, Sindbad, 1985.
[23] VERNANT (Jean pierre). Mythe et Tragédie en Grèce ancienne. Paris, La Découverte, 1986, p. 39.
[24]
BAKHTINE (Mikhaïl). Esthétique de la création verbale. Moscou,
“ Iskoustvo ”, 1979, p. 10.
[25] BONN (Charles). Lecture présente de Mohammed Dib, Alger, ENAL, 1988.
[26] Dans son étude, l’auteur conclut que les romans de Kanafani ont un rythme épique et non théâtral. Nous verrons le long de cette étude que le rythme est épique et théâtral à la fois.
[27] TODOROV (Tzevetan). Mikhaïl Bakhtine. Le principe dialogique suivi des Ecrits du cercle de Bakhtine. Paris, Le Seuil, 1981, p. 124.
[28] KRISTEVA (Julia). Recherches pour une sémanalyse. Paris, Le Seuil, 1969, p. 156.
[29] LACHET (Claude). Thématique et technique du Lys dans La vallée... Nous voulons souligner ici la finesse de cette étude et les indications théâtrales qu’elle repère attentivement. Elle est parmi les travaux qui nous ont encouragé à aborder le thème de la théâtralité.
[30] Nous avons eu l’occasion de discuter de la théâtralité du roman avec Roger Planchon lors de sa conférence intitulée : Mise en scène, mise en mots, à Lyon, Université Lumière, 1997. Le roman dont l’écriture est teintée de théâtralité, nous a-t-il dit, peut passer à une pièce de théâtre.