Mourida Akaïchi : Quête et théâtralité à travers les
romans de Mohammed Dib et Gassan Kanafani
Doctorat Nouveau Régime, Université Lyon 2, 24 novembre 2000,
Directeurs de recherche : Charles Bonn et Floréal Sanagustin
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Conclusion, Bibliographie, Annexes
De l’espace à l’écriture (Écriture spatiale ? )
Étudier
l’espace dans l’œuvre de Dib comme dans celle de KanafŒn¸, est une entreprise qui peut être à la fois délicate et pertinente. Le
rapport des deux auteurs à la composante spatiale mêle affection, douleur et
désir. Nous avons vu plus haut combien l’espace perdu est objet de quête, et
combien l’auteur tient à sa réappropriation. Qu’il s’agisse d’un lieu réel, vécu,
ou imaginaire, décrit dans le roman ou indiqué par de simples allusions dans le
discours des personnages, il est évident que KanafŒn¸ et Dib sont très sensibles à ce côté spatial. C’est à la lumière d’une telle sensibilité que l’on
veut voir, comment le lieu est représenté dans chacune des deux oeuvres, et de
quelle façon s’investit-il dans l’écriture du roman.
Non
seulement le lieu géographique diffère d’une œuvre à l’autre, mais il est de deux
ordres. Dans l’œuvre de Dib, il s’agit de deux espaces différents : le
premier est un espace réel, présent surtout dans la première partie de son
œuvre ; c’est la terre algérienne sous la tutelle du colon, et souvent
représenté comme étant volé et violé. Le deuxième vise celui de l’éloignement
et de l’exil ; il est souvent instable, fugitif et symbolise généralement
le lieu où se trouve l’auteur. Dans celle de KanafŒn¸, c’est le même espace réel et vécu, la terre palestinienne entre
présent et passé.
Dans L’Incendie
et Qui se souvient de la mer, l’espace figure comme composante
fondamentale, voire le thème principal. Le premier roman part de l’évocation
d’un lieu arraché à ses propriétaires originaux : les fellahs de
Bni Boublen ; l’auteur y peint la douleur provoquée par la perte, et le
met en spectacle dans l’événement de l’incendie. Dans le deuxième, il met en
scène un lieu qui ne cesse d’être violé par le biais des transformations qui
amènent à la mort de l’ancienne cité et à la vie d’une autre nouvelle.
Tous
les deux invitent à la mise en spectacle de la violation spatiale. Dans
L’Incendie, l’espace qui constitue l’événement principal du roman par sa
brûlure, est surtout celui de la campagne algérienne. Ce lieu modeste et
pauvre, n’appartient plus à ses propriétaires légitimes qui sont les fellahs,
et se trouve sous la tutelle de l’étranger. Dib le présente à travers l’état
d’âme de ces Fellahs qui expriment douleur et chagrin. Cette terre
apparaît baignée dans le noir : “ Les hautes terres baignaient à
présent dans le noir..., le pays ne fut plus qu’une mer de brume qui se balança
doucement ” (p. 17). Par sa soif et sa désolation, elle dégage une douleur qui
affecte sa couleur. Elle est en effet “ jaune ”, “ rouge ”,
“ noire ”, “ grise ”, ..., et répond à l’état d’âme peiné
des fellahs dépossédés de leur droit et de leur royauté :
“ Et depuis, dit Ba Dédouche, ceux qui cherchent
une issue à leur sort, ceux qui, en hésitant, cherchent leur terre, qui veulent
s’affranchir et affranchir leur sol, se réveillent chaque nuit et tendent
l’oreille ” (p. 26).
Comme
le sont les fellahs, la terre est en deuil dans l’attente de son
affranchissement, cet état s’accentue avec la progression de l’histoire du
roman jusqu’à la brûlure, événement-clé
du roman la met en spectacle sous forme de parcelles mortes :
“ N’ayant pas dépassé les gourbis isolés au milieu des champs, le feu
laissa des carrés de terre brûlée ” (p. 131). Cette brûlure qui porte une mort
fait penser à l’engloutissement de la cité dans Qui se souvient de la mer.
Ce
deuxième roman est le plus étonnant du point de vue de la représentation
spatiale. L’auteur fait assister le lecteur à des transformations
spectaculaires qui font la mort d’un lieu : l’ancienne cité, et la vie
d’une autre, la nouvelle. Cette mort se fait selon des étapes ; elle
commence par le mouvement : la cité explose: “ Sous leur poussée, il
arrive parfois que des rues entières éclatent, et tout le monde court, essaye
de sauver les meubles, les magasins ferment ” (p. 65). Elle se détruit et enfin
se noie dans le sol : “ Lorsque à un moment donné, la ville s’était
enfouie dans les couches sédimentaires, beaucoup de gens en avaient profité
pour se cacher ” (p. 66).
Cependant,
ce lieu qui bouge, qui se fait spectacle est le reflet d’un état d’âme et de
l’imaginaire de l’auteur. Par l’imagination des effets de la guerre, l’espace
devient une fresque où se peint toute l’horreur, le spectacle où le mouvement
au sein des deux cités va en sens contraires ; plus la nouvelle cité se
dresse, plus l’ancienne tombe en ruines : “...la nouvelle ville qui
continuait à pousser, monter. Mais au fur et à mesure, à l’arrière-plan, les
constructions anciennes révélaient une misère inexprimable ” (p. 56).
L’espace
nouveau chez Die s’écrit selon un imaginaire, un sentiment et une prise de
conscience. Il se peint plus qu’il ne s’écrit. Cette représentation qui dépasse
la réalité, n’est au fond qu’une forme de la quête de l’auteur celle qui
l’amène à une écriture de pressentiment et de vision ainsi que le dit la
préface : “ Pourquoi Picasso a-t-il peint Guernica comme il l’a fait, et
non comme une reconstitution historique ? ”. [3]
KanafŒn¸ procède d’une autre manière pour représenter le lieu accaparé.
L’auteur qui porte la terre palestinienne au plus profond de lui-même, va vers
l’échange et le lien qui existe entre elle et l’homme. Ce lien très intime est
exceptionnel chez le personnage militant, il a pour origine la séparation d’avec
cette terre, et sa perte.
La
perte de la terre engendre chez le personnage kanafanien un désir et une soif à
sa reconquête. Elle devient dans cette situation la mère dont on cherche la
protection et l’aide, mais cette mère ne suffit pas dans l’acte d’aimer, elle
est donc remplacée par la femme “ autre ” dont on cherche encore
l’amour. Dans cette situation, il éprouve le besoin de l’enlacer, de pénétrer
dans ses profondeurs et de communiquer avec elle.
Dans Des
hommes dans le soleil[4],
Abá Qays sent l’odeur de la
terre comme si elle était “ une odeur d’une femme qui venait de se laver
avec l’eau froide et étalait ses cheveux mouillés sur son visage ” (p. 37).
Dans L’Amant[5],
l’auteur fait de la terre une protection pour le héros. Ce personnage ne cesse
de se déplacer d’une région à l’autre pour échapper à l’arrestation et à la
prison. A chaque fois qu’il arrive dans un nouveau lieu, il acquiert une
nouvelle naissance par l’identité qu’il se donne. Il est ainsi enfant de la
terre devenant complice pour lui garantir la liberté et la sécurité.
D’ailleurs, par son travail même, QŒssim/L’Amant..., entretient un rapport direct avec la
terre. Il travaille dans les champs, communique avec la terre, connaît son
langage et ses secrets. Et c’est justement à cause de ce lien fort que la
complicité de la terre va jusqu’à l’identification, car l’arrestation de Abd
al-Kar¸m ne peut se faire
qu’après une saisie de la terre elle-même :
“ Sais-tu ? Me disais-je, alors que je
retournais déçu, amer et fatigué, dit le capitaine Blacke avec amertume au
major, que c’est la terre même qui est complice, , et que pour arrêter “Abd al-Kar¸m, il faut saisir d’abord la terre... ” (p. 440).
“Abd-al Kar¸m devient dans cette situation, inséparable de la
terre comme l’est l’enfant de sa mère. Elle le garde et le protège, et son
atteinte ne peut passer qu’à travers la sienne.
KanafŒn¸ va encore plus loin dans cette représentation spatiale et fait du lieu
un personnage qui vit, qui sent et qui parle. Dans Ce qui vous est resté[6],
le désert participe à la narration d’une manière active. ©Œmid voit le désert pour la première fois en tant qu’“ un être qui respire à perte de
vue, ambigu, effrayant et intime en même temps... ” (p. 161).
Cet “ être ” répond à son toucher par l’ébranlement :
“ Et sans crainte ni hésitation, il s’allonge sur la terre et la sent
trembler comme une vierge... ” (p. 169), mais l’auteur manifeste un lien encore
plus profond avec la terre qui va au delà de l’amour et de l’appropriation,
pour toucher à l’inceste et à la mort. La terre qui vit et sent, devient femme
qui exprime l’amour. ©Œmid, pour échapper au danger, se réfugie dans la terre
comme s’il se jette dans les bras d’une femme aimée qui le reçoit avec la
chaleur et l’émotion d’une rencontre amoureuse :
“ Il enfonça ses doigts dans la terre, goûtant sa
chaleur qui se diffusa dans son corps. Il eut l’impression qu’elle respirait
devant lui, son halètement excitant caressa ses joues. Il colla contre elle ses
lèvres et son nez ; ses sourdes palpitations s’accentuèrent alors que la
voiture faisait brusquement demi-tour ” (p. 169).
Ce
moment d’échange, de communication intime se présente comme la métaphore d’un
rapport amoureux qui se déroule selon des étapes : d’abord la rencontre
qui engendre la chaleur, puis l’acte lui-même dans l’enfoncement des doigts
dans la chair qui engendre le halètement “ Al-lihŒÕ ”, la palpitation “ Al-waj¸b ” et enfin le repos sur sa poitrine.
La personnification
de l’espace et son indépendance chez KanafŒn¸ évoque Proust :
“ Si mythique soit-elle, dit Gérard Génette,
l’individualité des lieux est en fait beaucoup plus marquée, chez Proust, que
celle des êtres ”[7].
L’espace
jouit non seulement d’une importance fondamentale chez KanafŒn¸, mais il devient aussi l’arme de l’échange, qui est la parole. C’est
cette quête urgente et cette façon de porter l’espace dans l’âme et dans
l’esprit qui provoque le miracle : le dire du désert. La recherche du lieu
va pour KanafŒn¸ jusqu’au souffle de la
vie. L’auteur projette son amour et son attachement à cette terre violée à
travers les personnages militants. Et ce rapport avec la terre, avec le lieu,
se justifie pour lui qui écrit pour la plus importante des causes, la
reconquête de l’espace palestinien.
Ce
lien intime qu’on trouve dans la représentation spatiale chez KanafŒn¸, tourne en une relation tragique chez Dib. D’une domination par la
misère, la soif, puis, par le vol et le viol, Dib conduit le lecteur à une
autre dimension spatiale qui, à son tour, ne manque pas non plus de douleur.
Celle-ci, bien qu’elle soit plus riche que la première, n’appartient pas au
monde de la stabilité ; bien au contraire, elle incarne l’errance et la
perte.
dans
l’œuvre de Dib, tant que l’espace ancien est représenté avec douleur et
amertume, Le nouveau est vécu comme un univers tragique et un lieu de perte
physique et morale, et parfois plus morale que physique. Ce qui caractérise ce
deuxième espace, c’est l’étrangeté, l’insécurité et surtout
l’imprécision ; c’est à la fois un lieu et un “ non lieu ” comme
le qualifie Bachir Adjil :
“ Le lieu chez Dib est un espace dénué de charge
symbolique. Il évoque un endroit imprécis, quelconque, non inscrit dans l’ordre
temporel et topographique ”. [8]
Dans
ce monde de perte et d’enfouissement fait l’objet de plusieurs romans de Dib.
Que l’on soit dans Qui se souvient de La mer, ou dans Cours sur la
rive sauvage, ou encore, dans Habel, les personnages
“ quêteurs ” vont vers un monde qui se creuse et qui sombre dans les
ténèbres. Le narrateur de Qui se souvient de la mer glisse dans le
sous-sol à la quête d’un sens. Iven Zohar pénètre dans la ville-nova à la
poursuite de Radia. Mais Les Terrasses d’Orsol et Habel mènent le
lieu à la condamnation.
Les
Terrasses d’Orsol[9]
et Habel[10],
lieux de condamnation
Dès le
titre, Les Terrasses d’Orsol et Habel préparent le lecteur à
l’entrée dans une dimension spatiale. Dans le premier, bien qu’on ait affaire
aux “ Terrasses ” de la ville d’origine du narrateur :
“ Orsol ”, on se trouve en face d’un autre lieu, la ville de Jarbher.
Le premier ne figure dans le roman que comme lointain et nostalgique. Nostalgie
portée par l’événement fondamental : l’exil qui renvoie au lieu d’origine,
perdu, et à un autre étranger. L’histoire de chacun de ces deux romans tourne
autour de deux personnages héros dans deux villes étrangères où ils frôlent la
solitude et le désarroi., Ed est dans la ville de Jarbher pour accomplir une
mission, et Habel, chassé par son frère, se trouve dans un carrefour de Paris,
où toute le ville se “ met en scène ”.
La
ville de Jarbher, malgré sa richesse : “ Par moments la parcourant,
dit Ed, je crois vivre l’un de ces rêves qui nous font ressouvenir de lieux
pourtant jamais visités... ” (p. 37), devient un lieu tragique par la
présence de la fosse. Celle-ci, par l’étrangeté de ses êtres et l’horreur
qu’elle dégage, occupe tellement l’esprit du narrateur qu’elle détourne l’objet
de sa mission. Elle devient le centre de tout Jarbher, comme elle est le
fondement de la narration. Toute la ville se réduit en quelque sorte à ce lieu
maudit qui devient la hantise principale du narrateur qui ne voit qu’elle, ne
pense qu’à elle et ne se dirige que vers elle : “ Mais il y a ce repaire
du diable, comment l’oublier, nous dit-il ” (p. 42), et de l’écriture du
roman.
Lieux de condamnation, la fosse en tant que
lieu de quête finit par condamner Ed à une errance éternelle : “ Avec
ce fantôme, cette idée de lui-même qui lui fait face, il peut errer sans fin
dans la solitude glacée, courir sans fin ” (p. 27).
Le
tragique de cette ville réside non seulement dans la présence du trou, mais
surtout dans son déchiffrement, et dans la quête de la nature de ses êtres.
Plus ce déchiffrement bute contre l’impossibilité de réponse, plus le souci du
narrateur s’accentue et sa mission se bouleverse en une quête brûlante. La
fosse, lieu de condamnation des êtres qu’elle abrite, condamne par conséquent
tout Jarbher.
Ce
caractère tragique évoque le carrefour dans la ville d’exil de Habel. lieu
d’attente amère, le carrefour devient lieu d’errance physique et morale. Il est
lieu tragique par excellence. En effet, Habel attend sans jamais rencontrer
personne, mis à part les apparitions illusoires de Sabine/ Lily. Son
rendez-vous fixé tous les soirs tourne au rendez-vous avec le crime : “ A
ce carrefour. J’y reviens comme un assassin sur les lieux de son crime, dit-il
” (p. 33). Puis, à la mort : “ Sept soirs d’affilée que je donne
rendez-vous à ma propre mort, à ce carrefour ” (p. 55).
Cette
errance s’accentue avec deux itinéraires “ quêteurs ” inassouvis.
Plus Ed bute contre l’impossibilité de déchiffrer la fosse, de trouver le nom
de ses habitants ; plus la fosse s’étale et s’approfondit en tant que lieu
de perte. Et plus la solitude de Habel dure, plus son attente reste suspendue,
et plus le carrefour l’incite à y revenir. Il n’a aucune autre fonction que
d’attendre dans ce carrefour. Ce lieu, par la solitude et l’ambiguïté qu’il
porte, réveille les douleurs de la séparation d’avec la patrie et les siens, du
monde : “ Je reviens à ce carrefour, dit Habel, je rôde, je me plante
comme un assassin, soir après soir. Rien n’arrive, rien ne se passe ” (p. 43).
Habel
meurt d’attente et de solitude tous les soirs en ce lieu, sa mort est causée
aussi par la séparation d’avec le lieu d’origine et la confrontation avec un
lieu étranger. La ville d’exil devient tragique parce qu’elle constitue, comme
c’est le cas de Jarbher, le lieu de la quête inassouvie qui a pour objet le
langage. Cette quête est stimulée par la plongée de ce personnage dans ce lieu.
Habel veut comprendre ce monde nouveau, la raison pour laquelle il est dans
cette situation, et le langage des rares personnages qu’il y rencontre, mais
tout lui reste ambigû, et la ville qui renvoie ici à Paris, devient lieu de
l’absence de réponse, et des multiples interrogations qui restent suspendues.
Devenue tragique, la ville plonge le personnage dans une situation compliquée
et se transforme ainsi en un espace d’errance. Cependant pour Ed comme pour
Habel, l’errance morale est la plus forte : “ ..Ce vagabondage, dit
Ed, ce mauvais rêve poursuivi de rue en rue, une errance qui a duré longtemps ”
(p. 22). Une deuxième errance est
causée par le désir de déchiffrement, le hante et ne lui laisse aucun moment de
répit : “ Mais il y a les nuits sans sommeil, pense-t-il, les réveils
en sursaut et en sueur.. ” (p. 96).
L’errance
est aussi plus profonde et plus douloureuse au niveau de l’écriture. L’auteur,
dans l’acte de sa création, est le parfait errant à travers l’imagination
guidée par la plume, et le désir de trouver un sens à son écriture. La nature
de la quête chez Dib exige cet autre espace, tout comme l’acte d’écrire qui a
besoin d’errance et d’espace nouveau. Celui-ci est instable comme le sont les
personnages, et l’auteur lui-même. La ville bouge, se transforme, disparaît,
réapparaît, vit et meurt.
L’éloignement
de l’auteur est un facteur essentiel dans cette représentation ; Dib sait
désormais la valeur de l’espace d’origine puisqu’il vit au sein d’un autre. Et
s’il place son personnage dans un lieu tragique et sans issue, c’est qu’il veut
montrer la profondeur de sa quête et le degré d’engagement qu’elle exige.
KanafŒn¸, lui, se contente de cet espace où l’écriture combat. Il rompt avec ce
type d’espace qui incarne le tragique parce qu’il refuse de voir son peuple
condamné et passif. Et veut l’inciter à agir, à savoir revendiquer le lieu
perdu. Mais comment l’écriture porte-t-elle cette revendication ?
Si
l’écriture se fait pour évoquer un lieu perdu, c’est parce que l’auteur veut
inciter à sa reconquête. KanafŒn¸ va vers la présence de
l’espace palestinien. Quel rôle cet espace joue-t-il alors dans son
écriture ?
De
retour à ©ayfŒ[11] est le plus marqué par l’espace puisqu’il le porte
jusqu’à son titre. Le retour de Òafiyya et Sa“¸d engendre le récit du roman. Et comme le fait personnage, l’écriture va à la quête de ©ayfŒ : lieu natal de l’auteur, et ville perdue pour les Palestiniens.
L’écriture évoque d’abord l’arrivée : “ Lorsque Sa“¸d arrive aux terrasses de ©ayfŒ, venant en voiture par Jérusalem, il sentit quelque chose lui ligoter
la langue. Il garda le silence et sentit un chagrin profond ” (p. 341), et
s’engage alors à ouvrir les portes de ce monde sous les yeux du lecteur aussi
bien dans le présent que dans le passé. Pour bien définir et entourer cet
espace, l’auteur procède par un flash-back : il revient sur la douloureuse
occupation de ©ayfŒ[12] et la narre à travers le souvenir de Sa“¸d : “ Le mercredi matin, vingt et un avril
1948, ©ayfŒ était une ville qui ne craignait rien bien qu’elle
fût dominée par une tension ambiguë ” (p. 346).
Puis
l’écriture retourne au temps présent, celui du retour des deux personnages qui
sentent les lieux et se les remémorent un par un. Une fois dans leur maison, Sa“¸d et Òaffila vont à la quête du temps et de l’espace. L’écriture qui naît de
ce retour, devient le guide de la quête du lieu et de sa découverte, jusqu’à
dans une situation ambiguë pour remettre en question le lieu même :
“Qu’est-ce que la patrie ? ” s’interroge Sa“¸d. L’écriture kanafanienne qui ne cesse de réclamer
l’espace et de le ressusciter, va jusqu’à en faire un témoin de l’histoire de
tout un peuple. ©ayfŒ ne reconnaît plus celui
qui l’abandonne :
“ N’as-tu pas éprouvé ce sentiment horrible que
j’éprouve lorsque je conduis ma voiture dans les rues de ©ayfŒ ? dit Sa“¸d à sa femme. Je sentis que je la connaissais mais
elle me rejetait. Et j’ai ce même sentiment quand je suis à la maison. C’est
notre maison ! Peux-tu imaginer cela ? Elle nous ignore !” (p.
385).
Et elle le personnifie, comme le désert dans Ce
qui vous est resté, devenu un être qui sent, réagit et agit :
“ Dès l’instant où je sentis son premier pas sur mes rives, je sus qu’il
était un étranger, dit le désert en parlant de ©Œmid ” (p. 172).
Ainsi, cette écriture qui fait revivre l’espace, vit à
son tour grâce à lui. Dans l’Amant, les différents lieux où le héros se
réfugie à chaque fois deviennent la raison pour le développement de l’écriture.
Ce changement de lieu stimule la marche de l’écriture comme si elle avait
besoin d’innovation spatiale.
Chez
Dib, la ville-nova tient lieu de source d’écriture pour la narration de Cours
sur la rive sauvage[13].
Cette ville qui exerce un attrait sur le narrateur ne cesse de séduire l’auteur
à travers le regard et le déplacement d’Iven Zohar. L’aventure de l’écriture
pour l’auteur va de pair avec l’aventure de son personnage qui s’engage dans un
monde merveilleux. En “ rapportant ” l’espace, l’écriture le déploie
en quelque sorte devant le lecteur, et devient à son tour spatiale. Racontant
l’espace, sa marche se nourrit de sa présence. L’écriture dibienne veut entre
autres projets, nommer l’espace parce qu’en le nommant, on le possède :
“ Toutes ces choses qui se dressent, dit le héros de Habel, de les nommer
” (p. 12). Et c’est ainsi qu’elle rentre dans cette quête profonde et
douloureuse d’un sens, et d’une forme, qui par ses faces spectaculaires, fait
entrer l’espace dans une dimension théâtrale.
L’écriture
des deux auteurs se fonde sur l’espace dans la mesure où celui-ci est occupé
par l’autre, est menacé et doit être reconquis et compris. Chez KanafŒn¸, cela touche un point névralgique, celui de tout palestinien conscient
de la valeur de la terre. La douleur qu’elle véhicule est manifeste, et elle
peut avoir son “ champ ” Celle de Dib embrasse un espace plus large
et rejoint une dimension métaphysique. L’espace devient l’objet de désir que
l’écriture veut ressusciter. Et l’écriture elle-même, désir et quête, cherche
un sens ultime. Plus l’espace s’échappe, plus l’écriture s’aventure dans un
écoulement à sa poursuite jusqu’à sa propre perte. C’est ainsi que ce manque de
l’espace fonde l’écriture du roman, sans jamais ôter le désir qui le dote. Mais
en quoi ces deux écritures peuvent-elles différer ?
Si celle de KanafŒn¸ porte en elle l’espace, c’est pour servir la plus importante cause à
laquelle l’auteur se donne : La libération et la revendication de la terre
palestinienne. Nous avons vu combien cette écriture est toute nostalgie,
douleur et révolte. Celle de Dib n’exclut pas cette cause, mais elle l’évoque
dans une autre forme de quête. Elle porte l’exil symbolisé dans ces lieux aussi
étrangers qu’étranges, et mène l’auteur à s’interroger sur le langage et ses
énigmes. Elle porte l’espace en vue de mener d’autres quêtes plus profondes. Le
lieu d’exil devient lieu de quête par la solitude et le désarroi du personnage,
par le manque essentiel du lieu d’origine, d’un entourage et d’une
langue : “ Qui tout nu affronte la solitude, dit le héros dans
Habel, la férocité ” (p. 38), une fois qu’il “ pénétra dans une ville
grande comme une planète, sombre, vindicative comme une marâtre, et rageuse
comme elle ” (p. 56).
Dans
les deux oeuvres, l’écriture de l’espace va vers une quête. Et c’est là que
réside la théâtralité de l’espace puisqu’il sert de lieu où se déroulent des
actions pour accomplir la quête. La ville-nova dans Cours sur la rive
sauvage n’est finalement dans l’écriture qu’un espace de la quête du
narrateur. La création d’une ville merveilleuse et théâtralisée a pour but
d’inciter le narrateur à vouloir déchiffrer ses énigmes et ses secrets. Elle
est un prétexte pour lancer la quête. D’ailleurs, lorsque cette quête bute et
reste suspendue, le lieu s’attribue cette absence et devient lieu de
non-réponse. L’écriture devient dans cette situation hiéroglyphe, et passe à ce
“ degré zéro ” selon l’expression barthienne[14].
L’écriture
de Dib se nourrit du lieu et vit pour lui, et par sa quête. Construisant
l’espace, elle dépend aussi de lui. Elle rentre à son tour dans une impasse et
son lexique s’inscrit dans un champ tragique, puis voulant embrasser un autre
espace, elle engendre le désir chez l’auteur de la faire aboutir.
L’espace
textuel chez Dib, est celui de la quête, si accentuée et dominante ici. De
cela, nous venons de retenir ce qui touche le langage et le sens en profondeur.
En effet, dans l’œuvre de Dib, l’espace reste pour sa plus grande part, le lieu
du déploiement et de la représentation de la parole ; le langage se joue
et se teste, les mots essaient de se créer en ce lieu de l’absence de
réponse : “ Le vieux, dit Habel, ce n’est pas un nom. Mais il n’avait
pas jugé utile de se présenter. Alors je l’avais baptisé le Vieux, n’ayant pas
trouvé autre chose. Et j’ai continué, je l’ai appelé toujours le Vieux ” (p.
27). L’impossibilité du déchiffrement de la parole laisse le libre champ à
l’interrogation incessante, et crée pour finir une parole qui revient sur
elle-même, et “ se parle ”. Dans Les Terrasses d’Orsol et Habel,
l’espace du texte est ce lieu où l’acte de nommer fait défaut, et rentre
lui-même dans une dimension tragique.
Chez
KanafŒn¸, l’espace du texte dépasse la quête pour devenir
celui de l’action pour que le peuple palestinien doit cesser d’attendre et
passer à l’acte. Tous les mensonges et les fausses croyances s’y dévoilent, et
seule la réalité persiste comme dans L’Aveugle et le Sourd[15]
où le saint “Abd al-“ŒÕ¸ s’avère un “ simple champignon poussé par
hasard sur la branche d’un arbre ”. Le désert dans Ce qui vous
est resté où ©Œmid s’engage dans une longue marche, devient lieu du
faire-face et des règlements de compte entre ©Œmid et le soldat israélien. L’espace textuel chez
KanafŒn¸ n’est plus celui où la plume pleure sa perte, mais il
est le théâtre de l’action et de la réaction.
Outre
ces représentations qu’on vient de voir, et qui oscillent entre un espace tragique et un espace nostalgique, le lieu
dans les deux oeuvres se prête à une autre représentation cette fois plus
dynamique et rejoignant la dimension dramatique du roman.
“ L’espace devient le support sur lequel tous les
signes et systèmes scéniques se greffent ; il comprend les dispositifs
scéniques et le lieu d’où le public assiste à l’événement théâtral, donc la
scénographie et l’architecture théâtrale ”. [16]
La scénographie
et l’architecture théâtrale sont les deux composantes fondamentales de l’espace
théâtral que Pavis signale ici. Dans les romans de Dib et de KanafŒn¸, plusieurs sortes d’espace sont mentionnées. Nous allons essayer de
montrer si cet espace est délimité. Puis, dans quelle mesure sert-il de lieu de
spectacle, et enfin, est-il exposé au regard ? Les espaces repérés comme
lieux de théâtralité, comportent deux types de délimitation. Certains lieux
chez les deux auteurs sont délimités matériellement.
Nous
rangeons dans ce type d’espace tout lieu délimité, par un mur ou par un objet,...etc. Dans les
romans des deux auteurs, certains lieux sont délimités grâce à d’autres
composantes. Ils peuvent être théâtralisés, par leur aire d’action dramatique
et le discours. KanafŒn¸ et Dib nous en donnent
les détails, ainsi pour la maison de Sa“¸d dans Umm Sa“d, pour la
salle de Myriam dans De retour à HayfŒ, ou encore
la chambre du malade dans La Danse du roi[17].
Nous avons parlé de la théâtralité qu’engendre l’arrivée de la mère de Sa“d chez Sa“¸d, et la rencontre des quatre personnages chez Myriam
dans De retour à Hayfa. Grâce aux détails que l’auteur fournit, on peut
en déterminer les limites. Ainsi savons nous qu’il y a un couloir :
“ Elle m’apparut, dit Sa“¸d à propos de Umm Sa“d, alors qu’elle traversait le couloir comme quelque
chose de hautain et de grand... ” (p. 253), et un balcon : “ Elle fit
demi-tour et alla vers le balcon, je la suivis alors avec des pas lents et lui
demandai... ” (p. 249). De la même façon, nous savons que la salle où
Myriam accueille Sa“¸d et Òafiyya, contient une table et des sièges : “ Et lorsqu’ils
arrivèrent dans la pièce, il (Sa“¸d) put voir que deux des cinq fauteuils appartenaient
au salon qu’il possédait ” (p. 365).
Non
seulement l’auteur permet de découvrir et de connaître l’espace à travers les
détails, mais le lieu se construit aussi sous les yeux du lecteur à travers le
mouvement et l’action. A chaque arrivée de Umm Sa“d, le narrateur visualise la femme à la façon d’un
acteur qui monte sur scène. On suit ses pas dès son apparition jusqu’à son
arrivée dans cette maison. “ Cette femme venait toujours, elle montait du
fond de la terre comme si elle escaladait une échelle infinie ” (p. 245).
Lors de chaque visite, on connaît son “ itinéraire qui n’est d’ailleurs
pas très vaste. Elle traverse un couloir pour entrer dans la salle et ne la
dépasse que parfois quand elle accède au balcon, lieu qui reste toujours dans
les limites de la maison. “ Umm Sa“d entra ; elle dégagea une odeur de la campagne ”
(p. 246). Chaque arrivée de cette femme chez Sa“¸d conditionne leur discours, leurs déplacements et
leurs gestes.
La
théâtralité qu’engendrent le discours de ces personnages, leurs déplacements et
leurs gestes, théâtralise cette maison. Dans De retour à HayfŒ, la maison de Myriam sert d’espace pour cette
théâtralité qu’engendre la rencontre de Sa“¸d, Òafiyya, Myriam et Dov. La maison s’y réduit au salon où Myriam reçoit
les parents de Dov, avec une table et des sièges : “ Et lorsqu’ils
arrivent au salon, il a pu voir deux sièges des cinq qu’ils avaient du même
harnais... ” (p. 365). Une fois dans les lieux, les personnages ne les
dépassent pas et y inscrivant leurs déplacements. Umm Sa“d est dans la salle, parfois dans le couloir, ou sur
le balcon. Sa“¸d tourne dans la salle, Myriam se déplace jusqu’à la
fenêtre puis jusqu’à la porte.
Une
fois le lieu théâtral se construit, le
texte romanesque glisse également vers la théâtralité. L’entrée de Sa“¸d et Òafiyya dans leur ancienne maison est aussi une entrée textuelle dans la
théâtralité. Ce monde retrouvé est celui de l’impression, de la sensation et du
rêve qui les plonge dans un autre temps révolu que l’espace crée et actualise.
Cela nous renvoie à Proust[18]
où le côté social obéit à une théâtralité : Swann, lorsqu’il vient chez
les Verdurins, entre dans un univers qui n’est pas le sien. Ce cadre réduit et
clos sert d’espace pour cette rencontre et tout ce qu’elle engendre de
composantes théâtrales.
Nous
avons parlé jusqu’ici d’un espace bien clos, délimité et souvent réduit à une
pièce (chambre, salle), mais il en existe un autre type de lieu délimité non
matériellement, mais par la disposition des personnages eux-mêmes et aussi par
leurs discours, leurs gestes, leurs déplacements ; aussi par la
disposition de l’assistance, ce qui lui donne des compositions théâtrales. Il
s’agit d’un espace qui se module selon les émotions des personnages même pour
quelques instants, le temps du déroulement d’une action ou d’un événement.
Le
lieu qui se réduit à une pièce dans une maison figure aussi dans La Danse du
roi où le narrateur, en nous décrivant le père de Rodwan dans les derniers
moments de sa vie, nous fait introduire dans un lieu scénique. Il s’agit d’une
chambre où se trouvent le malade dans son lit, et ses visiteurs qui viennent le
voir. Carré ou sphérique, il sert d’espace scénique pour toute la théâtralité
qu’engendre cette visite. Le discours du malade se révèle en effet un discours
adressé à l’assistance dans cette chambre et exige son attention :
“ Taisez-vous! Il a encore dit quelque chose! Réclame tante Noubia. Tout
bruit cesse ”. De plus, la position du malade dans cet espace est celle d’un
acteur : Non seulement, il est l’objet du regard : les visiteurs
viennent pour le voir, mais c’est aussi lui qui détient le spectacle. Et les
visiteurs deviennent alors de vrais spectateurs. D’ailleurs le malade lui-même
reconnaît les deux rôles et vit ces moments comme un spectacle : “ Le
spectacle va continuer, dit-il à ses visiteurs, c’est la fin, ne le ratez
pas.... Divertissons-nous à tenir chacun notre rôle jusqu’au bout, jusqu’au
dernier souffle, moi, d’amuseur public et vous, de bons spectateurs toujours
prêts à applaudir ”.
Dans Cours
sur la rive sauvage, la cérémonie est d’ailleurs illusoire. Au
moment où le narrateur attend la célébration de son mariage avec Radia, il se
trouve dans une “ salle tendue de tapis de velours feu ” pour se
soumettre à l’action magique, celle-ci le pique de son “ aiguille ”
de lumière, la cérémonie se transforme alors en une scène théâtrale dont les
acteurs sont ce couple marié et les spectateurs sont les invités. La salle où
se trouve le narrateur et les salles qui forment le lieu d’assistance : “ D’autres
salles, toutes semblables, semblablement décorées , prolongeaient celle-ci.
Elles ne pouvaient déjà contenir un invité ” (p. 15), définissent un
espace qui semble avoir ses limites et qui sert de lieu pour cette scène
étrange.
C’est
ce côté fictif qui permet de mettre des limites au lieu qu’on veut découvrir à
présent. L’entraînement des enfants des camps dans Umm Sa“d est un
spectacle sans aucune délimitation matérielle. L’évocation de l’assistance en
est la première indication. On sait qu’Abá sa“d : “ Et il vit son plus jeune fils, présentant à la foule
une démonstration de ce que le guerrier doit faire lorsqu’il est attaqué à la
baillonnette à fin d’éviter le coup ” (p. 332). Les spectateurs entourent en
effet les enfants “ acteurs ” et constituent tout autour d’eux un
cercle qui sert de lieu pour ce spectacle qui devient le cercle de la
représentation : “ ©alaqat al-“ar– ” : “ Lorsque Sa“¸d arrivait au cercle de la représentation, les gens
applaudissaient. Umm sa“d se mettait à côté de son mari sur un toit bas et regardait la cour ”
(p. 332).
Dib
fait de la marche des personnages de La Danse du roi une scène qui a son
espace propre. La distance que ceux-ci parcourent dans la montagne n’a de
véritable présence dans la scène du roman
que dans l’acte de marcher et par rapport à leurs discours. Elle devient
un lieu qui sert pour leur déroulement. Ce discours actualisé par l’utilisation
du temps présent porte, entre autres objets, l’espace lui-même : “ On
prendra la route française, dit Arfia aux autres, elle est plus facile, mais
aussi il faut éviter le poste qui est là ” (p. 42). La montagne se crée essentiellement pour la marche et les
événements qu’elle engendre. Elle doit sa vie à la durée de cet acte ; Slim dit en marchant : “ Ce serait
pas du bidon, des fois, cette cache qu’on cherche ? Y a déjà combien de
jours qu’on lui court après dans ces foutues montagnes ? ” (p. 43).
Et elle s’annule dès qu’il s’épuise. Depuis la mort de Némiche, Slim, Babanag
et l’arrestation de Arfia ; le texte n’évoque la montagne que dans le
rêve. L’espace se définit par rapport au temps de l’action et rentre dans sa
durée.
D’un lieu limité matériellement à un qui
se forme en plein air et tire ses limites d’autres composantes ( discours,
déplacements,....), l’espace devient plus vaste mais garde toujours ses
limites.
C’est
le cas de la ville où est entrée Radia dans Cours sur la rive sauvage et
vers laquelle elle a entraîné le narrateur. Bien que ce roman s’apparente par
son écriture, à la science-fiction, la ville-nova, ville merveilleuse de Radia,
reste un vaste lieu scénique. Sous le regard du narrateur, elle devient lieu de
spectacles, et par suite sous nos yeux de lecteurs, par tout ce qu’elle
contient définit ou caractérise son atmosphère, par les transformations qui
l’habitent, par la nature de ses occupants (des danseurs, des gens en état de
représentations..), et surtout par son caractère mobile, elle se vide de toute
stabilité pour former un vaste théâtre où opèrent d’abord les transformations
qui véhiculent tout un monde fantastique et merveilleux, et les multiples
spectacles qui engendrent des chants, des plaintes, ...etc. “ C’est une
ville mobile, spéculative ! s’exclame le narrateur ”. Dans cette ville,
tout se meut, tout est possible comme ces cris qui proviennent du monde
merveilleux :
“ Et la ville remonta, reflua du vide où elle
s’était momentanément dissoute. Et revinrent : édifices en forme de
ziggurats posés sans ordre dans le crépuscule, lueurs inquiètes guettant aux
fenêtres-alvéoles ou courant de l’une à l’autre. J’avais vu comment la fleur
criait, la pierre criait, l’air criait, comment ce cri se levait, entreprenait
le tour des choses, et comment cela n’était à vrai dire que des agissements de
takas ” (p. 127).
La
nature s’allie à tous ces mouvements pour participer au spectacle comme les
“ takas ” : “ Mon œil captait leur va-et-vient d’ombres
blanches et demeurait fasciné par le ballet que composaient leurs vols ” (p.
16). C’est ce passage du mouvement des takas “ va-et-vient ” et
surtout dans le mot “ ballet ” qui signifie tout un ensemble de
mouvements rythmés et accompagnés d’un son musical.
Cependant
le meilleur spectacle dans ce roman reste toujours le personnage de Radia qui traverse toute l’écriture par ses
transformations successives. Elle est toute cette ville, elle devient l’un de
ses éléments inséparables et en acquiert ses caractéristiques. Elle se
multiplie, disparaît, apparaît, si elle est là pour la perte du narrateur, et pour
exciter sa quête, elle forme le spectacle enchanteur de cette ville :
“ Celui qui voit quelque chose doit vouloir de moi et de ces lumières,
dit-elle à Iven Zohar, de ce ciel, de ce décor et de ces autres... ” (p.
60).
Toute
la ville-nova devient un grand espace théâtral qui dégage des spectacles ;
même les humains se transforment : le narrateur, une fois dedans, se
dissocie en plusieurs hommes :
“ Et il est trois aussi, l’homme de pierre, l’homme d’eau et
l’homme d’air ” (p. 146). Elle est doublement théâtre puisqu’elle ne représente
pas seulement le lieu où se manifeste une théâtralité, mais participe elle-même
à ces manifestations. Toute la ville-nova qui doit normalement avoir ses
limites et ne doit pas être infinie, sert d’espace pour toutes ces manifestations
théâtrales que le narrateur découvre en la parcourant et que le lecteur
découvre avec lui.
Dans
De retour à HayfŒ , KanafŒn¸ plonge Sa“¸d dans un
souvenir aussi bien amer que fondamental au niveau de l’histoire du
roman : c’est le déclenchement de la guerre à ©ayfŒ qui a causé son départ. Cet
événement est raconté avec tous les détails et l’horreur imaginables, alors la
ville devient un espace scénique sous le regard du lecteur. ©ayfŒ se façonne suivant le déplacement des personnages, leurs gestes et
leurs délires : “ Les rues se transformèrent en une anarchie (Faw–Œ ) ”. Ainsi, elle se réduit totalement à une
cour, à un espace plat, libre et sans repères, ce qui cause la perte des gens.
“ Brusquement, les choses s’entremêlent et les noms se mélangèrent :
Al-©al¸ssa, WŒd¸ RaÑmiyyŒ, Al-Borj, Al-Mad¸na al--qad¸ma, WŒd¸ al-NisnŒs, il sentit qu’il était complètement perdu, et avait
perdu sa direction ” (p. 350). Personne ne sait que faire ni ne peut se diriger,
ni comment réagir. Tout le monde baigne dans un délire sous le feu et la fumée
des tirs. Et toutes les composantes de la ville : rues,
constructions,...., se dissolvent dans cette atmosphère, ce qui permet la
manifestation de ce spectacle guerrier et construit le théâtre de la
guerre.
Dans
ce roman, l’espace se présente comme le lieu de différents spectacles, comme
pour la comédie à la quelle se livrent Slim et Bassel en imitant les paysans,
vraie représentation où se jouent deux rôles : celui du paysan par Slim et
celui du capitaine par Bassel :
“ Nous deux, Némiche et moi, nous les regardons faire les clowns,
dit Arfia à Rodwan ” (p. 19). Ainsi en va-t-il de la scène qui se passe “ devant
le portail ” du riche Chedly où l’érudit Wassem se trouve dépouillé de ses
habits et dans un état comique, se présentant comme l’acteur qui se déguise en
roi en se couvrant de vieux journaux et en prenant une boite de conserves vide
pour couronne. C’est un véritable espace scénique puisqu’on ne peut le franchir
qu’avec un déguisement : Arfia
“ se changea ” avant d’y accéder. Wassem met un costume qu’il ne met
pas habituellement et propre à cette soirée : “ Regarde l’habit que
je porte, dit- il à Arfia, je l’ai mis pour cette soirée. ” (p. 119).
Une
composante essentielle de ce côté scénique, c’est l’exposition au regard :
“ Pour qu’il y ait espace théâtral, il faut et il
suffit qu’il y ait des hommes unis par la fonction du regard : des
regardants et des regardés ”[19]
.
Les
romans de Dib et de KanafŒn¸ donnent beaucoup à voir.
Dès que le narrateur déplace son
personnage ou le fait agir, la première excitation qu’il provoque chez le
lecteur va au regard pour suivre ses pas et ses actions, et parcourir l’espace
pénétré. Même s’il n’est pas exposé directement, le lieu est indirectement
l’objet d’un regard plus attentif et plus vigilant qu’aucun autre ; celui
du lecteur L’auteur lui-même procède parfois par séparation au niveau des
personnages pour en faire des “ regardants et des regardés ”, comme
chez KanafŒn¸ dans De retour à HayfŒ où Sa“¸d se met à la place d’un spectateur devant le
comportement de Dov : “ Il (Dov Il posa son chapeau sur la table qui
parut alors quelque peu incongru à côté du pot de fleurs et les plumes de paon,
voire comique. Brusquement, Sa“¸d eut une impression assistait à une pièce répétée
antérieurement. Il se souvint de scènes dramatiques incroyables vues dans des
séries B insipides ” p. ( ) Ou dans Umm Sa“d où Umm Sa“d est l’objet du regard de Sa“¸d et sa femme : “ Ma femme, se mit à côté de moi
et regarda la rue, puis dit : “ C’est Umm Sa“d qui arrive ” (p. 245).
Le
lieu où gît le père de Rodwan dans La Danse du roi comporte ces deux
pôles. Nous avons d’un côté, le malade qui est en même temps l’objet de l’exposition
et l’acteur puisque c’est pour le voir que les gens viennent ; d’un autre
côté, les visiteurs qui ont, eux, la fonction de spectateurs : “ Il
se résigne à soutenir l’examen des regards convergeants vers lui ” (p. 63).
La
description de ses gestes au moment où il parle, les inflexions de sa voix,
font de lui un acteur présent “ hic et nunc ”. Il est regardé non
seulement par ses visiteurs, mais aussi par le lecteur qui suit son discours,
ses gestes et ses intonations : “ Le malade fait des signes de dénégation
de la tête, puis on perçoit des mots articulés d’une voix ténue, sans
timbre... ” (p. 82).
Le
narrateur dans Umm Sa“d, joue
aussi sur ces deux côtés lorsqu’il nous décrit ce spectacle de l’entraînement
des enfants des camps. D’ailleurs, lorsqu’il dit “ “Ar– ” “ exposition ”, nous savons d’avance (ou nous nous y
attendons) qu’il y aura ceux qui exposent et ceux qui regardent, donc des
acteurs et des spectateurs. L’auteur
utilise le regard comme un phare qui illumine la scène où se présentent
les enfants-acteurs. Non seulement les spectateurs regardent, mais ils
insistent aussi sur le fait de regarder et invitent les autres, y compris le
lecteur, à bien regarder. Abá Sa“d ne se contente pas de
regarder son fils : “ vit son plus jeune fils Sa“¸d donner une représentation devant la foule comme doit
le faire un guerrier lorsqu’il s’expose à un coup pour éviter le danger ” (p.
332), mais il demande à sa femme : “ Regarde, le vois-tu ?
C’est Sa“¸d.., le vois-tu ? Surveilles-le bien ” (p. 332). Le regard doit
être partagé pour qu’on apprécie bien le spectacle. C’est pourquoi Abá Sa“d insiste chaque fois qu’il est ému par l’action de son fils :
“ Abá Sa“d applaudissait longtemps, il s’est bien dressé et
regardait autour de lui avec orgueil. Puis, son regard croisait celui de Umm Sa“d, il se penchait et lui disait : -l’as-tu
vu ? C’est Sa“¸d ! ” (p. 333). Et pour en être encore plus
sûr, il : “ montrait l’enfant en s’approchant d’elle pour
qu’elle regarde bien là où il indiquait. Puis, il accentue sur ses mots :
- Il est là, celui qui lève le fusil. Le vois-tu bien ? ” (p. 333)
Dès qu’un spectateur fait une remarque sur ce qu’il voit, Abá Sa“d en profite pour le soumettre à son regard : “ Il prit le
vieillard par l’épaule et lui montra avec son bras tendu le milieu de la cour
et lui dit : - Vous voyez ce garçon qui prend le fusils ? C’est mon
fils Sa“¸d, le voyez-vous ? ” (p. 334).
Cette émotion qui emporte les spectateurs et
particulièrement Abá Sa“d, invite les autres à
surveiller Sa“¸d dans son entraînement ; elle traduit le désir
de l’auteur de voir son peuple sur la scène de la lutte. KanafŒn¸ insiste à travers le discours de Abá Sa“d sur le regard car il ne faut pas manquer ce spectacle qui porte
l’avenir de toute une patrie et de tout un peuple. Toute l’assistance regarde
ces enfants, et le lecteur aussi, mais le “ regardant ” privilégié
est l’auteur lui-même, lui qui dirige tous ces regards y compris celui du
lecteur vers la scène singulière. Il veut donner à voir la vie, les conditions
des palestiniens, mais la chose la plus importante reste la lutte qui conduit au changement : “ Et il vit
Sa“¸d, son plus jeune fils, faisant une représentation devant des foules ”
(p. 332). Chaque “ côté ” de la scène tient bien son rôle : les
acteurs s’occupent à s’entraîner et les spectateurs répondent par les
encouragements, applaudissements et émotion : “ Et les larmes
s’écoulèrent des yeux de Umm Sa“d ” (p. 332).
Outre cette confrontation entre acteurs
et spectateurs, Dib et KanafŒn¸ procèdent par une exposition
de l’espace, cette fois-ci, non pas aux yeux de spectateurs présents sur les
lieux, mais du lecteur qui, lui, suit le texte avec le regard et l’imagination.
Le regard du lecteur se définit lui-même dans l’acte de lire en parcourant
d’abord les lignes puis tout ce qui est entre elles.
La
description que nous fournit le
narrateur de cet espace et des objets donne à voir au lecteur par cette façon
d’exposer, par l’évocation de la couleur et de la matière.
Dans Cours
sur la rive Sauvage, nous suivons tout le parcours qu’accomplit le
narrateur dans la ville-nova. Nous voyons tout ce qu’il voit, comme nous
pouvons partager les mêmes sentiments d’étonnement, de crainte ou
d’enchantement. Le spectateur reste fidèle non seulement à tout ce que l’œuvre
expose mais aussi, à tout ce qu’elle donne à entrevoir.
Nous pouvons dire enfin qu’il y a plusieurs
éléments qui font d’un lieu un espace théâtral. La théâtralisation de l’espace
dépend de ses limites (quelle que soit sa dimension, un espace théâtral doit
avoir des limites). C’est ce que nous avons pu voir aussi bien chez KanafŒn¸ que chez Dib, dans le cas d’une chambre, d’une maison, ou d’un espace
délimité par d’autres composantes. Ensuite, cet espace doit servir de lieu pour
un spectacle et doit être exposé au regard. De plus, le nombre de personnages
qui agissent ou que nous avons appelés personnages “ acteurs ”, reste
justifié pour une scène théâtrale qui, elle, doit en contenir un nombre limité.
Ce qui rapproche le roman du théâtre, car celui-ci, généralement
“ polyphonique ”, ne présente aucune contrainte pour un nombre
infini de personnages. En effet :
“ Nous sommes gênés au théâtre par le lieu, par
le temps, et par les incommodités de la représentation, qui nous empêchent
d’exposer à la vue de beaucoup de personnages tout à la fois, de peur que les
uns ne demeurent sans action, ou troublent celle des autres. Le roman n’a
aucune de ces contraintes : il donne aux actions qu’il décrit tout le
loisir qu’il leur faut.. ”.[20]
Corneille cité par Hubert nous dit à ce propos.
La
spatialité dans les deux oeuvres obéît ainsi à une représentation qui incarne
la quête et la théâtralité. D’un lieu nostalgique à un lieu tragique, à un
autre théâtral, l’espace marque les écritueres de Die et de KanafŒn¸.
La
composante temporelle revêt une présence et une fonction différentes dans
les oeuvres de Dib et de KanafŒn¸. Ce qui nous importe ici, c’est de voir comment le temps se présente
par rapport à la quête et à la théâtralité. Il peut y avoir plusieurs temps
dans chacune des oeuvres, mais celui qui nous intéresse appartient au texte et
fait partie de sa lecture car : “ Le texte narratif, comme tout autre
texte, n’a pas d’autre temporalité que celle qu’il emprunte métonymiquement à
sa propre lecture ”. [21]
dans
l’œuvre de KanafŒn¸, on ne peut pas parler
d’un temps unique. Passé, présent et futur s’y mêlent en effet sans que chacun
perde de son importance. Le passé afflue à tout moment pour encombrer le
présent et faire avec lui marche parallèle, le présent tend vers le futur et
provoque parfois sa manifestation. Dans cette situation, les trois temps
“ s’imbriquent ” selon l’expression de FarŒb¸ :
“ ...le temps palestinien est un temps imbriqué.
Il est totalement présent : présent, passé et futur. Le palestinien est
alors un homme qui ne peut ignorer la continuité du temps. Lorsqu’il se meut,
réfléchit, il agit selon les lignes du passé, du présent et du futur ” [22]
(p. 48).
Bien
qu’il soit “ imbriqué ”, le temps dans l’œuvre de KanafŒn¸ suit différentes trajectoires selon qu’il est présent, passé ou futur.
Il est vrai que le personnage kanafanien vit plusieurs temps ; le passé
l’accable et l’enchaîne, le présent le tourmente et l’incite à l’action, et le
futur reste lieu d’espoir et de représentation. Cependant, l’écriture
kanafanienne vise à séparer ces différents temps et faire de chacun un facteur
qui agit pour le soulèvement. Cette opération comporte deux phases qui vont en
parallèle : la première tend à se libérer du passé qui, au lieu
d’enchaîner, doit être lieu d’enseignement. La deuxième veut que le présent
soit différent du passé, et va vers la construction d’un futur qui remédie aux
failles des deux premiers sans pour autant les renier. C’est à partir de cet
objectif que l’auteur construit le présent pour s’ouvrir sur un futur, temps du “ devenir des
Palestiniens ”, voire de tout peuple opprimé. C’est un “ temps
vertical ” [23]
comme le qualifie Bachelard.
Parmi
ces différents temps, il y en a un qui fonde l’œuvre de KanafŒn¸, celui qui amène l’action, la naissance et se charge de l’événement
qui “ était impossible ”.
Parallèlement à ce temps de la quête qui menace et
revient pour accentuer le tragique de la situation du personnage
“ quêteur ”, il en existe un autre que l’auteur recherche à travers
son écriture et qui doit être chargé d’événements et de miracles. Il doit
amener les rêves aux vérités comme le dit le narrateur “‹mir dans
l’Aveugle et le Sourd :
“ On dira après que ce qui est arrivé était
impossible. Mais à présent, les autres disent que c’est une aventure, et moi,
je dirais que c’est la naissance. Les petites vérités n’étaient au début que
des grands rêves, cela est une question de temps, pas autrement ”. [24]
Dans Ce
qui vous est resté[25]
de KanafŒn¸, l’attente et le songe d’une délivrance touchent à
leurs limites, et tout devient annonciateur de changement. Le temps en est un
facteur privilégié qui ne cesse de réclamer cette nouvelle situation. Tout le
monde romanesque se construit au rythme du temps qui ne cesse de
“ battre ” plusieurs choses à la fois. L’horloge suspendue au mur
dans la chambre de Maryam répond par ses battements non seulement à l’état
d’âme de cette femme, mais elle guide aussi ses songes et teinte par son rythme
les événements qu’elle vit. Maryam est la plus poursuivie par la marche du
temps qui ne cesse de la menacer, l’horloge devient un être qui vit avec elle
et guide ses songes : “ C’est seulement lorsque la porte se ferma, que
j’entendis l’horloge battre huit coups, comme si elle frappait à la porte une deuxième fois ” (p. 179). Elle
se mêle ainsi à la solitude et au tourment de l’attente dont l’évocation obéît
au passage du temps, et devient un facteur qui fait “ battre ” tout
l’univers de Maryam ; son cognement amène le pas de ©Œmid et le mouvement de l’embryon qui “ bat ”
dans son ventre. le départ de ©Œmid : “ Je
ne peux pas, je ne peux pas, ses pas “ battent ” dans ma
tête... ” (p. 220).
“ Tu es (Zakariyya) tout ce qui me reste ...toi
qui es si loin, tu es pourtant dans mon lit...Tu me laisses seule à compter ces
pas métalliques et froids qui battent contre le mur. Battent. Battent. Battent
dans ce cercueil en bois accroché en face du lit ” (p. 170).
Par
son écoulement audible et sensible, le passage du temps s’effectue sous les
yeux de Maryam et par suite, sous ceux du lecteur devenu spectateur. Cet
écoulement porteur d’une voix fait de lui un temps théâtral où “ les
secondes s’écoulent effectivement sans réversibilité,... ” [26] (p.
124). Il accentue la solitude de Maryam en lui rappelant l’absence de ©Œmid d’une part, la trahison de ZakariyyŒ, de l’autre. La froideur qui caractérise sa marche
s’assimile à l’état d’âme de ce personnage rongé par la douleur. L’horloge
n’est plus un simple objet, mais devient lieu de mort, cercueil (na“Ñ ), et sa voix est différente de celle du temps
quotidien : “ Depuis ce jour, elle est resté accrochée là à battre
ses coups métalliques comme les coups d’une béquille sur le sol, sans arrêt.
Elle bat. Bat. Bat. ZakariyyŒ, elle bat ” (p. 171). Elle est la seule présence qui reste à Maryam
après le départ de ©Œmid. Elle est lieu du passage du temps qui n’est ni
fuite ni écoulement, mais acquiert le rythme des “ pas froids ” qui
répondent à la marche de ©Œmid dans le désert, et devient le miroir dans lequel
ce voyage se reflète et se mesure,
traînant la tristesse et la douleur : “ Il est loin maintenant. Il marche depuis
au moins trois heures. Je compte ses pas un à un comme ces battements
métalliques étouffés sur le mur en face de moi, les battements d’un
cercueil ” (p. 172). Cet “ étouffement ” qui caractérise la
marche du temps correspond à la nature du voyage qu’entame ©Œmid dans la désert : “ Et il marche, dit le
désert, ... un voyage mêlé de colère, de tristesse et d’étouffement et
peut-être de la mort ” (p. 172). Et correspond à la distance parcourue dans le
désert.
“ la
béquille s’arrêta brusquement, un seul moment puis sonna neuf fois. Il a marché
pendant trois heures ” (p. 173).
Le
temps est le facteur qui sonne la douleur, le danger et la vie à la fois. Même
si Maryam peut oublier ©Œmid pour un moment comme pendant la rencontre de
ZakariyyŒ, les battements sont là
pour la ramener à ses songes, seul moyen qui lui reste pour poursuivre les
traces de son frère et estimer la distance qu’il parcourt dans le désert. Il
joue un rôle de fil détecteur de la quête : “ il se tourna de l’autre
côté et se tût ; La chambre paraissait alors de nouveau abandonnée, cette
voix monotone de battement continu qui tourne et heurte ma tête de tous les
côtés ” (p. 183).
Le
temps chez KanafŒn¸ est un signe
événementiel. Il revêt l’importance de l’événement et le caractérise : La mort
de la tante s’accompagne d’un seul “ battement ”, signe décisif et
marque d’arrêt. Il répond à cette fin par la dureté et le handicap
“ mutilé et sévère ”, et aussi par une impression de toucher à la fin
“ nous paraît un dernier pas ” : “ elle sentit profondément
cela, ce seul “ cognement ” mutilé et sévère, nous paraît un dernier
pas ” (p. 174).
Alors
que Maryam vit au rythme des battements de l’horloge, ©Œmid se détache de sa montre, puisqu’il trouve que le
temps n’a aucune importance dans cet immense désert où “ seuls
l’obscurité et la lumière comptent ”.
Celle-ci se perd avec l’éloignement de ©Œmid alors “ que son seul rôle dans l’existence
est de renseigner devant le véritable temps qui résiste sans geste ni
voix ” (p. 190). Depuis cette séparation, ©Œmid ne se sent plus enchaîné par ces “ deux petites aiguilles ”, et la montre
lui “ paraît ” sur le galet froid “ la seule chose dans ce monde
qui sort du temps réel ”.
Se
détacher de la montre est dans ce cas signe de libération du passé qui ne cesse
de mortifier ©Œmid. C’est à partir de ce moment que ©Œmid rentre dans un nouveau temps ; celui qui
engendre le changement.
Le
temps s’apparente au silence qui possède au fond une voix.
Dans De
retour à HayfŒ[27], le temps est un facteur essentiel dans l’action des
personnages. Le retour de Òafiyya et Sa“¸d à ©ayfŒ pour retrouver leur
fils, se fait en même temps pour retrouver le passé et lorsqu’ils échouent, ils
découvrent leur illusion et se détournent vers le futur ” (p . 62).
Dans De
retour à HayfŒ, KanafŒn¸ choisit un moment décisif à travers la rencontre de «aldán/Dov et de ses parents, qui s’inscrit dans un temps de surprise et de
découverte douloureuse. Bien qu’il n’ait pour durée que celle d’une soirée, et
peut-être encore moins, ce temps s’avère très fort car c’est celui de
l’écroulement d’un rêve de vingt ans. Tout se décide pour Òafiyya et Sa“¸d en l’espace de quelques heures, le temps de voir «aldán/Dov et d’entendre son discours. Le passé est brusquement rejeté et
même regretté, et le présent ouvre sur une phase d’éveil et de changement qui
remet en cause le rêve, la parenté, la patrie, jusqu’à «aldán lui-même : “ Qu’est ce que la patrie ? S’interroge Sa“¸d ” (p. 405). Et en réponse à sa femme, il
répète : “ Qu’est ce que la patrie ? «aldán ? Nos illusions ? La parenté ... ” (p. 405).
La
force de l’écriture kanafanienne réside dans cette rencontre de différents
temps que nous venons de voir. Le passé et le présent sont le moyen qui ouvrent
sur le futur. L’écriture porte encore le passé, non pour le conserver, mais
pour briser ses chaînes et pouvoir s’inscrire dan le futur qu’elle organise et
prépare à partir du présent.
Si la
quête est différente d’une œuvre à l’autre, le temps doit être sûrement propre
à chacune, car il dépend de sa nature. Dans l’œuvre de KanafŒn¸, la quête dépend de deux temps différents : le passé et le
présent qui doivent ouvrir sur un futur meilleur. Le passé est présent à
travers le souvenir ; il emprisonne le personnage puisqu’il le hante. Il
rentre ainsi dans une quête intérieure, alors que le présent s’évoque davantage
comme un temps qui produit l’action et essaie de combler aux failles du
passé.
La
quête peut être réduite à la fuite que plusieurs Palestiniens ont pratiquée, comme
dans Des hommes dans le soleil.[28]
Dans le voyage “ quête ” des quatre personnages, le temps
s’annonce comme une contrainte, puisqu’il “ menace d’étouffement et de
mort. ” Il s’inscrit dans le sort de ces personnages et sa nature se
repère dans les moments climatiques : “ la chaleur couvre les
moments de la journée dès le matin ”; la nuit s’avère obscure, elle est :
“ sans lune et les coins du désert sont silencieux ” (p. 147), et le
soleil émet une chaleur brûlante : “ Au milieu du ciel, le soleil trace
dans le désert un grand dôme de feu blanc et le fil de poussière projette une
ardeur aveuglante ” (p. 131). Mais le temps le plus important est celui
qui correspond à la présence des quatre personnages dans la citerne. Il
détermine l’aboutissement du voyage. Il est ainsi arme à double
tranchant : soit il est respecté, et alors la fuite aboutit ; soit il
ne l’est pas et peut conduire à la mort. Dès le commencement du voyage, le
temps menace la quête et détermine son aboutissement. Son écoulement traduit la
nature de la voie qu’elle emprunte. C’est ainsi qu’il acquiert une valeur
précieuse bien qu’il menace d’un sort tragique. Il se morcelle en se réduisant
à quelques minutes comptées plusieurs fois : “ Avant la frontière, à
SafwŒn, dit Abá al-KayzurŒn aux qautre personnages, vous allez rester dans la
citerne, je vais descendre pendant cinq minutes après les frontières de
cinquante mètres, vous monterez au dessus. Et lorsque nous arrivons à celles du
Koweït, nous répéterons la scène pour cinq autres minutes ” (p. 98). Il se
réduit à quelques minutes , celles de la présence des quatre personnages dans
la citerne, qu’on doit surveiller et compter, et se mesure au degré de patience
et d’endurance de Marina, As“ad et Abá Qays à l’intérieur de la citerne. Mais l’écoulement de ces minutes
devient le temps d’une agonie plutôt que celui d’une délivrance. Abá Qays compte de un à soixante pendant six fois, mais
la dernière, il a compté “ très lentement ”. Cette lenteur, si elle
traduit la fatigue de Abá Qays, traduit surtout la charge de chaque minute. Le passage d’une
seule décrit le temps de toute une endurance dans la chaleur et l’obscurité.
Plus le voyage dure, plus le temps devient objet de vigilance, il se fragmente
en plusieurs unités : “ je jure sur mon honneur, dit Abá al-KayzurŒn aux autres, six minutes ! regarde la montre As“ad. Exactement six minutes ! Regarde ! Tu ne
veux pas regarder ! Je vous l’ai dit dès le début, vous croyez que je vous
ment....voici la montre ... Regarde....Regarde ” (p. 122).
Mais
cette valeur temporelle trouve place aussi dans l’écriture ; celle-ci, si
elle peut s’ouvrir sur un autre temps, le fera à travers lui. Ainsi, elle ne
cesse de le “ mâcher ” pour pouvoir s’en débarrasser et faire son
entrée dans un autre : “ Abá Qays dit : - six minutes...je comptais le temps
de un à soixante. Une minute, c’est comme ça que j’ai compté...j’ai compté six
fois... la dernière fois, j’ai compté très lentement ” (p. 123). Le temps le
plus important dans cette fuite est celui de la présence des personnages dans
la citerne, celui de l’étouffement.
Si
KanafŒn¸ choisit cette nature temporelle pour marquer le
voyage, c’est pour condamner la fuite, et
montrer qu’elle n’est pas la solution. Bien au contraire, elle n’amène
que l’échec et la perte. Sa fragmentation et sa mesure précise, marquent
l’agonie de ces personnages et vont de pair avec l’approche de la mort. Mais
l’écriture en fait un moyen bien différent, car s’il montre la fin du voyage et
l’attente de ces personnages qui ne donnent que sur la béance, il marque la fin
de l’erreur et le début de l’éveil qui engendrent d’ailleurs l’interrogation
ultime prononcée par Abu al KayzurŒn et reprise par le désert : “ Pourquoi n’ont-ils
pas frappé sur les parois de la
citerne ? ” Cette interrogation montre aux Palestiniens la voie de la
délivrance puisqu’elle incite à “ frapper sur les parois de la
citerne ”, et par suite sur toutes les portes pour échapper à l’échec et à
la perte.
Cependant
cette nature temporelle s’impose au personnage tant qu’il choisit la fuite et
devient le moyen qui fait son sort tragique. Ce temps qui sonne l’erreur qui
réside dans le choix de la délivrance personnelle.
Le
passé qui ne cesse d’enchaîner le personnage kanafanien, rappelle le temps
faulknerien où :
“ Le passé n’est pas ce passé temporel qui n’est
plus et dont on peut simplement se souvenir, il est quelque chose qui est là,
maintenant, il est présent au sens propre aussi bien que passé ; en tant
qu’il est inséré dans le temps, il fut et est donc passé au sens ordinaire du
mot, mais en tant qu’il subsiste, il est présent ”. [29]
Mais
ce qui diffère pour les deux auteurs, c’est le comportement ou le
“ destin ” du personnage. Car chez Faulkner, le personnage
“ avance, mais à reculons ” alors que chez KanafŒn¸, il doit avancer pour se défaire des chaînes du passé. KanafŒn¸ écarte le passé non pas pour l’effacer, mais pour en faire une force
et un élan en vue de préparer le futur.
Dans l’Amant[30],
KanafŒn¸ fait du temps un lieu privilégié et essentiel pour
l’action militante. La narration remonte l’échelle temporelle à la recherche de
l’unique événement, celui qui tourne autour du héros. Ce temps paré d’actions
héroïques est sûrement celui que KanafŒn¸ recherche et veut y inscrire ses héros. L’Amant/QŒssim/“Abd al-kar¸m échappe à toute force que ce soit pour devenir l’histoire légendaire
que tout le monde échange. On ne peut le saisir ni le connaître, on peut que
parler de lui lorsqu’il s’absente.
Dans
cette “ épopée ” où KanafŒn¸ remonte au temps de la colonisation britannique[31],
l’ordre des événements s’inverse. Le roman part du dernier événement pour
aboutir au tout premier, et c’est ainsi que le passé se déroule devant le
lecteur et devient actuel. Cette remontée du fil du temps joue deux
rôles : elle permet d’une part, l’ouverture du roman, resté en attente
d’événements à venir ; et montre que l’itinéraire du héros reste à
poursuivre, de l’autre. L’arrestation de QŒssim / l’Amant, est placée au début de la chaîne
événementielle alors qu’elle est en vérité le dernier événement. Dans ce monde
où l’histoire se poursuit en remontant l’échelle temporelle, la narration
alterne sans arrêt d’un personnage à l’autre ; le héros épique, l’Amant
qui symbolise le héros palestinien, reste à jamais insaisissable. Il
échappe partout à quelque force que ce soit. KanafŒn¸ dote à travers lui l’homme militant d’une capacité singulière et d’une
grandeur inaccessible. On peut s’élever, recourir à tous les moyens pour
l’atteindre, mais il reste toujours au dessus. Tout s’enchaîne dans le roman,
mais la force militante même tombée dans les chaînes, finit par les briser. Le
discours commence par là où il finit. L’on peut terminer le roman, mais le
champ de la parole reste toujours ouvert, comme d’ailleurs celui de l’action.
Et les événements remontent dans le temps pour ne jamais finir, pour échapper à
l’oubli. Le roman se crée donc à partir de la fin (qui n’est pas la vraie
fin), et c’est de là qu’il tire sa multiplicité.
Dans
les romans de Dib, le temps est un facteur qui contribue essentiellement à
l’inassouvissement de toute recherche. C’est souvent un présent qui menace par
le tourment et l’angoisse. Son passage n’est pas non plus écoulement, ni
fuite comme l’on vient de voir chez KanafŒn¸, mais retour qui amène le vide et accentue la durée de la quête.
Chez
Dib, le temps acquiert comme la quête une dimension douloureuse. La danse du
roi[32]
et Habel[33]
sont marqués par le retour qui n’amène que le vide. Dans les mêmes lieux,
la montagne dans La Danse du roi, et le carrefour dans Habel, les
mêmes nuits reviennent pour agacer encore le personnage, pour le menacer de
danger, voire de mort. Ce temps sombre et opaque couvre le personnage sans
jamais lui dévoiler la lumière du jour ni la progression de sa quête. Il se
répète uniquement pour lui montrer que “ les choses sont les mêmes. ”
Ainsi, il doit sa vie à la durée de la quête. Sa présence et son évocation
n’importent que dans le cadre de son déroulement. Il ne se mesure pas heure par
heure, mais soir par soir, nuit par nuit ; “ par bloc ” nous
dirait Edgar Morin. Il se mesure surtout par rapport à la quête ; à la
marche des personnages dans La Danse du roi : “ le soleil
commence à descendre ! je lui crie. On fera bien de se préparer à
continuer ! dit Arfia à Slim. ” (p. 96) Ou encore : “ La
nuit ne va pas tarder à tomber ! On n’a pas le choix ! Il faut sortir
de cette montagne ! ” (p. 97)
Dans Habel,
l’attente du héros parle des soirs qui se succèdent parce que son attente
ne mène à rien et les marcheurs de La Danse du roi parlent de la
nuit parce qu’ils ne trouvent pas une cache : “ Depuis deux soirs que
je débouche du métro, que je me plante à ce carrefour, que j’attends. C’est le
deuxième soir. Que j’attends de voir ce qui va se passer ” (p. 23). Ce temps
qui s’avère stérile et sans fin, devient plus un obstacle qu’un facteur de
solution.
L’insistance
de Habel sur le nombre de soirs justifie la durée de la quête. Plus la quête
dure, plus le temps se multiplie, et plus le texte se développe. La
multiplication du temps rime avec l’absence d’événements et le vide : “ Je reviens à ca
carrefour, je rôde, soir après soir. Rien n’arrive, rien ne se passe ” (p. 43).
Et lorsque l’attente s’avère inutile, le temps s’évoque par sa simple évocation
comme s’il “ s’évanouit ” avec l’évanouissement de la quête ”.[34]
Dans Les
Terrasses d’Orsol[35],
le temps se morcelle selon les étapes de la quête. Le jour se présente sous la
forme de différents moments qui correspondent au déplacement du narrateur à la
fosse, et au temps qu’il passe devant eux : “ J’y retourne, je ne peux pas
y tenir, je cours à la fosse comme si je devais encore m’assurer de sa
réalité... ” (p. 82). Et la nuit s’ancre dans ces moments de réflexion
douloureuse et d’agitation. D’ailleurs son évocation se fait en rapport avec
l’état du personnage “ quêteur ” : “La nuit acquiert l’agitation
et l’inquiétude du personnage que lui dicte la découverte de la fosse. Elle se
remplit de “ tintamarre ”, de “ clameurs ” et de
“ gigues de sauvages ” ; “ Quelle nuit que la nuit que je
viens de passer ! dit-il, pleine de tintamarre, traversée de clameurs, de
gigues de sauvages,.. ; ” (p. 10). Bien que la lumière soit présente,
les ténèbres restent “ menaçantes ” comme dans La Danse du roi
et Habel : “ Les avalanches de lumière ...que je me sente cerné
par ces menaçantes ténèbres. ” (p. 16) Moment du “ songe et de la
réflexion ”, la nuit est encore ici le temps où la quête prend
forme : “ La nuit tombe, je réfléchis, je songe au sinistre lieu, dit
Ed ” (p. 26), mais rien ne se passe bien que le temps s’écoule :
“ Les minutes passent, n’apportent aucune réponse ” (p. 27).
La
durée de la quête entraîne la fusion du temps ; la nuit devient jour et le
jour nuit. Le temps se bouleverse comme l’espace, et parfois se fige et perd
toute importance pour laisser le champ libre à la quête tant elle brûlante et
insistante.
De
cette façon, l’écriture porte le temps comme inconstance, elle le met en
évidence parfois, et l’omet, d’autres fois. Ainsi, il n’est plus un temps réel,
mais correspond aux moments de la quête et se représente pour son
déroulement.
La
multiplication des nuits rime dans les deux romans avec l’absence d’événements.
Le rôle essentiel du temps est de se joindre aux autres difficultés que
rencontre la quête pour lui présenter plus d’entraves.
Dans La
Danse du roi, la nuit pèse aux personnages dès le début de l’histoire, et
on cherche à le dépasser par tous les moyens comme par exemple, la comédie de
Slim et Bassel : “ Nous deux , Némiche et moi, nous les regardons
faire les clowns. Ca nous aidait à passer le temps ” (p. 19). Elle s’étale, et
on ne songe qu’à la dépasser pour retrouver le jour ; mais la levée du
jour elle-même se révèle douloureuse au lieu d’être répit : “ Alors
je souffre, dit Arfia, de ce jour qui se lève, plus que de tout le reste ” (p.
54). Elle n’amène que des hallucinations et des visions noires ; Slim
croit voir des corbeaux qui vont l’attaquer. Et lorsque la matinée inonde les
lieux par sa “ lumière de lait ”, elle amène avec elle une durée exceptionnelle :
“ Un moment se passe, pour Arfia, long comme un voyage au bout du monde ”
(p. 59). Mais cette durée est au fond très chargée ; elle est le signe
d’un événement qui se prépare. Elle annonce dans tous les cas, la mort : “ Il
me semble, reprend Arfia, que quelque chose est en train d’arriver. ça tape
dans l’air, dans le roc, dans mon cœur ; puis ça lance un cri. Ils filent
par moments, les cris, comme d’un oiseau. C’est la mort qui
s’approche ? ” (p. 59).
L’approche
d’une nouvelle nuit n’amène rien de nouveau comme dans Habel ; elle
est pareille aux autres et ne fait que revenir : “ Je pense :
voici un soir de plus qui tombe, et je me dis que ce sera un soir comme les
autres, dit Habel ” (p. 95). Son retour renouvelle la marche, donc, la quête de
la cache, et l’attente pour Habel.
Le
retour est un “ rendez-vous avec la mort ” aussi bien pour les
personnages de La Danse du roi que pour Habel. Dans ce premier, La nuit
n’est plus un facteur externe qui agit par la fuite ou par la durée, mais devient
un agent qui pénètre le corps et l’affecte comme le font le froid et les
épines : “ La fin de la nuit nous fait toujours mal, dit
Bassel ” (p. 36) ; ou Slim qui s’écrie : “ On ne se
sentait plus, il avait raison. La nuit, elle vous entrait dans la peau, il n’y
avait que de la nuit en vous. Que de froid. ” (p. 36) “ La nuit ! Le froid ! Des
paquets d’épines dans les pieds ! ” (p. 37). La douleur de Slim qu’il
croit venir de la montagne, provient de la nuit : “ C’est la nuit qui
tombe, lui dit Arfia, c’est elle qui te donne cette saleté ” (p. 101). Cette
nuit longue, lourde, qui pèse et fait mal, “ colle après ” les
personnages pour les alourdir encore plus, et rallonge leur marche. Elle les
détourne ainsi de leur but et “ embrouille ” la voie de leur quête :
“ Cette obscurité, ce froid, près ou loin, ça embrouille tout ” (p. 41). Son
retour est une arrivée fantomatique qui ravage tout, couvre de douleur jusqu’à
la meurtrissure, et ne laisse derrière elle que “ la danse
frénétique du vent ” : “ Voilà que la nuit tombe ! je
dis, dit Arfia. Il recommence (Slim) à se battre les côtes des deux bras pour
se tenir chaud. Il regarde toujours ce pays sur lequel la nuit se jette. Elle a
déjà fait disparaître les fonds, et elle va tout gober. Il regarde ça, et moi aussi,
je regarde ça, cette espèce de mort, et je ne pense à rien, les choses sont
toujours ce qu’elles doivent être, jamais autrement. Et la nuit se referme sur
nous, et la montagne avec elle, et là tout ce noir ne demeure que la danse
frénétique du vent, ce vent fou qui nous acclame et ne sait rien faire d’autre
” (p. 98).
La
nuit, temps opaque et lourd, enveloppe le personnage non pas pour le protéger
et le soulager, mais pour l’angoisser encore plus et lui montrer que les choses
sont toujours identiques. Et si elle amène quelque chose, ce serait une
“ .. , danse frénétique du vent, ce vent fou qui nous acclame, dit
Arfia, et ne sait rien faire d’autre ” (p. 98). Danse du vide dans le vide
qui fait écho avec la solitude féroce qu’affronte Habel et peut-être
“ tout nu ” chaque soir, l’agitation et la vibration corps et âme de
Ed, le délire de Slim et la danse ultime de Wassem. Et ce n’est que vers la fin
de La danse du roi que son écoulement commence, celle-ci n’est qu’un signe de
renouvellement de la marche : Arfia se rend compte de la distance qui lui
reste à parcourir : “ Le temps s’écoule, dit-elle à Wassem,
j’ai encore du chemin à faire ! Si je ne veux pas arriver trop tard, comme
toi en venant ici, il faut que ... ah ...” (p. 125).
Mais
le thème du retour chez Dib ne concerne pas que le temps, il s’élargit à bien
d’autres objets, c’est pour cela qu’il nous retient. Il s’avère en effet que
l’écriture dibienne pratique des “ retours ” incessants à plusieurs
niveaux : les personnages par exemple incarnent ce thème de retour d’un
roman à l’autre : Omar, personnage du Métier à tisser[36],
se retrouve dans L’Incendie[37] ;
Kamel Waêd et d’autres figurent dans Dieu en Barbarie[38],
et dans Le maître de chasse,.(finir). De même, la ressemblance que l’on peut
trouver au niveau des noms de certains personnages comme Hellé dans Cours
sur la rive sauvage et Lily dans Les Terrasses d’Orsol, peut être
signe du retour du même personnage avec une modification du nom.
La
quête obéît elle aussi à ce mouvement ; celle de la liberté, de
l’idendité, du déchiffrement, revient d’un roman à l’autre sous une nouvelle
forme. Habel, Les Terrasses d’Orsol, Le maître de chasse, La
Danse du roi ou encore Cours sur la rive sauvage, tournent autour
de ces thèmes. Mais chacun emprunte une histoire et une voie de la quête
propres.
Cependant ces différents retours sont
gouvernés par un autre plus important, celui de l’écriture. Dans ce mouvement,
l’écriture part en effet non pas pour se disperser, mais pour faire la boucle
sans renoncer à continuer son développement. Elle pratique ainsi plusieurs
retours, y compris son propre mouvement.
Que signifie alors ce mouvement circulaire ?
La
quête qui nous a préoccupé jusqu’ici, et fait l’élan et le développement de
l’écriture, nous permet de voir dans ce tracé, un geste. Geste d’union,
d’amour et de nostalgie ? Ou celui de refus de l’éloignement et de
l’exil ? Cette quête qui provoque le départ de l’écriture reste toujours à
poursuivre, et par conséquent, provoque cette voie qui ne fait que tourner
autour du même but. Nous verrons plus loin que son retour est encore plus
douloureux, puisqu’elle revient au songe, son point de départ, pour continuer
l’interrogation et essayer de suivre un autre mouvement en vue d’une ouverture
et peut-être, un point d’arrivée !
Ce
retour témoigne d’une écriture “ infinie ” chez Dib. En achevant la
lecture d’un roman, on croit que l’histoire est finie, mais elle renaît dans un
autre roman par le retour des mêmes personnages et des mêmes thèmes. La
présence des mêmes personnages d’un roman à l’autre, si elle explique la
continuité de l’écriture dibienne, est aussi signe de leur immortalité, et de
la multiplicité de leur rôle. Cette vie fait de l’œuvre de Dib (du moins les romans
qui “ se reprennent ”), une vaste scène où les mêmes acteurs
accomplissent leurs rôles dans l’espace et le temps. Car si les mêmes
personnages reviennent, même si leurs rôles changent, c’est pour jouer un rôle.
Une
illustration schématique nous donne les tableaux suivants :
Les
mêmes personnages |
Romans |
Omar
|
La
Grande maison, Le Métier à tisser |
Kamel
Waëd, Jean-Marie Aymard, Dr Berchig, Hakim Madjar, Marthe |
Dieu
en Barbarie, Le Maître de chasse |
Les
mêmes lieux |
Romans |
La
terre algérienne |
La
Grande maison, Le Métier à tisser, L’Incendie, Dieu en Barbarie, Le Maître de
chasse |
Les
mêmes thèmes |
Romans
|
La
quête d’une libération |
La
Grande maison, Le Métier à tisser, L’Incendie, La Danse du roi |
La quête
d’une réponse |
Le
Maître de chasse, Cours sur la rive sauvage, Qui se souvient de la mer, Les
Terrasses d’Orsol, Habel |
Cette
“ récursion ” [39]
que trace l’écriture peut expliquer les secrets de l’œuvre dibienne. Dans ce mouvement
qui fléchit et renonce à la ligne droite, résident l’abattement et la brisure
que l’on trouve chez certains personnages. Ceux de La danse du roi par
exemple, Slim et Wassem par exemple, Ce mouvement qui dure, provoque le vertige
comme dans Les terrasses d’Orsol pour Ed, dans Habel, pour le héros, ou
dans Cours sur la rive sauvage, pour Iven Zohar. L’écriture ne se ferme que sur
cette douleur de la quête qu’elle poursuit. Et lorsqu’elle revient, elle ne
trouve ni l’objet d’amour dans Radia/Hellé ou Sabine/Lily ni le lieu d’origine
qui reste loin et ravive la douleur de l’exil comme chez Habel, ni une
signification aux mots qu’elle véhicule. Tout cela impose l’interrogation
suivante : ce mouvement, n’est-il pas celui du monde ? De l’existence
que l’on découvre parmi les trois principes d’Edgar Morin sous l’appellation de
“ récursion organisationnelle. ” où “ chaque moment du
tourbillon est à la fois produit et producteur[40]
” (p. 99). Par définition : “ Un processus récursif est un processif
où les produits et les effets sont en même temps cause et producteurs de ce qui
les produits, nous dit Edgar Morin ” (p. 100).
Tant
que la quête n’aboutit pas, tant que la récursion reste le mouvement de
l’écriture, elle devient rythme de l’œuvre et gouverne tous les autres rythmes.
Ainsi,
le temps dans l’œuvre de Dib révêt la nature de la quête. Il est non seulement
un facteur qui l’entrave et empêche son aboutissement, mais acquiert aussi son
retour vide et agaçant.
Dans
l’œuvre de KanafŒn¸, il y a une nature temporelle
propre aux différentes phases de la vie du peuple palestinien. Si le passé se
caractérise par la menace et l’étouffement, le présent doit
“ battre ” l’action et la vie et le futur doit amener
l’affranchissement.
“ Le temps est un ordre et n’est rien autre
chose. Et tout ordre est un temps. Et c’est ce temps vertical que le poète
découvre quand il refuse le temps horizontal c’est-à-dire, le devenir de la
vie, le devenir du monde ”. [41]
Le
temps horizontal que KanafŒn¸ refuse est bien celui de
la passivité et de l’attente vaine. La quête de la “ verticalité ”
commence par briser les chaînes du passé et stimuler le présent pour préparer
son entrée dans un futur meilleur. Elle trouve désormais ses racines et ses
élans dans le présent. Parmi ses signes, le redressement en est un des plus
importants.
Cet
état auquel aspire l’œuvre kanafanienne touche aussi bien le niveau physique
que moral. Les deux scènes de la vengeance de Maryam et son frère ©Œmid dans Ce qui vous est resté, reposent, dans l’acte
qu’ils accomplissent, sur un affrontement par la force et un redressement
physique. ©Œmid domine son adversaire : “ Au moment où je le tenais,
dit-il, par le bras en me mettant sur lui, je sus que j’étais plus fort que lui
” (p. 205). Et Maryam affronte ZakariyyŒ et finit par le tuer : “ Nous nous sommes
jetés en même temps en nous fixant dans les yeux, dit-elle ” (p. 230). Mais
derrière ce redressement physique réside un autre, plus fort et plus profond, c’est
la volonté qui est source de force et amène à cet acte. Il a fallu une longue
endurance pour que ces deux personnages atteignent cet état qui ouvre sur un
temps nouveau.
Cet
état définit aussi celui de Abá Sa“d dans Umm Sa“d. A la suite
de l’entraînement des enfants des camps, cet homme a changé , il “ a
changé depuis ce moment, c’est ce que Umm Sa“d m’avait dit, “ bien sûr ” elle dit :
“ la situation n’est plus la même, il m’a dit que la vie a un maintenant
un goût, seulement maintenant ” (p. 334). Plusieurs choses se sont modifiées
chez Abá Sa“d. Son état s’est beaucoup amélioré, il “ regarde
le camp d’une autre façon, lève la tête, voit clair maintenant ”, et
“ marche comme un coq ”. La fierté et l’espoir que lui offre ce spectacle,
redonnent à Abá Sa“d sa force et son
redressement. L’état de cet homme décrit un changement dans son entourage et
dans tout le camp ; Abá Sa“d n’est d’ailleurs plus
le même. C’est une nouvelle étape dans la vie des habitants des camps.
Cependant
le redressement réside aussi dans l’éveil de “‹mir et Abá Qays dans L’Aveugle et le Sourd qui se
libèrent des fausses croyances et du grand mensonge qu’est “Abd al-“‹Õi, auquel ils ont rattaché tous leurs rêves. Depuis la
découverte de ce mensonge, “‹mir et Abá Qays acquièrent une conscience qui leur permet de
sentir et de comprendre le monde. Ils dépassent leur handicap et affrontent le
monde avec leur volonté, et se dressent contre tout mensonge. Leur réaction
décrit ainsi le commencement d’un temps différent du passé ; c’est celui
du redressement contre toutes les fausses croyances comme par exemple la
réaction de “‹mir face à la nouvelle de la femme qui a pu enfanter après dix années
de stérilité grâce à ce saint. “‹mir n’hésite pas à dire à ©imdŒn “ qu’elle a trompé son mari ” car “ le saint
n’est qu’un champignon. ”
L’image
paroxystique illustrant cette verticalité réside dans L’Amant. Le héros
devient symbole mythique à travers ses actions révolutionnaires. L’Amant/QŒssim mène un itinéraire de fuite, devient
insaisissable et se dresse contre tout piège et tout obstacle. Dans ses actions
hors de pair comme sa marche sur le feu, ses différentes caches, il devient
“ prophète ”, “ fou ”, “ géant ”, et
“ illusion ”. Il est présent quand il s’absente et absent quand il se
présente, il est partout et nulle part.
Ce
sont ces moments précieux où l’acte militant et révolutionnaire se met en
scène, qui portent le temps nouveau chez KanafŒn¸. Ainsi, la verticalité temporelle fonde la quête dans l’œuvre de KanafŒn¸, et porte sa dramaturgie.
La
représentation graphique de ces différents temps kanafaniens nous donne le
chéma suivant :
Temps vertical : futur
(temps de la représentation)
Présent (temps dramatique)
Temps horizontal
(correspond au passé avant 1967, celui de la quête)
Spatialité et Temporalité
Objet de quête incarne le tragique
Espace
Lieu théâtral
Incarne la quête
Temps
Rentre dans la théâtralité
[1] DIB (Mohammed). L’Incendie. Paris, Le Seuil, 1954.
[2] DIB (Mohammed). Qui se souvient de la mer. Paris, Le Seuil, 1962.
[3] DIB (Mohammed). Idem. p. 187.
[4] KANAF‹N· (§assŒn). Des Hommes dans le soleil. dans al-”ŒÕŒr al-kŒmila, Mu”assassat al-abªŒÕ al-“arabiyya, 1963.
[5] KANAF‹N· (§assŒn). L’Amant. dans al-”ŒÕŒr al-kŒmila, Mu”assassat al-abªŒÕ al-“arabiyya, 1972.
[6] KANAF‹N· (§assŒn). Ce qui vous est resté. dans al-”ŒÕŒr al-kŒmila, Mu”assassat al-abªŒÕ al-“arabiyya, 1966.
[7] GENETTE ( Gérard). Figures III. Paris, Le Seuil, 1972, p. 204.
[8] ADJIL ( Bachir). Espace et écriture chez Mohammed Dib : la trilogie nordique. Paris, L’harmattan, 1995, p. 26.
[9] DIB (Mohammed). Les Terrasses d’Orsol. Paris, Sindbad, 1985.
[10] DIB (Mohammed). Habel.Paris, Le Seuil, 1977.
[11] KANAF‹· (§assŒn). De retour à HayfŒ. dans al-”ŒÕŒr al-kŒmila, Mu”assassat al-abªŒÕ al-“arabiyya, 1969.
[12] Nous rappelons qu’il s’agit ici de l’occupation israélienne de la ville de ©ayfŒ en 1948.
[13] DIB (Mohammed). Cours sur la rive sauvage. Paris, Le Seuil, 1964.
[14] Barthes (Roland). Le degré zéro de l’écriture. Paris, Le Seuil, 1953 et 1972, p. 9. “ Le degré zéro de l’écriture ” signifie pour Barthes l’écriture qui n’a pas de sens. En parlant des étapes de l’écriture, dit : “ ...elle atteint aujourd’hui un dernier avatar, l’absence : dans ces écritures neutres, appelées ici le degré zéro de l’écriture, ... ”
[15] KANAF‹N· (§assŒn). L’Aveugle et le Sourd. dans al-”ŒÕŒr al-kŒmila, Mu”assassat al-abªŒÕ al-“arabiyya, 1972.
[16] PAVIS ( Patrice). Voix et Images de la scène. Essais de sémiologie théâtrale. P. U. de Lille, 1982, p. 201.
[17] DIB (Mohammed). La Danse du roi. Paris, Le Seuil, 1968.
[18] PROUST (Marcel). Du côté de chez Swann.
[19] MAACHOUR (Mustafa). Rapport entre narrativité et la théâtralité dans un conte des Mille et une nuit ”. Paris III,
[20]HUBERT (Marie-Claude). Le théâtre. Paris, Armand colin, 1988, p. 18.
[21] GENETTE (Gérard). Figures III. Paris, Le Seuil, 1972, p. 78.
[22] FARABI (Abdelletif). Al “Œlim al-riwŒ”¸ “inda §assŒn KanafŒn¸ min khilal RijŒl fi al-Ñaams. DŒr Al-ÕaqŒfa Li al-naÑr wa al-tawz¸“, s. a, p. 48.
[23] BACHELARD (Gaston). Le droit de rêver. Paris, P.U. F, 1970.
Dans cette étude, Bachelard attribue le temps vertical au poète : “ Et c’est le temps vertical que le poète découvre quand il refuse le temps horizontal, dit-il, c’est-à-dire le devenir de la vie, le devenir du monde ” p. 228.
[24] KANAF‹N· (§assŒn). L’Aveugle et le Sourd. Dans al-”ŒÕŒr al-kŒmila, Beyrouth, Mu”assassat al-abªŒÕ al- “arabiyya, 1972. p. 473.
[25] KANAF‹N· (§assŒn). Ce qui vous est resté. Dans al-”ŒÕŒr al-kŒmila, Beyrouth, Mu”assassat al-abªŒÕ al- “arabiyya, 1966.
[26] VILLIERS (André). La psychologie de l’art dramatique. Paris, Librairie Armand Colin, 1951, p. 124.
[27] KANAF‹N· (§assŒn). De retour à ©ayfŒ.
Dans al-”ŒÕŒr al-kŒmila, Beyrouth, Mu”assassat al-abªŒÕ al- “arabiyya, 1969.
[28] KANAF‹N· (§assŒn). Des Hommes dans le soleil. Dans al-”ŒÕŒr al-kŒmila, Beyrouth, Mu”assassat al-abªŒÕ al- “arabiyya, 1963.
[29]
POUILLON (Jean). Temps et roman. Paris, Gallimard, 1946, p. 219.
[30] KANAF‹N· (§assŒn). L’Amant. Dans al-”ŒÕŒr al-kŒmila, Beyrouth, Mu”assassat al-abªŒÕ al- “arabiyya, 1972.
[31] KanafŒn¸ évoque en effet des événements qui s’inscrivent dans le temps de la colonisation britannique à travers le personnage du capitaine Blake.
[32] DIB (Mohammed). La Danse du roi. Paris, Le Seuil, 1968.
[33] DIB (Mohammed). Habel. Paris, Le Seuil, 1977.
[34] MORIN (Edgar). Introduction à la pensée complexe. Paris, ESF éditeur, 1990.
[35] DIB (Mohammed). Les Terrasses d’Orsol. Paris, Sindbad, 1985.
[36] DIB (Mohammed). Le Métier à tisser. Paris, Le Seuil, 1973.
[37] DIB (Mohammed). L’Incendie. Paris, Le Seuil, 1954.
[38] DIB (Mohammed). Dieu en Barbarie. Paris, Le Seuil, 1970.
[39] Nous empruntons ici ce terme à Edgard Morin.
[40] MORIN (Edgard). Op. cit. p. 33.
[41] BACHELARD (Gaston). Le droit de rêver. Paris, P.U.F, 1970, p. 226.